L’intimidation scolaire : ce n’est pas fini!
Aux bulletins de nouvelles télévisées, des reportages récents ont montré des scènes où des élèves se groupent pour battre un camarade sous les cris d’encouragement des témoins. Des garçons battent un garçon; des filles battent une fille – non, les filles n’échappent pas à cette tendance : elles excellent visiblement dans ce comportement, vive l’égalité. Les témoins encouragent et filment avant de publier leurs choses sur les réseaux sociaux. Certaines vidéos provenaient même de ma petite ville! Dans le journal régional, Les 2 Rives, des parents témoignent régulièrement du calvaire que subissent leurs enfants. Dans l’édition du 14 mars, on y lit que des adolescentes doivent prendre des antidépresseurs pour surmonter leur anxiété sociale aigue suite à de l’intimidation. La mère d’une de ces enfants a dit ceci qui résume le problème : «Quand j’étais plus jeune, j’ai été vilaine et je ne pensais pas que ça pouvait atteindre les autres». Ce qui m'a rappelé ce père qui encourageait son garçon à intimider les autres: «S'il ne le fait pas, les autres vont lui faire». Une attitude contagieuse et transgénérationnelle. Mais n'y a-t-il justement pas un proverbe qui affirme que «Si tu veux la paix, prépare la guerre». On est équipé pour veiller tard...
La cyberintimidation est aussi fréquente
qu’hallucinante dans sa méchanceté illimitée. Aujourd'hui, au moment même où vous lisez ceci, il y aurait 160 000 enfants
victimes d’intimidation dans les écoles du Québec – non, il n’y a pas un zéro
de trop, c’est bien 160 000. D’autres reportages ont montré l’intimidation
que subissent des profs de la part de ces gentils petits monstres.
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Le calvaire quotidien de l'autobus scolaire... |
Pour le Secondaire, je suis allé dans un collège
privé où le sport était valorisé – mais que faisais-je donc là moi qui ne suis
pas du tout sportif?! On dit souvent que la pratique du sport permet aux jeunes
d’évacuer correctement leur agressivité. Mon expérience ne corrobore toutefois
pas du tout cette prétention!
Je me souviens de quelques scènes…
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Les salles de cours m'étaient plus sécuritaires, mais m'aventurer jusqu'à mon casier était périlleux... |
Je vivais en état d'hypervigilance chronique. J’avalais
ma peur et mon anxiété. Si j’exprimais de la colère ou tentait vainement de
riposter, les coups redoublaient. Lorsque j’allais en parler à la direction, on
me disait «Bats-toi!» - ah oui, contre une gang de 5 ou 6 méchants voyous?!
Comme la quasi-totalité des victimes d’intimidation, je n’en parlais pas à mes
parents. J’encaissais en silence sans la moindre aide des adultes témoins, des
adultes pourtant en position d’autorité et exerçant profession d’éducation.
Alors, des intimidés devenaient intimidateurs à leur tour : il faut se
défendre ou se défouler.
Cela, ce fut tout mon Secondaire 2. J’avais 12 ans. Mais cela avait déjà commencé en Secondaire 1 et cela s’est poursuivi en Secondaire 3; en Secondaires 4 et 5, les coups ont cessé, mais pas les insultes. Je connais des personnes qui sont nostalgiques de leur adolescence, mais je vous jure que ce n’est pas du tout mon cas! Ce ne fut pas non plus le cas de Pierre R., un camarade d’infortune qui, lui, s’est pendu à la fin d’une année scolaire. Être intimidé quotidiennement a de quoi rendre fou.
Heureusement, cette haine ne m'a pas fait décrocher: mon goût d'apprendre a été plus fort. Mais ce n'est pas le cas pour tous les enfants qui subissent l'intimidation.
La solution: l'approche générale du civisme
Indirectement, l’autisme, le fait que je suis
Asperger, a joué un rôle. Les jeunes autistes se comportent différemment; ils
sont plutôt solitaires et maladroits socialement; ils n’ont pas l’«esprit de
groupe». Du coup, ils se font vite repérer par leurs camarades,
particulièrement par les plus vicieux d’entre eux et qui entraînent les autres
à faire du mal. C’est ce qui s’est passé pour moi. Les enfants autistes
représentent un des groupes subissant le plus d’intimidation scolaire, et c’est
encore plus fréquent pour les autistes de type Asperger. En conséquence, un nombre important de personnes autistes portent un bien lourd bagage lorsqu'elles parviennent à l'âge adulte.
Mais l’intimidation vise tout jeune qui se montre différent, surtout ceux et celles qui ne revendiquent pas leur différence. L’intimidation vise tout jeune dont le physique déroge un tant soit peu à la norme. Dans un documentaire, une jeune fille se faisait battre et insulter parce qu’elle était belle! Comme quoi le mal n’a pas de cause ni de visage.
Alors, il faut prendre pour acquis que les risque sont réels qu'il y ait de l'intimidation à l'école, dans toute école. Or, trop souvent, on prend plutôt pour acquis que «cela n'arrive qu'ailleurs».
Peut-être que des temps de méditation dans la journée scolaire seraient aussi bénéfiques... mais à nouveau, sans que cette pratique n'ait de visées inavouées, par exemple du prosélytisme.
Point de bascule
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Gustave Courbet: Le désespéré. 1843. |
Une personne qui développe un trouble de stress
post-traumatique (sspt) présente trois grandes classes de symptômes. 1) Elle
revit continuellement la scène traumatique en pensée ou en cauchemar (symptômes
de reviviscence). 2) Elle cherche à éviter — volontairement ou non — tout ce
qui pourrait lui rappeler de près ou de loin le trauma (symptômes d'évitement et
d'engourdissement émotionnel). 3) Elle est fréquemment aux aguets (symptômes
d'hypervigilance) malgré l'absence de danger imminent.
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Aquarelle de William Blake: Le grand démon rouge (1804) |
Vers mes 40 ans, l’anxiété était devenue trop lourde : je devais faire quelque chose. Après une psychothérapie qui ne m’a guère apporté de soulagement, j’ai participé aux ateliers de La Clé des champs, réseau d’entraide pour personnes avec trouble anxieux. Cela a été salutaire. Vers la même époque, un psy rencontré par hasard (dans un corridor!) m’a posé le diagnostic de sspt. Je lui avais décrit mes cauchemars et il m’avait dit que c’était «dangereux». Il m’a alors donné un petit protocole pour tenter d’éliminer les cauchemars. En gros, lorsqu’on se réveille d’un cauchemar, il s’agit sur le coup de visualiser une fin positive à ce cauchemar. J’ai appliqué ce protocole et cela a fonctionné à merveille.
Le mal n’a pas de visage
Le mal est sans visage. Enlevez-lui son masque et il vous apparaîtra aussitôt sous un autre masque. Il en a une infinité en réserve... |
L’intimidation par les pairs qui se fait à l’école se transpose ensuite chez les adultes, sous des formes diverses à commencer par la banale «Il faut jouer du coude pour faire sa place». J’entendais une militante progressiste bien connue déclarer à la télé : «Il faut demeurer en colère, car sinon rien ne changera». B’en oui, cultivons la colère les uns envers les autres et ce sera assurément le paradis sur Terre! «Vous n’êtes pas écœurés de mourir, bande de caves!» écrivait le poète Claude Péloquin. Il semble que non.
Le Renard de Sibérie
Renard au Parc de la Visitation (Montréal) |
Ce
n’est pas un crime de lèse-majesté de déduire que sur ce point il en va pour les humains
comme pour les animaux. Il y a des lignées plus impulsives qui optent
facilement pour la violence (de quel que type que ce soit), et il y a des
lignées plus paisibles et calmes. Or, à considérer notre histoire, il semble
bien que les lignées plus violentes ont été favorisées.
Pendant des millénaires, ce fut pour des questions de pure survivance. Mais lorsque est arrivé le temps des civilisations, une certaine sélection avait déjà été
opérée. Les innombrables guerres et crimes qui jonchent notre histoire en sont
le symptôme. Les lignées douces ont été mises en marge, et il est probable que
bon nombre d’entre elles sont éteintes à jamais depuis longtemps. L’agressivité
de l’être humain face à la nature est inouïe, notre cruauté face aux animaux
aussi. Pourtant, nous nous donnons facilement bonne conscience… et nous
continuons.
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Victor Orsel: Le Bien, le Mal (1832) |
Comment
assumer cela? Comment corriger lorsque nos premiers choix vont spontanément et
instinctivement vers l’établissement de rapports de force et d’une justice
favorable aux plus forts, aux puissants, aux gens qui crient le plus fort? Au
lieu de nous obstiner à dénoncer les autres comme coupables, il faudrait que
chaque personne se regarde dans le miroir et prenne conscience de son propre
penchant vers la violence et la méchanceté. Mais ce n’est pas demain la veille,
car c’est bien connu, le coupable est le «blantriarcat»!
Ce
défi, seul l’amour le peut le relever; l’amour et ce qui vient avec : la
patience, la prévenance, la bonté, le partage, le respect mutuel… Les
petits gestes tout simples d’amour, de bonté et de gentillesse du quotidien
sont les fleurs de la vie. Mais n’est-ce pas, quelle vie plate ce serait!
Sources des illustrations: Collection personnelle, sites commerciaux pour les livres suggérés, Wikipédia (Domaine public, PD-US)