MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



lundi 3 février 2025

DVOŘÁK AUTREMENT (2 DE 6)

Dvořák autrement

Deuxième partie (de six)


Après le cycle d’articles que j’ai consacré à Joseph Haydn, je vous propose maintenant un cycle sur Antonín Dvořák (1841-1904), le compositeur de la mythique Symphonie du Nouveau Monde – mais qui a écrit beaucoup plus que cette seule œuvre!

Le premier article est ici:


Le 18 avril 2025, mon oratorio L'Amour de Joseph et Marie sera donné par la Société philharmonique de Montréal, en l'église Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Pour l'occasion, le programme sera complété par le Te Deum de Dvořák. Je suis très heureux de ce choix: les deux œuvres sont bien différentes, mais leur rencontre forme une belle complémentarité et harmonieuse. D'ailleurs, Dvořák est, avec Bruckner, mon compositeur préféré du XIXe siècle. Et puis, j'ai presque le même prénom que ces deux musiciens! 



Dvořák autrement. 


Partie 2

 


Dansons!


Souvent, les commentateurs prétextent ces chansons et ces danses (voir l’article précédent) pour affirmer jusqu’à plus soif que Dvořák était «proche de la nature» - ce qui serait juste si on n’y mettait pas une nuance péjorative. Or, le folklore imaginaire de Dvořák se retrouve dans bon nombre de ses œuvres de «musique pure», telles ses Symphonies, ses Quatuors, etc. Sa présence irradiante indique autre chose.


Pieter Brueghel l'Aîné.
Danse de noces. 1566.


Dans les symphonies et les quatuors à cordes du XVIIIe siècle, un des mouvements était une danse, le Menuet. On souligne trop peu à quel point la musique du XVIIIe siècle doit à la danse. Parmi les nombreuses danses de l’époque, le Menuet a frayé son chemin dans la musique de concert. Ses origines demeurent obscures mais, vers le milieu du XVIIe siècle, le Menuet devient une danse aristocratique, tout d’abord en France avec Lully puis dans plusieurs autres pays. Par contre, Joseph Haydn lui a souvent donné (ou redonné?) une tournure populaire, chose qui lui a d’ailleurs été reprochée.

Mais avec la Révolution française, le Menuet perd sa pertinence. Sans complètement cesser d’en composer, Beethoven le remplace souvent par un Scherzo – comme souvent, Haydn l’avait précédé dans certains de ses Quatuors. Dans les œuvres romantiques en plusieurs mouvements, le scherzo a définitivement supplanté le Menuet. Mais alors la danse?! Le scherzo, mot qui signifie plaisanterie, n’est pas une danse. Certains Romantiques en font un mouvement fantasque voire fantastique… mais qui ne danse pas! Dvořák rétablit la danse dans ses scherzos au moyen de son folklore imaginaire. Le scherzo de la Symphonie #6 est d’ailleurs dénommé Furiant (et non «scherzo»), la furiant étant une danse populaire tchèque. En remettant la danse en honneur jusque dans les grandes formes de la musique pure, Dvořák y introduit du coup des accents et des rythmes nouveaux. Par exemple, la furiant traditionnelle combine des mesures binaires et des mesures ternaires : son assise rythmique est formée par trois mesures à 2/4 et deux mesures à 3/4.


Dans de nombreuses œuvres, Dvořák joue sur l’ambivalence entre rythmes binaires et rythmes ternaires, ce qui donne à sa musique une vie rythmique originale et bien particulière. Un bel exemple est le Scherzo de la Symphonie #7 qui passe constamment du binaire au ternaire. Le début du Te Deum (opus 103 / B 176; 1892) est déstabilisant : le timbalier martèle seul un motif alternant deux notes donnant l’impression d’un rythme binaire; mais ce motif est en fait ternaire et, lorsque l’orchestre entre en rythme binaire, les attentes sont complètement déjouées! C’est que le binaire de l’orchestre ne correspond pas au binaire que les timbales semblaient annoncer. Un joli polyrythme!


Début du Te Deum. L'alternance de deux notes aux timbales seules
donne semble ancrer le tempo. Mais il s'agit de triolets! Lorsque le
reste de l'orchestre entre à la troisième mesure, l'auditeur est
déstabilisé par ce qui lui semble être un autre tempo... 

MUSIQUE. Te Deum, opus 103, pour solistes, choeurs et orchestre. L'Orchestre de la WDR, dirigé par
Cristian Măcelaru.  
 
Danse à Bougival,
Pierre-Auguste Renoir, 1883

La plus ancienne pièce conservée de Dvořák date environ de 1855, et il s’agit d’une Polka pour piano, donc déjà d’une danse. Si Dvořák ne composera pas de ballets comme tels (mais il y a des scènes dansées dans presque tous ses opéras), l’esprit de la danse se retrouve partout dans sa musique – je mentionne l’éblouissant Scherzo capriccioso (opus 66 / B 131; 1883) avec ses cors volubiles, ses traits de harpe et ses interventions de clarinette basse, les délicieuses Valses de Prague (B 99; 1879) ou l’endiablé Carnaval (opus 92 / B 169; 1891), toutes pour orchestre.  Sa rythmique possède une variété inouïe même lorsqu’elle ne se réfère pas directement à la danse, une grande souplesse aussi dans les tempos et l’interprétation qu’elle appelle. Des critiques reprochent à sa musique sa carrure métrique, et trouvent que ses phrases sont très régulières (phrases de quatre mesures, par exemple). C’est vrai… et faux. Cette régularité métrique, qui se voit à la lecture d’une partition, se double d’une souplesse rythmique qui, elle, échappe à la notation écrite. La musique de Dvořák contient beaucoup de changements de tempo, beaucoup de rallentandos et d’accelerandos écrits… ou non. Cette musique, dans son style, dans le «ce qui n’est pas écrit», demande de
la souplesse rythmique de la part de ses interprètes.
 
 
Glinka, en 1840.
Par Yakov Yanenko.

Alors que la musique romantique, y compris du courant se prétendant représenter la «musique de l’avenir», sonne souvent «sérieuse», «brumeuse» et «déjà vieille», celle de Dvořák fait l’effet du soleil et d’une cure de jouvence!

En fait, Dvořák est l’un des compositeurs romantiques qui a le mieux compris que la musique de son temps avait besoin d’une cure de rajeunissement, et que ce renouveau ne pouvait passer que par l’apport de la musique populaire. Le XIXe siècle s’éprend de la culture populaire qu’il nomme folklore. En plusieurs pays, des écrivains recueillent et publient des contes populaires et des éditeurs publient des collections de chansons populaires. Le Polonais (exilé en France) Frédéric Chopin compose pour le piano une série de Polonaises (danse noble) et une de Mazurkas (danse populaire mais plus subtile et capricieuse). Le Russe Mikhaïl Glinka (1804-1857) fut le grand pionnier de l’intégration de la musique populaire dans les formes classiques. Créé le 27 novembre 1842, son opéra Rouslan et Ludmilla est radical : on y trouve des «gammes exotiques» (avec la première utilisation de la gamme par tons entiers), des rythmes irréguliers (dont la mesure à 5/4), des percussions variées; ce conte fantastique met en scène des personnages quasi surréalistes, dont l’un est une immense tête! Glinka s’inspire de la musique populaire russe, mais son nationalisme est ouvert qui puise aussi en Orient ou en Espagne. Sa musique scandalise les snobs, mais elle trouve un bon accueil auprès du public. Son exemple sera suivi par Tchaïkovski et le Groupe des Cinq formé dans les années 1860 (Moussorgski, Rimski-Korsakov, Borodine, Balakirev et Cui). Cela dit, il faut souligner que la musique de Dvořák est exactement contemporaine de celle de ces musiciens russes : par exemple, ses deux premières Symphonies ont été composées avant la Symphonie #1 de Tchaïkovski et deux ans avant la Symphonie #1 de Borodine; quant au génial opéra Boris Godounov de Moussorgski, sa première version ne date que de 1869, et sa version «élargie» de 1872. C’est donc dire que Dvořák était tout autant à l’avant-garde de ce mouvement. 

 

MUSIQUE. Jusqu'ici, mes suggestions d'écoute concernaient la musique orchestrale. Mais Dvořák a aussi donné de nombreuses et magnifiques partitions de chambre! Celle que je vous propose ici est peu connue, mais il s'agit d'une musique radieuse: le Trio #1 pour violon, violoncelle et piano, en si bémol majeur, opus 21. Il est joué par le Trio Kubelik, avec partition défilante.

https://www.youtube.com/watch?v=bjsk_93A-Ec


 

Smetana


Smetana, vers 1860

Bedřich Smetana (1824-1884) est l’aîné de Dvořák. Si Smetana peut être considéré comme le «père de la musique romantique tchèque», sa première œuvre marquante intégrant le folklore du pays est l’opéra La fiancée vendue (peut-être le plus bel opéra comédie du Romantisme, avec Falstaff de Verdi) date de 1864, ce qui montre à nouveau l’avant-gardisme de Dvořák. Or, très rares sont les musicologues qui reconnaissent ce fait. Ils ont plutôt tendance à faire de Dvořák un successeur. Or s’il est vrai que Dvořák a joué comme altiste sous la direction de Smetana dans l’Orchestre du théâtre provisoire, y compris des œuvres de Smetana, ce dernier a à son tour dirigé des œuvres du jeune Dvořák, dont l’ouverture de l’opéra Le Roi et le charbonnier en 1872, ou la création de sa Symphonie #3 en 1873. Les sonorités de cette Symphonie préfigurent franchement celles du cycle symphonique Ma patrie sur lequel Smetana ne commencera à travailler qu’en 1874. Dans les notes pour l’enregistrement des Rhapsodies pour orchestre de Dvořák publié par la maison de disques Naxos, on peut lire ceci au sujet de la Rhapsodie en La mineur : «Elle a été conçue comme un poème symphonique sur le modèle de Vyšerhad de Smetana et dans la forme initiée par Liszt». Or, d’une part, cette pièce ne fait aucune référence à un programme extra-musical, chose qui caractérise pourtant le poème symphonique ; elle ne sonne vraiment pas comme du Liszt non plus. D’autre part, Dvořák ne pouvait connaître la pièce de Smetana à l’époque pour la bonne et simple raison qu’elle n’était tout simplement pas encore composée! La Rhapsodie a été commencée en août 1874 et terminée le 12 septembre suivant; de son côté, Smetana a commencé Vyšehrad (qui sera le premier volet du cycle symphonique Ma patrie) quelque part en octobre de la même année pour la terminer le 18 novembre, et la création (à laquelle Dvořák assista) n’eut lieu que le 14 mai 1875. De plus, en 1875, Dvořák avait déjà composé ses cinq premières Symphonies. Il ne serait donc pas impossible que ce soit en fait Dvořák qui ait influencé Smetana plutôt que l’inverse! En tout cas, l'émulation est allée dans les deux sens. Je soupçonne que l’injustice des musicologues proviennent de leur penchant pour un Smetana libre-penseur et progressiste contre un Dvořák catholique, «paysan» (mais pourtant tout autant pour l’émancipation culturelle de la Bohême que son aîné)…

 

Émancipation culturelle


Armoiries de la Bohême.

Au-delà du rajeunissement, un autre enjeu favorise ce phénomène. Au XIXe siècle, bon nombre de pays vivent au sein d’empires qui briment leur identité culturelle propre. C’est le cas de la Bohême qui fait partie des territoires des empereurs autrichiens de la dynastie des Habsbourg. Souvent, la langue allemande est imposée à quiconque désire faire carrière, et Dvořák lui-même subira cette pression. Sans y céder : il se débrouillait bien en allemand, mais sa langue d’usage restait le tchèque. Seul son premier opéra, Alfred, a été écrit sur un livret en allemand, et Dvořák désavouera cette œuvre de jeunesse et la condamnera à demeurer dans ses tiroirs. Pour un nombre croissant de compositeurs, le fait d’intégrer la musique populaire de leur pays dans leurs œuvres était un geste d’affirmation culturelle. Un geste nationaliste : si ce mot n’a pas très bonne presse aujourd’hui, au XIXe siècle l’affirmation nationale répondait au besoin légitime des peuples de vivre leur culture souvent sous la domination d’une culture étrangère. 

Le jeune Dvořák
 
Tout cela trouve un écho direct dans la musique de Dvořák. La Bohême et la Russie furent à l’avant-garde d’une musique enrichie par la musique populaire. Ce mouvement allait prendre une grande ampleur dans le dernier tiers du XIXe siècle, alors que des ethnomusicologues se mirent à parcourir les campagnes pour recueillir la musique populaire en de nombreux pays. De nouveaux pays émergèrent dans le répertoire de la musique de concert : la Norvège d’Edvard Grieg; l’Angleterre de Ralph Vaughan Williams; l’Espagne de Felipe Pedrell, Isaac Albéniz, Enrique Granados et Manuel de Falla; l’Auvergne de Joseph Canteloube; la Hongrie de Zoltán Kodály; la Roumanie de George Enesco; le Brésil d’Heitor Villa-Lobos; les États-Unis de George Gershwin, etc. Sans puiser formellement dans le folklore, Jean Sibelius fut le chantre de la Finlande, Carl Nielsen celui du Danemark, Edward Elgar de l’Angleterre. Au début du XXe siècle, c’est paradoxalement ce mouvement nationaliste qui apporta des œuvres fortes et «scandaleuses» de modernité : l’«empire de la dissonance» du Hongrois Béla Bartók, ou les «révolutions» du Russe Igor Stravinsky - depuis L’oiseau de feu en 1910 jusqu’à Noces (1917-1923) en passant par l’incontournable Sacre du printemps (1913). Avec l’exode rural et la concentration de la population humaine dans des villes toujours plus grandes, ce mouvement s’est essoufflé dans la deuxième moitié du XXe siècle, mais il n’aura pas dit son dernier mot, comme en témoigne encore les superbes œuvres vocales et chorales de l’Estonien Veljo Tormis (1930-2017). 

Puiser dans le folklore apporte des rythmes nouveaux, inhabituels alors en musique de concert. Mais le folklore apporte aussi de nouvelles couleurs modales. Tous les compositeurs mentionnés au paragraphe précédent ont fait ainsi et proposé une sorte de «tonalité élargie». Cela se retrouve abondamment chez Dvořák. Un bel exemple est le thème des Variations symphoniques (opus 78 / B 70; 1877). Ce thème colore la gamme majeure avec la quarte augmentée : c’est le mode lydien. Ce thème est soumis à pas moins de 27 variations brèves et très variée, une forme kaléidoscopique qui culmine dans une magistrale fugue.


Mode lydien, avec le quatrième degré augmenté qui forme un triton avec la «tonique». 

Lorsqu’il séjournera quelques années aux États-Unis, Dvořák se mettra à l’écoute de la musique des Noirs. Il aura d’ailleurs quelques étudiants Noirs dans ses classes de composition et il se liera avec l’un d’eux, Harry Burleigh, excellent chanteur qui initia son professeur à la musique Noire pour la plus grande joie de ce dernier. Dvořák se serait aussi intéressé à la musique amérindienne. 


Harry Burleigh, en 1936.
Il fut l'un des étudiants
Noirs de Dvořák à New York.
 
Ses œuvres «américaines» témoignent de ces nouveaux apports, notamment la Symphonie du Nouveau Monde (le titre est bien de Dvořák; Symphonie #9, opus 95 / B 178, 1893), l’une des Symphonies les plus enregistrées du répertoire (plus de 350 versions et / ou éditions disponibles!). On a longtemps cru que le thème du cor anglais au deuxième mouvement de cette œuvre était un Spiritual Noir que citait Dvořák. Mais la vérité est à l’inverse : on adaptera ce thème de Dvořák en un Spiritual. Cette mélodie inoubliable est encore une fois du folklore imaginaire. Il est aussi établi que Dvořák a choisi le cor anglais pour cette mélodie, plutôt que la clarinette, parce que son timbre lui semblait plus proche de celui de la voix d’Harry Burleigh. Cette Symphonie démontre que le nationalisme de Dvořák en est un d’ouverture, une œuvre-phare du métissage des musiques du monde au point que certains considèrent Dvořák comme l’initiateur de la «World Music».

La musique Noire de l’époque utilisait beaucoup les modes à cinq sons, ou modes pentatoniques :

Dvořák avait déjà employé le pentatonisme bien avant – comme par exemple un passage du Quatuor à cordes #1. Mais ses œuvres états-uniennes de Dvořák y recourent beaucoup plus intensivement, ce qui leur donne une couleur particulière.


Un exemple de mode pentatonique (mode à cinq sons).

Pas mal pour un «humble petit paysan naïf – compositeur traditionaliste chantre de sa Bohême natale»!

Mais en fait, Dvorak est loin de n’être qu’un «folkloriste»... 

 

MUSIQUE. Autre œuvre de chambre. Celle-ci date aussi de la «période américaine» et elle est pleine de pentatonismes: le Quatuor à cordes #12, en Fa majeur, opus 96, dit, comme par hasard, l'«Américain». Le Quatuor Pavel Haas le joue:

https://www.youtube.com/watch?v=cb3jPORwL74

 


À SUIVRE!


Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US) et sites commerciaux pour les disques suggérés.

mercredi 1 janvier 2025

ESPOIR, ESPÉRANCE, GRATITUDE. MES VOEUX POUR 2025

Espoir, espérance, gratitude

Mes vœux de 2025 pour nous.



Eh bien, nous voilà en 2025! 

J’entends déjà des gens se plaindre et, sur mon fil Facebook, je lis déjà des publications désabusées et cyniques! Héla! Secouons-nous les puces! Au risque de vous bousculer un peu, je vous partage plutôt la bénédiction du Livre des Nombres lue ce matin à la messe du 1er janvier. Je la mets au «nous» :

Que le Seigneur nous bénisse et nous garde!

Que le Seigneur fasse briller sur nous son visage!

Qu’Il nous prenne en grâce.

Que le Seigneur tourne vers nous son visage,

Qu’il nous apporte la paix!

Voilà. Même si vous ne croyez pas en Lui, avouez que ces paroles commencent mieux 2025 que de se dire : «Encore une année de marde!». 


Saviez-vous que l’Église catholique a déclaré que 2025 sera une année sainte, et que le Pape François en fera un jubilé de l’Espérance?

Il y a une année sainte à tous les 25 ans, et cette tradition remonte à quelques 700 ans. Le dernier grand jubilé date ainsi de l’an 2000. J’aime bien les années saintes : mon Oratorio L’Amour de Joseph et Marie avait été créé et joué quatre fois en l’année sainte 2000, et il sera repris en l’année sainte 2025!

S'offre donc à nous une année sainte sous le thème de l'espérance. Qu'en ferons-nous?

Ange de l'espérance
(«spes» en latin). 
Par Giotto.


Mais au fait, l’espérance, sauriez-vous dire ce que c’est pour vous? L’espérance est-elle synonyme de l’espoir? La langue française différencie les deux, alors qu’en latin, en grec, en anglais ou encore en allemand, un seul mot les regroupe. Le français a raison : l’espérance est un état d’esprit durable, alors que l’espoir est une émotion plus ou moins fugace. «Espoir et espérance sont deux manières différentes d’attendre. L’espoir est le fait d’attendre et désirer quelque chose de meilleur, pour soi ou pour les autres : il peut être considéré comme une émotion ou une passion. L’espérance est une confiance pure et désintéressée en l’avenir (…). L’espoir est source de joie et de désir alors que l’espérance est associée à la prudence et à la patience (…). L’espoir peut éminemment être déçu, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance. L’espoir ne dure pas, alors que l’espérance ne s’éteint jamais, notamment, l’espoir meurt avec l’échec, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance» (Christophe Chaperon : https://www.linkedin.com/pulse/espoir-ou-esp%C3%A9rance-christophe-chaperon/)

La foi chrétienne, elle, parle d’espérance plutôt que d’espoir : l’espérance est, avec la foi et la charité, une vertu théologale, c’est-à-dire une vertu ayant Dieu pour objet. L’espérance est donc orientée par et vers Dieu. «Vertu théologale dont l’objet principal est le salut, la béatitude éternelle, la participation à la gloire de Dieu. Cette vertu qui dispose le chrétien à mettre sa confiance dans les promesses du Christ, à prendre appui non sur ses forces, mais sur le secours de la grâce du Saint Esprit, le conduit par le fait même, à résister au mal et à l’épreuve et à garder confiance en l’avenir. L’Espérance s’exprime et se nourrit dans la prière. Elle se différencie de l’espoir en lui donnant sous le regard de la foi, une perspective d’éternité» (https://eglise.catholique.fr/glossaire/esperance/)

Donc, ce serait la fin du monde, que l’espérance demeurerait pure et inaltérée!

J’observe cependant que de nombreuses personnes cultivent l’espoir, des espoirs, mais sans espérance. J’ai croisé même des prêtres qui font ainsi : ils ont de l’espoir en un «monde meilleur», en une «Terre sans guerre», en l’«éradication de la pauvreté», etc., bref ils ont l’espoir que les humains vont «construire le Royaume de Dieu» sur notre planète. 


Dante. Toile anonyme,
16e siècle.



Quand les espoirs des gens sans espérance sont déçus, la vie leur devient amère et grise. À l’image de la porte de l’enfer dans La divine comédie de Dante (début XIVe siècle), chaque jour s’ouvre avec les mots : «Vous qui entrez ici, laissez toute espérance». Pas très jojo, mais je connais des gens qui en sont venus à se complaire dans cette attitude face à la vie, au point d’avoir la certitude qu’il s’agit de lucidité… Il est vrai que des échecs répétés ou des difficultés durables (par exemple dans notre santé) peuvent nous faire perdre l’espérance. J’entends pourtant des gens qui ne vivent pas de telles épreuves et qui ont abandonné toute espérance. Mais j'entends aussi des personnes qui vivent d'énormes épreuves, et qui sont rayonnantes d'espérance - rayonnantes d'une espérance au-delà de tout espoir. 
Quel est donc le secret de ces gens? 

La vie perce l'asphalte:
que l'espérance perce
nos épreuves!


Pour ma part, comme souvent et sans que je ne le veuille, je me situe presque à l’opposé! Mes espoirs, pour moi-même et pour le monde, sont modestes. Du coup, j’accueille avec étonnement et gratitude les belles choses, petites et grandes, que m’apporte la vie, car ce sont pour moi de véritables surprises! Mais je vois que la vie est un mélange de réussites et d’échecs, de joies et de peines, d’idéaux et de déceptions. Je vois que le monde se transforme, mais sans nécessairement devenir meilleur, qu’il y aura encore des guerres et des conflits, qu’il y aura toujours de la pauvreté (Jésus lui-même l’a dit : «Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous», Évangile selon saint Jean, 12, 8 – d’ailleurs, je ne suis pas riche, mais peu importe car je n'ai aucun attrait pour le luxe!); j’ai peu d’espoir que nous évitions le scénario du pire au niveau écologique. Je ne crois pas du tout que nous construisons sur Terre le «Royaume de Dieu» : nous ne construisons que notre royaume, celui des humains, celui de notre domination sur les autres êtres vivants, celui où ce qui est autre que nous n’est que «ressources» pour nous seuls. Je trouve assez blasphématoire de croire que la poursuite de nos prétentions et de nos pulsions pourrait constituer le Royaume de Dieu! Je le rappelle : selon les paroles de Jésus, le Royaume de Dieu est quelque chose qui s’accueille, et non quelque chose qui se construit. Au scribe qui avait bien répondu, Jésus dit : «Tu es proche du Royaume de Dieu».

Par contre, je cultive l’espérance, j’ai une grande espérance. Comme le dit la prière de l’acte d’espérance, j’espère avec ferme confiance vivre dans la grâce du Seigneur en ce monde, et recevoir le bonheur éternel dans l’autre. Les difficultés éprouvées au cours de ma route sur Terre (et Dieu sait qu’il y en a eues) ont laissé intacte mon espérance. 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Acte_d%27esp%C3%A9rance

Cela dit, j’avoue avoir quelques espoirs pour 2025. Cette année s’annonce d’ailleurs très active : j’espère que ce sera pour le meilleur. Autre espoir : il y a une personne inconnue que j’ai croisée lors d’une messe à Noël et que j’aimerais revoir😏.

Je nous souhaite donc d’apprendre à cultiver l’espérance en 2025. Je nous souhaite qu’en prime, quelques-uns de nos espoirs se réalisent - les plus beaux, les plus justes. Que nos espoirs exaucés nous trouvent dans la reconnaissance et la gratitude. Que nos espoirs déçus n’entament pas notre espérance!

Carte de Noël irlandaise, XIXe siècle,
avec houx et gui, plantes associées à Noël et à la Nouvelle Année.

Sources des illustrations: Collection personnelle et Wikipédia (Domaine public et PD-US)