MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



lundi 1 décembre 2014

LE SPECTRE OU LE FANTÔME DE L'AUTISME

Fantaisies sur le thème du Spectre de l'autisme
1) Encore des propos inappropriés d'un professionnel au sujet de l'autisme
2) Et vive le Mexique! Un manifeste d'avant-garde
3) Le spectre de l'autisme: un vide religieux? Texte d'Éric Bénéteau.

Encore des propos inappropriés d'un professionnel 
au sujet de l'autisme 

«Franchement Antoine, ce n'est pas possible! Tu dois faire erreur!» Eh bien non. Dernièrement, je donnais des conférences en Ontario. J'ai rencontré une maman d'un petit garçon de 3 ans qui est déjà diagnostiqué «sur le spectre de l'autisme» (sic!). Mais la pauvre dame est folle d'inquiétude. Le croirez-vous?, le médecin lui a dit ceci: «L'autisme, c'est tout proche de la trisomie 21. Il faudrait faire un test chromosomique sur votre garçon pour savoir s'il ne serait pas trisomique aussi». Doit-on parler d'ignorance, d'incompétence ou de cruauté mentale? L'autisme et la trisomie n'ont rien, absolument rien en commun. Comment un médecin, un «spécialiste» de surcroît, peut-il se laisser aller à pareil dérapage? Et rendre une mère hyper anxieuse? Le petit garçon a donc subi ce test qui, sans aucune surprise, s'est révélé négatif. Cela donne un autre exemple, qui s'ajoute à des milliers, des discours stupides, inappropriés voire méchants que tiennent même des professionnels sur l'autisme. Le garçon était à la conférence: à 3 ans, il a passé la soirée à jouer avec des Legos. J'imagine que cela aussi est bien effrayant... J'aimerais que tous comprennent que ces «discours dérapés» forment le pire handicap que les personnes autistes doivent affronter.

Église du monastère Val-Notre-Dame
À l'été 2014, j’ai rencontré Yves Girard, un moine cistercien de l’Ordre de la stricte observance à l’Abbaye Val-Notre-Dame de Saint-Jean-de-Matha (dans la région de Lanaudière). Ce fut une rencontre impressionnante puisque ce moine, un vieux sage qui est aussi un poète, lisait comme en moi. Lorsque je lui ai dit être autiste, il a répondu : «Bien. Mais ce n’est pas important. Cela fait simplement partie de ton expérience de vie en tant que personne humaine». En peu de mot, c’est ce que j’enseigne dans mes conférences! Une personne autiste est une personne humaine à part entière, pas un malade ni une maladie. L’enfant autiste doit être éduqué, pas traité. L’autisme est une épice naturelle et ancienne au sein de l’humanité. Je suis autiste, cela fait partie de ma personne, mais ma personne et son mystère sont bien plus grands que cette seule réalité qui n’en est qu’un aspect. Etc. Sur quoi, on me demande souvent : «Oui, mais quel service aurais-tu aimé recevoir dans ton enfance?». Je ne sais pas si je fais bien comprendre le dialogue de sourds : d’un côté, je parle des personnes d’un point de vue humaniste et, de l’autre, on désire me ramener à du médical qui, selon moi, est une fausse optique. 

Lectures spirituelles recommandées:
les ouvrages du Père Yves Girard.
Ses livres sont publiés chez Anne Sigier
Sincèrement, je crois que l’on aidera réellement  les personnes autistes et que l’on soulagera leurs parents paniqués lorsque l’on sortira l’autisme du DSM, ce guide biaisé qui sert de référence diagnostic en «santé mentale». L’autisme devrait être abordé comme un domaine non pathologie mais particulier de la psychologie humaine. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’homosexualité, longtemps considérée comme un trouble mental et, pour cette raison, incluse dans le DSM III en vigueur jusqu’en 1994. Cette sortie hors du DSM a grandement contribué à aider les personnes homosexuelles, à reconnaître leurs apports, à les intégrer… Qu’il serait bon pour nous qu’il en aille prochainement de même pour l’autisme! Mais je pense rêver en couleur, car l’autisme, terme médical, est un fantôme : on ne peut mieux dire en parlant actuellement du «spectre» de l’autisme. 

Cela dit, peut-être que les choses commencent à changer. Du moins... au Mexique! Là, un groupe de professionnels de la ville de Los Cabos vient de publier un manifeste (daté du 8 novembre) qui va en ce sens avant-gardiste. Lucila Guerrero m'a fait parvenir ce manifeste dont voici la traduction française. Lisez attentivement et vous allez mesurer l'ampleur, et la justesse, du changement proposé:


Vive le Mexique!
La Fondation Hace A.C. est une association sans but lucratif dédiée à promouvoir la connaissance, l’intégration et la compréhension de l'autisme et d'Asperger.

Depuis 2008, nous avons réalisé des efforts importants pour établir notre raison d'être, diffuser de l'information précise, créer des espaces pleinement conviviaux et développer une communauté informée et consciente de la diversité présente dans la société. Dans l'exercice de ces actions, nous cherchons à rester à jour et à l’avant-garde des connaissances théoriques et pratiques dans le domaine, en prenant comme référence les principaux professionnels et grandes institutions de partout dans le monde et en adaptant ces connaissances à la réalité latino-américaine.

La recherche, les connaissances et la compréhension actuelles au sujet de l'autisme et d'Asperger nous invitent aujourd'hui à effectuer un changement de paradigme en ce qui concerne leur conceptualisation. Pour cette raison, nous considérons comme étant fondamental de changer le terme « trouble », qui fait invariablement référence à une pathologie ou à une perturbation, pour adopter celui de « condition », qui fait référence à l'ensemble des caractéristiques particulières définissant un être ou un ensemble d'êtres, ainsi que cela a été fait par plusieurs groupes de spécialistes dans le domaine de la neurodiversité. Laissons derrière nous l'expression inadéquate « Troubles du spectre de l'autisme » (TSA) et utilisons plutôt « Conditions du spectre de l'autisme » (CSA) pour faire référence aux personnes avec autisme et Asperger.

Il ne s'agit pas d'un changement superficiel : en effet, nous devons garder à l'esprit que les mots que nous utilisons organisent notre perception de la réalité et en ce sens, que nous avons une responsabilité sociale auprès de toute la communauté lorsqu'il s'agit de démystifier, de clarifier et d'approcher l'information disponible actuellement.

Nous utilisons la terminologie « Conditions du spectre de l'autisme » puisqu'elle reflète la nature complexe de l'autisme et d'Asperger, et qu'il ne s'agit pas de maladies, mais bien d'un développement neurologique différent qu'on ne doit pas chercher à guérir, mais à comprendre.

Nous invitons tous les professionnels et parents, toutes les institutions et la société en général à se joindre à cette initiative lancée aujourd'hui à partir du Mexique pour toute l'Amérique latine.


Signatures :

Enlace Autisme

Castelo Centro Educativo

Coconeh autisme

Kodomo

IDEA

EITA

Olé! Que du bon sens. Encore fallait-il en avoir l'humilité et l'audace. Vive le Mexique!!! La terminologie actuelle, issue des DSM, est attristante, anxiogène, débilitante, tant pour nous que pour nos parents. 
 
Je reçois souvent des textes de réflexions sur l’autisme, celui-ci est signé signé Éric. Un texte original qui aborde précisément l’autisme-médical comme un fantôme, un spectre : celui d’un héritage liquidé dans notre société. Je cède donc la parole à mon ami Éric.

Le spectre autistique : un vide religieux ?


Vers la rupture 
Serait-ce lui, le Spectre de l'autisme?!
(Source: Amazon)
La religion fût le fondement de la société, ce sur quoi elle s'est basée, ses fondations. Depuis la nuit des temps et jusqu'à très récemment, l'homme s'est construit des pratiques religieuses rigoureuses sur lesquelles se sont bâties les civilisations. Ces pratiques se sont développées de manière continue, et c'est un point crucial sur lequel insiste toutes les religions authentiques : il n'y a pas eu de rupture entre le fondateur d'une religion et des pratiques contemporaines, et la plupart du temps fait même remonter ses pratiques à la naissance de l'humanité, y puise des fondements mythiques. La religion chrétienne s'est bâtie sur la religion juive, qui elle-même fait remonter ses fondements mythiques à la création de l'homme par Dieu, donnant même une description de la création du monde lui-même. C'est-à-dire qu'est établie une continuité, depuis la création du monde jusqu'aux pratiques modernes. On pourrait de même prendre l'exemple de l'islam, qui s'appuie lui aussi sur la tradition juive, mais bien plus du bouddhisme, qui prolonge la longue tradition brahmane remontant à la nuit des temps. On voit donc ainsi que, peu à peu et sans discontinuer, la religion a posé les fondations des civilisations, son architecture sacrée.
Or, qu'a fait l'homme depuis le XVIIe Siècle, c'est-à-dire depuis un temps extrêmement court comparé à l'histoire de l'humanité? Il s'est évertué à détruire méthodiquement ces fondements, en faisant appel à sa volonté propre comme seule projet de civilisation. Il a consciemment détruit les temples de l'esprit que les générations précédentes avaient lentement et patiemment érigés.
Les éléments constitutifs 
On peut maintenant se demander de quels éléments sont constitués ces fondations religieuses? Globalement, de grandes figures exemplaires, de pratiques et de grands principes.
L'ermite
À moins que ce soit lui, le Spectre de
l'autisme?! (Source: Amazon)
Une des grandes figures fondatrices d'une religion est l'ermite, le renonçant, celui qui pratique le jeûne, la prière solitaire dans les déserts, les forêts ou qui, plus tard, s'organise en communautés monastiques dans le but toujours de pratiquer une forme d'isolement (moine = monos = seul). Même les grands leaders religieux opérant dans le monde ont nécessairement passer par une période d'isolement et de jeûne total durant une période plus ou moins longue. Tous ont ressenti la nécessité de se retirer du monde, d'une manière temporaire ou continuelle. Nulle base spirituelle authentique (constituant donc une structure religieuse importante) ne peut faire l'économie de ce retrait du monde.
      La transmission
Un deuxième élément constitutif d'une religion authentique est la transmission des enseignements et des pratiques. Les mêmes éléments se transmettent de génération en génération, c'est-à-dire connaissent des transformations, des évolutions extrêmement lentes. 
Les rituels
Un troisième élément fondamental du fait religieux sont les rituels. C'est l'aspect le plus immédiat, le plus pratique de la religion, qui ne nécessite pas les approfondissements métaphysiques et spirituels du mystique. C'est le rôle du prêtre, celui qui est inscrit dans le monde, que de transmettre les rituels, pour le plus grand nombre. Ainsi, on peut dire, que l'on se trouve à la base de la pyramide religieuse : en haut, le mystique ermite, isolé, qui établit un lien direct avec Dieu, jusqu'à se fondre en lui ; les moines, professeurs-étudiants qui se chargent de la transmission du savoir et d'une certaine manière de l'esprit ; et enfin les prêtres qui appréhendent le rapport au divin à travers les rituels exécutés pour la masse des fidèles. Les rituels sont donc l'aspect le plus pragmatique, extérieur, de la religion.

Illustration d'un Poltergeist
(Wikipédia)
Aujourd'hui, l'autisme
Or, selon Leo Kanner [qui fut, avec Hans Asperger, un des pionniers de l’étude de l’autisme], la figure de l'autiste, qui fascine tellement notre société, possède trois grandes caractéristiques :
L'isolement (aloneness)
L'autiste se replie en lui-même, c'est-à-dire se retire du monde.
L'immuabilité (sameness)
L'autiste essaie de maintenir les choses dans une continuité immuable, supportant très mal les ruptures.
Les stéréotypies
L'autiste établit des rituels, qu'il répète quotidiennement pour se rassurer contre les agressions du monde.
Un spectre moderne
[Sans discuter du bien-fondé de la vision proposée par Leo Kanner, il est intéressant de retrouver] dans ces trois caractéristiques autistiques les trois grands éléments des religions défuntes décrits auparavant : l'ermite, la transmission et les rituels. Or, loin de constituer les aspects folkloriques d'une période superstitieuse de l'humanité, ils en constituaient des aspects fondamentaux, en réponse au mystère de l'existence. Vidés de leurs substances, l'homme moderne se raccroche à leurs ersatz profanes : le star system, la télévision ou les courses. La civilisation moderne étant désormais incapable de prendre en considération la figure du mystique isolé, la transmission d'enseignements ancestraux et la pratique de rituels traditionnels, le vide créé réapparaît dans une figure malade. La société ne peut qu'observer, fascinée et désespérée, à travers l'autiste, la résurgence sous forme [qu’elle étiquette comme étant] pathologique de ces éléments qu'elle avait espéré pouvoir définitivement éradiquer. Après une période d'invasion, les troubles étaient considérés comme « envahissants », ils se rapportent désormais à un « spectre autistique », dont la présence diffuse ne fait plus de doute. Ayant tué les fondements même sur lesquels elle s'était construite et dont elle pensait pouvoir se passer, la société ne peut qu'assister impuissante à l'émergence du fantôme qu'elle a elle-même produit et qu'elle invoque : le spectre autistique revient aujourd'hui la hanter!
Eric
 
J’ajoute un point aux propos d’Éric (que je remercie au passage). Le vide religieux a créé un autre spectre, ou plutôt a redonné force, corps et audace à un vieux démon qui somnolait dans les profondeurs de l’humanité. Le revoici, bien plus inquiétant que le spectre de l’autisme : ce spectre monstrueux qui inspire à des gens, même à des gens bien, de tuer autrui au nom d’une conception totalitaire de la divinité. Accentuer le vide en réaction ne pourra que nourrir davantage ce démon qui frappe aujourd’hui.

Sources des illustrations: Collection personnelle (Val Notre-Dame), sites commerciaux, Wikipédia ( Domaine public PD-US)