LE TERRAIN MINÉ
DE LA FAUSSE HUMILITÉ
1. En
terrain miné
2. Humilité?
3. Je
suis un vase d’argile – tout comme vous…
4. Avec
un trésor à l’intérieur – tout comme vous.
5. Les perversions de l’humilité
6. Tant
à apprendre!
Cette
année, j’ai eu maille à partir avec quelques personnes qui non seulement cultivent
la fausse humilité avec grand art, mais ont tenté de m’imposer de faire comme eux. Dans leur «humilité», elles se posaient en modèle pour tout le monde! L'une de ces personnes pousse l'humilité jusqu'à juger au nom de Dieu. J'ai pensé au compositeur Alexandre Scriabine (1871-1915) qui disait de lui-même: «Je ne suis rien. Je suis Dieu». Était-il humble?!
Alors je vais vous parler les yeux
dans les yeux, et nous allons réfléchir
ensemble sur ce sujet malaisant qu'est l'humilité…
En
terrain miné
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Humilité vient de humus, terre. La première humilité est de se savoir lié à la Terre. Par sa relation qu'elle a avec la Terre, notre société peut-elle être considérée comme humble? Photo par Christine Yelle.
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Il y a longtemps que je n'ai parlé d'autisme. Mais le sujet de l'humilité s'aborde bien à partir de l'autisme. Voici. Dans
les «Critères de découverte des autistes Asperger», Tony Attwood liste nos
qualités potentielles. Parmi celles-ci, nous lisons : «La relation avec
les pairs est caractérisée par une loyauté absolue et le fait d’être totalement
digne de confiance (…). La personne Asperger dit ce qu’elle pense vraiment quel
que soit le contexte social». C’est positif. Hum. Est-ce si positif en société?
Pas toujours, je vous l’assure!
Voici un exemple des pièges auxquels nous sommes confrontés.
J’ai souvent pensé que Jésus était autiste de type Asperger – tout comme Siddhartha Gautama, le Bouddha historique. Dans l’Évangile, le Seigneur enseigne : «Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est
“non”. Ce qui est en plus vient du Mauvais» (Saint Matthieu. Chapitre 5, verset
37). Contrairement à ce que j’ai déjà entendu, Jésus n’enseigne pas qu’il est mal de dire non. Au contraire :
que ton oui soit un oui, et ton non un non, c’est tout le reste qui est mauvais.
Le reste, c’est-à-dire le noui, le mouin, le ouais, le
oui sans suite. Or, nous vivons dans un monde où, souvent, oui signifie son
contraire, où les non-dits et les implicites sont légion même dans les
conversations quotidiennes. Pour les personnes autistes, tout cela forme un
terrain miné dans les relations.
Il
en va de même en ce qui concerne l’humilité. Combien
d’hypocrisie entoure ce concept!!! À de nombreuses reprises, j’ai entendu des gens jouer à se déprécier et louer autrui tout en pensant le contraire! Un joueur de hockey prétend : «Ce n’est pas moi, c’est l’équipe», tout en exigeant un salaire en millions de dollars par saison, ou être prêt à quitter sa chère équipe pour un salaire encore plus élevé ailleurs! Un chanteur d’opéra fait une belle
carrière internationale et le voilà en entrevue qui déclare : «Oh, vous
savez, mon petit talent…»! - autrement dit, les musiciens qui ne font pas une carrière internationale n'ont pas de talent.
Tout
cela se nomme fausse modestie. Or, en société, il y a vraiment une prime à la
fausse modestie. Nous attendons même des propos faussement modestes de la part
de tous et de toutes. C'en est devenu comme un conditionnement social. Si quelqu’un ne s’y conforme pas, les accusations de
vantardise, de narcissisme et de prétention fusent aussitôt. Réalise-t-on qu’on ne fait ainsi que cultiver l’hypocrisie, les apparences, la
fausseté, les conventions truquées?
Oh
que oui! C’est vraiment là un terrain miné pour les autistes. Nous ne sommes pas réputés pour notre «diplomatie» (j'ai un peu appris avec le temps...), et notre «manque de filtre» est à risque d'être perçu comme de l'arrogance. Or, cette honnêteté hors des conventions constitue une des caractéristiques de la personnalité autistique. Quand vous discutez avec une personne autiste, soyez-en conscient et comprenez bien qu'il ne s'agit pas de méchanceté de notre part!
Humilité?
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Le moine bénédictin allemand Anselm Grün, auteur de nombreux livres très appréciés.
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«Le
septième échelon de l’humilité consiste non seulement à se déclarer à voix
haute inférieur à tous et le plus méprisable de tous, mais surtout à en être
convaincu au plus profond de son cœur», Règle de saint Benoît, chapitre 7, 51.
Je
ne suis pas certain que saint Benoît écrirait ces propos aujourd’hui. Je
travaille en santé mentale, et je croise des gens qui se répètent être nul,
stupide, raté, etc., qui se le disent à voix haute et qui en sont venus à y
croire au plus profond de leur cœur. Le résultat est systématiquement désastreux.
Non seulement cela inhibe toute initiative mais cela constitue un terreau
fertile pour la dépression et les névroses. Ces pensées dépréciatives ne sont pas le résultat du trouble mental: ces pensées se sont imposées lentement et insidieusement dans l'esprit de la personne, à son insu. Avec le temps, elles en sont venues à constituer une part intégrante de leur discours intérieur, tellement que la personne a fini par y croire.
Il y a pire encore. Si s’humilier ainsi,
dans la voie spirituelle ou en tout autre domaine, est un idéal, humilier
autrui peut devenir une technique pédagogique acceptable pour «élever» ou
«éduquer» l’autre. Or, nulle part dans l’Évangile, Jésus n’a enseigné à ses
apôtres, à ses disciples ou à des foules en les soumettant à des humiliations
ou des traitements dégradants. Faire ainsi n’est tout simplement pas chrétien. Et
c’est à haut risque de déraper vers des perversions effrayantes.
Lorsqu’il
parle d’humilité dans l’un de ses livres, le moine bénédictin Anselm Grün omet donc
soigneusement de citer ce septième échelon! Il a étudié la psychologie et sait
à quoi s’en tenir…
J’ai
des yeux compliqués qui nécessitent des soins particuliers. Les confierais-je à
un ophtalmologue qui me dirait : «Tu sais, moi, je suis le moins bon
ophtalmologue au monde»?!
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Je suis un vase d'argile. Quelle belle et juste image venue de saint Paul! |
Je
suis un vase d’argile qui contient un trésor. Tout comme vous : chaque
personne est un vase d’argile qui contient un trésor. Cette image géniale et
parfaitement juste de l’être humain est de saint Paul (Deuxième Lettre aux
Corinthiens. Chapitre 4, verset 7).
Je
n’ai pas tous les talents du monde, loin de là et sans fausse modestie! Par
exemple et entre autres… :
- Je
suis nul en sports et je n’ai jamais su me tenir sur des patins.
- Mon
talent de dessinateur se limite aux bonhommes-allumettes.
- J’ai
le vertige à trois pieds du sol.
- Les
situations sociales informelles qui se prolongent m’épuisent.
- Remplir
un formulaire me donne des sueurs dès la première case.
- Je
ne suis pas manuel. Je ne sais pas bricoler ou à peine : j’ai les mains
pleines de pouces dès qu’il s’agit de clouer un simple clou.
Alors,
qu’est-ce que je fais en cas de besoin? Je demande de l’aide à qui possède ce
talent qui me manque. Je n’ai aucune réticence à demander de l’aide : je
reconnais mon manque et je reconnais le talent d’autrui. Même en musique, il
m’arrive de demander conseil. J’ai beau avoir tel niveau, je ne connais pas
tout, loin de là encore une fois. Ainsi, pour la pièce que je compose au moment
d’écrire ces lignes, j’ai consulté une flûtiste et un tromboniste. Dans le cas de la flûte, mon idée était jouable mais elle n'aurait pas très bien sonné, alors je l'ai éliminé sans m'y accrocher.
Travailler avec des musiciens me permet d’apprendre, et j’adore apprendre
depuis que je suis au monde. Je dirige du chant grégorien depuis plusieurs
années, mais je sais que je ne connais pas tout ce répertoire.
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Je suis nul en sports, et je n'ai aucune réticence à le dire! Par contre, je reconnais mes talents autant que ceux des autres.
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Je
suis un vase d’argile, en effet. J’ai des fragilités auxquelles font écho les
diagnostics que j’ai reçus en santé mentale, comme l’autisme, l’anxiété
généralisée et le syndrome de stress post-traumatique. Mais il est une chose
dont je suis fier - permettez-le-moi! J’ai subi une violente intimidation scolaire qui m’a
provoqué plus de trente ans d’un sévère syndrome de stress post-traumatique. J’aurais
facilement pu sombrer, comme Pierre qui s’est suicidé à la fin du Secondaire 5,
ou trouver refuge dans la toxicomanie. J’aurais facilement pu devenir un
drop-out et éviter mes semblables. Or, loin d’éviter, j’ai commencé à enseigner
et à diriger un chœur dans ma vingtaine. Les autres m’avaient blessé? Soit. Les
autres deviendront partenaires de guérison. J’ai demandé de l’aide à des
médecins, des psychologues, puis à La Clé des champs. Mes symptômes se sont
grandement apaisés. Mieux encore, je suis pair-aidant depuis plusieurs années. lacledeschamps.org Je
trouve cela pas pire. Si vous éprouvez des troubles mentaux, je peux vous inviter à consulter. Mais toi qui me juge, as-tu connu comme moi les cauchemars terrifiants et
les états de choc durables du stress post-traumatique? N’étais-tu pas un agresseur à l’école? En tout cas, tu en
reproduis les comportements à l’âge adulte.
Bref,
je connais mes forces, je connais tout autant mes faiblesses. Je n’ai pas
honte de partager ce que je fais dans mes «domaines forts», je n’ai pas
davantage honte de demander et recevoir de l’aide ou de l’enseignement dans mes
«domaines faibles».
Je
n’ai pas d’opinion sur tout et je ne ferai pas semblant d’en avoir lorsque ce
n’est pas le cas. Si je me trompe, je le reconnais - des fois avec délai, je le confesse car je ne suis pas parfait. Quand je ne sais pas la
réponse à une question que l’on me pose, je réponds que je ne sais pas, tout
simplement – je pourrai ensuite faire de petites recherches pour trouver une
réponse. Par contre, si je connais la réponse, je suis heureux de la partager,
sans monologuer ni jargonner pour épater.
Je
guide mes choristes et, même si je suis chef (ce qu’ils savent bien), je ne me
mets pas au-dessus d’eux : je suis avec eux et nous faisons de la musique
ensemble (ça aussi, ils le savent). J'ai créé ce chœur pour faire de la musique avec d'autres. Je pourrais regarder des gens de haut, «moi, n’est-ce pas, ma culture
et bla bla bla», mais jamais je ne fais ainsi – je ne suis même pas tenté de faire ainsi: cela ne m'intéresse pas et ce n'est pas mon genre.
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Dans une pièce que je composais à l'été 2025, je me demandais si le trombone basse peut donner certaines notes. Mais je ne suis pas tromboniste! Savez-vous ce que j'ai fait? J'ai contacté un tromboniste qui a répondu à mes questions grâce à ses compétences que je n'ai pas. Grand merci Julien!
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Je
ne me compare pour ainsi dire jamais avec autrui : je ne joue pas au jeu
des comparaisons, je n’envie pas ce que mes voisins ont, et je ne ressens pas
de manque issu de comparaisons. Je laisse l’autre être qui il est avec ses
dons.
La prétention, c’est faire croire que l’on peut quand on ne le peut pas.
Je
ne prétends pas composer de la musique : j’en compose. On peut l’aimer ou
non, mais c’est la mienne et je sais qu’en «vrais sons», elle ressemble pas mal
à ce que j’avais en tête. Toutefois, je ne prétends pas être le plus grand
compositeur au monde! Je fais juste ce que je sens devoir faire, j’exprime ma
vision de la musique et du monde.
Je
ne prétends pas diriger de la musique médiévale : j’en dirige. Je ne
prétends pas être pair-aidant : je le suis. Et je sais très bien que tout cela est un apprentissage perpétuel pour moi.
Par
contre, je ne prétends pas être un instrumentiste de concert : je ne le
suis pas. J’admire les gens qui le sont, et je suis très touché lorsqu'ils consacrent de leur temps à ma musique. Jamais non plus je ne vais prétendre
être bon en sports : je ne le suis pas et cela ne me dérange pas de le
dire. Je ne prétendrai pas davantage être capable de bâtir un cabanon : je
n’en suis pas capable.
En
cas de besoin, je ne fais pas semblant et je demande à qui possède ces
compétences que je n’ai pas. Je suis alors heureux de reconnaître que cette
personne les ait, et je suis dans la gratitude envers elle qui les utilise pour
me rendre service.
Les
gens savent que je tiens parole, que je suis fiable dans mes
engagements. Pour moi, c’est même un point d’honneur. Je suis un
«perfectionniste réaliste», je donne le meilleur de moi, tout en sachant aussi
accueillir les inévitables imperfections, les miennes, celles d’autrui, celles
provoquées par les impondérables.
Malgré
ce trésor, je sais être mortel et ne pas être irremplaçable.
Si
vous vous dites : «Mais il se vante!», vous vous trompez. La vantardise,
ce n’est pas ça. Je parle d'ailleurs rarement de moi.
Car,
la manière dont j’ai dit les choses, je l’attends de votre part tout autant.
Les perversions de l’humilité
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Il y des formes perverses d'humilité. Ces perversions favorisent le fait d'humilier autrui. Photo du U.S. Government.
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L’humilité
est une grande qualité. Certaines personnes la recherchent mais n’aboutissent
qu’à la fausse modestie. Dans leur orgueil inavoué, elles prennent leur fausse
modestie pour de l’humilité! Les faux modestes se fâcheront face à la fierté
légitime d’autrui.
Or,
j’avoue avoir en sainte horreur la fausse modestie. C’est l’une des choses qui
m’exaspèrent le plus au monde, davantage encore que la prétention. Je ne
supporte pas la fausse modestie, ni de ma part ni de celle d’autrui.
Je
dois avouer que la foi chrétienne qui m’est si chère a pu favoriser des
versions perverses de l’humilité. Un article d’Aleteia pose correctement le
problème : «Ces attitudes, bien que se présentant comme de l'humilité,
peuvent en réalité cacher de l'orgueil, de l'amertume ou de la manipulation.
L'humilité authentique, quant à elle, est une vertu qui implique une juste
connaissance de soi, une acceptation de ses limites et une attitude de service
envers les autres, sans chercher à se rabaisser ou à attirer l'attention sur
soi. ». L’article détaille ensuite les trois plus fréquentes perversions
de l’humilité :
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La fausse humilité cache souvent de l'orgueil. Peinture de Serguei Solomko (1855-1928)
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1. L'humiliation
excessive:
C'est
le fait de se rabaisser constamment, de se considérer comme "nul" ou
"sans valeur", parfois même en utilisant des expressions fortes et
négatives pour décrire son propre être. Cette attitude peut être une forme de
masochisme spirituel, où l'on cherche à se punir ou à se nier, plutôt que de
reconnaître sa dignité en tant qu'être créé par Dieu.
2. La
fausse modestie:
C'est
le fait de minimiser ses propres réussites ou qualités, non pas par véritable
humilité, mais pour obtenir l'approbation des autres ou pour paraître plus
"spirituel". Cette attitude peut être une forme de manipulation, où
l'on cherche à susciter la compassion ou l'admiration en se faisant passer pour
plus humble qu'on ne l'est réellement.
3. L'auto-dépréciation:
C'est
le fait de se dénigrer constamment, de se voir uniquement sous un angle
négatif, et de ne pas reconnaître ses forces ou ses qualités. Cette attitude
peut être le signe d'une faible estime de soi, d'un manque de confiance en soi,
ou même d'une forme de colère refoulée.
Tant
à apprendre!
Finalement,
l’article décrit les composantes de la véritable humilité :
- Une
juste connaissance de soi: Savoir reconnaître ses forces et ses faiblesses,
sans pour autant se rabaisser ou se surestimer.
- L'acceptation
de ses limites: Reconnaître que l'on est imparfait et que l'on a besoin de
l'aide de Dieu et des autres.
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L'humilité, c'est aussi respecter les formes de la vie, et ne pas volontairement faire de mal à plus petit que soi. Photo par Christine Yelle.
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Un
site laïc va dans le même sens avec des mots très justes :
«La
fausse modestie est une attitude hypocrite où quelqu'un, sous couvert
d'humilité, cherche en réalité à attirer l'attention ou obtenir des
compliments. C'est une manière affectée de minimiser ses propres qualités ou
réalisations, souvent dans le but de susciter une réaction positive de la part
des autres. En d'autres termes, la fausse modestie est une tentative de
paraître humble, mais avec un agenda caché, souvent lié à la vanité.
Il
ressort que la modestie consiste en montrer de la retenue dans l'appréciation
de soi-même et de ses qualités. L'humilité, elle, n'est ni dans la surenchère,
ni dans la retenue. Elle est justesse, vertu "de celui qui mesure tout ce
qui lui reste à apprendre et le chemin qu'il lui reste à parcourir".»
(Fleur
d’avocat, lettre #29)
Je
suis pèlerin et j’ai tant à apprendre encore! Et non, je ne serai jamais bon en
sports!
Pour
poursuivre la réflexion :
https://www.passeportsante.net/fr/psychologie/Fiche.aspx?doc=modestie-difference-humilite
https://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Comportement/Articles-et-Dossiers/Etre-humble-ce-n-est-pas-etre-modeste
Sources des illustrations: Collection personnelle, Wikipédia (Domaine public, PD-US)