SUITE CELTIQUE
Pour harpe, opus 6 (1983; révision : 1988 / 2014)
1. Prélude
2. Barde
3. Courante
4. Légende
5. Gigue lointaine
Pour obtenir la partition:
https://www.dropbox.com/s/1qfvt2zi75ikz1f/Suite%20celtique.pdf?dl=0
Pour écouter la Suite celtique:
Cette partition est offerte pour usage privé. Pour toute performance en concert, seule la partition éditée est autorisée, et seul le Centre de musique canadienne est autorisé à la copier, la louer et la vendre.
This sheet music is offered for private use. For any concert performance, only the edited sheet music is authorized, and only the Canadian Music Centre is authorized to copy, rent and sell it.
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Cette musique est / This music is: © Antoine Ouellette SOCAN
Les origines familiales de la Suite celtique
Les apparences de la musique peuvent être
trompeuses! Certaines gens croient ainsi que, parce que telle musique «sonne
simple», elle est simple, dans sa facture ou dans la réflexion qu’elle a
demandée. Quel mirage! C’est là bien peu connaître les mystères et les arcanes
de la création artistique. La réalité est qu’une musique apparemment simple
peut avoir nécessité beaucoup de méditation, de travail, de renoncements, de
discipline, etc. Et justement, ma Suite celtique, peut-être mon œuvre la
plus «simple» en apparence, est le fruit d’un travail des profondeurs. Je vous
fais donc pénétrer un peu dans mon atelier intérieur, afin de vous
conscientiser à ce que l’on n’entend pas nécessairement lorsqu’on écoute une
pièce, bien confortablement installé…
Il est une personne qui, elle, ne l’a pas
trouvée si simple, la Suite celtique : ma sœur Geneviève. Geneviève
s’était acheté une belle harpe celtique, et j’ai eu l’idée de lui écrire
quelques pièces «faciles». Hum… Peut-être qu’elle osera s’y attaquer un jour –
il est vrai que sa carrière ne lui laisse pas tellement de temps libre pour
jouer sa harpe.
Je ne suis pas «un pur-sang canadien-français». Comme bien
d’autres gens, je suis un métis en quelque sorte, car mon arrière-arrière-grand-père
paternel, lui, est venu d’Irlande. Sa raison est limpide : sa famille a
fui la grande famine qui s’est abattue sur l’île verte au 19e
siècle. C’était un Morrin – prononcez : Mowrînne. Issu d’une famille farouchement catholique, il s’est fait un délicieux
plaisir de faire un pied-de-nez aux Britanniques d’ici en apprenant le français
et en s’intégrant à la communauté canadienne-française! Son fils a conservé cette fierté. Un jour, lors d’un
repas en famille, sa petite fille, la sœur de mon père, âgée de quelques années
à peine, s’est choquée contre son père et a brandi un couteau à steak en
menaçant de le poignarder. Tout fier, l’Ancêtre Morrin s’était alors
exclamé : «Wow! Une vraie Irlandaise, la petite!». Je ne suis pas violent;
je suis gentil, patient, doux, à l’écoute, mais cet
héritage rebelle vit en moi. Encore une fois, il ne faut pas
nécessairement se fier aux apparences. D’une certaine manière, la Suite
celtique est une œuvre rebelle, mais pas dans le sens conventionnel. Par
contre, on y trouvera sans peine un écho de la sensibilité celte :
fascination pour le mystère, les paysages brumeux, les légendes teintées de
surnaturel.
Début de la Gigue lointaine, cinquième mouvement de la Suite celtique / (c) 1983 Antoine Ouellette Socan |
Les origines médiévales de la Suite celtique
J’ai rapporté cet événement marquant dans Musique
autiste. Lorsque j’ai commencé à étudier la musique à l’université en 1982,
j’ignorais presque tout de la musique médiévale. Mais voilà, la vie étant ce
qu’elle est, la première rencontre du cours d’histoire de la musique du Moyen
âge allait me réservait une surprise de taille. Pour nous accueillir au local,
la prof a fait jouer un disque de l’Ensemble Venance-Fortunat intitulé Le
mystère de la Résurrection. Dès les premières notes, j’ai
été saisi, illuminé. Le choc dépassait largement celui de la nouveauté. La première
pièce du disque était un bref organum à deux voix, une composition anonyme du
XIIe siècle sur la mélodie grégorienne Benedicamus Domine. Cette
pièce ne ressemblait pas du tout aux musiques qui me passionnaient alors, et
voilà que cette minute et demi de musique provoqua en moi un bouleversement
comme je n’en avais jamais connu! Les musiques que j’aimais tant jusque-là ont
pâli, comme en un cataclysme instantané, irréversible et totalement
imprévisible.
Dessin de Richard Doyle (1824-1883) |
Au moment même
où je tâtonnais en direction de la musique atonale (j’avais toujours 100% en
solfège et en dictée atonales!), la musique médiévale allait providentiellement
m’empêcher de suivre cette voie devenue académique. J’ai donc aussitôt délaissé
la Fantaisie atonale pour piano sur
laquelle je travaillais. Le choc de la musique médiévale ne fut pas une influence mais une révélation, une «épiphanie» musicale qui a
précipité la cristallisation de mes tendances profondes.
Nils Blommér: Elfes dans la prairie (1850) |
Ma première
pièce diatonique fut le Cantique des créatures
en 1982. Cette pièce chorale sur le texte célèbre de saint François d’Assise
sera par la suite intégrée aux Symphonies
sacrées (quatre motets pour chœur a cappella), opus 24. J’ai composé la Suite celtique l’année suivante, en
1983, et j’ai apporté des petites retouches en plusieurs occasions dans la
partition, cela jusqu’en 2014 alors que j’en achevais l’édition. La Suite celtique se caractérise donc par
un «diatonisme intégral» : elle n’utilise que l’échelle donnée par les
notes ré, mi bémol, fa, sol, la, si bémol et do.
Échelle modale de la Suite celtique |
La Suite celtique
a été un point de départ. Si son aspect harmonique n’est pas conventionnel, sa
rythmique l’est davantage. La Suite
fait alterner des pièces rapides et des pièces lentes, mais le rythme y demeure
souple et les tempos soumis à plusieurs fluctuations. Tout de même, il s’agit
essentiellement d’un rythme mesuré. Or, un autre aspect des musiques modales
diatoniques est leur grande liberté rythmique : on y trouve, oui, des
rythmes mesurés francs mais aussi des rythmes échappant à toute mesure voire
même à toute pulsation clairement établie. Dans certaines de mes premières
pièces, j’avais déjà utilisé de tels rythmes, mais ils se retrouvent peu dans
la Suite, peut-être parce que
inconsciemment j’y cherchais d’abord à maîtriser le diatonisme.
C’est en
composant Paysage, pour quatre pianos, en 1987,
que je réussirai finalement le mariage du diatonisme radical et de la diversité
rythmique.
Source des images autres qu'extraits de partition: Wikipédia: Domaine public PD-US