Odanak / Une foi chez les autochtones
Totem au Musée des Abénakis |
3. Un abbé fils de Grand chef
4. Pentecôte
5. L'évangélisation comme faux prétexte
6. Sainteté
7. Gilles Ottawa
Depuis quelques temps, un couple Abénaki vient à la messe à l'église où je vais aussi. Ils ont vécu de grands deuils au cours des derniers mois. Je leur ai parlé à quelques reprises. Des gens bien. Leur présence m’est un signe d’espérance. Avec tout ce qui s’est dit et écrit ces derniers temps au sujet de l’Église catholique et des Autochtones, ces deux personnes auraient pu trouver de bonnes raisons d’en vouloir à l’Église. Mais tout au contraire, elles viennent prier. Possèdent-elles une meilleure capacité de discernement, une plus grande aptitude au pardon? Je ne le sais pas, mais j’apprécie leur présence.
L’abbé Rémi et le Musée
Ces derniers temps, il a été dit et écrit sur tous les tons que l’Église catholique avait tenté de détruire les cultures autochtones du Canada. Cela a été vrai mais, comme souvent, la réalité est plus complexe.
Je vis à Sorel-Tracy sur les bords du Lac Saint-Pierre. À quelques kilomètres de chez moi se trouve donc Odanak, un village (ou plutôt, juridiquement parlant, une réserve) de la Première nation Abénakie.
Les amateurs d’exotisme seraient déçus : accolée à la petite municipalité de Pierreville, ses maisons ressemblent à celles de sa voisine. Une sculpture extérieure ici et là signalent le monde autochtone. Déjà à l’arrivée des Français dans la région, les Abénakis vivaient surtout en sédentaires, ou semi-sédentaires. À Odanak, un superbe musée présente leur culture et leur histoire, avec des fresques de Frédéric Back.
Musée des Abénakis, Odanak. Ce superbe musée a été crée par l'abbé Rémi Dolan et la communauté. |
Je
déplore qu’il y ait eu des pensionnats pour Autochtones au Canada. Même sans
les incidents d’abus qui se sont déroulés ici et là dans ces pensionnats, je
crois que la formule était faussée dès le départ. Pour moi, l’enseignement
auprès des enfants doit se faire en proximité et dans la culture. À mes yeux et
selon mon expérience de pédagogue, il aurait plutôt fallu créer des écoles dans
les communautés elles-mêmes, des écoles de type externat où la culture de la
communauté aurait été elle aussi matière d’enseignement. C'est exactement ce que fait depuis 2011 le collège Kiuna à Odanak. Magnifique: https://kiuna-college.com/fra/
Il n’y a pas eu de pensionnat à Odanak. Il y eut plutôt une école dirigée par les Sœurs grises. Ce contexte met en lumière les ambiguïtés des relations entre Autochtones et non-autochtones, y compris les ambigüités liées au Catholicisme.
Le Père Aubery et la langue abénakie
Robert Rogers, l'incendiaire d'Odanak |
Ce ne serait pas surprenant : Odanak est une petite communauté de moins de 500 personnes environnée de villages francophones, dans une région francophone. Des efforts sont cependant en cours pour redonner vie à cette langue. La principale source pour cette renaissance est l’œuvre… d’un missionnaire jésuite!
À l’époque de la Nouvelle-France, des religieux, des religieuses et des missionnaires avaient fait de réels efforts pour comprendre les cultures amérindiennes. Le jésuite Pierre-Joseph Aubery (1673-1755) avait ainsi rédigé un Dictionnaire Français – Abénaquis en 1715, après avoir écrit un ouvrage sur cette culture, Racines Abénaquises (1712).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Aubery
Le pasteur James Evans, inventeur d'une écriture pour des langues autochtones, toujours en usage. |
Mais heureusement pas ce Dictionnaire qui sera édité par la suite. Cet ouvrage est l’une des bases de l’actuelle tentative de redonner vie à la langue abénakie.
La langue abénakie ne fut pas la seule à bénéficier dus compétences de missionnaires. Dans les années 1830, le pasteur méthodiste James Evans inventa l’écriture syllabique pour noter la langue des Cree. Dans les années 1880, ce système fut utilisé pour écrire l’inuktitut, la langue principale des Inuits. Cette écriture est d’une grande beauté graphique; par exemple, le début du premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme :
ᐃᓅᔪᓕᒫᑦ ᐊᓂᖅᑎᕆᔪᓕᒫᑦ ᐃᓅᓚᐅᕐᒪᑕ ᐃᓱᒪᕐᓱᕐᖢᑎᒃ
https://www.cwjefferys.ca/rev-james-evans-teaching-indians-his-system-of-cree-syllabic-writing
https://fr.wikipedia.org/wiki/Inuktitut
L'abbé Joseph de Gonzague était lui-même Abénaki, fils de Grand chef! |
Intérieur de l'église d'Odanak. Ironiquement, avec la fermeture d'églises dans les villages autour d'Odanak, c'est là que la messe est célébrée dans la région - autrement dit, chez les Autochtones. |
Pentecôte
Le parlement canadien à Ottawa, avant l'incendie de 1916. |
Le Canada est officiellement fondé en 1867 et sa constitution accorde d’emblée au gouvernement fédéral l’autorité exclusive de légiférer sur «les Indiens et les terres réservées pour les Indiens». Par exemple, les Premières nations du Québec dépendent non d’elles-mêmes ni du gouvernement du Québec, mais du seul gouvernement fédéral. Il faut noter que les Amérindiens n’ont jamais été consultés lors de la rédaction de la constitution du Canada.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_sur_les_Indiens
Le gouvernement fédéral adopte sa Loi sur les Indiens [sic] en 1876. Tout est mis en œuvre pour «encourager» ceux-ci «à quitter leur statut et leurs cultures traditionnels pour intégrer la société canadienne». Comme l’a exprimé en 1920 Duncan Campbell Scott, le surintendant général des Affaires indiennes du Canada, «l’objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’Indiens et plus de problème indien, ni de département des Affaires indiennes»: que l’on soit pour ou contre, c’était franchement assumé! En 1885, certaines cérémonies traditionnelles sont interdites; en 1914, une autorisation écrite doit être obtenue pour porter certains costumes traditionnels, etc. Curieusement, le régime des réserves en sort renforcé : en sortir fait perdre le statut d’«Indien». Bref, il s’agit d’un régime de tutelle.
Duncan Campbell Scott, un de ces politiciens canadiens qui désirait «en finir avec le problème indien» |
Le gouvernement a obtenu la collaboration de congrégations religieuses, dont des congrégations catholiques, pour parvenir à cette fin. Il m’est difficile de comprendre pourquoi ces dernières ont accepté, alors que tout aurait dû les mettre en garde contre ce projet. Le Christianisme est la spiritualité de l’Incarnation : en toute logique pastorale, l’Incarnation devrait se traduire par l’inculturation, à savoir l’adaptation de l'annonce de l'Évangile dans une culture donnée. Le Christianisme est aussi spiritualité de la Pentecôte. Lors de la Pentecôte, les disciples se sont adressés à une foule réunissant des gens de plusieurs cultures. Ces gens furent étonnés : «Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
La Pentecôte. Missel du XIVe siècle. National Library of Wales (domaine public) |
Autrement dit,
sous l’influence du gouvernement fédéral, des congrégations catholiques ont mis
de côté l’Esprit de la Pentecôte. C’est regrettable. Le Collège Kiuna est le genre d'approche qu'auraient pu et dû mettre en place ces congrégations dans l'Esprit de la Pentecôte..., mais elles ne l'ont malheureusement pas fait.
L’évangélisation comme faux prétexte
Jésus marche sur les eaux: le Grand chamane. Par Ivan Aivazovsky, c.1890 |
Dès 1658, Marie de l'Incarnation documentait le pèlerinage des Autochtones vers Sainte-Anne-de-Beaupré : cette année-là, des marins bretons sauvés du naufrage grâce à leurs prières à sainte Anne, la mère de Marie, avaient entrepris de construire une église en son honneur à cet endroit. Les Innus ont aussitôt adopté sainte Anne, l’aïeule pour eux qui vénèrent les Anciens et la famille, cela au point que dans leur langue juillet se dit Shetan-Pishim, qui se traduit par «le mois de sainte Anne». Cette dévotion et le pèlerinage vers le sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré près de Québec est donc une tradition de plus de 350 ans et qui est toujours bien vivace. Alors, l’évangélisation n’était qu’un prétexte mensonger.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1115070/autochtone-religion-innu-sainte-anne-messe-pelerinage
Marie de l'Incarnation, témoin du pélerinage des Innus à Sainte Anne dès les années 1650 (Peinture anonyme, XIXe siècle) |
Avec les mêmes résultats dans la culture : explosion de la toxicomanie, de la violence, des maladies mentales et du suicide. Tout cela s’est fait au nom d’un seul et même dieu : la modernité. Car pendant que l’on parquait les Amérindiens dans des réserves et décapitait leur culture, les intérêts financiers ont fait main basse, avidement et sans le moindre obstacle, sur les richesses de leurs territoires.
La Basilique Sainte-Anne-de-Beaupré |
Gilles Ottawa est un historien Attikamek et il a été lui-même scolarisé au pensionnat de Pointe-Bleue (Mashteuiatsh) entre 1965 et 1969. Il est l’auteur du livre Les pensionnats indiens au Québec : un double regard (éditions Cornac, 2010). Dans le contexte où, ces derniers mois, l’on a décrit ces institutions comme de véritables enfers, ce livre est troublant. Il se peut que les pensionnats autochtones du Québec, comme celui où a été M. Ottawa, fonctionnaient un peu différemment, d’autant qu’ils avaient été créés bien après les premiers du genre ailleurs au Canada. Or le jugement de l’auteur est nuancé, et il parle d’un «bilan mitigé» pour ces pensionnats (page 77). Il montre que les aspects négatifs prédominaient : éloignement de la famille, déracinement de la culture, sévices, désespoir, etc. Mais il note aussi des apports positifs. Ainsi, l’enseignement dispensé au pensionnat était complet, «d’ordre général et a permis à la plupart des jeunes Autochtones d’en sortir diplômés et instruits (…). Nombreux sont ceux à avoir par la suite réussi professionnellement» (page 85). L’auteur reconnait que «ces pensionnats ont été à l’origine de l’émergence d’une culture mixte et, il faut l’admettre, d’une nouvelle génération de jeunes éduqués devenus depuis chefs de leur Nation ou encore cols blancs dans le secteur public» (page 2 de couverture). En page 89, il ajoute, hum, que certains pensionnaires sont devenus prêtres et religieuses et, en page 35, il informe que d’anciens pensionnaires seront enseignants… dans des pensionnats autochtones! Il mentionne aussi que les activités autres qu’académiques étaient «nombreuses» (page 63) et que les sports et la musique étaient des «disciplines d’excellence» (page 90). De plus, à Noël, les enfants recevaient des cadeaux : «La plupart en recevaient un pour la première fois, les parents n’ayant jamais eu les moyens de leur en offrir» (page 43).
C'est un livre à lire, de première source. Reste qu'à mon avis et comme je l'ai écrit plus haut, ce système de pensionnats était faux dès le départ.
Sources des illustrations: Collection personnelle, site commercial pour le livre recommandé, Wikipédia (Domaine public, PD-US)