1) Encore des propos inappropriés d'un professionnel au sujet de l'autisme
2) Et vive le Mexique! Un manifeste d'avant-garde
3) Le spectre de l'autisme: un vide religieux? Texte d'Éric Bénéteau.
Encore des propos inappropriés d'un professionnel
au sujet de l'autisme
«Franchement Antoine, ce n'est pas possible! Tu dois faire erreur!» Eh bien non. Dernièrement, je donnais des conférences en Ontario. J'ai rencontré une maman d'un petit garçon de 3 ans qui est déjà diagnostiqué «sur le spectre de l'autisme» (sic!). Mais la pauvre dame est folle d'inquiétude. Le croirez-vous?, le médecin lui a dit ceci: «L'autisme, c'est tout proche de la trisomie 21. Il faudrait faire un test chromosomique sur votre garçon pour savoir s'il ne serait pas trisomique aussi». Doit-on parler d'ignorance, d'incompétence ou de cruauté mentale? L'autisme et la trisomie n'ont rien, absolument rien en commun. Comment un médecin, un «spécialiste» de surcroît, peut-il se laisser aller à pareil dérapage? Et rendre une mère hyper anxieuse? Le petit garçon a donc subi ce test qui, sans aucune surprise, s'est révélé négatif. Cela donne un autre exemple, qui s'ajoute à des milliers, des discours stupides, inappropriés voire méchants que tiennent même des professionnels sur l'autisme. Le garçon était à la conférence: à 3 ans, il a passé la soirée à jouer avec des Legos. J'imagine que cela aussi est bien effrayant... J'aimerais que tous comprennent que ces «discours dérapés» forment le pire handicap que les personnes autistes doivent affronter.
Église du monastère Val-Notre-Dame |
Lectures spirituelles recommandées: les ouvrages du Père Yves Girard. Ses livres sont publiés chez Anne Sigier |
Sincèrement, je crois que l’on aidera réellement les personnes autistes et que l’on soulagera
leurs parents paniqués lorsque l’on sortira l’autisme du DSM, ce guide biaisé
qui sert de référence diagnostic en «santé mentale». L’autisme devrait être
abordé comme un domaine non pathologie mais particulier de la psychologie
humaine. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’homosexualité, longtemps
considérée comme un trouble mental et, pour cette raison, incluse dans le DSM
III en vigueur jusqu’en 1994. Cette sortie hors du DSM a grandement contribué à
aider les personnes homosexuelles, à reconnaître leurs apports, à les intégrer…
Qu’il serait bon pour nous qu’il en aille prochainement de même pour
l’autisme! Mais je pense rêver en couleur, car l’autisme, terme médical,
est un fantôme : on ne peut mieux dire en parlant actuellement du
«spectre» de l’autisme.
Cela dit, peut-être que les choses commencent à changer. Du moins... au Mexique! Là, un groupe de professionnels de la ville de Los Cabos vient de publier un manifeste (daté du 8 novembre) qui va en ce sens avant-gardiste. Lucila Guerrero m'a fait parvenir ce manifeste dont voici la traduction française. Lisez attentivement et vous allez mesurer l'ampleur, et la justesse, du changement proposé:
Cela dit, peut-être que les choses commencent à changer. Du moins... au Mexique! Là, un groupe de professionnels de la ville de Los Cabos vient de publier un manifeste (daté du 8 novembre) qui va en ce sens avant-gardiste. Lucila Guerrero m'a fait parvenir ce manifeste dont voici la traduction française. Lisez attentivement et vous allez mesurer l'ampleur, et la justesse, du changement proposé:
Vive le Mexique! |
La Fondation Hace A.C. est une association sans but lucratif
dédiée à promouvoir la connaissance, l’intégration et la compréhension de
l'autisme et d'Asperger.
Depuis 2008, nous avons réalisé des efforts importants pour
établir notre raison d'être, diffuser de l'information précise, créer des
espaces pleinement conviviaux et développer une communauté informée et
consciente de la diversité présente dans la société. Dans l'exercice de ces actions,
nous cherchons à rester à jour et à l’avant-garde des connaissances théoriques
et pratiques dans le domaine, en prenant comme référence les principaux
professionnels et grandes institutions de partout dans le monde et en adaptant
ces connaissances à la réalité latino-américaine.
La recherche, les connaissances et la compréhension
actuelles au sujet de l'autisme et d'Asperger nous invitent aujourd'hui à
effectuer un changement de paradigme en ce qui concerne leur conceptualisation.
Pour cette raison, nous considérons comme étant fondamental de changer le terme
« trouble », qui fait invariablement référence à une pathologie ou à
une perturbation, pour adopter celui de « condition », qui fait
référence à l'ensemble des caractéristiques particulières définissant un être
ou un ensemble d'êtres, ainsi que cela a été fait par plusieurs groupes de
spécialistes dans le domaine de la neurodiversité. Laissons derrière nous
l'expression inadéquate « Troubles du spectre de l'autisme » (TSA) et
utilisons plutôt « Conditions du spectre de l'autisme » (CSA) pour
faire référence aux personnes avec autisme et Asperger.
Il ne s'agit pas d'un changement superficiel : en
effet, nous devons garder à l'esprit que les mots que nous utilisons organisent
notre perception de la réalité et en ce sens, que nous avons une responsabilité
sociale auprès de toute la communauté lorsqu'il s'agit de démystifier, de
clarifier et d'approcher l'information disponible actuellement.
Nous utilisons la terminologie « Conditions du spectre
de l'autisme » puisqu'elle reflète la nature complexe de l'autisme et
d'Asperger, et qu'il ne s'agit pas de maladies, mais bien d'un développement
neurologique différent qu'on ne doit pas chercher à guérir, mais à comprendre.
Nous invitons tous les professionnels et parents, toutes les
institutions et la société en général à se joindre à cette initiative lancée
aujourd'hui à partir du Mexique pour toute l'Amérique latine.
Signatures :
Enlace Autisme
Castelo Centro Educativo
Coconeh autisme
Kodomo
IDEA
EITA
Olé! Que du bon sens. Encore fallait-il en avoir l'humilité et l'audace. Vive le Mexique!!! La terminologie actuelle, issue des DSM, est attristante, anxiogène, débilitante, tant pour nous que pour nos parents.
Je reçois souvent des textes de réflexions sur
l’autisme, celui-ci est signé signé Éric. Un texte original qui
aborde précisément l’autisme-médical comme un fantôme, un spectre : celui
d’un héritage liquidé dans notre société. Je cède donc la parole à mon ami
Éric.
Le spectre autistique : un
vide religieux ?
Vers la rupture
Serait-ce lui, le Spectre de l'autisme?! (Source: Amazon) |
La religion
fût le fondement de
la société, ce sur
quoi elle s'est basée,
ses fondations. Depuis la
nuit des temps et
jusqu'à très récemment, l'homme
s'est construit des pratiques
religieuses rigoureuses sur lesquelles
se sont bâties les
civilisations. Ces pratiques se
sont développées de manière
continue, et c'est là
un point crucial sur
lequel insiste toutes les
religions authentiques : il n'y a
pas eu de rupture
entre le fondateur d'une
religion et des pratiques
contemporaines, et la plupart
du temps fait même
remonter ses pratiques à
la naissance de l'humanité,
y puise des
fondements mythiques. La religion
chrétienne s'est bâtie sur
la religion juive, qui
elle-même fait remonter ses
fondements mythiques à la
création de l'homme par
Dieu, donnant même une
description de la création
du monde lui-même. C'est-à-dire
qu'est établie une continuité,
depuis la création du
monde jusqu'aux pratiques modernes.
On pourrait de même
prendre l'exemple de l'islam,
qui s'appuie lui aussi
sur la tradition juive,
mais bien plus du
bouddhisme, qui prolonge la
longue tradition brahmane remontant
à la nuit
des temps. On voit
donc ainsi que, peu
à peu et
sans discontinuer, la religion
a posé les
fondations des civilisations, son
architecture sacrée.
Or, qu'a
fait l'homme depuis le
XVIIe Siècle, c'est-à-dire depuis
un temps extrêmement court
comparé à l'histoire de
l'humanité? Il s'est évertué
à détruire méthodiquement
ces fondements, en faisant
appel à sa volonté
propre comme seule projet
de civilisation. Il a
consciemment détruit les temples
de l'esprit que les
générations précédentes avaient lentement
et patiemment érigés.
Les éléments constitutifs
On peut
maintenant se demander de
quels éléments sont constitués
ces fondations religieuses? Globalement,
de grandes figures exemplaires,
de pratiques et de
grands principes.
L'ermite
À moins que ce soit lui, le Spectre de l'autisme?! (Source: Amazon) |
Une des
grandes figures fondatrices d'une
religion est l'ermite, le
renonçant, celui qui pratique
le jeûne, la prière
solitaire dans les déserts,
les forêts ou qui,
plus tard, s'organise en
communautés monastiques dans le
but toujours de pratiquer
une forme d'isolement (moine
= monos =
seul). Même les grands
leaders religieux opérant dans
le monde ont dû
nécessairement passer par une
période d'isolement et de
jeûne total durant une
période plus ou moins
longue. Tous ont ressenti
la nécessité de se
retirer du monde, d'une
manière temporaire ou continuelle.
Nulle base spirituelle authentique
(constituant donc une structure
religieuse importante) ne peut
faire l'économie de ce
retrait du monde.
La transmission
Un deuxième
élément constitutif d'une religion
authentique est la transmission
des enseignements et des
pratiques. Les mêmes éléments
se transmettent de génération
en génération, c'est-à-dire connaissent
des transformations, des évolutions extrêmement
lentes.
Les rituels
Un troisième élément fondamental
du fait religieux sont
les rituels. C'est l'aspect
le plus immédiat, le
plus pratique de la
religion, qui ne nécessite
pas les approfondissements métaphysiques
et spirituels du mystique.
C'est le rôle du
prêtre, celui qui est
inscrit dans le monde,
que de transmettre les
rituels, pour le plus
grand nombre. Ainsi, on
peut dire, que l'on
se trouve là à
la base de la
pyramide religieuse : en haut, le
mystique ermite, isolé, qui
établit un lien direct
avec Dieu, jusqu'à se
fondre en lui ; les
moines, professeurs-étudiants qui se chargent
de la transmission du
savoir et d'une certaine
manière de l'esprit ; et
enfin les prêtres qui
appréhendent le rapport au
divin à travers les
rituels exécutés pour la
masse des fidèles. Les
rituels sont donc l'aspect
le plus pragmatique, extérieur,
de la religion.
Or, selon Leo Kanner [qui fut, avec Hans Asperger, un des pionniers de l’étude de l’autisme], la
figure de l'autiste, qui
fascine tellement notre société,
possède trois grandes caractéristiques :
L'isolement (aloneness)
L'autiste se
replie en lui-même, c'est-à-dire
se retire du monde.
L'immuabilité (sameness)
L'autiste essaie
de maintenir les choses
dans une continuité immuable,
supportant très mal les
ruptures.
Les stéréotypies
L'autiste établit
des rituels, qu'il répète
quotidiennement pour se rassurer
contre les agressions du
monde.
Un spectre moderne
[Sans discuter du bien-fondé de la vision
proposée par Leo Kanner, il est intéressant de retrouver] dans ces
trois caractéristiques autistiques les trois
grands éléments des religions
défuntes décrits auparavant : l'ermite,
la transmission et les
rituels. Or, loin de
constituer les aspects folkloriques
d'une période superstitieuse de
l'humanité, ils en constituaient
des aspects fondamentaux, en
réponse au mystère de
l'existence. Vidés de leurs
substances, l'homme moderne se
raccroche à leurs ersatz profanes :
le star system, la télévision ou
les courses. La civilisation
moderne étant désormais incapable
de prendre en considération
la figure du mystique
isolé, la transmission d'enseignements
ancestraux et la pratique
de rituels traditionnels, le
vide créé réapparaît dans
une figure malade. La
société ne peut qu'observer,
fascinée et désespérée, à
travers l'autiste, la résurgence
sous forme [qu’elle
étiquette comme étant] pathologique de
ces éléments qu'elle avait
espéré pouvoir définitivement éradiquer.
Après une période d'invasion,
où les troubles étaient
considérés comme « envahissants », ils
se rapportent désormais à
un « spectre autistique », dont
la présence diffuse ne
fait plus de doute.
Ayant tué les fondements
même sur lesquels elle
s'était construite et dont
elle pensait pouvoir se
passer, la société ne
peut qu'assister impuissante à
l'émergence du fantôme qu'elle
a elle-même produit
et qu'elle invoque : le
spectre autistique revient aujourd'hui
la hanter!
Eric
J’ajoute
un point aux propos d’Éric (que je remercie au passage). Le vide religieux a créé un autre spectre, ou
plutôt a redonné force, corps et audace à un vieux démon qui somnolait dans les
profondeurs de l’humanité. Le revoici, bien plus inquiétant que le spectre de l’autisme :
ce spectre monstrueux qui inspire à des gens, même à des gens bien, de tuer autrui au nom
d’une conception totalitaire de la divinité. Accentuer le vide en réaction ne
pourra que nourrir davantage ce démon qui frappe aujourd’hui.
Sources des illustrations: Collection personnelle (Val Notre-Dame), sites commerciaux, Wikipédia ( Domaine public PD-US)