Roseraie (opus 26): Musique en forme de jardin
Autre texte autour de Roseraie, mais discutant de liens entre complexité et simplicité, de même que du temps libre en musique: Le paradoxe de l'Édelweiss,
Par Otto Wilhelm Thomé (1885) |
Subissant
l’enfer à l’école, j’avais trouvé dans la composition de quoi me créer un
jardin secret, une oasis de beauté que je cultivais patiemment en marge de la
violence. Dans ce monde imaginaire, personne ne pouvait m’atteindre. Sans lui,
je ne sais pas si j’aurais pu survivre.
Treillis
pour Roseraie
Lorsqu’on
aménage un jardin en y intégrant des plantes grimpantes, cela nous prend des
treillis. Dans mes compositions, il y a des treillis. Ils sont souvent de
nature harmonique. Par exemple, dans Roseraie, mon treillis est une armature
constituée de deux harmonies. La première harmonie est l’accord de La bémol
majeur, dont la note grave (La bémol) oscille avec la tierce descendante Fa, et
la note aigüe, Mi bémol, oscille avec la tierce ascendante Sol (et même le Si bémol plus haut).
La deuxième
harmonie de mon treillis est faite des notes Ré, Fa, La et Si (naturel).
L’armature de Roseraie
n’est constituée que de ces deux harmonies!
Dans
mon travail de composition, les idées mélodiques sont les rosiers grimpants qui
vont se déployer, s’enrouler sur ces treillis, feuillir, fleurir et finir par
couvrir les treillis. L’impression de floraison foisonnante vient, entre
autres, de l’écriture polyrythmique, ou plutôt de la superposition fréquente du
temps mesuré et du temps libre, hors pulsation, hors tempo. La
musique de Roseraie foisonne de
mélodies et autres parce que les plantes ont couvert le treillis!
Plates-bandes
Dans certaines de mes pièces, les
formes musicales sont végétales, arborescentes : quelques brefs fragments
mélodiques drageonnent en de nombreuses plantes selon des formes libres. Il y a
de cela dans Roseraie, mais Roseraie est un jardin, donc cette pièce
est un aménagement de plates-bandes: sa forme est géométrique. Il y a sept
plates-bandes dans ma Roseraie – donc sept sections enchaînées dans la pièce.
À l'Abbaye de Fontfroide (Occitanie) |
La
plate-bande 3 est davantage mesurée et construite en un dialogue entre hautbois
et alto; seules les percussions jouent une rosée hors pulsation; le tout menant
vers un autre sommet émotionnel, un chant éperdu – avec des mesures à 7
croches. La plate-bande 5 est aussi sinon davantage complexe rythmiquement que
la première. L’alto y a un long solo tendre, dans un environnement pointilliste
qui scintille doucement; puis, le hautbois se joint à lui amoureusement. La
dernière plate-bande (7) fait suite à la section la plus hantée et douloureuse
de la pièce (voir plus loin); elle ramène les sonorités douces, florales et
printanières du début. Mais ce n’est pas du tout une reprise, et elle est
entrecoupée de bribes mélodiques émues, toujours dans une subtile douceur.
Les plates-bandes paires (2, 4, 6)
correspondent au treillis Ré mineur. Elles sont ombrageuses et épineuses;
chacune d’elle devient de plus en plus insistante, plus développée, et la
dernière, la sixième plate-bande, prend des couleurs carrément funèbres,
expressionnistes même, une explosion douloureuse je pense bien. Ces couleurs ne signifient pas que la musique y soit plus dissonante, bien qu'elle puisse être perçue ainsi par certaines personnes. Leur musique est
presque entièrement mesurée mais très mélismatique pour le hautbois et l’alto;
cependant, des bourrasques de vent non mesurées viennent la secouer par
moments. Donc, les fleurs et les épines…
Éros et
Thanatos
Roseraie en répétition à la Ferme du Vinatier |
Ce jardin est celui d’Éros et
Thanatos, celui de l’Amour et de la Mort. Inspirée de la condition humaine, Roseraie
alterne ainsi ses plates-bandes tendres – reflets de l’amour partagé, du
bonheur, des joies simples, et des zones d’ombre, inquiètes, tendues, reflets
des peines, des séparations, des deuils, des difficultés de l’existence.
Prémonition :
en 2014, quelques mois après avoir achevé Roseraie,
ma mère décédait (qui avait été hospitalisée à plusieurs reprises au cours de l’année)
et mon mariage prenait lui-même fin…
Et pourtant, un seul Rosier fleurit
quelque part, et c’est le printemps partout.
J’ai dirigé Roseraie
lors de la création à la Ferme du Vinatier le 5
décembre 2016, et lors de la reprise à la Salle Debussy du Conservatoire de Lyon le 7
décembre. Olivier Hue était le hautboïste, Catherine Arnoux l'altiste, avec un ensemble d'étudiantes et d'étudiants du Conservatoire CRR de Lyon. C’était pour moi une première expérience de direction d’orchestre,
car autrement je dirige un chœur. Un baptême de feu puisque Roseraie
n’est pas une pièce facile à
diriger...
Photos par Coralie Adato et Antoine Ouellette. Wikipédia pour le dessin de rosier (Domaine public, PD-US)