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mercredi 1 octobre 2014

SUITE CELTIQUE, POUR HARPE / PARTITION PDF

SUITE CELTIQUE
Pour harpe, opus 6 (1983; révision : 1988 / 2014)

1. Prélude 
2. Barde 
3. Courante 
4. Légende  
5. Gigue lointaine 

Pour obtenir la partition: 

https://www.dropbox.com/s/1qfvt2zi75ikz1f/Suite%20celtique.pdf?dl=0

Pour écouter la Suite celtique:

Cette partition est offerte pour usage privé. Pour toute performance en concert, seule la partition éditée est autorisée, et seul le Centre de musique canadienne est autorisé à la copier, la louer et la vendre.

This sheet music is offered for private use. For any concert performance, only the edited sheet music is authorized, and only the Canadian Music Centre is authorized to copy, rent and sell it.

Contact: atelier@cmccanada.org  ou / or  quebec@cmccanada.org

Cette musique est / This music is: © Antoine Ouellette SOCAN

 

Début de Barde, deuxième mouvement de la Suite celtique / (c) 1983 Antoine Ouellette Socan

Les origines familiales de la Suite celtique

Les apparences de la musique peuvent être trompeuses! Certaines gens croient ainsi que, parce que telle musique «sonne simple», elle est simple, dans sa facture ou dans la réflexion qu’elle a demandée. Quel mirage! C’est là bien peu connaître les mystères et les arcanes de la création artistique. La réalité est qu’une musique apparemment simple peut avoir nécessité beaucoup de méditation, de travail, de renoncements, de discipline, etc. Et justement, ma Suite celtique, peut-être mon œuvre la plus «simple» en apparence, est le fruit d’un travail des profondeurs. Je vous fais donc pénétrer un peu dans mon atelier intérieur, afin de vous conscientiser à ce que l’on n’entend pas nécessairement lorsqu’on écoute une pièce, bien confortablement installé…
Ernest Hébert !1817-1908): La musicienne.
Il est une personne qui, elle, ne l’a pas trouvée si simple, la Suite celtique : ma sœur Geneviève. Geneviève s’était acheté une belle harpe celtique, et j’ai eu l’idée de lui écrire quelques pièces «faciles». Hum… Peut-être qu’elle osera s’y attaquer un jour – il est vrai que sa carrière ne lui laisse pas tellement de temps libre pour jouer sa harpe. 
Je ne suis pas «un pur-sang canadien-français». Comme bien d’autres gens, je suis un métis en quelque sorte, car mon arrière-grand-père paternel, lui, est venu d’Irlande. Sa raison est limpide : sa famille a fui la grande famine qui s’est abattue sur l’île verte au 19e siècle. C’était un Morrin – prononcez : Mowrînne. Issu d’une famille farouchement catholique, il s’est fait un délicieux plaisir de faire un pied-de-nez aux Britanniques d’ici en apprenant le français et en s’intégrant à la communauté canadienne-française! Un jour, lors d’un repas en famille, sa petite fille, la sœur de mon père, âgée de quelques années à peine, s’est choquée contre son père et a brandi un couteau à steak en menaçant de le poignarder. Tout fier, l’Ancêtre Morrin s’était alors exclamé : «Wow! Une vraie Irlandaise, la petite!». Je ne suis pas violent; je suis gentil, patient, doux, à l’écoute, mais cet héritage rebelle vit en moi. Encore une fois, il ne faut pas nécessairement se fier aux apparences. D’une certaine manière, la Suite celtique est une œuvre rebelle, mais pas dans le sens conventionnel. Par contre, on y trouvera sans peine un écho de la sensibilité celte : fascination pour le mystère, les paysages brumeux, les légendes teintées de surnaturel.

Début de la Gigue lointaine, cinquième mouvement de la Suite celtique / (c) 1983 Antoine Ouellette Socan
 
Les origines médiévales de la Suite celtique

J’ai rapporté cet événement marquant dans Musique autiste. Lorsque j’ai commencé à étudier la musique à l’université en 1982, j’ignorais presque tout de la musique médiévale. Mais voilà, la vie étant ce qu’elle est, la première rencontre du cours d’histoire de la musique du Moyen âge allait me réservait une surprise de taille. Pour nous accueillir au local, la prof a fait jouer un disque de l’Ensemble Venance-Fortunat intitulé Le mystère de la Résurrection. Dès les premières notes, j’ai été saisi, illuminé. Le choc dépassait largement celui de la nouveauté. La première pièce du disque était un bref organum à deux voix, une composition anonyme du XIIe siècle sur la mélodie grégorienne Benedicamus Domine. Cette pièce ne ressemblait pas du tout aux musiques qui me passionnaient alors, et voilà que cette minute et demi de musique provoqua en moi un bouleversement comme je n’en avais jamais connu! Les musiques que j’aimais tant jusque-là ont pâli, comme en un cataclysme instantané, irréversible et totalement imprévisible.
Dessin de Richard Doyle (1824-1883)
Dès lors, j’ai voulu non seulement tout savoir mais pratiquer cette musique. Je me suis donc joins au Chœur grégorien de Montréal que dirigeais Jean-Pierre Pinson. Quelques années plus tard, j’allais moi-même diriger cette musique merveilleuse. Mais le petit organum de même que le grégorien ont aussi été une révélation pour la composition : ces musiques m’ont aidé à mieux discerner ce que je cherchais. Certains éléments du grégorien trouvaient en moi un écho profond : le diatonisme (j’y reviens plus loin), le caractère monodique (mélodie pure, sans accompagnement), la pensée modale, le rythme non pulsé et non mesuré, la résonance du son. Le chant grégorien date d’une époque où les églises étaient construites en pierres, ce qui leur conférait une acoustique réverbérante où le son vit pleinement. Le grégorien ne nécessite pas d’accompagnement car la résonance du lieu fait que la mélodie s’accompagne elle-même. C’est dans cet esprit que j’utilisais déjà la résonance. Par exemple, au piano, je demande que l’on tienne longuement la pédale forte. Dans L’Esprit envoûteur, j’emploie des percussions comme le vibraphone, les cymbales suspendues et les tam-tams («gongs») pour prolonger les notes des autres instruments et créer des halos de résonance les entourant.

Au moment même où je tâtonnais en direction de la musique atonale (j’avais toujours 100% en solfège et en dictée atonales!), la musique médiévale allait providentiellement m’empêcher de suivre cette voie devenue académique. J’ai donc aussitôt délaissé la Fantaisie atonale pour piano sur laquelle je travaillais. Le choc de la musique médiévale ne fut pas une influence mais une révélation, une «épiphanie» musicale qui a précipité la cristallisation de mes tendances profondes.

Nils Blommér: Elfes dans la prairie (1850)
Rompant avec le dogme du chromatisme, j’ai adopté le diatonisme. Qu’est-ce que le diatonisme? Il en existe différentes définitions dont celle-ci que j’adopte : une pièce diatonique utilise exclusivement les notes d’un mode, à l’exclusion de toutes autres notes. Une pièce diatonique est donc construite sur un nombre limité de sons. Le chant grégorien procède ainsi, comme la musique classique de l’Inde et aussi plusieurs musiques du monde. Le fait de composer une pièce à partir de peu de sons rejoignait aussi la focalisation de l’esprit Asperger : explorer un fragment, un intérêt précis, découvrir un univers immense dans ce qui pour d’autres n’apparait être qu’un détail. C’est un peu comme peindre en camaïeu, avec différents tons d’une seule et unique couleur. En musique, on obtient ces différents tons d’une même couleur en en jouant avec le rythme, la respiration, le silence, la résonance : il est alors toujours possible de créer une infinité de formes avec un nombre limité de sons. Face aux innombrables possibilités qui s’offrent désormais aux compositeurs, cette «contrainte volontaire» représente un défi considérable mais très stimulant pour moi, et très satisfaisant. Au lieu de cocktails multicolores, de l’eau de source, froide, limpide, minérale, désaltérante! 
 
Ma première pièce diatonique fut le Cantique des créatures en 1982. Cette pièce chorale sur le texte célèbre de saint François d’Assise sera par la suite intégrée aux Symphonies sacrées (quatre motets pour chœur a cappella), opus 24. J’ai composé la Suite celtique l’année suivante, en 1983, et j’ai apporté des petites retouches en plusieurs occasions dans la partition, cela jusqu’en 2014 alors que j’en achevais l’édition. La Suite celtique se caractérise donc par un «diatonisme intégral» : elle n’utilise que l’échelle donnée par les notes ré, mi bémol, fa, sol, la, si bémol et do.

Échelle modale de la Suite celtique
 
La Suite celtique a été un point de départ. Si son aspect harmonique n’est pas conventionnel, sa rythmique l’est davantage. La Suite fait alterner des pièces rapides et des pièces lentes, mais le rythme y demeure souple et les tempos soumis à plusieurs fluctuations. Tout de même, il s’agit essentiellement d’un rythme mesuré. Or, un autre aspect des musiques modales diatoniques est leur grande liberté rythmique : on y trouve, oui, des rythmes mesurés francs mais aussi des rythmes échappant à toute mesure voire même à toute pulsation clairement établie. Dans certaines de mes premières pièces, j’avais déjà utilisé de tels rythmes, mais ils se retrouvent peu dans la Suite, peut-être parce que inconsciemment j’y cherchais d’abord à maîtriser le diatonisme. 

C’est en composant Paysage, pour quatre pianos, en 1987, que je réussirai finalement le mariage du diatonisme radical et de la diversité rythmique. 
 

Source des images autres qu'extraits de partition: Wikipédia: Domaine public PD-US