MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



vendredi 1 avril 2022

DE LA GUERRE ET DES OISEAUX

De la guerre et des oiseaux

1. La guerre n'est pas un combat d'oreillers
2. La guerre est toujours brutale
3. Les guerres justes sont très rares
4. L'horreur au Yémen: on s'en fout.
5. Le juste qui se détourne
6. Remplacer les guerres par des tournois musicaux... comme le font les oiseaux!
 
La guerre n’est pas un combat d’oreillers
 
«La guerre, la guerre...
C'est pas une raison pour se faire mal!»
Carte postale autrichienne, c.1900

Je peine à en croire mes oreilles. Mélanie Joly, notre ministre des affaires étrangères, est choquée que la guerre en Ukraine fasse des victimes civiles. Elle affirme qu’il s’y passe des «crimes de guerre», qu’il s’agit d’une «guerre sale» et que les attaques russes sont «brutales».
Mais... y a-t-il déjà eu une seule guerre qui n’ait pas fait de victimes civiles?! Y a-t-il déjà eu une guerre douce avec des armes?! Les civils sont inévitablement touchés par la guerre. Le Canada et sa ministre semblent avoir de la guerre une image venue tout droit du film La guerre des tuques, avec cette célèbre ligne : «La guerre, la guerre… C’est pas une raison pour se faire mal!». Eh bien oui, la guerre, ça fait mal, ça tue des gens, ça cause d’énormes dégâts directs et indirects. La vraie guerre ne se fait pas à coups d’oreillers. 
 
Pervez Musharraf, un dur et habitué
des tentatives d'assassinat à son égard!

Je me souviens que lors d’une guerre au début des années 2000, chaque fois qu’un soldat canadien tombait au combat, le gouvernement mettait les drapeaux en berne sur les édifices fédéraux et faisait une cérémonie pour le héros qui était retransmise à la télévision. Cette pratique avait fait sourire le président du Pakistan, Pervez Musharraf, un militaire de carrière et habitué des tentatives d’assassinat à son égard: un vrai toffe. Ce monsieur m’était fort sympathique. Il avait dit au Canada de cesser de souligner ainsi chaque décès de soldat : «Vous allez démoraliser tout le monde. Si vous n’êtes pas prêts à assumer qu’il y aura des morts, n’allez pas au combat!».
Je sais que l’on veut «civiliser» la guerre et que l’on pond plein de belles conventions internationales à cet effet – conventions qui ont l’inconvénient d’être adoptées en temps de paix, ce qui fait qu’en temps de guerre elles tiennent plus ou moins le coup…
 

La guerre est toujours brutale

 
Alors, en ce qui me concerne, voici quelques points qui me semblent être des évidences :
La guerre est en soi un crime : quelques soient les justifications qu’on lui donne, la guerre est TOUJOURS du meurtre à grande échelle. Un civil qui est tué lors d’une attaque se fiche bien de savoir s’il a été tué par une «arme légale» ou non…
Une guerre fait TOUJOURS des victimes civiles. Des cibles civiles sont TOUJOURS visées lors d’une guerre. Cessons d’utiliser des euphémismes hypocrites comme «dommages collatéraux».
Une guerre, c’est TOUJOURS «sale».
Une guerre, ça fait TOUJOURS mal.
Une guerre, c’est TOUJOURS brutal. Un missile est rarement gentil, une mitraillette non plus.
Une guerre, ça viole TOUJOURS les droits humains. 
À elle seule, la guerre ne règle JAMAIS les problèmes du manière juste et durable, mais elle sème TOUJOURS le malheur. 
La guerre est TOUJOURS accompagnée d’une propagande qui diabolise le camp adverse, non seulement l’État adverse mais jusqu’à ses simples citoyens. La propagande n’hésite pas à donner dans le racisme – le racisme à l’égard des Russes n’est pas plus justifiable que le racisme qu’il y a eu à l’égard des Asiatiques à cause de la pandémie; les sanctions doivent viser les responsables, pas les simples citoyens - il y a des Russes qui sont contre Vladimir Poutine.
 
Bataille de Crécy, par Jean Froissart, XIVe s.

J’ai en mémoire le topo qu’avait fait Colin Powell, le secrétaire d’État des États-Unis de l’époque, en février 2003, assurant que l’Irak possédait des «armes de destruction massive» : déjà sur le coup, je n’y avais pas cru tant c’était loufoque (et je ne suis pourtant pas expert en matière de sécurité internationale), mais l’avenir a confirmé que ce discours était entièrement mensonger et que les «preuves» fournies alors étaient fabriquées de toutes pièces.
Un État qui a déjà brûlé des civils avec du napalm, pulvérisé deux villes japonaises à la bombe nucléaire (en désintégrant plus de 100 000 civils) et pratiqué la torture encore récemment à Guantánamo est assez mal placé pour parler d’armes légales.
D'ailleurs ni les États-Unis ni la Russie n'ont ratifié le Statut de Rome qui a fondé la Cour pénale internationale chargée de juger les crimes de guerre...
Les événements menant à une guerre sont complexes, rarement «tout blanc tout noir». Bien des éléments ne sont connus que des dirigeants et non des citoyens qui, de plus, subissent les différentes formes de propagande servies par leurs dirigeants et les «ennemis».
Du coup, je suis dans le camp des civils qui subissent la guerre. C’est à eux que je pense, c’est avec eux que je suis solidaire, c’est pour eux que je prie. TOUJOURS. Mais que le Seigneur éclaire nos dirigeants: il a cependant gros à faire pour percer leur égo...

Les guerres justes sont très rares

«Apothéose de la guerre», par Vasili Vereshchagin, 1871.

À mes yeux, il y a très, très peu de guerres justes de la part de qui attaque autrui : la justice n’est presque toujours que dans le camp qui se défend. Tout, absolument tout devrait être fait pour que des litiges ne dérapent pas en guerres, et la guerre ne doit être qu’une action d'«extrême dernier recours». La justice exigeait de se défendre contre le nazisme, mais ce sont les nazis qui avaient lancé cette guerre, d’une manière clairement injuste. L'idéologie nazie était non seulement pleine d'amertume et de haine, mais elle était exterminatrice: elle travaillait activement à l'extermination de masses de gens au mépris complet de la dignité humaine. Pour moi, il n'y a donc aucun doute quant à cette guerre-là. J’ai d’énormes doutes quant à la Première guerre mondiale qui fut une mêlée générale d’empires décadents dans laquelle le soldat ne savait pas trop pourquoi il se battait véritablement. Dans la grande majorité des cas, le recours à la guerre est purement offensif, prématuré ou pervers: la guerre est rarement utilisée comme dernier recours... Tout devrait être fait pour éviter la guerre mais, depuis notre préhistoire, nous décidons des guerres en premier recours plus souvent qu’autrement. Nous avons une compulsion favorable envers la guerre.

Dans le cas du conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine, était-ce juste que l'armée russe entre en Ukraine? Toutes les autres options avaient-elles été épuisées? Loin de là. Je prends un exemple. Monsieur Poutine dit faire la guerre pour «dénazifier» l’Ukraine. Mais il exagère ce problème; de plus, ce problème est l’affaire de l’Ukraine, non de la Russie.
Il y a effectivement un parti politique d’inspiration nazie qui est représenté au parlement ukrainien. Ce parti avait récolté 10.45% des suffrages aux élections de 2012. Mais il faut mettre les choses en perspective. Le soutien à ce parti était en chute libre, réduit à 2.15% des voix aux élections de 2019 alors qu’il n’a fait élire qu’un député sur les 450 que compte le parlement.
Aussi, il y a en Ukraine une milice d’inspiration d'extrême-droite voire nazie, et cette milice a été intégrée à l’armée nationale en 2014. Amnistie internationale (AI) a fait quelques rapports au sujet des exactions commises par ce régiment dans l’Est du pays – et AI n’est pas que je sache un média de propagande de monsieur Poutine…
 
National Nuclear Security Administration
Nevada Site Office

Ceci dit, est-ce que ces faits justifiaient une invasion de l’Ukraine par la Russie? Poser la question est y répondre. La Russie aurait pu monter un solide dossier sur l’extrême-droite néo-nazie en Ukraine et dans son armée, avec des noms, des faits et des dates confirmés par des ONG comme AI, rendre public ce dossier dans le monde entier… La Russie aurait eu en main un moyen susceptible de mettre sérieusement les bâtons dans les roues de l’Ukraine : il est peu probable que l’Union européenne aurait accepté facilement ce pays, ni l’OTAN. Alors, pourquoi avoir plutôt déclenché une guerre et fait tomber une pluie de bombes sur les gens? Rien ne justifiait une telle furie dévastatrice, une telle colère incontrôlée. La Russie a-t-elle été en guerre tout simplement parce que plus personne ne lui prêtait oreille depuis déjà longtemps? C’est ce qui a tragiquement manqué avant la guerre : un dialogue avec la Russie qui exprimait depuis des années des doléances face à l’Ukraine. J'ai été stupéfait d'apprendre que Justin Trudeau, premier ministre du Canada, n'avait jamais discuté avec les autorités russes et Vladimir Poutine alors que, pourtant, le Canada est tout proche de la Russie de par l'arctique. Par contre, il faut saluer Emmanuel Macron, président de la France qui, tout en dénonçant cette agression, maintient un contact direct et régulier avec Vladimir Poutine. Après des années de sanctions, la Russie a fini par faire à sa tête, en donnant de sévères migraines à tout le monde et à elle-même… L'État russe devrait tout de même se demander pourquoi tant d'ex-républiques et ex-pays satellites de l'URSS ont choisi depuis 1990 de s'associer à l'Union européenne plutôt qu'à la Fédération de Russie...

L’horreur au Yémen : on s’en fout.

Camp de réfugiés de guerre en Jordanie:
Aimeriez-vous vivre quelques années de «vacances» là?
Eh bien, eux non plus...

 

Fort malheureusement, l’Ouest a donné quelques arguments à Vladimir Poutine pour qu’il agisse en solo. Notre «guerre contre le terrorisme islamiste» est complètement incohérente. Elle n’a fait que semer le chaos en plusieurs pays, provoquer un immense flot de réfugiés, et condamner des centaines de milliers de personnes à vivre des années durant dans des camps de fortune au milieu de nulle part. Elle se solde par des fiascos cinglants, dont le plus récent fut la reprise du pouvoir par les talibans en Afghanistan en 2021. Pire encore : elle a disséminé cet extrémisme, cela jusqu’aux portes de l’Afrique noire où plusieurs pays subissent les exactions de groupes délirants comme Boko Haram, des pays que nous n’avons même pas la décence d’aider à se défendre.

Le Yémen fait partie de ces pays où nous avons semé le chaos. Et pas à peu près. Je ne discuterai pas de la situation géopolitique complexe de ce pays. Je ne m’attarderai qu’à souligner l’impact sur la population d’une guerre déclarée à ce pays en 2015 par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – deux pays qui sont des anti-démocraties. Ce conflit toujours en cours a fait quelques 380 000 morts à ce jour. Dans ce pays de 28 millions d’habitants, 20 millions de personnes survivent à la limite de la famine et sont complètement dépendantes de l’aide internationale. «Ils sont quelque 15,4 millions de personnes à ne pas avoir accès à de l’eau propre à la consommation. Plus de 51 % des institutions et des infrastructures sanitaires ne sont plus en service. Et les Yéménites ne peuvent tout simplement pas bénéficier de services de santé de base, confie le porte-parole de la Croix-Rouge».
Selon l’ONU, ce conflit a généré la pire crise humanitaire au monde : «des millions de Yéménites pourraient succomber de famine et de maladie si la paix n'est pas ramenée très vite dans le pays».
 
Drapeau du Yémen

Mais voilà : l’ONU a tort de déplorer la «quasi indifférence des grandes puissances». Elles ne sont pas indifférentes du tout : elles soutiennent l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis dans ce génocide et elles leur vendent de l’armement! Même le Canada : «
Presque deux ans après avoir signé le Traité sur le commerce des armes [donc en violation du droit international], le Canada continue de faillir à ses obligations légales sur les exportations d’armes, selon un nouveau rapport lancé aujourd’hui par Amnistie internationale et Project Ploughshares». 
En 2014, le gouvernement canadien a négocié la vente de centaines de véhicules blindés légers à la Garde nationale saoudienne. D’une valeur estimée à 14 milliards de dollars, ce contrat d’armement est le plus important de l’histoire du Canada.
Le Canada récidivait en 2021 : «Le gouvernement fédéral a approuvé un accord de vente d'armes, évalué à près de 74 millions de dollars, à l'Arabie saoudite par l’entremise de relations d'affaires canadiennes, et ce, malgré un moratoire sur les permis d'exportation et les vives critiques en matière du respect des droits de la personne qui pèsent contre le Royaume». Ces ventes concernent, entre autres, des substances explosives…
Contrairement à la Russie de Vladimir Poutine, l’Arabie saoudite est un modèle de démocratie! C’est pourquoi il est, depuis longtemps, fortement suspecté de financer le terrorisme :
Vladimir Poutine fait assassiner ses opposants même hors des frontières de la Russie? Le régime saoudien aussi, comme le journaliste Jamal Khashoggi, assassiné le 2 octobre 2018 par un commando saoudien en Turquie.
Ce même pays pratique toujours des formes d’esclavage, impunément :
Les droits de l'homme y sont tellement mieux cultivés qu’en Russie que les hommes peuvent lapider ou décapiter toute femme suspectée d’adultère ou d’autres accusations :
Liberté de penser et de s’exprimer? Après avoir été torturé, un citoyen canadien y a croupi en prison pendant dix ans pour un simple délit d’opinion. Il a été «libéré» en mars 2022 mais, comme le précise Amnistie Internationale, «Raif Badawi est interdit de sortie du pays, interdit de passeport pour 10 ans et interdit de communiquer sur les réseaux sociaux et d'avoir en sa possession un téléphone cellulaire [...] On craint que les communications soient plus difficiles à partir de maintenant».
En mars 2022, le royaume saoudien a exécuté 81 personnes: « Le monde devrait savoir maintenant que lorsque Mohammed ben Salmane promet des réformes, des effusions de sang suivront », a déclaré Soraya Bauwens, directrice adjointe de Reprieve, un groupe de défense basé à Londres. Ali Adubusi, le directeur de l’Organisation européenne saoudienne des droits de l’homme, a affirmé que certaines des personnes exécutées avaient été torturées et avaient fait face à des procès « menés en secret ». « Ces exécutions sont le contraire de la justice », a-t-il déclaré.
 
J’arrête là. Avec un tel palmarès en matière de massacres de civils, de démocratie et de droits humains, l’Arabie saoudite mérite donc d’être «alliée» et «amie» de pays occidentaux, y compris du Canada. Lorsque le nouveau prince a pris le pouvoir là-bas, nos propagandistes en ont fait une vedette. À les écouter, c’est fou comme ce prince était «moderne», «ouvert», «réformateur»… Un peu plus, on lui décernait le Nobel de la paix.

Mais j’avoue avoir un petit doute sur la cohérence de tout cela…

Le juste qui se détourne

 
Le pétrole: pollution de la Terre et des esprits...

Alors, je me permets cette question à Mélanie Joly et à Justin Trudeau : à vos yeux, la guerre au Yémen est-elle une guerre juste et propre? Les images de dévastation au Yémen sont-elles acceptables?
Si vous répondez non, imposez à l’Arabie des sanctions de même niveau que celles que vous imposez à la Russie. Soyez conséquents.
«Ah, mais non, le pétrole, vous savez…». Donc, vous prônez une démocratie à géométrie variable, des droits de l’homme à géométrie variable. Vous dites que nos intérêts économiques priment sur tout. Si je vous comprends bien, le pétrole justifie que des centaines de milliers de personnes périssent et que des millions d’autres soient acculés délibérément à la famine, cela au Yémen seulement. Pas de crimes contre l’humanité là-dedans. Belle morale… De toute évidence, ces êtres humains-là ne valent pas grand-chose.

Il ne s’agit pas de rester les bras croisés face à ce qui se passe en Ukraine. Mais la disproportion est choquante entre notre réaction dans ce dernier cas et celle, indifférente, dans le cas du Yémen.

J’ai un immense malaise devant la sottise assumée de ces chefs d’État qui veulent remplacer le gaz et le pétrole russes par ceux venus de pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats. Ni la paix dans le monde ni la démocratie n’y gagneront. De quelle manière le pétrole saoudien est-il plus démocratique que celui de Russie?
Victimes de la guerre depuis plus de sept ans, les Yéménites doivent être au désespoir de constater que leur sort n’émeut personne alors que celui des Ukrainiens suscite un engagement massif et immédiat. Pire : les montants de l’aide humanitaire pour le Yémen ont énormément diminué depuis 2020, ce que l’ONU qualifie de «peine de mort» pour ce peuple :

Icône du prophète Ézéchiel

Les énergies fossiles ont non seulement pollué la Terre, mais elles ont aussi pollué les esprits et les relations entre les pays. «Le changement climatique provoqué par l’humanité et la guerre en Ukraine ont les mêmes racines : les combustibles fossiles, et notre dépendance envers eux », déclarait fin février la climatologue Svitlana Krakovska». C’est mille fois vrai. Peut-être que cette guerre Ukraine – Russie sera l’électrochoc pour se détourner vraiment des énergies fossiles. Peut-être…
Pendant que les uns et les autres s’intimident à coup de menaces de guerre nucléaire, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sonne l’alarme pour la énième fois en mars 2022 : la fenêtre de temps à notre disposition pour agir et éviter la crise écologique totale se referme de plus en plus. Et ce n’est pas la faute que de la Russie.

Et puis, il y a au Soudan... en République démocratique du Congo... en Éthiopie... au Mali... la guerre des cartels au Mexique... pouf... Il sera bon de faire un examen de conscience, bien que je craigne que cet examen n’ait jamais lieu.

Le prophète Ézéchiel voyait clair sur les dérives des justes : «Le juste, s’il se détourne de sa justice et fait le mal en imitant toutes les abominations du méchant, il le ferait et il vivrait? Toute la justice qu’il avait pratiquée, on ne s’en souviendra plus : à cause de son infidélité et de son péché, il mourra!» (Chapitre 18)

 

Remplacer la guerre par des tournois musicaux
... comme le font les Oiseaux!

Moqueur polyglotte.
Par J.J.Audubon (XIXe s.)


Bon, c’est vrai que faire la guerre est une exclusivité humaine – la guerre étant, au sein d’une espèce donnée, une expédition menée par les individus d’un groupe pour aller tuer ceux d’un autre groupe. Très peu d’espèces animales se font la guerre : on les compte sur les doigts d’une seule main. Mais cette très mauvaise habitude est profondément ancrée en nous depuis des millénaires – nous en sommes probablement fiers, sans trop nous l’avouer. Elle est pourtant injustifiable et indigne d’êtres qui se prétendent super intelligents et pleins d’empathie.

J’ai de l’admiration pour les Oiseaux. Ces jours-ci, je les admire encore plus. Comme les humains, les oiseaux ont des querelles territoriales et il leur arrive de faire quelques escarmouches à ce sujet. Mais pour l’essentiel, ils ont mis au point le moyen le plus élégant que je connaisse pour les régler : faire des joutes de chants!

Voici des extraits de ce que j’ai écrit dans mon livre Le chant des oyseaulx (2008 / 2e édition : 2020, Varia) :

Les oiseaux marquent leur territoire soit en chantant à terre en divers endroits de ce territoire (c’est plutôt rare, mais le Bruant vespéral, par exemple, privilégie cette approche), soit en chantant perchés aussi en divers endroits (c’est le cas le plus fréquent) ou soit encore en chantant en un seul endroit spécifique. «Souvent louangé par les poètes, le chant des oiseaux n’a souvent rien à voir avec la tirade amoureuse qu’on veut bien entendre. Au contraire, il s’agit généralement d’un cri de guerre. L’objectif principal du chanteur est d’aviser les autres mâles de son espèce qu’il est le maître de son territoire aux frontières invisibles. Une façon musicale de dire : défense de passer (Pierre Gingras).

Bruants des neiges.
Par J.G. Keulemans, c.1900

Mais l’expression «cri de guerre» est bien anthropomorphique car, en fait, les chants évitent justement les guerres qui se limitent chez les oiseaux à quelques brefs tiraillements vite réglés! «C’est tellement vrai que les différends entre oiseaux au sujet de la possession d’un territoire se règlent souvent par des joutes de chants, et si le voleur veut occuper indûment un endroit qui ne lui appartient pas, le véritable propriétaire chante, chante si bien que le voleur s’en va» (Olivier Messiaen). Chez la plupart des oiseaux, lorsque la tension monte durant ces disputes territoriales, le mâle propriétaire augmente la cadence de son chant. Cependant, chez quelques espèces comme la Paruline jaune, le mâle contrarié fait entendre un chant sensiblement différent qui révèle son humeur agressive (Lang Elliott). Habituellement, un avertissement suffit. Un groupe de Bruants des neiges, une espèce nordique, s’est égaré et les oiseaux se nourrissent sur un territoire occupé. Dès qu’ils entendent le chant du propriétaire, «tous les oiseaux figent sur place et manifestent tous les signes de la terreur : ils s’aplatissent au sol, lissent leurs plumes et regardent intensément autour d’eux» (Pierre Morency). Puis ils fuient, à défaut de quoi le propriétaire les chasse et les poursuit au vol. Si l’un des intrus s’entête, un «combat» s’engage au sol. Mais un curieux combat que gagnera le plus têtu! «Les deux mâles se font face; tout à coup, un des lutteurs, au lieu d’attaquer, se met à picorer la mousse qui se trouve au sol : il en saisit des morceaux dans son bec, qu’il rejette pour l’instant d’après en saisir d’autres. Ce comportement est exactement semblable à celui d’un être humain qui soulage ses sentiments d’agressivité en frappant une table du poing quand il est sous l’emprise de la colère» (Pierre Morency). En nature, il est fréquent d’entendre des voisins d’une même espèce chanter chacun à leur tour en se répondant : ils se surveillent alors de près! Ces répons sont nommés ripostes. Chez le Cardinal rouge ou la Mésange bicolore, les participants font concorder leurs notes en convergeant vers un chant semblable voire identique (Lang Elliott).

Même dans les colonies d’oiseaux regroupant des milliers d’individus, il n’arrive jamais que des groupes s’unissent pour guerroyer avec leurs voisins. Et les membres d’une colonie ne lèvent jamais d’expédition guerrière pour attaquer une autre colonie.

Ma conclusion était : «Tout en étant efficaces, ces joutes de chant sont un moyen élégant, artistique et relativement pacifique de régler des querelles territoriales. Les hommes gagneraient à s’en inspirer : cela éviterait ces calamités immémoriales que sont leurs guerres!». Je maintiens cette conclusion qui me semble encore plus pertinente aujourd’hui.

Passerin nonpareil.
Par J.J. Audubon (XIXe s.)

Alors voilà. Je propose que les querelles entre pays ne se règlent plus par les armes. Les armes ne règlent rien : elles dévastent et imposent. Je propose qu’elles se règlent à l’avenir par des tournois de poésie et de musique! Non non, je ne blague pas : je suis sérieux. Si les oiseaux font ainsi pour leurs conflits intraspécifiques, il n’y a aucune raison pour que nous ne le fassions pas nous aussi. Ce type de «combat» existe déjà :
«Les joutes oratoires étaient depuis le Moyen Âge, principalement dans les régions méditerranéennes, des spectacles rituels et improvisés par des jouteurs se livrant un duel, souvent en vers. Ce type d'affrontement théâtral, proche des  tensons occitanes (poèmes dialogués des troubadours), se retrouve autant dans le sud de la France qu'au Portugal, ou en Kabylie. Aujourd'hui, ce type de spectacle se retrouve musicalement dans les duels de tchatche des Fabulous Trobadors, et deux autres groupes de l'association Escambiar, Estéla dou Coqe et les Nouveaux Cantadors et théâtralement dans les divers spectacles de match d'improvisation. Jacques Jouet a également modernisé la joute oratoire dans sa pièce Les z'hurleurs. Les joutes théâtrales désignent également les Dionysies du théâtre grec antique. Le rap et ses influences ont permis l'émergence d'un nouveau style de joute verbale, le «battle rap a cappella», issu du rap lui-même avec des compétitions comme les Rap Contenders en France».

Cela a donc existé et existe toujours. Il s’agirait de reprendre cette idée et la formaliser pour qu’elle serve à régler les conflits majeurs.

Allez, chantons!

Source des illustrations: Wikipédia (domaine public, PD-US)