MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



jeudi 1 janvier 2015

LES GRANDS DÉPARTS (1): FRANÇOISE

LES GRANDS DÉPARTS (1) : FRANÇOISE 
1. Introduction
2. Belle vie, belle mort
3. Heureuse noirceur 
4. Françoise a eu et éduqué un enfant autiste... sans jamais le savoir!

Aquarelle de Françoise Michaud, ma mère
Dans une vie, il y a des années qui sont des carrefours. Rien ne sera plus comme avant. L’année 2014 aura été ce genre d’année pour moi : il y aura avant et après 2014. C’est curieux mais je l’avais pressenti. Juste après mon voyage en Europe en mars-avril dernier, qui fut le plus beau voyage de ma vie, j’avais écrit à mes amis européens que je ressentais une sorte d’oppression, que je me sentais à un point tournant. Je ne sais pas s’ils m’avaient cru, et certains me disaient qu’il est fréquent de ressentir une sorte de petite déprime lors d’un retour de voyage. Mais mon intuition me disait, et fortement, qu’il ne s’agissait pas que de cela. C’était trop présent, trop intense. J’étais alors dans la brume, mais les choses ont déboulées, faisant de 2014 une année de grands départs. 

Belle vie, belle mort
Françoise, à 14 ans (1939)
Au début de décembre 2014, ma mère est entrée à l’hôpital pour une mauvaise bronchite. Sa santé avait donné des signes d’alarmes ces derniers mois : elle a fait 7 séjours à l’hôpital. Ce huitième avait assez bien commencé : ma mère répondait au traitement. Puis soudainement, les systèmes de son corps se sont effondrés les uns après les autres. À 89 ans, ma mère vivait toujours dans sa maison avec mon père et vaquait à ses petites occupations. Elle s’était bien relevée d’un infarctus survenu en 2009. Mais elle était atteinte du diabète, une maladie pernicieuse qui gruge silencieusement le corps : son cœur, son système circulatoire, ses reins, ses poumons s’étaient affaiblis.

À l’hôpital, son déclin a été rapide. Jeudi matin, 11 décembre, elle avait sereinement accepté l’imminence de son départ et a demandé à voir les membres de la famille pour faire ses adieux. Elle a alors reçu les derniers sacrements. Mon frère m’a appelé pour me demander de me rendre à son chevet : j’ai fait la route de Sorel à Montréal, jusqu’à l’Hôpital du Sacré-Cœur. J’avais peur d’arriver en retard, surtout que le stationnement de l’hôpital était plein et que les rues avoisinantes étaient embourbées par la neige. Il a fallu que je me batte et même me fâche pour obtenir une place : un couple qui assistait à la scène m’a dit qu’ils quittaient et que je pouvais prendre leur place. Merci mes sauveurs! Mais du temps avait passé et je craignais le pire. Finalement parvenu à la chambre, j’ai vu ma mère sur son lit. Elle était toujours éveillée et son regard s’est éclairé en me voyant. Je lui ai parlé, je lui ai tenu la main, l’ai embrassé, remercié pour tout. Puis, elle a regardé les gens venus la voir et a dit : «Cela fait un beau cercle». Presque aussitôt, elle s’est endormie. Elle ne devait jamais s’éveiller. J’ai donc été la dernière personne à lui parler, à lui tenir la main lorsque consciente. Elle est décédée tout tranquillement le lendemain matin à 11h15. Elle a reçu de très bons soins et n’a pas souffert. Une belle mort pour couronner une belle vie. Tout cela fut, pour moi, très émouvant, triste mais paisible, et solennel, majestueux. C’est la première fois que je vis un deuil d’aussi proche depuis celui de mon grand-père alors que je n’avais que 3 ans.

En ski à droite, avec sa sœur Josette, à gauche, en 1946
Le jeudi matin, elle avait dit à mon père qu’elle était très fière de moi et qu’au Ciel, elle entendra ma musique. Ces paroles touchantes méritent un commentaire. Quelqu’un de proche qui a su pour ma séparation avait eu, l’été dernier, ces mots empreints de délicatesse : «Ça va être bon que tu prennes une débarque aux yeux de tes parents!». C’est fou combien je croise de telles personnes venimeuses en lesquelles pourtant, naïf que je suis, je plaçais ma confiance! Ma mère a eu beaucoup de peine pour moi lorsqu’elle a appris cette séparation, et nous avons partagé notre peine, mais vous voyez, sa fierté pour moi était demeurée intacte jusqu’à ce qu’elle s’endorme pour toujours. Et moi, je suis fier, très fier de mes parents. Heureuse sera-t-elle d’entendre ma musique au Ciel car, moi, sur Terre, j’ai bien peur de ne pas avoir tellement d’occasions de l’entendre.

Ses funérailles ont eu lieu à l’Église Saint-Joseph-de-Bordeaux, vendredi 19 décembre. Selon ses volontés, ma mère n’a pas été exposée dans un salon funéraire et son cercueil est demeuré fermé. Elle ne voulait absolument pas que nous la voyons morte dans un cercueil – et quand ma mère tenait à quelque chose, elle y tenait pour vrai (j’ai de qui tenir!). Ce fut une belle cérémonie, avec le chant magnifique de Frédéric Kuku. Si j'ai manqué de temps pour engager un trompettiste pour jouer Bouleau jaune, Marilène Provancher-Leduc a joué avec émotion et poésie ma pièce Auberivière (pour flûte seule) - Marilène qui a elle-même perdu son père en septembre dernier.

Heureuse noirceur
Mais non, Docteur Freud! C'était une photo juste pour rire!
J'adore faire la vaisselle, toujours à la main:
c'est un temps de détente pour moi (photo c.1980)
Parler de sa mère est un peu délicat. Je marche sur des œufs parce que j’ai un ami, Claude, qui se défini comme un «vieux freudien» - que voulez-vous?, personne n’est parfait!, mais même si autisme et freudisme ne vont pas ensemble, Claude est un chic type. Alors peut-être lui ou d’autres qui sont tentés de relier autisme à l’image de la mère s’ingénieront-ils à interpréter drôlement mes propos. Cela dit, j’ai toujours eu une belle relation avec ma mère, et avec mon père aussi, une relation saine, quoi que puisse penser Œdipe ou Sigmund. Mais parce que ma mère n’a pas été que ma mère, je l’appellerai aussi Françoise pour la suite de ce texte.

Françoise Michaud est née à Trois-Rivières le 13 février 1925. Elle fut le quatrième de cinq enfants. Elle a eu un frère, Jean-Jacques, et trois sœurs : Jacqueline, Josette et Marthe (la seule à lui survivre). La famille a rapidement déménagé à Québec. Françoise était plutôt grande et mince : il paraît qu’on la surnommait «Le poteau»! Ou encore, Françoise-la-framboise, à cause de son teint vif. Dans sa jeunesse, Françoise était très sportive. Elle pratiquait le ski, le patin, elle se défendait bien au curling et a fait partie d’un club de vélo dont le groupe faisait de longues randonnées. Avec sa famille et des amis, elle savait se divertir, danser, aller à des clubs, des événements culturels, etc.

Huile de Françoise Michaud (1979). Elle est sans titre,
mais les gens la nomment «L'Indienne»
Dans le langage d’aujourd’hui, on dirait de Françoise qu’elle était une «traditionaliste». Mais elle avait aussi le courage de défendre ses opinions – des opinions qui, sur certains sujets, étaient claires et franches : j’ai donc de qui tenir! Françoise épousera même la cause de la souveraineté du Québec, sera membre du Parti québécois et votera Oui au référendum de 1980 (ce qu’à peine 40% des Québécois oseront faire). Ma mère m’a dit qu’elle a bien aimé vivre la jeunesse qu’elle a vécue, dans les années 1930-40, une époque que les politiciens plus «modernistes» et bien des historiens par la suite ont qualifiée de «Grande noirceur». C’était le règne autocratique du premier ministre Maurice Duplessis - mais qui a été élu démocratiquement par la population, et à plusieurs reprises : tout le monde ne le détestait donc pas, loin de là!
Maurice Duplessis (Wikipédia)
Monsieur Duplessis a régné sur le Québec de 1936 jusqu’à son décès en 1959, avec une brève interruption entre 1939 et 1944. Selon Wikipédia, «Les gouvernements de Duplessis furent caractérisés par l'usage non restreint du trafic d'influence [la récente Commission Charbonneau a démontré que cette pratique était florissante au Québec encore dans les années 2010!], la lutte anti-communiste [je serai tenté d’applaudir : c’était alors l’époque de Staline et de ses crimes de masse], l'emploi de la manière forte contre les syndicats [on y revient !] et une machine électorale invincible». Monsieur Duplessis avait un préjugé favorable envers les agriculteurs (les agriculteurs d’aujourd’hui, essoufflés, auraient bien besoin d’appuis politiques] et il se méfiait de tout ce qui lui paraissait «intellectuel». Fervent catholique, Duplessis n’hésitait même pas à réprimander les gens d’Église qui faisaient preuve d’un peu trop de liberté de pensée. Mais «Grande noirceur» est une caricature : le Québec d’alors, que l’on s’ingénie à dépeindre comme «attardé» était, entre choses, à l’avant-garde des médias (disques, radio), le Jazz s’y épanouissait, et les inventeurs rivalisaient d’ingéniosité (Joseph-Armand Bombardier commercialise ses premières motoneiges, ou autoneiges, en 1936). Il y avait une immense solidarité sociale qui, paradoxalement, commencera à s’effriter avec la Révolution tranquille et les années 1960. La foi catholique était vivace, voire coercitive, et si certains prétendent qu’elle n’était qu’une façade de convention sociale, j’ai plutôt l’impression qu’elle était sincère dans une très large mesure. Avec la Révolution tranquille, cette foi s’effritera elle aussi et, aujourd’hui, c’est au tour de l’indifférence (et de l’hostilité) religieuse d’être conventionnelle et coercitive : gros progrès. Ni Françoise ni Robert, son futur, ne rejetteront cet héritage spirituel qu’ils me transmettront et auquel j’adhère (ça, c’est vraiment non conformiste aujourd’hui!) : je les admire d’être demeurés fermes dans leurs convictions alors que celles de tant de proches et d’amis s’envolaient avec une légèreté déconcertante. Je vous recommande la lecture de Rhinocéros d’Eugène Ionesco : sauf un résistant, tout le monde devient un rhinocéros pour la bonne raison que «Tout le monde le fait, fais-le donc!» (slogan qui a significativement été pendant longtemps celui d’une très populaire station de radio). Donc, Françoise a aimé cette époque de prétendue noirceur et y mènera une jeunesse très heureuse. À voir les photos que j’ai, les gens n’avaient d’ailleurs pas l’air particulièrement malheureux!

En attendant le départ, Françoise, au centre, avec des amis de son club de vélo (1948)
 
Mais chez Françoise il y avait aussi des «petits quelques choses» d’inhabituel. Ce qui me frappe le plus est l’âge tardif auquel elle s’est mariée, soit presque 34 ans. Là vraiment, ce n’était pas dans la norme de l’époque, d’autant plus qu’elle n’a pas eu de conjoint(s) avant mon père. J’imagine qu’elle attendait la bonne personne. Aussi, elle a épousé un homme un peu plus jeune qu’elle, ce qui était (et est encore) relativement peu fréquent. Mais il paraît que la première rencontre avec Robert, mon père, ne fut pas trop prometteuse. Elle était avec de ses sœurs et Robert leur avait dit habiter à Outremont (aujourd’hui un arrondissement de Montréal), une ville qui avait la réputation d’être très cossue et snob (pour préciser : Robert travaillait alors dans la construction, comme couvreur…). En entendant cela, Françoise s’est tournée vers ses sœurs et a dit avec un petit rire assassin : «Oh ma chère, Outremont!» Bon, il faudra une autre rencontre, plus tard, et «par hasard». Françoise et Robert se sont mariés en janvier 1960, et le petit Antoine se pointera neuf mois plus tard. Geneviève suivra en 1963, puis seront adoptés Catherine et Philippe en 1964.

À moto avec James Dean! Non, je crois que c'est son frère
Jean-Jacques, ou un ami, je ne sais pas (vers 1947)
À l’époque de son mariage, Françoise s’adonnera à la peinture et à l’aquarelle. Mes parents fréquentaient le compositeur Gilles Tremblay, presque un voisin. Son épouse était peintre et ma mère a pris des cours avec elle. Elle réalisa des huiles et des aquarelles, tantôt figuratives tantôt abstraites. Elle en a vendu quelques-unes dont une œuvre abstraite dans laquelle plusieurs voyaient le visage d’un démon, d’où son titre Méphisto, et qui fut achetée par un collectionneur. Françoise possédait un véritable talent, mais elle le sacrifia à ses enfants : elle a été une «femme au foyer» comme l’on dit, et heureuse dans cette vocation que l’on a tendance à snober aujourd’hui et qui est pourtant admirable. Tout de même, la peinture occupera ses temps libres jusque dans les années 1980. Je suis heureux de posséder quelques-unes de ses œuvres qui ornent ma demeure.

Françoise a eu et a éduqué un enfant autiste… sans jamais le savoir!

Superbe photo à Manhattan en 1950, Françoise à droite
avec une amie, Colette Gingras
Personne n'est parfait et les enfants ne viennent pas au monde avec leur mode d'emploi mais, dans la mesure du possible, mes parents ont été d'excellents éducateurs. Ma mère, mes parents, ont ainsi eu et éduqué un enfant autiste… sans jamais l’avoir su! Ils ont su par intuition comment s’y prendre et m’ont donné une excellente éducation pour laquelle je ne pourrai jamais les remercier suffisamment. Je pense que le fait qu’ils soient des gens croyants leur a fait d’emblée respecter la personnalité de chacun de leurs enfants et de les éduquer en conséquence, une sorte de communion au mystère de la personne humaine.

Parmi les mots de sympathies que j’ai reçus, il en est un où j’ai lu cette phrase : «Nous sommes très concernés et conscients  en qualité de parent d'enfant différent, de ce qu'a dû être sa vie tout au long de votre enfance, adolescence et même plus tard au sujet des soucis et interrogation sur votre avenir». C’est gentil et compatissant. Mais je me dois tout de même de rectifier une telle perception, en pensant tout spécialement à ma mère.

Oui, j'étais un enfant différent: mes parents le constataient, de même que les enseignants que j'ai eus à l'école. Mais la différence n'implique que la différence – à moins que l’utilisation du mot différent soit un euphémisme pour handicapé que l’on prononce avec un sourire entendu. Un enfant différent n'est pas nécessairement un enfant à problème ou un enfant difficile.
Huile de Françoise Michaud (1979). Sans titre, je la nomme
«Pays sauvage». Je trouve les textures très fortes et «farouches».
Je crois que ma mère a créé ses plus belles toiles en cette année 1979.
Ce sont là deux choses distinctes. Il y a bien des enfants et des adolescents «normaux» qui sont difficiles: certains ne veulent rien savoir de l'école, d'autres tombent dans la délinquance, ou dans la drogue, etc., et causent d'énormes soucis à leurs parents. Pour dire vrai, je n'ai pas été un enfant particulièrement difficile. J'étais plutôt sage et je m'occupais facilement tout seul (vous l'aurez deviné). J'acceptais assez docilement l'éducation que mes parents me donnaient et, de même, j'étais tranquille à l'école. Mais oui, différent aussi! Tout le monde le voyait. Mes parents acceptaient de bon cœur ma tendance à jouer seul, mais ma sœur Geneviève n'hésitait pas à me «brasser» lorsqu'elle voulait que je joue avec elle, ce qui était correct et même positif. J'ai donc vécu quelque chose d'équilibré: je pouvais profiter de moments de solitude (qui nous sont importants, il faut en être conscient) mais, en même temps, je n'étais pas isolé. Mes parents acceptaient d'aussi bon cœur que je m'adonne à mes «activités répétitives», souvent liées à la musique, par exemple d'écouter d’innombrables fois de suite telle chanson sur un disque, mais ils posaient certaines limites, du genre: «Antoine, changes de disque!» ou «Va jouer un peu dehors dans la cour», et je m'y pliais volontiers. Je peux vraiment dire que mes parents ont été d'excellents éducateurs, pour moi comme pour mes deux sœurs et mon frère. Ils acceptaient ma différence, ou plutôt mon originalité, sans s'en inquiéter, sans désirer lui mettre une étiquette, se disant tout simplement «Antoine est comme il est», mais ils m'éduquaient aussi. Un dosage exact qu'ils ont trouvé intuitivement.

Avec moi, Antoine à la casquette, et ma sœur Geneviève (1963)
Il faut dire que mes parents ont eu un grand avantage. Je suis né en 1960, à une époque plus insouciante et simple qu'aujourd'hui. À ce moment au Québec, l'autisme était très peu connu, sinon que de rares spécialistes. Les petites écoles accueillaient tous les enfants: s'y côtoyaient sans grand problème des petits neurotypiques, des petits autistes, des petits diabétiques, etc., etc. Les écoles spécialisées étaient très peu nombreuses, et les services spécialisés comme on en trouve aujourd'hui dans les écoles n'existaient tout simplement pas. Et cela fonctionnait quand même assez bien. Aujourd'hui, il y a plein de services, plein de spécialistes et, pourtant, beaucoup de jeunes décrochent de l'école (c'est un vrai problème au Québec). Dans le contexte plus léger des années 1960, personne ne s'inquiétait trop de moi: on me trouvait «spécial», oui, mais on se disait qu'Antoine est ainsi et c'était tout. (Je précise qu’à l’adolescence, ce sera une toute autre affaire. J’ai subi de l’intimidation intense, «heavy metal». Mon grand regret est de ne pas en avoir parlé à mes parents qui m’auraient assurément changé d’école. Mais surtout à cette époque où l’intimidation scolaire était un tabou, les victimes en parlent rarement, même à leurs proches). Mes parents n'ont donc pas eu plus d'inquiétudes pour moi qu'ils n'en ont eu pour leurs autres enfants, même si, rétrospectivement, je suis certain de les avoir déconcertés par moments. Personne n'est venu leur faire peur, genre: «Vous savez, Antoine a un problème. Il faudrait qu'il soit évalué par un spécialiste». Personne n'est venu les faire suer en parlant d'autisme, de «trouble envahissant du développement» et autres choses du genre qui, je le constate amplement, surinquiètent les parents aujourd'hui, de manière contreproductive, en générant un lot d'anxiété qui finit par toucher l'enfant lui-même. J'en suis heureux pour mes parents. J'en suis heureux aussi pour moi qui n'aie pas été suivi par des psy-ci, des psy-ça, des orthopédagogues, des spécialistes de tous genres, comme c'est le cas aujourd'hui: je me connais, j'aurais très mal réagi à un tel envahissement – et on en aurait conclu que mon «cas» est très sérieux. Je vois plein de jeunes adultes autistes qui sont révoltés de la manière dont ils ont été traités; j'entends plein d'histoires d'horreur, des paroles épouvantables que disent des éducateurs à de jeunes autistes et à leurs parents; des choses insensées. Je ne dis pas que c'est le cas de tout le monde, mais je crois sincèrement que l'approche médicalisée de l'autisme est une erreur de principe, surtout lorsque, comme il arrive trop souvent, elle prend la place d'une approche éducative. Les enfants autistes doivent être éduqués, pas traités, j'en suis profondément convaincu. Mais tant que l’emphase sera mise sur la médicalisation, les bonnes balises éducatives risquent de demeurer difficiles à mettre en lumière.

Mes parents, Françoise et Robert, lors du 50e anniversaire
de leur mariage (2009)
On m'a assuré qu'être enfant aujourd'hui comme je l'ai été dans les années 1960, j'aurais eu le diagnostic très tôt: à 5 ans, à 4 ans, peut-être même avant, car mes traits autistiques étaient vraiment marqués dans mon enfance – je devrais plutôt dire que ces traits étaient bien racés, de la belle race! Après avoir reçu mon diagnostic (déjà que ce soit un diagnostic fait partie du problème!), j'ai demandé à mes parents ce qu'ils auraient alors fait. Auraient-ils accepté que je reçoive des traitements, un suivi médical...? Ils m'ont assuré, et je les crois, que cela n'aurait rien changé, tout comme le fait d'avoir appris être autiste à 47 ans n'a absolument rien changé à leurs yeux: je suis Antoine, avec sa personnalité. Ils m'ont donc assuré qu'ils n'auraient pas donné suite au diagnostic, en continuant à m'éduquer tout en respectant ma spécificité. Et ils auraient fait sagement. Mais le système leur aurait-il permis?

Voilà Adieu Françoise, Au revoir Maman : tu me précèdes là-haut. Penses à moi, à nous. Avec tout mon amour filial. 



Photos: collection personnelle. Pour les autres: