Les Mages et l'étoile
1. L’étoile
mystérieuse
2. Aux
nations
3. Marcher
Si
je devais choisir un personnage de l’Évangile auquel m’identifier, je pense que
je serais un mage, un de ces mages qui, venu d’Orient et guidé par une étoile,
est allé rencontrer Jésus enfant auprès de Marie et Joseph. À ma manière, je
suis un mage puisque je suis scientifique de formation et musicien : art,
science, spiritualité. Chaque dimanche, je fais route avec l’étoile en allant à
la messe pour adorer le Seigneur. Ne possédant pas d’or, j’apporte plutôt ma
vie en offrande, incluant ce qui en elle n’est vraiment pas de l’or. La différence est que je suis resté en présence du Christ, tandis que les mages ont dû rebrousser chemin après coup pour échapper à la colère du roi Hérode. Mais peut-être que leur cœur est resté.
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Les Mages. Par James Tissot, c. 1890
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Des
mages, il n’est pas dit dans l'Évangile qu’ils étaient rois. Ni leurs noms ni leur nombre ne
sont précisés : la tradition des «trois rois mages» est bien postérieure
dont la première trace écrite date du Ve ou VIe siècle.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rois_mages Je
suis donc étonné que certains puissent affirmer, par exemple, que «Gaspard est
originaire de l'Inde. C'est le plus jeune des rois mages. Il est décrit comme
étant imberbe et possédant une peau hâlée»!
Cela
illustre un problème : que ce soit pour inventer des détails ou, au
contraire, pour en éliminer, plusieurs ont brodé sur l’Évangile au gré de leurs
croyances, de leurs idées ou de leur fantaisie. Plus gravement, des gens ont
présenté leurs broderies comme des faits avérés sur le mode affirmatif.
J’espère éviter cela ici! En s’accumulant au fil du temps, ces broderies ont
fait croire que certaines choses se trouvent dans l’Évangile qui ne s’y
trouvent pas, et que d’autres choses qui s’y trouvent ne s’y trouvent pas. Au bout du compte, la foi chrétienne est peu et mal connue pour ce qu'elle est en vérité.
L’étoile
mystérieuse
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NASA, ESA et G. Bacon (STScI) Domaine public, PD-US
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Je
note que l’année précise de la naissance de Jésus étant inconnue, l’an 1 après
Jésus-Christ est une simple convention. Jésus a pu naître peu avant ou peu
après cette date conventionnelle. Plusieurs «explications» ont été données au
sujet de l’étoile qui a guidé les mages. Pour les uns, il s’agit en fait de la
conjonction des planètes Jupiter et Saturne qui provoque comme une grande
étoile : ce phénomène a lieu tous les 714 ans, dont sept ans avant J.-C.
Pour d’autres, il s’agit d’une nova, une étoile très brillante, qui s’est
manifestée durant cinq mois, cinq ans avant J.-C. D’autres encore affirment que
l’étoile fut la conjonction survenue deux ans avant J.-C. de deux planètes,
Vénus et Jupiter, avec Régulus, une étoile réelle et très brillante : or
en astrologie, Jupiter est la «planète des rois» et Régulus l’«étoile des rois».
Du coup, nos mages étant réputés être des astrologues ont interprété cette
conjonction comme un présage.
https://fr.aleteia.org/2017/01/05/quelle-etait-letoile-qui-a-guide-les-rois-mages/
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Les Mages. Illustration médiévale.
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…
et donc…? Aucune de ces «explications» ne fonctionne! Elles sont même assez
ridicules. Si l’étoile avait été un tel phénomène astronomique «spectaculaire»
et évident, c’est une grande foule de mages et d’astrologues qui aurait dû se
mettre en marche. Cette étoile a un comportement totalement atypique :
elle bouge à une vitesse si tranquille qu’il fut possible aux mages de la suivre!
Elle apparait, disparait, réapparait, en peu de temps, et surtout elle s’arrête
une fois parvenue à destination : «Et voici que l’étoile [que les mages]
avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter
au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils
se réjouirent d’une très grande joie» (Évangile selon saint Matthieu. Chapitre
2, versets 9 et 10).
Avez-vous
déjà vu une étoile qui se promène dans le ciel pour s’arrêter au-dessus d’une
maison?! Pas moi. Aucune étoile ne fait ainsi!
Le
rédacteur de Wikipédia a la drôlerie d’écrire : «La recherche contemporaine
s'accorde sur la dimension légendaire et fictionnelle de l'épisode auquel
l'astronomie ne peut apporter de réponse». Légendaire?! Quel légendaire y
aurait-il là?! S’il était question de l’apparition de fées, oui, il y aurait
légende; s’il était question d’un dragon, oui à nouveau, et encore s’il était
écrit que ces mages possédaient de superpouvoirs! Mais il n’y a rien
d’improbable à ce que des mages soient venus : les mages existaient bel et
bien à l’époque au Moyen orient. Le «merveilleux» des Évangiles n’a rien à voir
avec du fantastique : c’est un «merveilleux réaliste», le même
«merveilleux réaliste» que l’on peut voir dans notre vie si l’on a les yeux ouverts,
que l’on peut sentir si l’on a deux sous de sensibilité et si l’on n’est pas
revenu de tout, complètement blasés et désenchantés.
Inutile
donc de chercher un quelconque phénomène astronomique : cette étoile était
une «étoile intérieure». Qui sait, peut-être même un Ange? L’étoile s’est
adressée à quelques mages d’Orient pour les faire aller vers Jésus dont la
Parole, en retour, ira aux Nations. C’est là la signification spirituelle de
l’étoile et de la visite, réelle, des mages : «Je n’avais ni guide, ni
lumière, excepté celle qui brillait en mon cœur. Cette lumière me guidait, plus
sûrement que celle du Midi, au lieu où m’attendait Celui qui me connait
parfaitement», écrira saint Jean de la Croix dans le poème ouvrant son livre La
nuit obscure. Pour ce grand mystique espagnol du XVIe siècle, la foi est une
nuit. Et en cette nuit, brille une étoile unique.
Aux
nations
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Dessin du VIIe siècle représentant le Dimanche des Rameaux dans une église chinoise. Incroyable: il y avait des Chrétiens en Chine au VIIe siècle!!!
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Donc,
ce mois-ci, le 6 Janvier en certains pays mais le dimanche 8 Janvier au
calendrier liturgique, ce sera la «fête des rois». Hum, la «fête des rois», en
fait l'Épiphanie, soit la manifestation de Dieu aux nations - les nations étant
représentées par les mages venus rencontrer l'enfant Jésus.
Le
Christianisme est généralement associé à l'Occident. Mais le Christianisme
dépasse largement ces frontières: il est né au Moyen Orient; il y a eu des
chrétiens en Palestine, Grèce, en Syrie, en Inde avant qu'il n'y en ait en
Occident, sauf à Rome. Le premier État à s'être déclaré chrétien ne fut ni
l'Italie ni la France mais l'Arménie!Connaissez-vous
Rabban Çauma? Je ne vous en veux pas parce qu’il a vécu au XIIIe siècle. Aussi
étonnant que cela puisse paraître, Rabban Çauma, Ouïghour né à Pékin en Chine,
est un moine chrétien! Un roi mongol lui avait confié une mission diplomatique
qui lui fera accomplir «le premier voyage officiel connu, dans le sens
est-ouest, de Pékin jusqu'à Rome et Paris, à l'époque où Marco Polo prenait le
chemin inverse». Incroyable : un natif de Pékin a rencontré le Pape au
XIIIe siècle! Je me demande vraiment comment cet homme a pu connaître le Christ
à Pékin au XIIIe siècle!!! Les Chrétiens ont l’esprit d’aventure!
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L'Adoration des Mages. Par Fra Angelico et Fra Filippo Lippi
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L'Épiphanie
souligne une particularité chrétienne que l'on a oubliée: le Christianisme
n'est pas une spiritualité ethnique plus ou moins liée à tel groupe culturel.
Le Christianisme est universaliste dans son essence: tout le Nouveau Testament
va clairement en cette direction. Saint Paul écrit: «Ce mystère n’avait pas été
porté à la connaissance des hommes des générations passées (...): ce mystère, c’est
que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au
partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de
l’Évangile». Il y a plus de 2000 ans, le Christianisme parlait déjà de la Terre
comme d'un village global! Il en parlait mais, surtout, il lui contribuait en
lui donnant l’élan nécessaire : «Allez! De toutes les nations faites des
disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit»
(Évangile selon saint Matthieu; chapitre 28, verset 19). Le Christianisme a été
un puissant moteur de rencontre entre les nations à l’échelle planétaire. Ce ne
fut pas toujours simple ni vertueux, ce ne l’est toujours pas, mais c’était un
mouvement irrépressible de l’Histoire, un mouvement sous le souffle de l'Esprit. Rien ne pouvait s’opposer à cet élan.
Marcher
Marcher,
comme les Mages. Cheminer… L’Évangile propose un cheminement. Il invite à se mettre en marche, au sens propre et / ou figuré. Le
Christianisme pourrait donc aussi être considéré comme une «philosophie»: une philosophie de pèlerin, de la marche, du chemin.
De quelle manière?
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Vitrail des Mages, c. 1896. Église du Bon Berger, Rosemont, Pennsylvanie.
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L’Évangile est le point de départ et la matrice première de…
...
de l’égalité hommes-femmes : il y a deux mille ans et dans un contexte n’y
disposant pas, Jésus n’a jamais montré la moindre misogynie. Il a constamment
considéré les femmes comme aussi dignes que les hommes – les rangs de ses
disciples comptaient d’ailleurs plusieurs femmes. En passant, pour qui juge que
la Trinité Père, Fils et Esprit Saint est bien masculine, pour ne pas dire
machiste ou «patriarcale», je souligne que dans la langue de Jésus, l’araméen,
l’Esprit est féminin.
…
de la séparation de l’État et de la religion : «Rendez à César ce qui est
à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Évangile selon saint Matthieu. Chapitre
22, versets 17 à 22).
…
des droits de la personne : Jésus se présente comme une personne, et il
parle de personne à personne avec autrui, sans aucune distinction.
…
de l’aide soutenue aux malades et aux pauvres : Jésus a opéré quantité de
guérisons, y compris de lépreux alors victimes d’un ostracisme complet. Le
nombre d’œuvres caritatives que le Christianisme a suscité au fil de deux
millénaires est incalculable et sans aucun équivalent ailleurs.
S'il n'a pas été le premier à l'avoir pratiqué, Jésus prônait fermement la non-violence. Il n’a jamais guerroyé, bien au contraire!
De plus, le Christianisme a mis un terme aux sacrifices rituels d’animaux et d’humains : bienvenue les véganes! Il n’y a qu’un seul sacrifice, celui de Jésus, et un seul Agneau pascal : le Christ lui-même.
Il
y a un danger de prendre tout cela pour acquis, l’histoire le démontre
amplement. En délaissant le Christianisme, le grand risque est de voir ces
conquêtes s’effriter peu à peu.
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L'Adoration des Mages. Par Rubens.
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Certains
me répliqueront néanmoins que ce ne fut pas toujours évident dans l’histoire
du Christianisme. Mais justement, c’est que
l’Évangile se situe bien au-devant de nous, comme un appel. Comme une étoile.
«Personne n’approche autant de la connaissance de la vérité que celui qui
comprend que, dans les choses divines, même s’il avance beaucoup, il reste
toujours quelque chose à chercher», écrivait le Pape Léon 1er, qui a régné de
440 à 461.
C'est une particularité du Christianisme: alors que la quasi totalité des religions et sagesses du monde tendent vers des sociétés fixes, le Christianisme est mû par un dynamisme irrépressible vers l'avant. Les sociétés qui l'ont adopté et compris marchent vers un «terre nouvelle», comme l'annonçait saint Jean. Les traditions, oui, mais bousculer les traditions lorsqu'elles plombent l'élan aussi, comme Jésus a bousculé les traditions juives dont il était héritier. Bousculer ma tradition, nos traditions mais encore d'autres traditions au besoin: la vie n'est pas un musée et la personne humaine n'est pas un conservateur de musée! Pas de karma ni de destin dans le Christianisme: rien n'est écrit d'avance, personne non plus!
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Saint Jean: «Et j'ai vu une Terre nouvelle»
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Digne héritier d'une «Histoire sainte» (comme on surnommait jadis la Bible avec raison) - une histoire, c'est-à-dire une propulsion dans le temps, le Christianisme a généré les sociétés les plus évolutives jamais connues, cela dans tous les domaines, à commencer par les arts, les sciences, les techniques, mais aussi les relations entre personnes: aide soutenue aux pauvres, aux handicapés, aux malades, etc. Il a donné les idées de progrès et de modernité, quoi qu'on puisse penser d'elles (qui sont peut-être des déviations). Il est arrivé que ces sociétés pilent sur les pieds des autres, mais que d'apports positifs aussi si nous faisons un bilan honnête! La grande question est de savoir comment poursuivre la marche maintenant. On ne semble pas le savoir, comme si nous avions perdu boussole et radar. Malgré les tentations actuelles, peut-on ou veux-t-on vraiment revenir vers du tribalisme?
Le Christianisme possède cependant une autre carte majeure dans son jeu: clairement et explicitement, la voie de l'Évangile en est une de sobriété. Nos sociétés qui se disent désormais «post-chrétiennes» sont en fait des sociétés chrétiennes qui «sont passées tout droit» en se complaisant dans l'abondance et la surconsommation. Le pèlerinage chrétien n'est pas une accumulation de biens matériels, de luxes et de plaisirs épicuriens! Cultiver la sobriété, le silence, la contemplation et, oui, la prière est une autre forme du pèlerinage chrétien, peut-être la plus pertinente aujourd'hui.
Chercher, être en marche, se tromper, se relever, méditer les belles
choses que l’on trouve, en lien avec l’Esprit Saint : «Nous gardons
toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant
que nous demeurons dans ce corps. Nous cheminons dans la foi, non dans la
claire vision» (Saint Paul. Deuxième Lettre aux Corinthiens. Chapitre 5, verset
6). Accepter l’inévitable imperfection. «Le passé à la miséricorde, l'avenir à la Providence et le présent à l'amour» (Saint Jean XXIII).
Et
marcher. Comme les Mages.
Sources des illustration:
Collection personnelle et Wikipédia (Domaine public, PD-US).