RÉFÉRENDUM, AVIATION
ET ART BRUT EN SUISSE
ET ART BRUT EN SUISSE
Cet article a été écrit en 2014, suite à un voyage en France et en Suisse, pour des conférences et des salons du livre. C'est un récit de voyage, avec des éléments sur l'autisme.
Le village de Sainte-Croix au petit matin |
Il paraît, à ce que j’ai compris de loin, que les Québécois
ne voulaient absolument pas d’un «autre référendum». «Un référendum,
c’est l’incertitude»; cela inquiète les investisseurs, nous dit-on. Imaginez :
depuis 1980, nous avons eu trois (3)
référendums. Un à tous les 11 ans. Pauvres investisseurs à qui cela donne des
sueurs froides! Que disais-je donc avant? Ah oui, en Suisse, il y a des
référendums régulièrement et sur plein d’enjeux. C’est peut-être pourquoi son
économie va si mal comparée à celle si florissante du Québec [Gentille ironie
Asperger]. Un référendum est un excellent outil de vie démocratique. Une
campagne électorale porte sur plusieurs enjeux : qu’un parti la remporte
ne signifie en rien que le peuple l’appuie sur tous les points de son
programme. Par contre, un référendum porte sur un et un seul enjeu, et les
citoyens se prononcent sur ce seul enjeu. Tout est clair et direct. Il devrait
y avoir des référendums beaucoup plus souvent au Québec, et au Canada du reste.
DE L’ACCUEIL ET DE L’INCLUSION
Jean-Christophe Pastor, de Singularités. Une formidable oeuvre d'inclusion. |
Je le dis d’emblée : partout en Suisse j’ai été
accueilli avec la plus grande gentillesse, hospitalité et générosité. J’avais
plusieurs déplacements serrés dans le temps, mais tout a été organisé avec
rigueur et efficacité, à la
Suisse , quoi! J’aime les choses ainsi : mon côté
Asperger? Au Canada, les Suisses ont la réputation d’être «froids» et
«distants». Quelqu’un m’avait même dit, en se désolant, que les Suisses sont le
peuple qui rit le moins de la planète, ce qui tranche avec ma province où les
humoristes sont rois… Est-ce vrai? Je ne le sais pas, et je n’en ai cure parce
que moi-même j’apprécie une certaine distance dans les relations humaines.
Peut-être alors que la Suisse
est un paradis pour les personnes autistes? Chose certaine, je n’ai eu que de
bons contacts durant ce séjour.
En entrevue à Singularités (Genève) avec Guillaume et Aurélien. |
Jeudi 27 mars, je suis à Genève pour enregistrer une
entrevue à l’émission télé Singularités
(diffusée sur le Canal Léman Bleu). Œuvre de la Fondation Clair
Bois, Singularités est exemplaire
d’inclusion sociale et professionnelle. Menés par le réalisateur
Jean-Christophe Pastor, les membres de l’équipe sont très majoritairement des gens,
comme on aime dire, «différents». Aurélien et Guillaume qui m’ont interviewés
sont Aspergers, comme moi. D’autres ont des limitations motrices ou
sensorielles, d’autres encore sont trisomiques, etc. Et tout cela fonctionne
très bien. Comment se fait-il que rien de semblable n’existe dans mon Québec
qui se dit si avancé en inclusion? Mystère. Salut à vous tous et toutes :
vous êtes super! Je vous offre toutes mes amitiés admiratives.
Logo du Groupe Asperger de Autisme Suisse romande |
En après-midi : train jusqu’à Lausanne et, en soirée,
première conférence pour le Groupe Asperger de Autisme Suisse romande. Public
nombreux, attentif et participatif. Ma conférence portait entre autres choses
sur l’anxiété des personnes autistes. Froideur
dites-vous? Sibylle est venue à ma conférence et m’a causé toute une surprise
en m’offrant deux boîtes de chocolats, parce que j’avais répondu à ses
questions pour un travail scolaire par courriel avant mon départ. Cela fait
plutôt chaud au cœur.
Soeur Julie Hofmann |
Le lendemain, autre conférence, cette fois à l’Institut
Eben-Hézer (Lausanne) et destinée à un public composé essentiellement de
professionnels. Je ne crois pas que l’on mesure pleinement tout le bien qu’a
aussi fait le Christianisme, alors il vaut de faire un rappel. Sous le nom
« Eben-Hézer » - en hébreu la
pierre du secours – Sœur Julie Hofmann crée en 1899 une cellule familiale
en faveur des «blessés de la vie», des gens dont personne ne voulait s’occuper.
La Fondation
Eben-Hézer accompagne des personnes vivant avec un handicap
ou en perte d’autonomie. Cette institution privée regroupe aujourd’hui trois
maisons accueillant près de 600 personnes en situation de handicap.
«Grâce au
soutien de ses donateurs et aux subventions publiques, les différentes institutions de la Fondation Eben-Hézer
poursuivent la même mission : offrir à leurs résidents
des soins appropriés, un cadre de vie agréable et développer leur potentiel».
Les lieux sont en effet agréables (la dite cafétéria
est un véritable restaurant, avec des repas savoureux comme celui que l’on m’a
servi – pas de pommes de terre en flocons ici…); plein d’activités, sportives,
artistiques, etc., donnent l’occasion aux résidents de se sentir aimés et respectés.
Magnifique. Pour en savoir davantage, je vous invite à consulter le site et à
lire la charte de la
Fondation :
LE PILOTE DE NYON
Ma personne contact pour l’étape Suisse de mon séjour fut Catherine Dubois-Pelerin, que je dois tout spécialement remercier pour tout ce qu’elle a fait en faveur de mon passage. Après une visite à la Collection de l'art brut (voir plus bas), j’ai pris le train vers Nyon, une très jolie petite ville sur le bord du Lac Léman, qui a été fondée par les Romains dans les années 40 avant Jésus-Christ.
Constantin aux commandes! |
J’ai retrouvé Catherine avec ses deux fils, Constantin et Alexandre, autour d’une fondue suisse, une véritable fondue suisse : un ravissement. Constantin est Asperger comme moi. Contre l'avis d'un médecin, je l'avais encouragé à s'inscrire à une école d'aviation et à faire un vol d'essai avec instructeur, ce qu'il a fait. J’ai beaucoup d’admiration pour lui, moi qui ait la phobie de l’avion – mais piloter pourrait-il être un bon antidote? Constantin a donc déjà piloté des petits avions, avec un instructeur. Pourra-t-il le faire seul un jour? Pourquoi pas? Il prend peu à peu de l’expérience et acquiert sa compétence. Cela viendra car, selon son instructeur de vol, «l'aviation est un domaine où justement les règles et les
codes doivent être explicites, donc qui convient bien à un Asperger». Belle sagesse et invitation à avoir confiance en nous. Reste le médecin à convaincre...
Plusieurs jeunes adultes autistes me demandent d’ailleurs s’ils peuvent prendre un permis de conduire! On nous tape si souvent sur la tête des mots doux genre «les autistes ont des problèmes de ceci et de cela», «ils sont incapables de ci et de ça», et autres choses autant encourageantes, que des jeunes finissent par douter d’eux. Mais oui, vous pouvez conduire! Il s’agit de prendre des cours pratiques et théoriques, de faire son expérience, d’aller au bureau passer son examen – en sachant qu’il est assez fréquent de le rater la première fois (pas à cause de l’autisme, mais parce que les agents ont des quotas d’échecs à respecter, ce qui permet d’aller chercher plus d’argent). Vous ratez la première fois? Essayez une deuxième fois, une troisième s’il le faut : ce n’est pas grave. Vous y arriverez. En passant : rien ne vous oblige à déclarer que vous êtes autiste. L’examinateur n’a pas à le savoir pour évaluer votre aptitude à conduire une auto.
L’ART BRUT : UN CHOC PRESQUE BRUTAL
Le vendredi après-midi, j'étais allé visiter le second (et dernier)
musée de ce séjour : la
Collection de l’art brut, à Lausanne. Je tiens à en remercier
la directrice, Madame Sarah Lombardi, qui m’a offert un laisser-passer gratuit
– j’aurais bien aimé rencontrer Madame Lombardi lors de ma visite comme telle,
et plaider la digne cause de la musique, car le label art brut semble réservé à l’art visuel.
Collection de l'art brut, Lausanne |
Selon le Larousse,
l’art brut est «un art spontané pratiqué par des personnes ayant échappé au conditionnement
culturel : autodidactes, déviants mentaux [sic!] ou médiums». Mais ce musée est une collection historique. C’est
Jean Dubuffet (1901-1989) qui a théorisé l’art brut, dans un manifeste de 1949
intitulé L'Art brut préféré aux
arts culturels, rédigé à
l’occasion de la première exposition de sa collection d'art brut. C’est aussi
sa collection, enrichie avec les années, que présente le musée, avec des ajouts
plus récents.
J’avoue que
durant au moins la première demi-heure de ma visite à la Collection , j’ai
ressenti un fort sentiment d’oppression. Pas que les lieux eux-mêmes soient
étouffants : ils sont au contraire très agréables. Je lisais les
biographies des artistes : ouf! Ils ne l’ont pas eu facile! Plusieurs ont
été internés durant de longues périodes et sont même décédés en asile… Pas que
les œuvres exposées soient repoussantes : elles sont troublantes à
l’occasion, mais il y a là nombre d’œuvres magnifiques. Les toiles immenses
d’Augustin Lesage, par exemple : des couleurs infinies, des formes
imbriquées harmonieusement les unes aux autres, des détails que l’on pourrait ne jamais cesser de découvrir. Indifférent au monde, Monsieur Lesage pouvait mettre
deux ans de travail sur une seule œuvre, et pour cause !
Adolf Wölfli, «pape» de l'art brut. |
Finalement, j’ai commencé à
composer à 12 ans, avant même de savoir comment se note la musique, cela au
moment même où je subissais de l’intimidation hard à l’école – intimidation qui me vaudra quelques trente années
de syndrome de stress post-traumatique avec des manifestations troublantes. À
12 ans, j’avais trouvé dans la composition de quoi me créer une oasis de beauté
que je cultivais patiemment en marge de la violence. Dans ce monde imaginaire,
personne ne pouvait m’atteindre. Sans lui, je ne sais pas si j’aurais pu
survivre – un camarade d’infortune, lui, a craqué qui s’est pendu. «Tout cela a
marqué ma musique et constitue une des sources de sa singularité. Elle vient
d’un rescapé, de quelqu’un qui pourrait ne plus être là. Elle est rarement
violente, mais la violence lui est ce que la Lune est à la Terre , une sorte de jumelle étrange en orbite
autour d’elle et créant des marées» (Musique
autiste).
Oeuvre d'Adolf Wölfli |
Même si la musique était éventuellement intégrée à l’art
brut, il n’est pas assuré que ma candidature serait acceptée. Car mes pièces
ont commencé à être jouées; certaines sont éditées, etc. Or, Monsieur Dubuffet,
un peu rigide (style neurotypique), tenait mordicus à ce qu’un artiste brut
n’ait AUCUN désir de montrer ses œuvres, de les exposer, et SURTOUT PAS de
vouloir les vendre!!! Il paraît qu’un ou deux artistes de sa collection ont
finalement été exclus parce qu’ils avaient, un jour, manifesté l’envie de vivre
de leur art. Péché capital!!! Remarquez bien que, vivre de son art, Monsieur
Dubuffet lui-même, bien qu’autodidacte, n’avait aucune inhibition en ce qui le
concerne : il vendait ses œuvres à prix d’or. Pour lui, c’était correct,
pas pour un artiste brut, même pour quelques petits dollars… Ah, chers
Neurotypiques, je vous aime beaucoup quand même!
Tout de même, Monsieur Dubuffet a écrit de belles choses qui
me semblent toujours très actuelles. Par exemple, dans le manifeste mentionné
précédemment, ce passage qui varlope l’art officiel (que je renommerais
aujourd’hui l’art subventionné) :
«C’est
une idée assez répandue qu’en regardant la production artistique des
intellectuels, on tient du même coup la fleur de la production générale,
puisque les intellectuels, issus des gens du commun, ne peuvent manquer d’avoir
toutes les qualités de ceux-ci, avec en plus celles acquises par leurs longues
élimations de culottes sur les bancs d’école, sans compter qu’ils se croient
par définition très intelligents, bien plus intelligents que les gens
ordinaires. Mais est-ce sûr ? On rencontre aussi beaucoup de gens qui ont de
l’intellectuel une idée bien moins favorable. L’intellectuel leur apparaît
comme un type sans orient, opaque, sans vitamines, un nageur d’eau bouillie.
Désamorcé. Désaimanté. En perte de voyance. Ça se peut que la position assise
de l’intellectuel soit une position coupe-circuit. L’intellectuel opère trop
assis : assis à l’école, assis à la conférence, assis au congrès, toujours
assis. Assoupi souvent. Mort parfois, assis et mort.»
Devant
cet art faux, Monsieur Dubuffet fait l’éloge de l’art brut, entre autre parce
qu’il échappe à tout ce qui est consubtanciel à l’art officiel qui, lui, n’a
pour ainsi dire aucune qualité réelle :
Sur les bords du Lac Léman à Nyon |
Après une nuit à l’Hostellerie du XVIe siècle, un très joli
hôtel au cœur de Nyon, je reprenais le TGV, cette fois à destination de Lyon [À
suivre]