MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



lundi 23 octobre 2023

PERCE-NEIGE. POUR ORCHESTRE SYMPHONIQUE (OPUS 29)

Perce-neige, 

pour orchestre symphonique (opus 29).
 

Instrumentation:

2 flûtes (incl. Piccolo). 2 hautbois. 2 clarinettes. 2 bassons. / 4 cors. 3 trompettes (incl. trompette piccolo). 3 trombones. 1 tuba / Pîano / Percussions pour 4 (Incl. 3 Waterphones) / Cordes

Durée : c. 18 minutes

La partition et le matériel pour exécution en concert sont disponibles au Centre de musique canadienne :

2150 rue Crescent, Montréal (Québec) H3G 2B8
Téléphone: 514-866-3477
Atelier pour les partitions:  atelier@cmccanada.org

 

Le printemps ou encore l’hiver?

Perce-neige

Composée en 2000, Perce-neige est une allégorie sonore du froid hivernal lentement travaillé par les premières forces du printemps. La musique est à l’image de ce moment de transition encore précaire et incertain du cycle naturel. L’œuvre s’ouvre avec un chant d’oiseau hâtif qui reviendra périodiquement par la suite pour affirmer le passage inéluctable du temps. Puis, des moments se succèdent. Les uns évoquent le froid hivernal qui s’attarde, avec le doux bruissement de la neige qui tombe encore et les rumeurs des dernières tempêtes d’hiver. D’autres moments évoquent plutôt la chaleur qui tente de s’imposer, avec le ruissellement de l’eau de fonte et la percée des premières plantes forçant la neige pour trouver le soleil. Ces atmosphères s’affrontent. Une grande mélodie, des cascades de sons aux vents et des fanfares tamisées cherchent à animer l’orchestre, mais elles se heurtent à des sonorités glacées, des plages immobiles et des blocs harmoniques menaçants. Le printemps arrivera-t-il enfin? La neige tombe à nouveau : pourtant l’oiseau chante toujours et aura le dernier mot!


Chaman

Chaman en Russie.
Par Sergei Borisov, c. 1911


Contrairement à ma musique chorale et vocale qui est principalement d’inspiration chrétienne, ma musique symphonique est plutôt chamanique! C’est en elle d’abord que je célèbre les forces et les Esprits de la Nature. N’y voyez pas une contradiction : ce sont des facettes complémentaires de ma personne et, donc, de mon art. L’Esprit envoûteur s’inspire du bruit du vent dans les feuilles d’arbres; Comme un ciel d’automne est né des suites d’une randonnée inoubliable à la réserve naturelle de Cap Tourmente où se trouvaient des milliers d’Oies des neiges en migration; Joie des Grives est fondé sur les chants de onze espèces d’oiseaux du Québec; Fougères (version orchestrale) incorpore des sons de nature et les chœurs chantent un poème de mon cru fait de noms scientifiques (en latin) d’espèces de fougères; Aigue-marine poétise l’élément aquatique et est comme un voyage en mer, etc.



Waterphone

Perce-neige demande un orchestre symphonique standard avec l’ajout d’un piano et des percussions pour quatre musiciens. À ce jour, c’est la seule pièce où j’utilise des timbales. Les quatre timbales sont réparties en deux paires situées à chaque extrémité de la scène : dans un passage de la pièce, les deux timbaliers se livrent à un dialogue. Parmi les percussions, je demande aussi trois waterphones de tailles différentes. Cet instrument est plutôt rare (mais les grands orchestres en ont). Le waterphone produit des sonorités glacées très évocatrices et appropriées pour Perce-neige : «Le waterphone est un instrument de musique de la famille des instruments à friction. Inventé à la fin des années 1960 par Richard Waters, il se présente comme un réservoir arrondi en acier inoxydable, souvent plat (mais pouvant revêtir différentes formes), auquel est relié un tube. Sur le pourtour du réservoir sont fixées des tiges en bronze de différentes tailles. On peut introduire une petite quantité d'eau dans le tube, ce qui provoque des échos et des variations de hauteur, produisant un son parfois comparé au chant des baleines et autres cétacés». 

 

Le Bruant des neiges

Un Bruant des neiges en plumage hivernal
US Fish and Wildlife Service


Perce-neige s’ouvre sur une vocalise énergique des flûtes qui est comme un cri d’oiseau nordique, non pas celui de Grue ou d’oie, mais d’un petit oiseau : le Bruant des neiges (ou Plectrophane des neiges). Ce Bruant adore le froid! Il niche à l’extrême-nord du Canada et de la Sibérie. Vraiment pas frileux. Mais durant l’hiver, il vit en groupes et peut descendre dans le Sud du Québec où l’on peut l’observer. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruant_des_neiges

Tiré de mon livre Le chant des oyseaulx :
En mars, à la fonte des neiges, les Bruants des neiges se réunissent dans le sud du Québec pour se nourrir. Le poète Pierre Morency rapporte que nos ancêtres croyaient que ces petits oiseaux, qu’ils nommaient «moineaux blancs», ne se nourrissaient que de neige. Les deux sexes font bandes à part et vocalisent abondamment. En avril, ils quittent le sol pour se percher en groupes, signe qui annonce leur départ imminent pour l’arctique où ils parviennent à la fin avril alors que les neiges tiennent encore bon. Le Bruant des neiges pouvant dormir au vent à –30 degrés, il remplit alors le ciel nordique des notes cristallines de son chant. Les Inuits disent qu’Amauligak est revenu, l’oiseau annonciateur du printemps. Son chant comble ses auditeurs : «C’est l’oiseau canadien qui chante le mieux, ne le cédant guère au Rossignol de France», affirmait le Père Charlevoix. Un chant : plutôt des chants, variés, puissants, timbrés, se déclinant dans plusieurs dialectes régionaux et d’autant plus marquants qu’ils fusent dans un environnement silencieux. 

Ce chant, je ne l’ai pas utilisé de manière «naturaliste» dans Perce-neige : j’ai plutôt stylisé ses sonorités aigues et ses vocalises incisives.

 

Dodécaphonisme?!

Perce-neige est basée sur trois «ingrédients» thématiques. Le premier est le chant d’oiseau mentionné précédemment : c’est lui qui pose la pièce en un La mineur modal. 

Début de Perce-neige / (C) 2000 Antoine Ouellette SOCAN
Cliquez sur l'image pour une meilleure définition. 


Le second ingrédient est une mélodie confiée aux bois, mélodie sur peu de sons et gravitant autour du Mi. 

Perce-neige: début de la mélodie aux bois.
(C) 2000 Antoine Ouellette SOCAN
Cliquez sur l'image pour une meilleure définition


Cette mélodie très intérieure est accompagnée par un ostinato du piano. Ses variations forment le pôle printanier de Perce-neige, les moments où l’œuvre devient plus active, chaleureuse, ensoleillée: le dégel.

Perce-neige: ostinato du piano sous la mélodie précédente.
(C) 2000 Antoine Ouellette SOCAN

Le troisième élément est une série dodécaphonique! Pour faire simple, une série dodécaphonique est une séquence comprenant les douze sons de la gamme chromatique sans qu’un seul de ces sons ne soit répété.

Voici une page pédagogique toute simple avec exemples sonores : https://www.apprendrelesolfege.com/dodecaphonisme

La série de Perce-neige commence par la note La (la «tonique» imposée par le chant d’oiseau dès la première mesure) et se termine par la note Mi (la dominante de La mineur, mais surtout la note centrale de la mélodie mentionnée précédemment).

Série de Perce-neige.
(C) 2000 Antoine Ouellette SOCAN
Cliquez sur l'image pour une meilleure définition.

C’est l’unique fois où j’ai utilisé une série dodécaphonique à proprement parler. Mais je l’utilise d’une manière diatonique : je ne la transpose pas, je ne lui fais subir aucun renversement ni rétrogradation, mais je fais toujours entendre ses douze sons dans l’ordre initial, sans modification. Ce n’est donc pas du dodécaphonisme à la manière d’Arnold Schoenberg et de ses émules. https://fr.wikipedia.org/wiki/Arnold_Sch%C3%B6nberg

En fait, cette série incarne le pôle hivernal de Perce-neige: les dernières neiges. Je l’utilise ainsi pour créer des passages immobiles de notes harmoniques longuement tenues (qui évoquent un paysage figé dans la glace), ou pour créer d’imposants «icebergs» sonores. Je l’utilise aussi dans le duo des timbaliers, ou encore en prenant chacune de ses notes comme arrière-plan d’une variante du chant d’oiseau.

Des «icebergs sonores» imposants dans Perce-neige!
(C) 2000 Antoine Ouellette SOCAN
Cliquez sur l'image pour une meilleure définition. 

Bruants des neiges en plumage
estival. Par Naumann, 1905;
Histoire naturelle des oiseaux
d'Europe centrale. 


La dernière section de Perce-neige fait entendre une variation paisible de la série : chaque son est harmonisé sous la forme de mon «accord de la paix» (par exemple : la note Ré harmonisée Ré-Fa-La-Do, accord de septième mineure mais sans tension tonale), en valeurs longues aux cuivres (comme un choral), alors que le piano et le glockenspiel égrènent librement les douze sons de la série (hors tempo) comme de la petite neige qui tombe doucement. En arrière-plan, les cordes jouent en trémolos de lents glissandos d’harmoniques en hauteurs indéterminées. Cette section est ainsi parfaitement dodécaphonique mais tout autant consonante et paisible - ce paradoxe poétise le paradoxe de ce temps de l'année qui hésite encore entre deux saisons. 

Mais c’est l’oiseau qui a le mot final pour dire que, oui, le printemps s’en vient!

PS. Bon, là, des gens vont se dire : «De la musique atonale! Ça doit être difficile d’accès!». Alors non, Perce-neige n’est pas atonale, et oui les gens ont les oreilles plus ouvertes que vous aimez le penser et le dire! Encore faut-il oser. Or, Perce-neige est une pièce essentiellement poétique. Comme disait Mozart : «De la musique pour toutes les oreilles, sauf les longues» - mes excuses auprès des ânes animaux!

Perce-neige en répétition (2009, Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard)
Direction: James Mark. 


Sources des illustrations: Collection personnelle et Wikipédia (Domaine public, PD-US)