MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



mercredi 1 février 2023

DVOŘÁK AUTREMENT (1 DE 6)

Dvořák autrement

Première partie (de six)


Après le cycle d’articles que j’ai consacré à Joseph Haydn, je vous propose maintenant un cycle sur Antonín Dvořák (1841-1904), le compositeur de la mythique Symphonie du Nouveau Monde – mais qui a écrit beaucoup plus que cette seule œuvre! 
Si vous ne connaissez pas cette Symphonie, la Neuvième du compositeur, voici une belle interprétation en concert, par l'Orchestre de la Radio de Francfort, sous la direction d'Andres Orozco-Estrada:

 

Introduction


J’avoue ne pas avoir une prédilection pour la musique romantique, soit la musique du XIXe siècle après Beethoven. Compositeur parmi les plus représentatifs du Romantisme, Franz Liszt me semble avoir bien dit les choses : «Notre musique est malade parce que notre époque est malade». Remarquez qu’il y a toujours eu des gens pour affirmer que leur époque est «malade»! Mais il est beaucoup plus rare qu’un artiste aussi éminent reconnaisse que la musique de son époque, incluant la sienne, est elle-même malade. Évidemment, le Romantisme a beaucoup apporté à l’art musical. Jamais la musique n’avait déversé un tel torrent émotionnel et sonore sur les auditeurs! En héritière de Beethoven, la musique romantique cherche à saisir, à terrasser même, voire à violer qui l’écoute : des instruments de plus en plus sonores, des orchestres de plus en plus gros, une technique vocale faite pour «projeter» le son plus fort et plus loin; une subjectivité exacerbée qui s’exprime dans une musique bipolaire où alternent les moments d’exaltation euphorique avec des moments de grande mélancolie et de profond désespoir… 

 

Franz Liszt: «Notre musique est malade
parce que notre époque est malade».
Portrait par Henri Lehmann, 1839.

Je comprends tout cela, mais j’arrive mal à l’aimer. Les compositeurs romantiques qui me touchent le plus sont donc atypiques. Lorsque je repasse la musique de ce XIXe siècle et que je prends le temps de bien y penser, un compositeur émerge qui me comble vraiment et dont je peux dire aimer presque tout ce qu’il a écrit. Je peux aussi dire pouvoir écouter sa musique pendant des heures sans ressentir de lassitude, contrairement à celle des autres Romantiques qui m’induit assez rapidement un sentiment de déprime. Sans surprise, ce compositeur ne correspond pas au profil habituel de l’artiste romantique – il était d’ailleurs peu attiré par la littérature tourmentée et utopique de son temps. Sans surprise encore, ce compositeur est «regardé de haut» par les enfiévrés du Romantisme qui ne distinguent pas en lui la «grandeur». Il a beau figurer parmi les compositeurs les plus enregistrés et joués de toute la musique classique occidentale, une réputation de «facilité» lui colle à la peau – son succès public est un indice suspect : «Un grand petit maître ou un petit grand maître», comme me le disait mon «ami» le critique Claude Gingras. Tant et si bien que certains l’ont réduit au statut d’un «gentil musicien» sans grande importance. 

La meilleure biographie de
 Dvořák en français, avec 
quelques bémols.

 
Mais écoutons! Écoutons-le, écoutons sa musique, dans la vérité, sans cette couche de crasse, de préjugés et de clichés, et voilà que les choses apparaissent sous un jour bien différent : celui d’un des compositeurs les plus accomplis de ce XIXe siècle. Il s’agit d’un Tchèque, et il se nomme Antonín Dvořák (1841-1904). La maison de disques tchèque Supraphon ne pêche pas par chauvinisme en le présentant comme un compositeur «fascinant» : sa musique est réellement fascinante. Encore faut-il la connaître. Pour la connaître vraiment, il faut écouter Dvořák autrement. Sans négliger ses «premières œuvres» qui sont déjà «fascinantes». Il est vrai que son œuvre est plus inégale que celle de son ami Johannes Brahms – mais elle n’est pas si inégale en fait : seule sa musique pour piano, faite d’œuvres secondaires pour l’essentiel, ne peut se comparer à celle de Brahms. Autrement, Dvořák s’est montré plus aventureux en abordant des genres que Brahms n’a pas abordés, notamment l’opéra. Mais dans les domaines de la musique de chambre et de la musique orchestrale, Dvořák fut un maître accompli.

Note. Dvořák a donné des numéros d’opus à ses œuvres, mais pas à toutes. En bon commerçant, son éditeur Simrock bousillera un peu ce catalogue en publiant des œuvres «anciennes» sous des numéros d’opus élevés, afin de les faire passer pour des œuvres nouvelles. L’œuvre de Dvořák contient 115 numéros d’opus. Pour remettre les œuvres en bonne chronologie et pour inclure des pièces sans numéro d’opus, Jarmil Burghauser publiera son catalogue raisonné des œuvres de Dvořák dans les années 1960. Ce catalogue compte 206 œuvres achevées et classées chronologiquement. La mention B 56 signifie la 56e œuvre au catalogue Burghauser et, donc, la 56e œuvre complète composée par Dvořák et qui nous soit parvenue.


 

Dvořák autrement. Partie 1.

 


Rat des champs, rat des villes


Dans la biographie qu’il lui a consacrée, Guy Erismann prend plaisir à souvent qualifier Dvořák de «gentil paysan», en ajoutant «naïf» à l’occasion. Pourtant, cet auteur sait parfaitement que Dvořák n’était pas un paysan! M. Erismann n’est d’ailleurs pas seul à réduire ce compositeur à ce statut : ce cliché se retrouve presque partout où l’on parle de Dvořák. Déjà le regard est faussé, et ce cliché à la vie dure distord tout.


«Le conseil tenu par les rats».
Gravure de Gustave Doré (XIXe s),
pour une édition des Fables
de La Fontaine.


Oui, Dvořák est né dans le village de Nelahozeves, mais ce village n’est situé qu’à une trentaine de kilomètres de la capitale, Prague. Ses parents œuvraient dans la restauration : à part peut-être le jardinet familial, Dvořák n’a jamais travaillé la terre. Il l’aurait fait que cela ne serait d’ailleurs pas un déshonneur! Je sens une sorte de «racisme de classe sociale» à caricaturer Dvořák comme un «paysan». La Grande Culture ne peut se développer que dans les Grandes Villes, n’est-ce pas?! Les musicologues et bien des artistes sont des Rats des villes qui toisent de haut les Rats des champs, quelques fois en ayant oublié qu’ils sont eux-mêmes nés Rats des champs. Quand ils commentent des œuvres de Dvořák, il y a un sous-texte condescendant : «Il se prend pour qui, ce petit paysan, pour oser composer des symphonies?!»; du coup, ils vont s’amuser à déceler des «faiblesses», du «manque de rigueur», un attachement «passéiste» à la Nature, etc., en déceler et surtout en inventer de toutes pièces.  

Chemin de fer passant à Nelahozeves,
le village natal de Dvořák. Le musicien
restera fasciné par les trains toute sa vie.
 
Dvořák a des origines villageoises et modestes. Vrai, mais en quoi est-ce surprenant? Au XIXe siècle, la grande majorité de la population, en Europe tout comme dans mon Québec natal, vit en milieu rural ou semi-rural, dans de petites villes et des villages. L’exode rural et l’inversion de la proportion au profit des villes ne surviendront qu’après la Deuxième guerre mondiale au XXe siècle. Ne serait-ce que statistiquement parlant, il n’y a aucune surprise à ce qu’un musicien majeur du XIXe siècle soit né dans un tel milieu! D’ailleurs ne fut pas le seul, pas même parmi les Romantiques : Anton Bruckner ou Giuseppe Verdi sont eux aussi nés dans en ce milieu. En Bohême, le pays de Dvořák (la Bohême, la Moravie et une partie de la Silésie forment aujourd’hui la République Tchèque), les villages étaient des pépinières exceptionnelles de musiciens. À l’époque de Dvořák, il y avait déjà très longtemps que la Bohême avait cette réputation, que ses musiciens avaient essaimés et étaient engagés dans toute l’Europe grâce à leur immense talent musical naturel.  

Dvořák préférera toujours vivre dans de petites villes, pas très loin d’une grande ville : il refusera poliment toutes les invitations pour s’établir à Vienne, tout comme il refusera (moins poliment) les pressions pour faire de l’allemand sa langue d’usage. Une proximité avec la nature lui est importante, chose que redécouvrent bien des gens en nos temps de pandémie.


 

Être bien là où je suis


Prague en 1834. Par Adam August Müller,

Mais en fait, Dvořák avait le don d’être bien là où il était. En 1857, à l’âge de 17 ans, il se rend à Prague pour étudier la musique à l’École d’orgue. Il y étudiera essentiellement les matières théoriques et les instruments, alors qu’il est un autodidacte volontaire pour la composition. Après sa graduation, il sera altiste dans des orchestres : dans un orchestre «populaire», puis dans l’orchestre du Théâtre provisoire où il jouera sous la baguette de chefs et de compositeurs réputés, dont Smetana et Wagner. Cette expérience pratique de l’orchestre est la source première de son expertise dans l’écriture symphonique. Dvořák vivra chichement à Prague, surtout après avoir décidé de quitter l’orchestre en 1871 pour se consacrer exclusivement à la composition, mais sans se plaindre le moindrement du monde. C’est ce qui frappe chez lui : ce don d’être bien là où il est. Il fera plusieurs séjours prolongés à Londres où il se sentira bien, plusieurs visites à Vienne où il s’adapte bien, il sera heureux en Russie et encore aux États-Unis dans la Grande Ville de New York où il vivra de 1892 à 1895 pour être professeur au Conservatoire national. Ce Rat des champs trouve du bonheur partout! Cet amoureux de la Nature (et des Pigeons qu’il adore!) voit les beaux côtés de la modernité : Dvořák était passionné par les trains, les chemins de fer, et il visitait les gares pour son plaisir d’observer ces engins de métal crachant de la vapeur qui représentaient alors la technologie de pointe en matière de transport.

Avec Anna, son épouse,
à Londres en 1886.


Sa musique est à cette image, celle d’un homme autant enraciné qu’ouvert, celle d’un homme qui sait être heureux – comme l’amour, le bonheur se fait. Sa musique est solaire et pulpeuse qui contient «beaucoup de notes», elle mord dans la vie, elle s’émerveille, jamais blasée ni revenue de tout. Du coup, elle fait figure presque d’ovni en ce XIXe siècle «malade» et sujet à la dépression! Mais la joie de Dvořák est profonde. L’homme avait une caractéristique qui déroute encore bien des gens : bien que cela semble contradictoire, il était un introverti heureux. En regardant les photos de lui, vous trouverez peut-être qu’il ne sourit pas et vous vous demanderez s’il était vraiment heureux; mais regardez bien les photos de cette époque et vous constaterez que les gens ne souriaient pas souvent à la caméra! «Il a eu la vie trop facile pour être un grand artiste» : ce leitmotiv du Romantisme n’est pas pertinent, car Dvořák a bel et bien connu la pauvreté matérielle à Prague (il devait vivre avec un colocataire afin de pouvoir avoir un toit). Dvořák n’a pas moins vécu d’épreuves que quiconque. Comme artiste, il a vécu le fait d’essuyer des refus – beaucoup de refus pendant plusieurs années, et certaines de ses œuvres ont été mal reçues : il a connu l’échec autant que la gloire. Comme homme aussi, la vie a été rude par moments. Le pire fut assurément ces années terribles de 1875-77 où, en plus de perdre sa mère, il a perdu coup sur coup ses trois enfants. Peu de couples survivent au décès d’un enfant, mais combien survivent au décès de trois enfants en deux ans?! Celui qu’il formait avec son épouse, la cantatrice Anna Čermáková (1854-1931) en sortit plus uni que jamais, et ils auront six autres enfants par la suite.
Hum! En passant, Dvořák était un fervent catholique – là encore, une foi axée sur la joie et sur la vie, non sur la crainte du péché et la peur de l’enfer : les Dvořák ont eu leur premier enfant cinq mois après leur mariage, ce qui signifie que…


Une musique pulpeuse qui mord dans la vie. Déjà ses premières œuvres l’étaient et presque trop. Mais les commentateurs ont exagéré ce «trop», et ces premières œuvres sont bien plus mûres qu’immatures. Le Quintette #1 pour piano et cordes, opus 5 de 1872 n’a pas grand-chose à envier au célèbre Quintette #2 pour la même formation et dans la même tonalité de La majeur venu quinze ans ans plus tard. Alors que les musicologues répètent sans cesse que les premières œuvres de Dvořák ont tendance à être «prolixes», le Quintette #1, avec ses trois mouvements, est au contraire plus dense et concentré que le Quintette #2, plus détendu de caractère! En fait, Dvořák invente dès ses premières œuvres un matériau personnel qu’il sait très bien développer, à sa manière : celle d’une sensibilité et d’une intelligence arborescentes. Dvořák a beau être un des plus grands mélodistes de tous les temps, il sait vraiment quoi faire avec ses mélodies et il n’est vraiment pas qu’un «compositeur de thèmes». J’y reviendrai plus loin dans ces articles.

 


Folklore imaginaire


Le Père František Sušil, 
un pionnier de l'ethnomusicologie. 

 
À l’appui du cliché «Dvořák paysan» est le fait que ses premières œuvres publiées furent des chansons et des danses. Mais il faut voir les choses autrement, car elles sont autres en effet. Encore au début des années 1870 alors qu’il a 30 ans, Dvořák vit pauvrement. Aucune de ses œuvres n’a encore été publiée, sa musique est très peu jouée, et il doit donner des leçons pour subvenir à ses besoins – heureusement, il a obtenu une bourse destinée aux «musiciens pauvres mais de talent», bourse qui lui sera renouvelée pendant quelques années. Parmi ses élèves se trouvaient les enfants de la famille Neff. Ian Neff est un homme d’affaire mélomane. Se prenant d’affection pour le musicien, il lui présente le livre Chants populaires moraves de František Sušil (1804-1868). Ce prêtre catholique fut un pionnier de l’ethnomusicologie et il a recueilli plus de 2000 chansons populaires de Moravie, paroles et musique, et plus de 2000 autres encore pour les seules paroles. Son livre offre une sélection de ce répertoire. Monsieur Neff a proposé à Dvořák d’arranger quelques-unes de ces chansons avec accompagnement de piano.

Première édition du Premier livre
de Danses slaves, chez Simrock.
À noter que l'éditeur a germanisé 
prénom du compositeur mais a conservé
les accents de son nom de famille!


Dvořák s’est pris au jeu. Je reviendrai plus loin sur l’ethnomusicologie mais, pour le moment, je signale que Dvořák allait faire quelque chose de nouveau. Depuis quelques décennies, des éditeurs avaient publiés des recueils de chansons populaires. Certains éditeurs avaient fait appel à des compositeurs renommés pour qu’ils dotent ces mélodies d’un accompagnement. C’est ainsi que, par exemple, Joseph Haydn avait arrangé plus de 500 chansons écossaises et gaéliques en ajoutant violon, violoncelle et piano aux mélodies. Dvořák aurait donc pu se contenter de faire ainsi à son tour. Mais ce n’est pas ce qu’il fit. Dvořák conserva les paroles des chansons, mais il leur composa des mélodies de son propre cru : il créait ce que Béla Bartók allait nommer bien plus tard du folklore imaginaire! Je souligne ceci parce qu’avant Dvořák, très peu de compositeurs avaient créé un tel folklore imaginaire, et aucun n’avait autant exploré cette voie aussi intensivement. Il harmonise, souvent à deux voix, ces mélodies et leur donne un accompagnement pour piano : harmonisations et accompagnement simples et raffinés et qui respectent l’atmosphère populaire de ce folklore imaginaire. En fait, Dvořák avait déjà commencé à faire avant la suggestion de Neff. Son premier essai dans le genre semble dater de 1872 : Quatre chansons sur des poèmes populaires serbes (opus 6 / B 29). Avec grâce à Neff, les choses s’accélèrent en 1875 avec, entre autres, Quatre Duos moraves sur des poèmes populaires (opus 20 / B 50) suivis d’autres Duos moraves en 1876 : opus 29 / B 60 et opus 32 / B 62, et encore en 1877 avec trois nouveaux recueils, dont l’un avec des paroles de chansons tchèques. En 1878, Dvořák élargit son rayon en utilisant des textes de chansons populaires de Grèce et de Lituanie. La même année 1878, il élargit autrement son folklore imaginaire, cette fois dans le domaine instrumental : pour piano à quatre mains (deux pianistes sur le même piano!), il compose une série de Danses slaves (opus 46 / B 78) dont il fait aussitôt une version pour orchestre.

Dirigées par Karel Sejna: l'une des meilleures
versions sur disque des Danses. Cela danse
vraiment et décoiffe par moments!


Une de ces années-là, Dvořák a la brillante idée de joindre quelques-uns de ses Duos moraves à sa demande de renouvellement de bourse pour «musicien pauvre». Les membres du jury, d’éminents musiciens allemands et viennois, seront complètement subjugués! L’un d’eux, Johannes Brahms recommande illico à son éditeur berlinois Simrock de publier ces pièces de Dvořák. Simrock accepta et contacta Dvořák pour lui demander d’autres pièces. Ces toutes premières œuvres que Dvořák voyait être publiées lui apportèrent la célébrité, les Duos moraves et les Danses slaves. Simrock insista longtemps pour que Dvořák lui offre un deuxième cahier de Danses slaves, mais il devra patienter jusqu’en 1886 pour recevoir ces huit autres Danses slaves, opus 72, à nouveau pour piano quatre mains et à nouveau aussitôt offertes aussi en version pour orchestre. Ces Danses ont obtenu un succès international instantané : à partir de ce moment, Dvořák put enfin vivre de sa plume. 
 
MUSIQUE: Les Danses slaves (deux recueils de 6 danses), dans leur version pour orchestre (l'original est pour piano quatre mains), par l'Orchestre Philharmonique tchèque, dirigé par Karel Sejna. Allez hop: dansons!

Je signale la belle édition
par thèmes (musique chorale,
musique orchestrale, etc.)
en sept coffrets cartonnés
de différentes couleurs, publiée
par la maison Supraphon.

Pour lui, c’était une revanche sur un autre plan. Dvořák était bon pianiste (il assurera la partie de piano lors de la création de son Trio #3), mais il n’était pas un virtuose et la virtuosité ne l’a jamais intéressé; il n’est pas non plus un de ces pianistes-compositeurs comme Chopin, Schumann, Liszt et autres. Son œuvre pour piano est d’importance secondaire, mais en ajoutant deux mains et en écrivant pour piano quatre mains, une magie s’installe. L’écriture des Danses slaves est extraordinaire, et le critique allemand Ludwig Ehlert, blasé par les œuvres éditées qu’il lit de plus en plus distraitement, revient à la vie : «Une musique habitée par un naturel céleste (…), aucune trace d’écriture maniérée. Nous avons ici à faire avec des œuvres parfaites et non à du pastiche. L’humour se taille une part de lion. Les basses sont si originales et si joyeuses que le cœur ne peut que sauter de joie!». Oui, ce sont des danses (sur du folklore imaginaire), mais de la musique de génie. Outre les deux cahiers de Danses slaves, Dvořák composera aussi pour piano quatre mains deux autres recueils tout aussi réussis mais d’un autre caractère : Dans la forêt de Bohême (opus 68 / B 133; 1884) et les quasi impressionnistes Légendes, qu’il orchestrera en des textures subtiles et délicates (opus 59 / B 117; 1881).

La partition éditée des Duos et des Danses est un énorme succès de vente. Un don et une malédiction tout à la fois : car dès lors, le nom de Dvořák sera associé à des œuvres courtes d’inspiration populaire, et le compositeur devra forcer la main à Simrock pour qu’il publie aussi ses Symphonies, ses Quatuors à cordes et autres musiques de chambre. Là, Dvořák s’est montré être un négociateur habile et dur, non un homme  gentil et naïf! S’il n’avait pas tenu tête, la postérité l’aurait cantonné à la musique légère; mais même en ayant tenu tête, le cliché du paysan lui collera à la peau!

 

À SUIVRE


Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US) et sites commerciaux pour les disques et livres suggérés.