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lundi 3 février 2014

FOUGÈRES. Pour orchestre et choeur (opus 43)

Fougères. Symphonie avec choeurs et sons de nature (opus 43)

Aloïs Auer (1853)
À l'automne 2013, j’ai mis la main finale à la «grande version» de Fougères : 39 minutes de musique. Fougères a mis presque dix ans à atteindre sa pleine expression. L’aventure a commencé en 2004 alors que j’ai composé une pièce pour les douze guitares de l’Ensemble Forestare : Fougères 1 (opus 34 #1). Un an plus tard, j’en écrivais une seconde, Fougères 2 (opus 34 #2), qui ajoute à l’effectif une contrebasse, un tambour à cadre et des maracas. Forestare m’a fait l’honneur de jouer ces deux pièces.
Quoi qu’il en soit, je n’étais pas entièrement satisfait par la sonorité de douze guitares classiques. En 2011, j’ai donc décidé de fondre et recomposer les deux pièces en une sorte de symphonie pour orchestre à cordes et deux percussionnistes. J’ai aussi ajouté un interlude entre ce qui était Fougères 1 d’une part et Fougères 2 d’autre part : un solo de marimba suivi d’un solo de violoncelle. Sous cette forme, la pièce dure 23 minutes (opus 43; symboliquement, ce nombre est l’inversion de 34 qui correspond aux pièces d’origine). Mais quelque chose d’inachevé me laissait toujours un peu insatisfait. Je suis donc revenu à mes Fougères en 2013 pour ajouter deux nouvelles sections représentant environ 16 minutes de musique. Dans cette «version intégrale», les parties I et II, de même que l’Interlude, sont demeurées presque comme elles étaient. S’y sont donc ajoutées les parties nouvelles (III et IV). 
 

Fougères. Esquisse pour la Partie IV. (C) Antoine Ouellette, 2013
 
 
L’œuvre dure maintenant 39 minutes et elle fait appel à l’effectif suivant : 
Chœur mixte, 
Trompette solo, 
Orchestre à cordes (l’idéal serait une section complète de cordes d’un orchestre symphonique), 
Trois percussionnistes et une bande sonore. Les percussionnistes jouent : marimba, maracas, tambour à cadre, tam-tam grave et grosse caisse;
Bande sonore faisant entendre des bruits de nature : des chants de Plongeons huards (oiseau emblématique des lacs nordiques), appels d’une meute de loups, grondements lointain du tonnerre, et une fine pluie qui tombe. 
 
Thelypteris palustris:
dessinée par Thomas Moore
dans les années 1850
C’est une musique nordique, sauvage, qui sent l’épinette, et qui confronte les citadins que nous sommes à une expérience chamanique. D'ailleurs, les fougères nous font voyager loin en remontant le temps, car elles sont considérées comme des végétaux préhistoriques et «primitifs». Pourtant, les fougères sont toujours là, abondantes, diversifiées et de toute beauté (de la vraie dentelle verte): ces Êtres anciens font toujours preuve de grande souplesse et adaptabilité, sans renier leur nature.

Officieusement, Fougères est ma Symphonie #4. Cest une œuvre modale, au sens «médiéval» : modale comme dans le chant grégorien, ou encore les Ragas indiens. C’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul et unique mode dans toute la pièce. L’échelle est formée de sept degrés principaux, deux degrés associés et un degré «subliminal» qui n’intervient que très discrètement dans les parties III et IV. 
 
 
(C) Antoine Ouellette, 2005 / 2014

 Comme c’est généralement le cas des véritables musiques modales, Fougères est d’abord une musique mélodique et rythmique. On y trouvera néanmoins un peu de contrepoint, mais l’harmonie y est délibérément restreinte. En fait, deux harmonies principales hantent Fougères : l’harmonie de mi mineur (pour moi, la note mi est associée à une forte charge émotive) et une «harmonie déchirée», surtendue, utilisant les notes modales pour créer comme la superposition de l’accord de mi majeur avec celui de ré mineur (les deux en position renversée) :

(C) Antoine Ouellette, 2014
 

Si je laisse l’Interlude de côté, Fougères se présente en quatre parties, la plus vive étant la deuxième, et la dernière étant chantée. La Partie I s’ouvre sur une mélodie soutenue mais tournant avec inquiétude autour de quelques sons seulement. Elle est jouée à l’unisson mais alors que Violons 1 et Altos la jouent à l’archet, Violons 2 et Violoncelles la jouent en cordes pincées (pizzicatos). Différents motifs explorent le mode de l’œuvre. Il y a un «motif randonneur», un «motif écho» (typique de l’esprit autistique) en harmoniques, un tambourinage étrange inspiré de celui de la Gélinotte huppée… La section centrale de I est comme une «musique de pluie» (les fougères préfèrent souvent l’humidité). La section conclusive met plusieurs motifs en contrepoint assez serré. Le seul instrument de percussion convoqué est le marimba : le mélange de sa sonorité avec les cordes est d’une beauté profonde et unique.
Fougères. Début. (C) Antoine Ouellette, 2013

 

Une photo que j'ai prise à Cap Tourmente, près de Québec, en octobre 2001.
Les «bambous» au sol sont en fait des Prêles d'hiver. Les Prêles sont cousines
des Fougères et, comme elles, elles se reproduisent par spores plutôt que
par graines.
La Partie II de Fougères adopte des tempos plus rapides. Sa première section offre notamment à la contrebasse l’occasion de briller. Au centre, le tambour à cadre fait son entrée, à nu, ponctuant une mesure à 6 temps. Dans le chamanisme, le tambour est un instrument magique permettant le contact avec le monde des Esprits : cette section de II l’utilise ainsi, les cordes représentant le monde de l’invisible. Le tambour mène le jeu : ses battements font apparaître ou disparaître des textures aux cordes, il ordonne aux cordes de se taire lorsqu’elles deviennent envahissantes, de jouer fort ou doux, etc. La section finale de II est toute rythmée par le tambour et va s’accélérant : la pulsation passera progressivement de 56 à 138 battements par minutes, comme en une poussée irrésistible, presque sauvage.

Fougères. Extrait de la Partie II. (C) Antoine Ouellette, 2013

La Partie III fait pénétrer plus profondément dans le mystère qui a inspiré l’œuvre, celui de la nature nordique. Elle est habitée par les voix émouvantes et inquiétantes du Huart et des Loups, sur fond de tonnerre et de pluie fine. Maracas, tambour et marimba font quelques interventions éparses, et les cordes jouent un étrange choral presque chuchoté. De noirs mi graves aux violoncelles et contrebasses soulignent en un moment la menace sourde qui semble planer au long de ces six minutes d’un calme apparent…

La Partie IV s’est ensuite imposée d’elle-même : elle reprend la mélodie d’ouverture de l’œuvre mais confiée cette fois à la trompette solo (qui s’ajoute aux effectifs). Elle reprend aussi et développe une «mélodie émue» qui se trouvait en filigrane dans la Partie I. Cette mélodie, je ne pouvais me résoudre à la laisser ainsi en filigrane : elle demandait à s’exprimer plus ouvertement – c’était là un des quelques motifs d’insatisfaction qui m’ont poussé à revenir sur Fougères. La revoici donc, maintenant confiée au chœur mixte. Le texte chanté s’est lui aussi imposé à moi. J’ai composé ce texte sous la forme d’un poème, mais ses mots sont exclusivement les noms latins scientifiques de genres de fougères présents au Québec, chaque genre se déclinant en quatre espèces (elles aussi présentes dans la flore du Québec). Voici ce texte :

Les sonorités du latin, de même que l’absence de signification et de continuité «littéraires» confèrent au texte une esthétique chamanique qui est tout à fait appropriée ici. Dans IV, les strophes alternées de trompette et des chœurs forment une montée sonore menant à une étrange «cadence» qui rappelle, de manière amplifiée, l’Interlude : les violoncelles jouent une mélodie incandescente, ornée des vives montées-descentes du marimba et de la trompette avec sourdine métallique). Durant tout ce passage, les Violons 1 tiennent un mi aigu très aigu, alors que les contrebasses tiennent un très grave. Suit alors une coda de 14 mesures d’un calme inquiet, avec des accords d’harmoniques en échos. Une soprano soliste des chœurs chante une dernière vocalise éperdue, et Fougères se termine avec le son d’une douce pluie…

Fougères. Extrait de la Partie IV. (C) Antoine Ouellette, 2013

Fougères est une œuvre «modulable». Outre la version d'origine pour ensemble de guitares, j’en autorise trois différentes versions, ma préférée étant évidemment la dernière :
Version A : Pour orchestre à cordes et deux percussionnistes. Durée : c.23 minutes.
Version B : Tout l’effectif, mais la Partie III (avec bande sonore) est omise, et les maracas remplacent la pluie de la bande dans les dernières mesures. Durée : c.33 minutes.
Version C : La Totale! 

Je rappelle les effectifs complets :
Trompette soliste
Chœurs mixtes
Trois percussions, jouant marimba, maracas, tambour à cadre, tam-tam grave, grosse caisse (jouée horizontalement comme une timbale)
Orchestre à cordes : idéalement la section complète de cordes d’un orchestre symphonique. Violons 1 et 2, Altos, Violoncelles, Contrebasses.
Bande sonore (sons de nature)


SOURCE DES ILLUSTRATIONS: COLLECTION PERSONNELLE 
ET WIKIPÉDIA: Domaine public PD-US