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vendredi 13 mai 2022

SONATE SAINT FRANÇOIS. POUR PIANO ET CORDES (OPUS 8)

Sonate Saint François 
Pour piano principal et orchestre à cordes (ou quintette à cordes), 
opus 8
Durée : c. 27 minutes

La partition complète et les parties sont disponibles au Centre de musique canadienne: atelier@cmccanada.org

Le jeune François renonce
publiquement aux richesses de sa famille.
Par Giotto (1267-1337)


Cette Sonate n’est pas à proprement parler de la musique religieuse : je dirais plutôt qu’il s’agit d’une musique spirituelle inspirée d’un saint qui fut écologiste et pacifiste avant la lettre, d’un saint qui fut un homme de dialogue et de pauvreté – la consommation n’était pas du tout sa tasse de thé! Sur ces plans, il demeure un idéal pour mes contemporains qui se veulent tout cela… sans y parvenir. Il est vrai que saint François avait une foi qui donne des ailes.

La Sonate Saint François a connu une genèse longue et difficile. La semence en fut un exercice demandé par Monsieur Clément Morin dans son cours de langage musical que je suivais en 1982 alors que j’étais étudiant à la faculté de musique de l’Université de Montréal. Cet exercice consistait à composer une monodie sur l’hexacorde grégorien ut-ré-mi-fa-sol-la. Comme cette année 1982 marquait le Huitième Centenaire de la naissance de saint François d’Assise, j’ai choisi de mettre ainsi en musique son Cantique des créatures, sorte de «charte écologiste» où Dieu est loué pour «toutes ses créatures» : soleil, lune, étoiles, vent, eau, feu, terre… Cette mélodie est ensuite devenue le fondement du premier mouvement d’une Sonate pour alto et piano. Achevée en 1983, j’en étais insatisfait au point de l’avoir souvent révisée par la suite. En 1993, j’avais cru parvenir à une version «définitive» mais mon insatisfaction demeurait. En 2009, suite à diverses circonstances, j’ai repensé à cette sonate rétive et décidé de la transformer en la présente œuvre, travail achevé en septembre 2010 : ouf!

Quant à la monodie d’origine, je l’ai retouchée pour en faire le premier des quatre motets formant le Premier Livre de Symphonies sacrées (opus 24). 

 
Monodie sur le Cantique des Créatures, extrait. Premier Livre de Symphonies sacrées (opus 24)
(C) 1982 / 1998 Antoine Ouellette Socan
 


Saint François apprivoise
le terrible Loup de Gobbio.
Par  Carl Weidemeyer-Worpswede, 1911


Je peux donc dire que c’est celle de mes pièces qui a été la plus difficile à mener à bien! Pourtant, cette musique sonne spontanée, heureuse et est facile d’accès (du moins, je le pense). Comme quoi l’œuvre finale ne reflète pas nécessairement le travail et les tourments qu’elle a pu exiger au pauvre compositeur… Cette pièce ne propose pas une confrontation dramatique entre le piano et les cordes. Au contraire, inspirée par la spiritualité pacifiste de saint François, elle est un dialogue amical entre eux. Je dirais que le ton de la Sonate est amical et chaleureux : une musique en courbes et en rondeurs, avec très peu d’angles. Cela dit, l’œuvre ne manque pas d’énergie non plus. La partie de piano est importante, mais ce n’est pas une partie soliste : l’œuvre n’est pas un concerto. C’est plutôt de la musique de chambre, un sextuor pour piano et cordes (deux parties de violons, une d’alto, une de violoncelle et une de contrebasse) élargi en orchestre à cordes. Cela dit, il est parfaitement possible de jouer la pièce à six musiciens seulement, d’autant plus qu’il n’y a aucun divisi.

La Sonate saint François date de ma «première période», celle qui couvre mes neuf premiers numéros d’opus, une période marquée par la «tonalité aérienne» et quelques traits encore immatures. C’est avec Paysage, pour quatre pianos (opus 10; 1987) que tous les éléments se mettront en place. Les trois mouvements de la Sonate se terminent plus ou moins de la même manière apaisée, sur une harmonie de FaM7 (accord de septième majeure sur Fa). L’œuvre semble donc être en Fa majeur, mais un Fa majeur plus modal que tonal : par exemple, dans le premier mouvement, la note dominante de ce Fa majeur est Ré et non Do.

La Sonate est en trois mouvements, de durées à peu près égales, qui ne correspondent pas aux mouvements habituels d’un concerto. Il n’y a d’ailleurs pas de mouvement lent à proprement parler. Par contre, la Sonate est la pièce où j’ai le plus flirté avec les formes traditionnelles… sans y succomber tout-à-fait non plus.

Le premier mouvement, Cantique, s’ouvre sur la mélodie tirée du Cantique des créatures : «… Loué sois-tu Seigneur avec toutes tes créatures… Le Soleil, rayonnant d’une grande splendeur : de Toi Très-Haut, il est le symbole…». C’est quasiment une forme sonate à deux thèmes, mais le deuxième thème n’a qu’une fonction accessoire, un rôle de transition. En revanche, le motif d’accompagnement du thème principal a une grande importance thématique au point de supplanter la mélodie principale ici et là. 

Sonate saint François. Extrait du premier mouvement. Au piano: la monodie; aux cordes, des motifs d'accompagnement qui prendront une grande importance par la suite. (C) 2010 Antoine Ouellette Socan

Cette mélodie et les motifs d'accompagnement forment ici et là de grandes progressions sonores, comme des vagues

Sonate saint François. Page du premier mouvement. (C) 2010 Antoine Ouellette Socan

Le deuxième mouvement, Louange, est un chant de joie inspiré d’un poème de saint François pour la Nativité, lui aussi d’une portée cosmique : «… Que les cieux se réjouissent, que la Terre exulte, que jubile la mer avec ses habitants, que fleurissent les plaines et chantent les forêts!»… 


Sonate saint François. Page du deuxième mouvement. (C) 2010 Antoine Ouellette Socan.

Ce mouvement ressemble à un scherzo avec trio (section centrale contrastante); mais après le trio, il n’y a pas de reprise du scherzo : la musique prend un tempo très large et un ton hymnique, comme une version ralentie et solennelle du scherzo. 


Sonate saint François. Extrait de la conclusion du deuxième mouvement: la musique est comme au début, mais avec des valeurs plus longues. (C) 2010 Antoine Ouellette Socan

Le dernier mouvement, Hymne, s’inspire de cette magnifique prière franciscaine Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Le thème est constitué de quatre groupes de deux accords (la basse est fondamentale), une structure reflétant celle du texte : «… Là où se trouve la haine, que je mette l’amour. Là où se trouve l’offense, que j’apporte le pardon. Là où se trouve le désespoir, que je mette l’espérance. Là où se trouve la tristesse, que je mette la joie…». 

Sonate saint François. Page du troisième mouvement: l'accolade ajoutée indique le thème, ses harmonies et sa basse. (C) 2010 Antoine Ouellette Socan

Ce troisième mouvement est une série de variations sur une basse, mais les variations sont très libres et la basse pas systématiquement affirmée. La dernière variation est la plus sonore, mais la coda est légère qui ramène l'harmonie de septième majeure sur Fa.


Sonate saint François. Variation syncopée, presque jazzée, dans le troisième mouvement.
(C) 2010 Antoine Ouellette Socan

Donc, la Sonate représente un flirt avec une sorte de néoclassicisme, mais les pièces que je composerai après celle-ci iront vers d’autres horizons et des formes non «classées».

Les trois mouvements ont été composés en ordre inverse : j’ai commencé par le dernier pour terminer par le premier. Or à cette époque, le diatonisme m’attirait de plus en plus et cette évolution transparait dans la Sonate, mais à rebours : le mouvement le plus chromatique (mais pas très chromatique) est le troisième; le deuxième mouvement l’est moins, et le premier est presque diatonique (mais pas entièrement). Mais à l’audition de la Sonate, chaque mouvement à sa place, nous pourrions avoir l’impression que mon évolution avait été l’inverse : du diatonisme vers le chromatisme!

Sources des illustrations: Collection personnelle et Wikipédia (Domaine public, PD-US).