MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



vendredi 4 janvier 2013

L'ESPRIT ENVOÛTEUR

L'Esprit envoûteur 

Symphonie concertante pour flûte en sol. harpe, cordes et percussions (opus 9)

La partition et le matériel d'exécution sont disponibles au Centre de musique canadienne:

Contact:  atelier@cmccanada.org  ou / or  quebec@cmccanada.org
 
L'Esprit envoûteur a connu une longue maturation. Composée entre 1983 et 1985, j'ai retravaillée cette œuvre en profondeur en 1999, et elle fut créée en concert en 2002 (une partie fut bissée). L’œuvre dure environ 28 minutes.

Esquisse de l'Interlude / (C) 1983-1999 Antoine Ouellette SOCAN
 
 
Que «raconte» donc L'Esprit envoûteur? En 1983, je ne connaissais pas ma condition autistique mais cette œuvre la traduit très bien et est inspirée par le thème du rejet social, souvenir inconscient de mon traumatisme du Secondaire (intimidation physique et psychologique subie quotidiennement): significativement, c'est la pièce la plus ambitieuse que j'ai composé jusqu'alors, en durée et en effectif (L'Esprit demande environ 25 musiciens). 
La légende d'origine parle d’un Indien handicapé rejeté par sa communauté parce qu’il ne peut contribuer à sa sécurité matérielle. Peiné, il erre dans la forêt et entend une musique envoûtante. Il rencontre alors une Indienne jouant de la flûte. Cette musique le transporte hors du temps. L’Indienne lui fait cadeau d’une grande quantité de provisions qu’il ramène à son village. À son retour, tous sont étonnés : il était disparu depuis si longtemps qu’on le croyait mort. Plus encore : il rapporte de quoi assurer la subsistance de la communauté pendant très longtemps. Mais la musique l’a transformé. L’Indienne flûtiste était en fait un esprit envoûteur et, à son contact, il en est devenu un à son tour. Ne pouvant plus vivre parmi les humains, il quitte le monde visible dans un tourbillon de vent et de fumée, sous les yeux de sa communauté médusée qui pleure alors son départ et regrette l’avoir si mal traité jadis… 
Cette légende me touchait profondément, car elle parlait de la solitude, des handicapés ou marginaux contre qui s’exerce de la violence. Je ne pouvais pas ne pas m’identifier au personnage principal. D’une certaine façon, cette symphonie est une critique sociale. Mais sa musique n’est ni agressive ni nourrie de colère. Un sentiment de paix, de départ serein s’y exprime.
Aujourd’hui, je vois le lien entre L’Esprit envoûteur et mes expériences de vie. Mais à l’époque, tout avait été intuitif. 
 
L’Esprit envoûteur compte cinq mouvements pour une durée totale d’environ 28 minutes. Les mouvements impairs sont brefs (Prélude, Interlude, Postlude), tandis que les mouvements pairs sont plus longs et de style narratif : ils «racontent» l’histoire (Premier tableau, Deuxième tableau). Le Prélude campe une atmosphère magique et nocturne (il se termine dans le silence avec une machine à vent, ou éoliphone, et des mobiles en bois). Le Premier tableau dépeint la solitude d’un homme rêveur qui, handicapé et mauvais chasseur, est rejeté par les siens (solo de harpe), puis l’apparition d’un Esprit envoûteur le charmant avec sa flûte. Après une danse lunaire (Interlude), le Deuxième tableau est celui des incantations qui culminent en un sommet sonore fracassant. Dans le Postlude, la flûte lointaine chante ses vocalises sur les harmonies profondes des cordes qui disparaissent peu à peu en se confondant avec le vent dans les feuilles des arbres.
 
Aucune tonalité ne se fixe: le langage musical est vécu ici sans pesanteur comme en un rêve (ce qui rejoint la dimension surnaturelle de la légende), et les percussions (qui jouent presque constamment) éclairent la musique de l'intérieur comme en un halo lunaire. Or, oui, il y a bel et bien une tonalité principale dans L'Esprit, mais elle agit en coulisse, presque sans jamais de montrer, sinon du bout du nez et à peine! Pourtant, le principe de la musique tonale est, au contraire, d'affirmer la tonalité, et son moteur est la tension créée autour de cette tonalité. Mais justement, la musique comme la légende parlent ici d'un monde qui est hors du monde matériel.
Depuis L'Esprit, j'ai composé d'autres pièces qui procèdent exactement de même, avec une «tonalité furtive» mais néanmoins agissante.
 
Extrait de l'Interlude, version finale / (C) 1999 Antoine Ouellette SOCAN

La première exécution de l'oeuvre a eu lieu le 16 février 2002 en l’église Saint-Benoît-Abbé de Hull (Gatineau), avec Claire Marchand à la flûte, Caroline Léonardelli à la harpe, et l'Orchestre de chambre de Hull était dirigé par Louis Lavigueur.