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jeudi 2 mai 2013

DANIEL DARC (1959-2013): LE CHANTEUR QUI AIMAIT (TROP) LE NOIR

DANIEL DARC (1959-2013) :
LE CHANTEUR QUI AIMAIT [TROP] LE NOIR

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C’est avec une tristesse certaine que j’apprenais, quelques jours de partir pour la Belgique, le décès à 53 ans du chansonnier français Daniel Darc - un décès subi, mais prévisible, survenu le 28 février dernier. Monsieur Darc  a été retrouvé sans vie par son producteur, dans son appartement du 11e arrondissement de Paris. Un mélange d'alcool et de médicaments serait à l'origine de sa mort : «accident» ou suicide? Il y avait longtemps que le pauvre homme se brûlait le système à grands coups de substances diverses…

Source: Amazon.fr
Oui, avec une tristesse certaine. Parce que, si je connais pas tous les disques de Daniel Darc, il en est un que j’ai, Crève coeur, et que je considère comme un presque chef d’œuvre (je suis d’un naturel avare des compliments superlatifs…) et l’un des meilleurs parmi la section pop de ma petite collection discographique – encore que je ne sache pas s’il s’agit vraiment de musique pop ici. Je n’aime pas la musique des grandes vedettes pop : deux chansons de Madonna, je m’ennuie terriblement, une troisième et j’ai des idées noires. Pourtant, enfant, j’adorais ce style. Et j’écoutais mes chansons préférées, comme celles de Elvis Presley, en boucle sans fin – à la manière typiquement autiste! Mais je me suis un peu fâché avec ce style à l’adolescence alors que je me suis rendu compte que cette musique, parlant supposément de Paix et d’Amour, était précisément la préférée de mes camarades bourreaux qui ne m’appréciaient que comme terrain de jeu pour leurs penchants sadiques. Alors je me suis dit que ou bien ils ne comprennent pas ce qu’ils écoutent, ou bien tout cela n’est que de la frime, du commerce. J’ai gentiment conclu que c’était un mélange des deux, et j’ai découvert d’autres domaines musicaux à explorer. Depuis, s’il est de la musique pop que j’aime, c’est de celle qui se situe quelque part aux confins de ce style, à peu près jamais dans le mainstream. Et justement, c’est dans ces confins que se situe Daniel Darc.

Daniel Darc est né Daniel Rozoum dans une famille juive, originaire de Russie et de Lituanie. Ses grands-parents ont fui la Russie lors de la révolution de 1917. Sa grand-mère fut arrêtée durant une rafle et mourut en déportation – ah, chers amis progressistes de gauche, elle devait être une dangereuse «ennemie du Peuple»! Dès son enfance, l’ami Daniel manifeste quelques tendances autodestructrices, comme chercher à s’électrocuter en jouant dans les prises de courant.

En entrevue au Monde en 2004, il expliquait : «J'ai voulu être rabbin - il deviendra plutôt anarchiste libertaire avant de se convertir au Protestantisme. Dans les années 1970, je n'écoutais que du rock des années 1950. Le punk a changé tout ça. J'y retrouvais la même excitation, mais la musique était connectée à la réalité». Chez les Punks, beaucoup d'artistes de la scène ont adopté une attitude nihiliste exprimée par la devise des Sex Pistols – le groupe Punk culte : «No Future». [Je sens que vous commencez à vous demander ce que je fais là-dedans ! Mais attendez voir…].

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En 1978, alors qu’il est élève au lycée Balzac à Paris, Daniel Darc rejoint le groupe Taxi Girl. Qui connaîtra le succès avec le hit Cherchez le garçon de 1980. Mais ce beau monde-là construisait sur du solide : «Au début de Taxi Girl, je prenais du speed, racontait Darc en 2004. Un mec est venu dans les loges me proposer un shoot d'héroïne. J'avais trouvé là le truc pour vaincre ma timidité maladive, ce qu'un médecin a appelé ma phobie sociale». Les sources diffèrent sur la date mais pas sur le fait : lors d’un concert vers 1980, il s'ouvre les veines «pour le fun», «éclaboussant de sang un public trop paisible à son goût» selon Le Monde. La production discographique du groupe se limitera à un seul album (Seppuku, 1981), suivie du décès par overdose de son batteur et du départ de deux autres membres qui n’en pouvaient probablement plus…

En parlant généreusement, Wikipédia dit qu’ensuite «Daniel Darc poursuit une carrière solo», en fait une série d’échecs commerciaux et d’albums confidentiels, et une vie imbibée de multiplies toxicomanies qui passent proches de le laisser mort en plusieurs occasions.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Darc

Produit avec soins et paru en 1994, l’album Nijinsky aurait pu relancer sa carrière. Une tournée de concerts est amorcée, mais la forme physique pour le moins imprévisible du chanteur plombe le projet : le groupe Pure Sins (!) qui l’accompagnait le largue et, lui, complètement intoxiqué se ramasse en prison. Ouf ! [Vous vous demandez vraiment ce que je peux apprécier là ! Attendez encore un peu]

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Une rencontre finira enfin par changer les choses quelques années plus tard. Un admirateur prend contact avec Darc et fait le pari de relancer sa carrière. C’est Frédéric Bonnet, dit Frédéric Lo, un homme orchestre : chanteur, multi-instrumentiste, réalisateur musical, compositeur, arrangeur, producteur qui a notamment travaillé avec Stephan Eicher et Maxime Le Forestier. Quant à son projet de collaboration avec Darc, Frédéric Lo raconte : «Personne n'y croyait. Un directeur artistique m'a même demandé : "Tu donnes dans la réhabilitation sociale ?" Le fait est que Daniel a beaucoup de mal à écrire seul. Tout s'est fait dans mon salon. Je lui proposais des musiques, il écrivait sur le vif. Nous avons vite compris qu'il se passait quelque chose». Certains jours oui, d’autres non : «Nous avons également connu des moments difficiles. Daniel est d'une santé fragile, complètement esquinté par les excès passés. Pendant cette année et demie qu'a duré cette aventure, il a failli mourir trois fois».

Le résultat fut ce disque que j’aime beaucoup : Crève cœur qui, paru en 2004, remporta un bel accueil (avec de bonnes ventes aussi), de même qu’un trophée Victoire de la musique pour «la révélation de l’année». Ce succès relance la carrière de Darc et lui ouvre de nouvelles portes. En 2008, un deuxième album avec Frédéric Lo est publié : Amours suprêmes. La taille de mon âme a suivi en 2011, cette fois en collaboration avec Laurent Marimbert. Le succès demeure au rendez-vous, et inspire plusieurs projets : de nouveaux disques avec Marimbert, Manou et un troisième opus avec Lo; une autobiographie avec le journaliste Bertrand Dicale. Le 23 février 2013, il donne un concert sur la scène de la Gaieté Lyrique : ce sera sa dernière apparition publique avec la nouvelle de son décès dans des circonstances consternantes.

Résultat de recherche d'images pour "daniel darc rock folk"Pauvre petit bonhomme ! Côté consommation, le succès ne lui valait pas mieux que les échecs... Ses obsèques ont eu lieu dans la matinée du jeudi 14 mars au temple protestant de l'Oratoire du Louvre de Paris suivies de l’inhumation en début d’après-midi au cimetière Montmartre. Le journal Le Monde écrit : «Ses chansons résonnaient de la conscience de s'être trop brûlé. Son parlé-chanté à la blancheur fragile possédait la lucidité du survivant, une élégance désespérée nourrie par ce que la vie lui avait donné, pris ou esquinté. "Quand je mourrai, j'irai au paradis / C'est en enfer que j'ai passé ma vie", chantait-il, en 2008, dans l'album Amours suprêmes». http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/02/28/daniel-darc-retrouve-mort_1840999_3246.html

Comment décrire Crève cœur? Vous pouvez l’écouter en streaming via le lien suivant :
http://grooveshark.com/#!/album/Cr+ve+Coeur/6185818

Une œuvre subtile, «miracle de délicatesse et de mélancolie» (Wikipédia). Avec de la luminosité aussi, voire du sourire ici où là. Lorsque je l’écoute, il m’arrive de trouver que ces chansons sont davantage déclamées, presque parlées, plutôt que véritablement chantées; d’autres fois, c’est leur musicalité qui s’impose à moi. Elles tiennent du chanté-parlé, quelque chose de gracile et fragile, en apparence du moins parce qu’il y a aussi là un je ne sais quoi de tragique, comme un fond de colère tamisée. L’instrumentation n’est jamais envahissante, quelques instruments seulement : la voix en est d’autant mise en valeur. Une utilisation raffinée de l’électro concourt à l’aspect lunaire du tout. La dernière plage consiste en la lecture du Psaume 23, le Psaume du Bon berger, où Darc s’accompagne à l’harmonica. Car en Crève cœur, le Punk désespéré rencontre Dieu, ce qui donne des textes très intéressants, avec des fulgurances de génie. En voici un exemple, celui de Un peu c’est tout, la septième des douze plages du disque :

Parfois je ne sens rien
je perds l’équilibre
et c’est tout

Parfois le matin
je me réveille à genoux
tout bascule en arrière
Quelques larmes de verre se brisent
Le dégoût me paralyse
un peu c’est tout

Parfois je me sens bien
au fond de mon corps
des va-et-vient
j’ai mal mais c’est bien
Lentement je joins les deux mains
espérant à peu près tout
pourtant rien ne vient
Un peu de vide et puis c’est tout

Les garçons verts
Les gestes bleus
Je chuchotte quelques mots :
«Pardonnez nos enfances
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont enfantés»

… la dernière phrase étant une variation vertigineuse sur le Notre Père : «Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés». Superbe! C’est donc une rencontre magique entre Darc et Lo qui est proposée ici et dont jamais, tout au long du disque, ne fléchit la beauté.

Source: Amazon.fr
Mais je dois dire que certains commentaires qui j’ai retracé sur la Toile m’ont frappé par leur étrangeté. Il arrive, cherEs amiEs, qui vous m’inquiétez un peu! Le croirait-on? Des fans préféraient savoir Daniel Darc souffrir dans sa vie. Ainsi ce commentaire d’un admirateur un peu déçu du disque suivant, Amours suprêmes (2008) Nyjinski, juste avant la chute, Crêve coeur, 10 ans plus tard, remonté des enfers... Les deux grands albums de Daniel Darc... ceci explique peut-être cela... Daniel Darc va manifestement beaucoup mieux (voir le DVD qui accompagnait Crêve coeur, un peu flippant), tant mieux pour lui, tant pis pour nous... Mais Daniel, notre "dark side of the moon", continuera à m'accompagner […]». Et vive la douleur, cela fait du bien meilleur art! Une autre perle, ce commentaire tiré d’une éloge pour La taille de mon âme (2011) : «Daniel Darc souffre et c'est tant mieux. Qu'on nous le laisse encore un peu avant qu'il n'aille au Paradis : ses remords, très sobrement mis en musique, ourlés de notes 'gainsbouriennes', taillés à la manière des diamants de l'underground nouillorkais, ont la profondeur des failles. Daniel, sois sanctifié : la nuit ne dure pas!»… Daniel Darc souffre et c’est tant mieux : hum! Même idée sous-jacente : la souffrance fait naître du meilleur art. On peut en discuter, mais pauvre Daniel… J’en éprouve une grande compassion.

Oui, pauvre petit bonhomme qui dit avoir vécu en enfer. En effet, mais pas l’enfer d’un désastre naturel ou celui d’un camp de réfugiés de guerre dans le désert : celui choisi par soi-même de l’alcool et de la drogue, d’une forme d’autodestruction finalement. Quant à moi, je ne crois pas du tout aux «vertus» de l’alcool et des drogues pour «stimuler» la créativité : un artiste authentique n’a besoin de rien de cela et, s’il en consomme néanmoins, il crée par son seul talent, habituellement contre le fait de s’intoxiquer. Pour ce qui est de la folie, qu’écrivais-je dans Musique autiste?

«Le cas des artistes du passé qui ont sombré dans la psychose le montre : leur production s’est arrêtée ou, au mieux, interrompue pour reprendre avec le retour d’un niveau suffisant de santé. Penser le contraire est très romantique mais concorde mal avec les faits. Je trouve choquant que cette vision inspire encore aujourd’hui un certain public à exiger des artistes fous qu’ils aillent «plus loin» dans leur folie : plus loin, il n’y a plus de création, que du délire, de la souffrance extrême et improductive, quelque chose d’infiniment triste et pitoyable. Aucun artiste, aussi fou soit-il, ne devrait suivre ces conseils irresponsables, et encore moins s’y croire lié. Leur seul aboutissement est l’hôpital psychiatrique. Cela pour l’artiste, alors que ce public, lui, se trouvera rapidement un autre «héros de l’art» pour satisfaire son besoin morbide de voir quelqu’un se détruire en public. L’art a beau être un univers magnifique, il ne justifie en aucun cas un tel sacrifice de soi». (page 303). Et oui, c’est tout.