MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



vendredi 1 septembre 2017

LE TRIOMPHE DE LA MUSIQUE MILITAIRE: PULSATIONS

Le triomphe de la musique militaire

1. Une trilogie
2. E.-T. enquête sur le rythme
3. Le beat: aucun lien avec le corps
4. L'amorce de Pulsations? Une fanfare militaire
5. Méditer sur le temps, sur notre temps...


Cet article a été publié en septembre 2017.

C’est avec joie que j’annonce la parution de mon nouveau livre! Il est publié chez Varia. Pourquoi pas chez Triptyque comme les deux précédents? C'est que Triptyque a été vendu au Groupe Nota Bene et, chez Nota Bene, les essais comme les miens sont publiés sous la bannière Varia. Alors, ce nouveau livre s'intitule Pulsations, avec le sous-titre : «Petite histoire du beat». Dans cet article, j'en donne un petit avant-goût. Je réfère aussi à cette page de mon site:
Un lecteur de mon livre précédent, Musique autiste, m’avait dit avoir lu ce livre avec le même plaisir coupable  qu’une revue porno, hum, et je pense que les amateurs de «plaisirs coupables» seront ravis par Pulsations.
http://www.groupenotabene.com/


Une trilogie

La mode est aux trilogies littéraires. Pulsations est donc le dernier volet d’une trilogie portant sur la musique et ses éléments fondamentaux : Le chant des oyseaulx traitait du son, Musique autiste du style, et maintenant Pulsations aborde le rythme. N’ayez crainte : ce ne sera pas technique ou sec, bien au contraire! J’ai écrit mes trois livres en prenant pour acquis que les lecteurs ne connaissent pas le jargon de la théorie musicale : Pulsations est donc aussi accessible que les deux précédents. En fait, des trois livres, c'est le plus concis, le plus direct et, oui, le plus mordant. Je dirai plus loin le «scénario» de ce livre qui s’ouvre avec… la musique militaire! 
 
Les percussions de la batterie viennent TOUTES de la musique militaire, tout particulièrement de celle des Janissaires, soldats de la Turquie qui tentaient d'effrayer leurs adversaires avec le bruit de leur grosses caisses, cymbales et autres... La Pop est-elle autant «peace and love» qu'elle le prétend?
 
Une trilogie, donc, mais chaque livre pouvant se lire indépendamment des autres aussi. Tout de même, j’ai désiré que l’ensemble forme un tout cohérent, dans le style et l’esprit. Un des principes assurant cette cohérence est de recourir à la biologie, aux sciences de la vie et de l’environnement – ce fut ma première formation universitaire avant que je me consacre à la musique. Je trouve que cela met la musique en lien avec des questionnements très actuels au sujet de la culture, de notre planète, de notre place dans la nature; je trouve aussi que cela permet de renouveler le discours sur la musique en plus de donner un point de vue particulier. Un autre principe de cohérence est le fait que les trois livres intègrent le point de vue de la création artistique personnelle, donc de ma propre expérience de musicien. Si je me permets de rêver, je me dis que les trois livres devraient être réédités en un seul gros volume, dans l’ordre Le chant des oyseaulx, Pulsations et Musique autiste. Pulsations est comme le scherzo de cette symphonie, ou encore comme le léger Allegretto entre deux longs Largos dans ma Sonate boréale pour violoncelle et piano. Mais même séparés, ils forment véritablement une histoire alternative de la musique.


E-T enquête sur le rythme!

Il y avait longtemps que je collectais des informations sur le rythme. J’avais donc un dossier substantiel auquel j’avais déjà tenté, sans succès je l’avoue, de donner forme. Puis je me suis dit : «Au diable! J’y reviendrai un jour quand cela aura mûri». Et voilà chose faite.

Fondement de la batterie et du beat, la grosse caisse vient directement de la musique militaire turque / Détail d'une toile de Carpaccio, 1507, montrant un janissaire avec sa grosse caisse.

Pas évident de parler du rythme! C’est tellement facile de tomber dans le jargon technique… et de perdre alors presque tout le monde! J’avais précédemment réussi à parler du son d’une manière, je crois, attrayante, alors que le même piège guettait, cela en partant de la musique des oiseaux. J’avais réussi le même défi avec la notion encore plus immatérielle du style, alors que le même piège du jargonnage guettait à nouveau, cette fois en partant de l’autisme. Mais le rythme??? Je me suis donc mis dans la peau d’un Extra-terrestre qui viendrait faire un petit tour sur Terre et qui, musicien dans l’âme, aurait écouté la musique de ces étranges bibittes que sont les êtres humains afin de tenter de les comprendre. Me mettre dans la peau d’un Extra-terrestre ne m’est pas difficile tant je suis décalé de mes semblables sur certains points – les personnes autistes formant une petite minorité de 3% de la population (oui, 3% et non pas 1%). Une chose a rapidement frappé l’Extra-terrestre en moi à l’écoute de la musique que les gens aiment tout spécialement : la présence quasi inévitable du beat. Le beat : une pulsation stable, très largement binaire (on compte : Un  - Deux, un deux trois quatre, un deux trois quatre, etc.) et, surtout, scandée fortement par un instrument conçu à cette fin, la batterie. 
 
Les cymbales viennent aussi de Turquie.
Sur le coup, E.T s’est beaucoup amusé de ce beat! Il a observé, sourire en coin, que ce beat entraîne les gens à danser, battre des mains, à taper du pied, à dandiner du cou, à pousser des cris et des exclamations comme Yeah!, etc. Bref, un type de mouvement musical qui semble trouver une résonance puissante dans le corps et l'esprit. Il a bien rigolé lorsqu’il s’est aperçu que ce beat est partout, jusque même au téléphone lorsqu’on lui met de la musique pour rendre «agréable» son attente. On lui a souvent dit que le beat, c’est la fête, le party, la danse, l’«éclatement»; certains lui ont même dit que le beat «défoule», ce qui l’a fait sourciller : «Pauvres Terriens! Ils ont donc tant besoin de se défouler?! Leur vie ne doit pas être très drôle…». Il a fini par comprendre que pour beaucoup de gens, tout se passe comme si, sans batterie ni beat, il ne peut quasiment pas y avoir de musique. «Très intéressant» s’est-il dit. Mais comme il a l’esprit d’une autre galaxie, il s’est posé une question : «Pourquoi est-ce ainsi?». Oui, pourquoi? Sur le coup, il a cru que le beat caractérise la musique humaine depuis toujours. Mais il a pris la peine de vérifier, et est allé enquêter sur diverses musiques humaines, souvent plus anciennes. Ce fut un peu troublant. 


Le beat: aucun lien avec le corps

Carlos Gardel, maître du tango, en 1934.
Ni le beat ni la batterie ne sont essentiels pour danser. Mon arrière-grand-père faisait danser tout son village avec son seul violon! Dans les tangos de l’Argentin Carlos Gardel (1890-1935), nous n’entendons pas du tout de percussions, donc pas de batterie, et pas davantage dans celle de son successeur Astor Piazzolla (1921-1992). Loin de suivre une pulsation stable, ce tango montre plutôt un rythme très capricieux. Et pourtant, il s’agit bien de musique de danse! J’ai donc élargi mon enquête, et rencontré plein de musiques sans beat ni batterie. J’ai même rencontré des musiques sans aucune pulsation stable, y compris dans des musiques populaires. Troublant! Alors s’est reposé la question : «Pourquoi?», et cette question a ouvert sur plusieurs autres : Pourquoi ce beat est-il devenu omniprésent? Que s’est-il donc passé? Pourquoi cette rythmique-là et non une autre? Pourquoi cela alors que le rythme musical pourrait être diversifié jusqu’à ignorer les temps et la mesure? Pourquoi ces instruments-là pour marquer le beat plutôt que d’autres? Pourquoi si lourdement appuyé et si souvent amplifié par micros et haut-parleurs? Pourquoi partout? Qu’est-ce que ce beat-Roi indique sur le temps que vivent les gens dans leur quotidien? Le Pourquoi du début est devenu une question qui tue…

La batterie regroupe les percussions militaires en un
dispositif permettant à un seul musicien de les jouer
toutes à la fois (ici Sonny Greer, avant 1920). 
Plusieurs mettent en relation le rythme musical avec les rythmes du corps. Or c’est faux. Ce lien n’existe pas. Oui, le corps montre des rythmes, mais ils ne sont pas si stables, pas même ceux du cœur ou de la respiration : ces rythmes fluctuent selon les activités ou le moment de la journée. Ils connaissent donc la flexibilité. On croit que le beat est inné, mais c’est encore faux : les enfants sont incapables de frapper régulièrement dans leurs mains plus que quelques secondes seulement – la flexibilité l’emporte rapidement, et les profs de musique s’acharnent pour que leurs petits élèves finissent enfin par jouer «bien en temps» et par respecter pulsation stable, temps et mesure. Le rythme musical serait-il alors plutôt lié aux rythmes de la nature? Là encore, non. Les rythmes de la Terre montrent, comme ceux du corps, de la flexibilité, pas une pulsation si stricte que le beat. Ce beat n’est donc lié ni au corps ni à la Terre; par conséquent, il est acquis et construit. Mais comment a-t-on fini par acquérir le beat et à l’imposer comme un ingrédient quasi incontournable de la musique?


L’amorce : une fanfare militaire

Fanfare, Sergent, habits et grosse caisse militaire bien en évidence. Sans le savoir,
la musique Pop avoue là clairement ses affinités militaristes. Ses textes
jurent paix et amour... que ses structures musicales démentent. 
 
J’en étais donc à ce point, et je réalisais que j’avais besoin d’une amorce pour écrire Pulsations. Et pouf, voilà que cette amorce s’est présentée : la musique militaire! Je ne sais pas comment cela s’est passé. Peut-être est-ce à cause de la pochette du disque des Beatles, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (1967: 50 ans cette année)? On y voit les gars des Beatles vêtus en musiciens de fanfare, avec la grosse caisse bien en évidence. Et puis, il y a le «sergent» du titre de l’album. Alors je suis allé voir du côté des fanfares militaires. Une révélation!

Quels sont les instruments de percussions essentiels dans une fanfare militaire? La grosse caisse, la caisse claire, les cymbales. Tiens donc! Quels sont les instruments essentiels de la batterie, ceux auxquels les premières batteries se limitaient? Grosse caisse, caisse claire et cymbales. Exactement les mêmes! Wow! Qu’ont en commun ces trois instruments? Tous viennent directement de la musique militaire : ils ont été inventés pour des fins militaires. C’est bel et bien leur origine, et cette origine n’est pas populaire. Oh que c’est intéressant! Il est impossible que ce ne soit qu'un simple hasard.

La caisse claire, encore militaire!
Voilà que je constate que les fanfares militaires ont joui d’une énorme notoriété au XIXe siècle. Que  villes et villages avaient, dans des parcs, des kiosques à musique où des fanfares venaient jouer au grand plaisir des promeneurs et des pique-niqueurs. Que la musique militaire est systématiquement en rythme binaire (Gauche – Droite, Gauche, droite, gauche…). Que la quasi-totalité des premiers musiciens de jazz ont eu leur formation musicale dans des fanfares militaires. Que les premiers orchestres de jazz sont en fait des fanfares, des fanfares miniaturisées oui mais des fanfares tout de même - la batterie n’est qu’un agencement de ces mêmes percussions afin de permettre à un seul musicien de les jouer tous. Que même
les grands Big Bands de l’ère du swing sont eux aussi des fanfares à peine déguisées : Glenn Miller (1904-1944) était d’ailleurs capitaine de l’armée des États-Unis, et son célèbre orchestre se nommait en fait Glenn Miller Army Air Force Band.

Je constate aussi que la musique dite Pop a piqué au jazz sa batterie, son rythme binaire et, donc, le beat. Et que donc, le beat provient directement de la musique militaire, non seulement sa rythmique elle-même mais jusqu’aux instruments qui le marquent! Fabuleux! Mais encore que le prototype du musicien Pop, Elvis Presley, a fait du service militaire, que son style country d’avant son service a fait place à son style Pop après son service, alors que sa carrière était gérée par un «colonel»! Incroyable!!! Vous voyez le fil? La rythmique Pop n’est pas du tout d’origine populaire, mais carrément d’origine militaire! Et ses emprunts à l’univers militaire ne se limitent pas à cela. J’avais l’amorce de Pulsations, et de quoi m’amuser beaucoup! De vous amuser aussi, je vous jure.
Le chroniqueur de jazz Steve Race écrivait «Si un Martien venait sur Terre pour enquêter sur notre musique [tiens donc], il devrait écouter 10 000 disques de jazz pour trouver une pièce qui ne soit pas en quatre temps. Considérant l’émancipation qu’a apporté le jazz sur d’autres plans, c’est décevant… et étonnant». Décevant, je ne sais pas, mais «étonnant», ce ne l’est pas du tout!
Elvis: une carrière gérée par un «Colonel»:
la rencontre du faux et du militarisme.

En fait, il n’est pas étonnant non plus que la musique militaire ait eu une influence aussi forte au XXe siècle. Il y a eu d’innombrables conflits armés, dont deux guerres mondiales qui ont fait à elles seules des dizaines de millions de morts et se sont achevées par la pulvérisation nucléaire de deux villes japonaises. Surtout, ces guerres ont été médiatisées pour la première fois : les images de massacres, de bombardements, de troupes en combat, etc., ont circulé au point qu’à peu près tout le monde en a vu. Je ne sais pas si, toutes proportions gardées, il y a eu plus de guerres au XXe siècle (je pense que oui), mais il est certain que la guerre a été plus présente à travers les images qu’en ont rendu cinéma, télévision, Internet, etc.: elle ne pouvait plus se cacher. 
Mais bien avant déjà, les percussions militaires turques étaient entrées en Occident à travers les guerres expansionnistes menées par l'empire ottoman (turc): au XVIIIe siècle, Haydn et Mozart, entre autres, les avaient utilisées. 
 
Bataille de Lepante en 1571. Toile d'un peintre anonyme, fin XVIe siècle. La puissante armée navale ottamane y fut miraculeusement battue par une coalition dirigée par Venise. C'est à travers des siècles de guerres expansionnistes de l'empire ottoman que les percussions militaires turques sont entrées en Occident... avant de devenir les fondements de la batterie...
 
Méditer sur le temps, notre temps…

John Philip Sousa (1854-1932). Son orchestre militaire
connaîtra une notoriété mondiale, de même que les
marches militaires qu'il a composées.
Voilà pour l’amorce. Mais Pulsations va beaucoup plus loin. Le beat n’aurait pu s’imposer à ce point et exercer une telle hégémonie s’il ne correspondait pas au temps que nous vivons. Sa rythmique addictive provient aussi du temps vécu, du temps aménagé dans cette civilisation, qu’elle renforce en retour en un puissant conditionnement. Un auteur se posait cette question: «Qu'est-ce qui freine la transition écologique?». Il se demandait pourquoi l’humanité ne réagit pas plus fortement et plus rapidement face à la destruction écologique:  Je serais tenté de dire : «À cause de sa musique». Et ce n’est malheureusement pas qu'une boutade. Nous sommes prisonniers d’un temps délétère, mais nous avons pris goût à cet esclavage au point que ce temps «va de soi» tant il forge nos vies et nos sociétés… au point aussi où, dans l’état actuel des choses, nous ne parvenons pas à sortir de l’impasse. Sinon dans le rêve de coloniser Mars pour «sauver l’humanité», comme certains scientifiques osent l’affirmer, dont Stephen Hawking. http://www.maxisciences.com/terre/selon-stephen-hawking-les-humains-devront-quitter-la-terre-d-039-ici-100-ans-pour-survivre_art39556.html

Oh, mais je précise : ce livre n’est pas un plaidoyer pour ou contre telle ou telle musique. Non. Ce livre est un roman allégorique sur notre aventure dans le temps. Un roman dont les personnages se nomment Pop, Jazz, Folklore, Classique, Beat, Rythme libre… La musique n’en est le sujet que parce qu’elle est un art du temps par excellence. Le rythme de la musique reflète la relation que nous avons avec le temps qui passe, comment nous percevons et aménageons le temps, comment nous l’avons figé en notre culture. Il parle aussi de notre lien à la Terre et à la vie. J’entends tant de gens discuter des enjeux et des défis environnementaux, mais sans prendre conscience du temps. Or, d’une façon ou d’une autre, ces enjeux et défis dérivent du temps, de comment nous vivons et pensons le temps... Je ne crois pas que nous pourrons leur trouver des solutions durables sans revoir et repenser notre relation au temps.

Le grand King Oliver (1895-1938) et son orchestre. Tout comme
la batterie est un dispositif miniaturisé, les premiers orchestres de jazz
étaient des fanfares miniatures, cela même jusqu'aux Big Bands. 
Dans Pulsations, je raconte donc les péripéties du temps, du rythme, du rythme musical. Chemin faisant, nous croiserons aussi des artistes psychédéliques du Moyen âge, des magiciens cannibales, des trains fous, des opéras transgenres du XVIIIe siècle, une flûte zen, et d’autres merveilles. Nous nous exposerons aux rythmes de musiques diverses, mais aussi à ceux de la nature, des villes et de notre corps. Nous verrons en passant que la musique classique est plus rapide que nous croyons, et la Pop plus lente, que la musique peut être addictive et que nos oreilles sont des capteurs extraordinaires, mais fragiles.

En avant la fanfare!

La grande fanfare de Monsieur Sousa, avec deux timbales à l'avant-plan, l'instrument de percussion premier des orchestres symphoniques. Encore une fois, les timbales sont d'origine militaire, et proviennent elles aussi de Turquie. Alors, consolons-nous, la musique classique affiche, elle aussi, des éléments militaires! Mais il est vrai que les timbales y sont moins envahissantes que la batterie en Pop...
 
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