Le triomphe de la musique militaire
2. E.-T. enquête sur le rythme
3. Le beat: aucun lien avec le corps
4. L'amorce de Pulsations? Une fanfare militaire
5. Méditer sur le temps, sur notre temps...
Cet article a été publié en septembre 2017.
C’est avec joie que j’annonce la parution de mon nouveau livre! Il est publié chez Varia. Pourquoi pas chez Triptyque comme les deux précédents? C'est que Triptyque a été vendu au Groupe Nota Bene et, chez Nota Bene, les essais comme les miens sont publiés sous la bannière Varia. Alors, ce nouveau livre s'intitule Pulsations, avec le sous-titre : «Petite histoire du beat». Dans cet article, j'en donne un petit avant-goût. Je réfère aussi à cette page de mon site:
Un lecteur de mon livre précédent, Musique autiste, m’avait dit avoir lu ce
livre avec le même plaisir coupable
qu’une revue porno, hum, et je pense que les amateurs de «plaisirs
coupables» seront ravis par Pulsations.
http://www.groupenotabene.com/
http://www.groupenotabene.com/
Une trilogie
La mode est
aux trilogies littéraires. Pulsations
est donc le dernier volet d’une trilogie portant sur la musique et ses éléments
fondamentaux : Le chant des oyseaulx
traitait du son, Musique autiste du
style, et maintenant Pulsations
aborde le rythme. N’ayez crainte : ce ne sera pas technique ou sec, bien
au contraire! J’ai écrit mes trois livres en prenant pour acquis que les
lecteurs ne connaissent pas le jargon
de la théorie musicale : Pulsations
est donc aussi accessible que les deux précédents. En fait, des trois livres, c'est le plus concis, le plus direct et, oui, le plus mordant. Je dirai plus loin le
«scénario» de ce livre qui s’ouvre avec… la musique militaire!
Une
trilogie, donc, mais chaque livre pouvant se lire indépendamment des autres
aussi. Tout de même, j’ai désiré que l’ensemble forme un tout cohérent, dans le
style et l’esprit. Un des principes assurant cette cohérence est de recourir à
la biologie, aux sciences de la vie et de l’environnement – ce fut ma première
formation universitaire avant que je me consacre à la musique. Je trouve que
cela met la musique en lien avec des questionnements très actuels au sujet de
la culture, de notre planète, de notre place dans la nature; je trouve aussi
que cela permet de renouveler le discours sur la musique en plus de donner un
point de vue particulier. Un autre principe de cohérence est le fait que les
trois livres intègrent le point de vue de la création artistique personnelle,
donc de ma propre expérience de musicien. Si je me permets de rêver, je me dis
que les trois livres devraient être réédités en un seul gros volume, dans l’ordre
Le chant des oyseaulx, Pulsations et Musique autiste. Pulsations est comme le scherzo de cette symphonie, ou encore comme le léger Allegretto entre deux longs Largos dans ma Sonate boréale pour violoncelle et piano. Mais même séparés, ils forment
véritablement une histoire alternative de
la musique.
E-T enquête
sur le rythme!
Il y avait
longtemps que je collectais des informations sur le rythme. J’avais donc un
dossier substantiel auquel j’avais déjà tenté, sans succès je l’avoue, de
donner forme. Puis je me suis dit : «Au diable! J’y reviendrai un jour
quand cela aura mûri». Et voilà chose faite.
Fondement de la batterie et du beat, la grosse caisse vient directement de la musique militaire turque / Détail d'une toile de Carpaccio, 1507, montrant un janissaire avec sa grosse caisse. |
Pas évident de parler du rythme! C’est tellement facile de tomber dans le jargon technique… et de perdre alors presque tout le monde! J’avais précédemment réussi à parler du son d’une manière, je crois, attrayante, alors que le même piège guettait, cela en partant de la musique des oiseaux. J’avais réussi le même défi avec la notion encore plus immatérielle du style, alors que le même piège du jargonnage guettait à nouveau, cette fois en partant de l’autisme. Mais le rythme??? Je me suis donc mis dans la peau d’un Extra-terrestre qui viendrait faire un petit tour sur Terre et qui, musicien dans l’âme, aurait écouté la musique de ces étranges bibittes que sont les êtres humains afin de tenter de les comprendre. Me mettre dans la peau d’un Extra-terrestre ne m’est pas difficile tant je suis décalé de mes semblables sur certains points – les personnes autistes formant une petite minorité de 3% de la population (oui, 3% et non pas 1%). Une chose a rapidement frappé l’Extra-terrestre en moi à l’écoute de la musique que les gens aiment tout spécialement : la présence quasi inévitable du beat. Le beat : une pulsation stable, très largement binaire (on compte : Un - Deux, un deux trois quatre, un deux trois quatre, etc.) et, surtout, scandée fortement par un instrument conçu à cette fin, la batterie.
Les cymbales viennent aussi de Turquie. |
Le beat: aucun lien avec le corps
Carlos Gardel, maître du tango, en 1934. |
La batterie regroupe les percussions militaires en un dispositif permettant à un seul musicien de les jouer toutes à la fois (ici Sonny Greer, avant 1920). |
L’amorce : une
fanfare militaire
J’en étais donc à
ce point, et je réalisais que j’avais besoin d’une amorce pour écrire Pulsations. Et pouf, voilà que cette
amorce s’est présentée : la musique militaire! Je ne sais pas comment cela
s’est passé. Peut-être est-ce à cause de la pochette du disque des
Beatles, Sgt.
Pepper's Lonely Hearts Club Band (1967: 50 ans cette année)? On y voit les
gars des Beatles vêtus en musiciens de fanfare, avec la grosse caisse bien en évidence.
Et puis, il y a le «sergent» du titre de l’album. Alors je suis allé voir du
côté des fanfares militaires. Une révélation!
Quels sont les instruments de percussions essentiels dans une fanfare
militaire? La grosse caisse, la caisse claire, les cymbales. Tiens donc! Quels
sont les instruments essentiels de la batterie, ceux auxquels les premières batteries
se limitaient? Grosse caisse, caisse claire et cymbales. Exactement les mêmes! Wow! Qu’ont en commun
ces trois instruments? Tous viennent directement de la musique militaire :
ils ont été inventés pour des fins militaires. C’est bel et bien leur origine,
et cette origine n’est pas populaire. Oh que c’est intéressant! Il est impossible que ce ne soit qu'un simple hasard.
La caisse claire, encore militaire! |
Je constate aussi
que la musique dite Pop a piqué au jazz sa batterie,
son rythme binaire et, donc, le beat. Et que donc, le beat provient directement
de la musique militaire, non seulement sa rythmique elle-même mais jusqu’aux
instruments qui le marquent! Fabuleux! Mais encore que le prototype du musicien
Pop, Elvis Presley, a fait du service militaire, que son style country d’avant
son service a fait place à son style Pop après son service, alors que sa carrière était gérée par un «colonel»! Incroyable!!! Vous voyez le fil? La rythmique Pop
n’est pas du tout d’origine populaire, mais carrément d’origine militaire! Et
ses emprunts à l’univers militaire ne se limitent pas à cela. J’avais l’amorce
de Pulsations, et de quoi m’amuser beaucoup! De vous amuser aussi, je
vous jure.
Le chroniqueur de jazz Steve Race écrivait «Si un Martien venait sur Terre pour enquêter sur notre musique [tiens donc], il devrait écouter 10 000 disques de jazz pour trouver une pièce qui ne soit pas en quatre temps. Considérant l’émancipation qu’a apporté le jazz sur d’autres plans, c’est décevant… et étonnant». Décevant, je ne sais pas, mais «étonnant», ce ne l’est pas du tout!
Le chroniqueur de jazz Steve Race écrivait «Si un Martien venait sur Terre pour enquêter sur notre musique [tiens donc], il devrait écouter 10 000 disques de jazz pour trouver une pièce qui ne soit pas en quatre temps. Considérant l’émancipation qu’a apporté le jazz sur d’autres plans, c’est décevant… et étonnant». Décevant, je ne sais pas, mais «étonnant», ce ne l’est pas du tout!
Elvis: une carrière gérée par un «Colonel»: la rencontre du faux et du militarisme. |
En fait,
il n’est pas étonnant non plus que la musique militaire ait eu une influence
aussi forte au XXe siècle. Il y a eu d’innombrables conflits armés, dont deux
guerres mondiales qui ont fait à elles seules des dizaines de millions de morts
et se sont achevées par la pulvérisation nucléaire de deux villes japonaises.
Surtout, ces guerres ont été médiatisées pour la première fois : les
images de massacres, de bombardements, de troupes en combat, etc., ont circulé
au point qu’à peu près tout le monde en a vu. Je ne sais pas si, toutes
proportions gardées, il y a eu plus de guerres au XXe siècle (je pense que
oui), mais il est certain que la guerre a été plus présente à travers les
images qu’en ont rendu cinéma, télévision, Internet, etc.: elle ne pouvait plus se cacher.
Mais bien avant déjà, les percussions militaires turques étaient entrées en Occident à travers les guerres expansionnistes menées par l'empire ottoman (turc): au XVIIIe siècle, Haydn et Mozart, entre autres, les avaient utilisées.
Méditer sur le temps, notre temps…
John Philip Sousa (1854-1932). Son orchestre militaire connaîtra une notoriété mondiale, de même que les marches militaires qu'il a composées. |
Oh, mais je
précise : ce livre n’est pas un plaidoyer pour ou contre telle ou telle
musique. Non. Ce livre est un roman allégorique sur notre aventure dans le
temps. Un roman dont les personnages se nomment Pop, Jazz, Folklore, Classique,
Beat, Rythme libre… La musique n’en est le sujet que parce qu’elle est un art
du temps par excellence. Le rythme de la musique reflète la relation que nous avons
avec le temps qui passe, comment nous percevons et aménageons le temps, comment
nous l’avons figé en notre culture. Il parle aussi de notre lien à la Terre et
à la vie. J’entends tant de gens discuter des enjeux et des défis
environnementaux, mais sans prendre conscience du temps. Or, d’une façon ou
d’une autre, ces enjeux et défis dérivent du temps, de comment nous vivons et
pensons le temps... Je ne crois pas que nous pourrons leur trouver des
solutions durables sans revoir et repenser notre relation au temps.
Dans
Pulsations, je raconte donc les
péripéties du temps, du rythme, du rythme musical. Chemin faisant, nous croiserons
aussi des artistes psychédéliques du Moyen âge, des magiciens cannibales, des
trains fous, des opéras transgenres du XVIIIe siècle, une flûte zen, et
d’autres merveilles. Nous nous exposerons aux rythmes de musiques diverses,
mais aussi à ceux de la nature, des villes et de notre corps. Nous verrons en
passant que la musique classique est plus rapide que nous croyons, et la Pop
plus lente, que la musique peut être addictive et que nos oreilles sont des
capteurs extraordinaires, mais fragiles.
En avant la fanfare!
Source des illustrations: Wikipédia (Domaine public PD-US) et sites commerciaux