MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



lundi 2 mai 2016

LA VOIX DU SILENCE

LA VOIX DU SILENCE
1) À pas feutrés
2) Le silence négatif 
3) Le silence sert à écouter
4) Conquête par le bruit
5) De l'oreille et de l'amour du bruit
6) Conflits de droits
7) Sans silence, pas de musique


L’homme qui fait du bruit n’entre en lui que du bruit (proverbe Touareg)
Les mots qu'on n'a jamais prononcés sont les fleurs du silence (proverbe japonais)


Les personnes autistes ont les qualités de leurs défauts et vice-versa. Ainsi, plusieurs d’entre nous supportent mal le bruit, surtout si notre exposition est prolongée. Pourquoi? Généralement, les experts disent que nous avons des «hypersensibilités sensorielles», y compris aux sons. Mais selon moi, c’est mal voir les choses. Les personnes autistes sont les gens du détail : notre intelligence commence par percevoir les détails avant de se déployer vers l’ensemble – c’est l’inverse de la perception majoritaire qui perçoit plutôt d’abord l’ensemble avant d’aller vers les détails. Un enfant autiste voit un univers infini dans de petites choses : les experts parlent alors d’«intérêts limités et répétitifs». Autre erreur! En vérité, il y a un monde dans une seule goutte d’eau! Il suffit d’examiner une goutte d’eau puisée dans un lac au microscope pour s’en rendre compte. Serez-vous étonnés d'apprendre qu'Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), qui a perfectionné le microscope et est considéré comme le père de la microbiologie, était lui-même autiste, de type Kanner (avec retard du langage parlé à l'enfance)?
Leeuwenhoeck: savant et autiste type Kanner
De son point de vue, l’enfant autiste a donc parfaitement raison. Qu’est-ce que le bruit? «Le bruit» au singulier est une figure de style : le bruit est toujours multiple, et on pourrait écrire «le bruits». C’est un monde de fréquences, de vibrations, de sonorités, de timbres. Un bruit, un simple bruit, contient plein de détails. Quand une personne autiste évolue dans un environnement bruyant, ce n’est pas «le bruit» qu’elle perçoit, mais bien une infinité de détails sonores en un flot d’informations. C’est pourquoi nous préférons les environnements acoustiques tamisés : ils contiennent moins de détails. Il en va de même pour la lumière. Que révèle la lumière? Plein de formes et de couleurs : là encore une multitude de détails. Dans un environnement suréclairé, un flot de détails et d’informations vient à moi. À nouveau, c’est pourquoi les personnes autistes préfèrent les environnements visuels tamisés, dans lesquels les détails sont moins mis en évidence. Pour différente qu’elle soit de la perception majoritaire, cette perception autistique n’est pas du tout erronée ou pathologique puisqu’elle perçoit effectivement la réalité.


À pas feutrés

J’écrivais que les autistes ont les qualités de leurs défauts et vice-versa. Si le bruit nous exaspère plus rapidement que les personnes neurotypiques, nous tolérons autrement mieux qu’elles le silence et la solitude. Un ami, lui-même autiste, est venu chez moi et s’est étonné : «Ta maison est vraiment très silencieuse!». Oui, il y a rarement de la musique qui joue, et la télé n’est allumée que lorsque je l’écoute – et je l’écoute peu. J’aime dire que ma maison est mon petit monastère. Quoi! Elle est à mon image! Mais est-elle si silencieuse? Une personne neurotypique pourrait être troublée de vivre dans un tel environnement, et pourtant ma maison n’est pas tout silence. Ma belle vieille horloge grand-père meuble le salon avec son tictac et sa sonnerie à tous les quarts d’heure. Mon réfrigérateur est très silencieux comparé à d’autres, mais il produit tout de même un petit bruit à l’occasion. L’ordinateur sur lequel je travaille fait entendre le doux murmure de sa ventilation. Les sons de la rue entrent chez moi, même si tamisés par portes, fenêtres et murs. Mon compagnon félin, Napoléon, apprécie lui aussi cette atmosphère acoustiquement tamisée. Les chats sont discrets : ils se déplacent doucement et parlent peu. Ils ont horreur du bruit fort. Seraient-ils autistes?! Pour moi, c’est une compagnie que j’aime, cette présence feutrée. Une merveille que les chats!

Mon petit monastère. La vie spirituelle est indissociable du silence. La méditation se pratique idéalement en silence. Les maîtres spirituels ont toujours valorisé le silence. Fatigué par les foules et les interactions sociales intenses, Jésus se retirait régulièrement, au désert, sur une montagne ou dans un jardin. Pour se reposer et refaire le plein, mais aussi pour prier. La prière peut être verbale, intérieurement ou extérieurement, mais il existe aussi la prière contemplative qui se fait silencieusement, sans mots. Les moines pratiquent un vœu de silence : ce n’est pas l’absence totale de communication ou de paroles, mais leur tamisage. La voix de Dieu se révèle mieux dans le silence : le bruit, le bruit extérieur et plus encore ce bruit intérieur que nous entretenons sans cesse, le bruit la masque. Le silence de Dieu est le fruit douteux d’une civilisation bruyante. Un sage Indien observait que s’ils devaient choisir entre aller au Ciel ou assister à une conférence sur le Ciel, les gens aujourd’hui choisiraient plus volontiers la conférence! 
Il n'y a de communion profonde que dans le silence. Les grandes émotions ne se communiquent et ne se partagent que dans le silence (Emmanuel de Miscault)

Le silence négatif

Le bruit est addictif! «Le bruit, c’est la vie; le silence, la mort». J’ai souvent l’impression que notre société voit les choses ainsi. Le silence est comme un vide : «réduire quelqu’un au silence» est l’empêcher de s’exprimer; «passer un sujet sous silence» est éviter d’en parler et en faire un tabou; «la loi du silence», ou omerta, est une pratique d’organisations criminelles. La privation par le silence est une forme de torture, et la censure peut être vue comme l’imposition du silence. Dans les institutions et la vie politique, le silence est perçu comme un manque de transparence. Ne pas dénoncer une situation injuste est moralement condamnable. Je vis dans le «monde de la communication». Avec les réseaux sociaux, tout le monde prend la parole, pour tout et pour rien. Je constate pourtant que la parole peut elle aussi être malintentionnée et assassine. Que le bruit peut lui aussi être une forme de torture et avoir des effets néfastes sur la santé physique comme psychologique. Il est tant de paroles inutiles ou méchantes, tant de bruits lourds et sans grâce! Saint Augustin ironisait sur la «foire au bavardage» des philosophes à laquelle il s’était lui-même adonné des années durant. Avant de comprendre.

Le silence sert à écouter

Les citations en exergue sont tirées de ce livre.
Il y a vingt-cinq ans, en octobre 1969, une assemblée de l’UNESCO adoptait à l’unanimité un texte limpide : «L’assemblée dénonce le trouble intolérable apporté à la liberté individuelle et au droit de chacun par l’usage abusif de la musique enregistrée et radiodiffusée dans les lieux publics et privés. Elle demande au comité exécutif de faire étudier ce problème sous tous ses aspects - médical, scientifique, juridique... - sans en oublier la forme artistique et éducative, et de proposer à l’UNESCO, en premier lieu, et aux autorités compétentes toutes mesures de nature à mettre fin à cet usage abusif de la musique (...)». Voilà qui s’appelle prêcher dans le désert! À moins que ce ne soit le bruit ambiant qui ait couvert ce message... Quelques décennies plus tard, la situation n’a guère changé, bien au contraire : plus que jamais, la musique est utilisée à toutes les sauces et omniprésente dans nos vies. Il ne s’agit pas ici d’aimer ou non la musique : il s’agit de prendre conscience du discrédit que cette diffusion systématique jette sur l’art musical lui-même. Car quelle portée prophétique peut donc conserver un art lorsque tous peuvent l’utiliser à doses massives, sans conscience voire sans scrupules? Toile de fond générale, outil routinier de manipulation des «consommateurs» et autres rôles que nous faisons jouer à la musique : comment croire que cet art puisse être encore porteur de sagesse et de connaissance? «Une chose n’existe, ou en tout cas ne devient signifiante, que lorsque son contraire existe également. Nous ne connaissons la lumière que parce que nous savons aussi ce qu’est l’obscurité. De même pour la musique : nous ne la percevons que parce qu’il y a, face à elle, le silence (...). Sans silence, pas de musique» (Jacques Boulay, Avant-propos du numéro de juillet 1985 de la revue musicale Sonances).

Pourquoi est-il si difficile d’obtenir le silence? Pourquoi sommes-nous si tolérants au bruit? Pourquoi participons-nous, souvent à notre insu, à ce tapage? Pourquoi certaines personnes affirment-elles même avoir besoin du bruit pour travailler, pour étudier, pour vivre? Le psychothérapeute André Renaud suggérait l’explication suivante. Pour pouvoir écouter quelqu’un, il faut faire silence, silence en soi. Il faut faire le vide en soi pour faire le plein de ce que l’autre a à nous dire (que l’«autre» en question soit une personne qui nous parle ou une œuvre musicale qui est jouée). Or c’est là la grande difficulté : car il y a une parole en nous, une parole sans cesse en action. Parce qu’il oblige à écouter ce discours intérieur, le silence agit comme un révélateur : il nous révèle notamment tout ce que notre voix intérieure porte de souffrance, de douleur, de questionnement et d’angoisse. De vide aussi quelquefois : plusieurs personnes n’utilisent-elles pas la musique pour meubler la solitude? Cette voix intérieure dérange : pour ne pas l’entendre, nous cherchons à la taire; et pour la taire, nous évitons le silence qui nous met face à elle. Pourtant, dans le processus de la maturation de la personne humaine, cet apprentissage du silence est peut-être le plus important travail à réaliser sur soi...

Sans silence, pas de musique. Or la civilisation humaine est de plus en plus bruyante. Le compositeur canadien Raymond Murray Schafer se penche depuis quelques décennies sur ce phénomène, multipliant livres et études, dont son désormais classique The tuning of the world (paru en français en 1979 et réédité depuis, chez Jean-Claude Lattès sous le titre Le paysage sonore). Cet ouvrage marquait les débuts de l’«écologie sonore». Murray Schafer a donc observé que, du chant grégorien au rock et aux «Raves», nous assistons à un grand crescendo, à une immense augmentation du niveau sonore dans la musique occidentale, et que cette évolution dans un domaine artistique reflète l’évolution générale de notre civilisation. Le crescendo commence vers le 13e siècle, alors que les orgues se développent. Le son puissant de ces instruments symbolisait la toute-puissance de Dieu. Rapidement passée de l’univers sacré au monde profane, cette association du bruit à la puissance s’est renforcée avec le développement des armes à feu qui transforma radicalement l’art militaire à la Renaissance. De l’époque du grand musicien classique Joseph Haydn (1732-1809) à la fin du 19e siècle, l’orchestre symphonique ne cessa de s’agrandir : le nombre croissant de ses membres se doublant évidemment d’une puissance sonore toujours accrue. Ainsi, d’environ vingt musiciens, l’orchestre finit par en compter cent, voire cent vingt; cela étant contemporain de la montée du pouvoir de la bourgeoisie marchande comme des progrès de la révolution industrielle, de ses bruits d’acier, de ses trains, de l’urbanisation conquérante.

On apprend plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers vous enseigneront des choses que vous ne sauriez entendre ailleurs (saint Bernard)

Écoute le souffle de l’espace, le message incessant qui est fait de silence (Rilke)


La conquête par le bruit

Une nouvelle phase du crescendo fut ouverte au début du 20e siècle, avec l’invention de l’enregistrement et de l’amplification sonores. Ce nouvel accroissement venait renforcer l’impérialisme qui lui était déjà associé. En 1938, Adolf Hitler pouvait ainsi écrire : «Nous n’aurions pas conquis l’Allemagne sans le haut-parleur». Industrialisation de la musique, multiplication des réseaux de diffusion sonore, chaos acoustique général grandissant : autant de choses qui ont motivé l’UNESCO à prendre position. En vain? Depuis le début des années 1980, il y a tout de même un début de conscientisation, voire de changement d’attitude chez un certain nombre de personnes. Dans quelques domaines (transport, médecine : musicothérapie, architecture...), des signes se multiplient qui commencent à témoigner du nécessaire decrescendo, de la nécessaire diminution du bruit ambiant. Il n’est toutefois pas évident que la musique soit concernée par cela : sa surutilisation semble plutôt connaître de moins en moins de limites.

Les autres font ce qu’ils veulent de tes mots, tandis que tes silences les affolent (Frédéric Dard, alias San Antonio)

Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr (Paul Valéry)


De l’oreille et de l’amour du bruit

Le culte du bruit dans la société moderne a fait naître d’étranges comportements, comme celui du goût pour l’écoute de la musique à très fort volume sonore. En physique acoustique, le niveau sonore se mesure en décibels (dB). Selon les études, le bruit ambiant commence à devenir gênant à partir de 50 dB. À plus de 80 dB, le bruit cause de la fatigue physique et nerveuse : la norme industrielle stipule qu’un bruit de plus de 85 dB commence à être dommageable pour l’oreille lorsqu’écouté de façon continue sur une longue période de temps. À 100 dB, le bruit devient dangereux et à 120 dB, il cause de façon immédiate une douleur intense. Culte du bruit : en Europe, une loi a limité le volume sonore du iPod à 105 dB, au grand dam d’Apple, mais aucune limite n’existe au Canada. 105 dB représente tout de même l’équivalent du bruit d’un marteau-piqueur! Les haut-parleurs de certaines discothèques peuvent émettre des sons allant jusqu’à 126 dB, ce qui revient presque au vacarme à proximité d’un réacteur d’avion en marche! Or pour cet organe délicat qu’est l’oreille, tout phénomène sonore est équivalent : bruits industriels et musique produisent les mêmes effets...

La nocivité du bruit dépend de la durée de l’exposition. La fatigue auditive, qui se traduit par une perte partielle et temporaire de la sensibilité auditive, est un signal d’alarme qui se dissipera en autant que l’on donne à l’oreille un temps de récupération approprié. Par exemple, la perte d’audition causée par un séjour de deux ou trois heures dans une discothèque sera récupérée dans les douze ou quatorze heures suivantes. Cela à condition que l’oreille ne soit pas exposée à d’autres bruits intenses durant cette période : le danger croît avec l’usage! Et c’est là qu’est le problème : on ne laisse pas toujours le temps à l’oreille de récupérer suffisamment. Les dommages causés par les «loisirs bruyants» sans temps de repos adéquats sont insidieux : non décelables à court terme, ils ne se traduisent pas par une surdité soudaine mais plutôt par une accélération très progressive et irréversible des processus de vieillissement de l’oreille. Peu à peu, de façon prématurée, la sensibilité pour les hautes fréquences (les sons plus aigus) s’émousse. Souvent, des bruissements continus (dits «acouphènes») à l’intérieur de l’oreille viennent gêner l’audition. De jeunes adultes peuvent ainsi se retrouver avec une ouïe semblable à celle de personnes beaucoup plus âgées.

Par goût de la musique forte, plusieurs adolescents et jeunes adultes ne s’accordent pas de temps de repos auditif suffisant. Mais d’autres personnes, elles, sont en situation professionnelle qui les expose constamment à des niveaux de bruit intenses : les travailleurs d’usine et de la voirie, les musiciens d’orchestre, les employés des discothèques, etc. ; certains éducateurs physiques aussi car, dans nombre de gymnases, des radios crachent de la musique jusqu’à 90 dB, ce qui est à peine moins que la moyenne des discothèques (pour ma part, je n’ai jamais compris cette manie de faire jouer de la musique dans les gymnases lors d’activités physiques. J’imagine qu’il s’agit d’un autre «fruit» de l’association devenue «traditionnelle» entre musique et «puissance», puissance au sens musculaire ici!).

Plusieurs professionnels de ces domaines ont ainsi subi, au fil du temps, des atteintes sérieuses aux oreilles. Même si un regroupement a été formé pour sensibiliser les musiciens rock à ce danger (HEAR : Hearing Education and Awareness for Rockers), le sujet reste tabou et les gens hésitent à en parler : c’est que leur gagne-pain est en jeu... Hélas, il n’y a presque aucun recours possible : la musique à fonction commerciale semble bénéficier d’une impunité totale alors même que les niveaux qu’elle atteint dans certains environnements dépassent largement les seuils maximum acceptés dans le domaine industriel. Une serveuse de discothèque qui s’était plainte du trop fort bruit dans son lieu de travail (91-97 dB) s’est faite dire de porter des bouchons : très pratique pour prendre les commandes des clients!

Nous sommes tellement dénaturés, nous avons tant perdu le contact avec notre corps que nous valorisons ce qui lui fait du mal, comme le bruit. Notre cerveau a pris goût à ce qui endommage nos oreilles. Une véritable perversion de l’esprit.

Si le mot que tu vas prononcer n’est pas plus beau que le silence, ne le prononce pas (Proverbe soufi).


Conflits de droits

Pour gérer le bruit dans la vie collective, il existe nombre de lois et règlements. Dans la loi québécoise, la musique est assimilée à n’importe quel autre bruit. Habituellement, les conflits peuvent se régler assez facilement. Mais il y a des cas où se confrontent deux droits fondamentaux reconnus par les chartes existantes : le droit à la jouissance paisible des lieux et celui de la liberté d’expression (la musique étant une des libertés garanties par ce dernier droit). Ainsi, dans plusieurs situations, aucun contrôle n’est possible : restaurants, centres d’achats, cinémas, etc. C’est le différend qui oppose les Ville de Montréal et de Saint-Lambert à cause du bruit des spectacles dans le Parc Jean-Drapeau. Montréal a toujours gagné et un juge a déclaré que c’était pour des raisons économiques qu’il lui accordait de polluer sa voisine.  La collectivité semble accorder à certains bruits une protection spéciale que les autres bruits n’obtiendront pas. Outre la «musique à fonction commerciale», il y a aussi le bruit causé par les opérations de déneigement, qui bénéficie d’une immunité totale, même de nuit! De même pour les bruits de fêtes. Il y a quelques années, le théâtre du Bois-de-Coulonge, en bordure des Plaines d’Abraham à Québec, avait programmé des représentations les jours des festivités de la Saint-Jean, la fête nationale. Or, le bruit intense des activités se déroulant à l’extérieur couvraient les paroles des comédiens à l’intérieur du théâtre! Ayant dû rembourser les billets pour deux représentations, et donc assumer de lourdes pertes, le théâtre intenta une action contre le Comité organisateur des fêtes. Il perdit sa cause : à l’occasion de la fête nationale, les interdits habituels en matière de bruits ne s’appliquaient tout simplement plus...

Pour chanter, le rossignol n’ouvre qu’un tout petit bec (Yosa Buson, Japon)


Sans silence : pas de musique

Un documentaire exceptionnel
 
À l’occasion d’un voyage dans la Nord québécois, je rencontrais quelqu’un qui, par choix personnel autant que par nécessité professionnelle, vivait avec sa femme et ses enfants hors des villes et villages, proche de la nature sauvage. Malgré les possibilités, je me suis rendu compte qu’il écoutait très peu de musique. Pourtant, il disait beaucoup aimer la musique! C’est qu’il en écoutait uniquement que lorsqu’il se sentait disponible pour se faire. Jamais en lisant un livre, jamais en faisant la vaisselle. «Faire le vide en soi pour pouvoir faire le plein de ce que l’autre a à nous dire»... Et toute la famille de même : on apprenait aux enfants à faire de l’écoute de la musique une fête ; des occasions rares mais auxquelles on participe pleinement. Il me dit que c’est une simple question de respect : de respect pour l’art musical lui-même, de respect aussi pour les gens qui lui consacre leur vie.

Qu’est-ce que la musique peut bien gagner à être diffusée jusqu’au téléphone?! Que peut-elle vraiment nous dire lorsqu’elle est utilisée comme une toile de fond générale? Quelle portée prophétique peut-elle encore conserver lorsqu’elle ne sert plus qu’à meubler notre solitude? Quelle considération mérite-t-elle alors que plusieurs de ses artisans eux-mêmes acceptent qu’elle devienne outil publicitaire de manipulation des «consommateurs»? Banalisée à l’extrême, commercialisée à outrance, totalement dépossédée du silence, son essentiel «contraire complémentaire», la musique, ainsi dénaturée, pourra-t-elle jamais redevenir une voie de sagesse et de connaissance du monde? Ou bien a-t-elle tout simplement déjà été sacrifiée sur l’autel de la civilisation marchande?

Certaines musiques sont comme des fleurs du silence. Celle que j’entends, celle qui joue partout, est crotte du bruit! 

Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public PD-US) et sites commerciaux pour les couvertures de livres et dvds
Une partie de cet article avait été publiée dans la revue L'Agora: http://agora.qc.ca/