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L'UNIQUE CHANSON, POUR VOIX DE FEMME (MEZZO) ET PIANO (opus 54 #4):
C'est la plus simple et dépouillée du cycle.
La partition éditée (Finale) complète et la partition de chacune des cinq chansons du cycle sont disponibles au Centre de musique canadienne:
Contact: atelier@cmccanada.org ou / or quebec@cmccanada.org
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À lire
Pulsations en surface, certains ont pensé que je suis contre la chanson. C’est
tout faux! Il y a plein de belles chansons et, dans le livre, je discute de la
chanson en montrant comment elle a été «réquisitionnée» par une industrie…
Les plus anciennes traces écrites de chansons en Occident datent du XIe siècle et, auparavant, il y avait des chansons de tradition orale: la chanson n'a donc pas attendue la Pop pour exister! https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_IX_d%27Aquitaine Je ne peux pas être contre la chanson pour une autre bonne
raison : parce que j’en ai moi-même composées! On m’a souvent demandé si
j’avais composé de la musique vocale. Oui, mais surtout chorale. Alors, on m’a
redemandé si j’avais écrit des mélodies pour voix et piano. Non. Mais voilà
qu’en 2017, j’ai composé mes premières chansons! Pour voix de femme et piano.
Une nouvelle expérience de composition.
Je précise
un point : en musique classique, ce type de pièces se nomme plutôt
«mélodies», ou «lieder» en allemand. Je trouve que l’appellation «mélodie» crée
un peu de confusion, parce qu’il peut y avoir des mélodies dans des pièces
purement instrumentale. Mais au XIXe siècle, «mélodie» ou «lied» se
sont imposés alors qu’en fait, il s’agit bel et bien de chansons : lied en
allemand signifie chanson tout simplement. Il y a là une sorte de coquetterie,
peut-être parce que le mot chanson fait un peu «populaire». Pourtant, à la
Renaissance, on appelait chat un chat, et chanson une chanson. Les nombreux
recueils imprimés de chansons polyphoniques publiés au XVIe siècle
portent bel et bien le nom de chansons : les chansons de Clément Janequin,
de Claude Le Jeune, etc. Alors j’ai décidé de désigner mes pièces de ce type
comme des chansons : c’est ce qu’elles sont.
Esquisse de Voiles, chanson opus 54 #3 (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Pourquoi je n'ai pas composé
de chansons avant
J’avais
souvent pensé écrire des chansons en fait, et j’étais certain que j’en
composerais un jour. Mais je me heurtais constamment au même problème : je
ne trouvais tout simplement pas de textes qui m’inspiraient. Beaucoup de poèmes
sont déjà écrits dans une forme très précise, alors que je recherchais quelque
chose qui me laisserait davantage de liberté sur le plan formel. Je ne tenais
pas non plus à des poèmes en vers et avec des rimes, plutôt quelque chose
s’apparentant à la prose, à de la prose poétique qui se moule mieux à
l’irrégularité rythmique naturelle de ma musique. Mais sans longues phrases non
plus... De plus, dans les poèmes que je lisais, il se trouvait toujours un mot ou
une expression me laissant perplexe. Par exemple, un poème mentionnait des
«bulles de savon» : je ne me vois pas mettre ça en musique! Finalement, il
fallait que je me sente en communion spirituelle avec le contenu et, pour dire
franchement, cela n’arrivait jamais…
(C) 2017 Coralie Adato |
Mais voilà
que j’ai rencontré la poésie de Coralie Adato – autiste comme moi (et qui dit
joliment être «sur le spectre artistique»), poétesse, dessinatrice, musicienne…
Un lien artistique autant que personnel. Donc, en juin 2017, j’ai composé ma
première chanson qui porte, sans ironie, le titre L’unique chanson. C’est une
chanson tendre, non mesurée, d’une durée de près de 3 minutes. La partie de
piano est sobre : la ligne vocale prédomine. Pourtant ce dépouillement a
été le résultat d’un travail minutieux et un peu laborieux. Je tenais à ce que
chaque note soit essentielle et parfaitement à sa place. Pour certaines notes
ou pour certains accords, j’ai longuement hésité : mettre ou ne pas
mettre, écrire, effacer, réécrire, effacer de nouveau… Les pièces qui sonnent
simples n’ont pas nécessairement été si simples à composer! Puis, quatre autres
chansons sont nées dans la même lancée. Je les ai regroupées en un cycle
intitulé Chants de l’Autre isthme (opus 54). https://loindespetitescasesjevis.wordpress.com/
Vraiment des chansons!
Ces
chansons sont écrites pour voix de femme, de type mezzo-soprano, et piano. En
fait, elles peuvent être chantées autant par une voix «classique» que par une
voix «pop».
Les notes
extrêmes de l’ambitus global sont rares. Le la grave ne se trouve que dans L’unique chanson (#4), le la aigu que
dans Voiles (#3). Même si ce n’est
pas usuel en chant classique, je préfère les «R» grasseyés aux «R» roulés. Mais
si l’on tient à les rouler, j’aimerais que ce soit avec discrétion... Les «E»
muets en fins de mots ne sont ni prononcés ni chantés, sauf mention contraire.
Ces cinq
chansons peuvent être chantées séparément, mais elles forment un cycle cohérent
qui raconte le parcours d’une femme, depuis l’abîme d’une crise (#1 et 2)
jusqu’à la rencontre de Soi et de l’Autre (#5). L’ordre des chansons dans le
cycle ne correspond pas à leur ordre chronologique de composition. Tant
spirituellement que musicalement, aucune chanson ne pouvait suivre Deux continents qui, avec sa vaste durée
de 12 minutes, fait office d’un grand finale. Le cycle complet dure environ 29
minutes, et la partition manuscrite compte 34 pages.
Ce sont de
«vraies» chansons, avec toutes les caractéristiques du genre : des formes
strophiques (mélodie répétée avec des paroles différentes), des alternances
refrain / couplets (mais les refrains sont toujours sur de nouvelles paroles,
contrairement à la norme), etc. L'accent est mis sur la voix: pour moi, une chanson, c'est un texte, une voix, un ou quelques instruments (davantage ne fait que surcharger sans raison, exception faite de cycles réellement symphoniques comme, par exemple, Le chant de la Terre de Gustav Mahler). On y trouve en plus du chant «normal», du
humming (chant en bouche fermée), et du parler rythmé, proche du rap. La partie
de piano est entièrement écrite, sans symboles d’accords : il y a
d’ailleurs peu d’accords dans ces chansons. Les deux premières, celles de la
crise, sont les plus affirmées sur le plan tonal : sol mineur et la
mineur. Les trois suivantes montrent une tonalité beaucoup plus flottante, une
tonalité aérienne, sans pesanteur : des oiseaux sont d’ailleurs évoqués
dans ces trois chansons. Souvent l’affirmation d’une tonalité est liée à la
sécurité, à la solidité, mais ici elle est tout au contraire associée à la
crise et à une crise profonde. C’est donc la non affirmation tonale qui marque
la libération et la guérison. Ces chansons sont radicalement diatoniques, y
compris, à nouveau, celles de la crise. On n’y trouvera aucun chromatisme, mais
quelques occasionnels «sauts» soudains de tonalité, et encore uniquement que
dans les deuxième et cinquième.
1. Regard. Quatre pages de partition
manuscrite. Terminée le 2 août. Durée : c. 5 minutes.
Regard se déroule dans une atmosphère fantomatique. Le piano
n’accompagne la voix que par quelques Sol graves épars (le texte faisant
poétiquement référence à l’anorexie, il m’était impensable d’écrire un
accompagnement fourni), et des «refrains» pour lui seul séparent les strophes vocales. La mélodie vocale contient plusieurs «échos», de courts motifs répétés: elle est captive d'elle-même.
Ligne vocale de Regard. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Regard comporte un élément
dramaturgique, ad libitum si cette chanson est interprétée seule, mais «obligé»
lorsque le cycle entier est donné – je réserve la surprise à qui lira la
partition. Je ne mentionne ici que le fait qu'à la fin de la chanson, la mélodie vocale se dépouille de ses échos pour apparaître «nue» et nous regarder droit dans les yeux.
Section pour piano seul dans Regard (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Regard est nettement en
sol mineur, mais elle se termine sur un fa – un fa qui n’est pas suspensif,
mais qui clôt fermement la pièce.
(c) 2017 Coralie Adato |
Extrait du
poème :
Cette
femme me ressemble,
Tout comme
moi,
cette
femme tremble, morte de froid.
Cette
femme est là
Si près de
moi
Cette
femme me voit
On
s’aperçoit
Regards croisés
Interposés
Corps
décharnés
Déracinés
Cette
femme s’approche de désarroi
Cette
femme s’accroche
et ne sait
pas…
(c) Coralie Adato SOCAN
2. Jonquilles. Quinze pages de partition manuscrite. Terminée le 11 septembre. Durée : c. 5’30
Jonquilles est largement en parler rythmé, presque
comme du rap, ce qui porte bien, je trouve, l’agitation et le désarroi des
paroles : l’absence de mélodie symbolise la négation de la personne.
Parler rythmé, comme du rap, dans Jonquilles. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
La
chanson est en La mineur, mais les refrains, seuls moments chantés, sont en Sol
mineur.
«Refrain» de Jonquilles, cette fois chanté. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
C’est aussi la seule chanson à être explicitement mesurée : les
barres de mesure symbolisent les barreaux d’une prison et l’enfermement,
l’internement dont il est question dans le texte. Contrepied : le beat, la
pulsation égale sont vus comme des signes de «fête» dans la musique qui
m’environne; mais ici, ils sont oppression et réclusion. La mesure dominante en
est une à cinq temps. En Europe de l’Est où de tels rythmes irréguliers
abondent dans la musique traditionnelle, ils sont dits «rythmes boiteux». C’est
parfaitement en harmonie avec la dureté des paroles dont voici un
extrait :
(C) Coralie Adato |
... J'ai envie de mordre maintenant,
envie d'écraser, envie de tuer.
Des
canines longues et acérées me poussent,
je sens la salive monter,
j'ai faim de
vengeance, de destruction.
J'ai envie de vomir, j'ai la nausée et mes tripes
font la fête.
Je dois me la fermer, même dans mon silence si lisse, je parle
trop haut. Je dois fermer les yeux, le nez,
tous les pores parce que mes mots
sortent de partout.
Je veux en finir, vite, partir, l'angoisse devient trop
forte.
J'ai envie de me lacérer, j’ai envie de
mourir. Si proche de m’ouvrir. J’aimerais me faire du mal, mais je n’ai même
plus le droit d’agir sur mon propre corps dans ce lieu qui rend fou.
Je vais m'effondrer, j'ai un tsunami au bord des paupières. Je secoue
ma bombe lacrymogène.
Révolte
lisse, rien ne paraît, je souris même à l'infirmière qui passe. Menteuse, je ne suis qu'une menteuse,
tu as envie de t'exploser sur les
murs mais non, tu restes immobile.
Je continue juste à remonter la mécanique
dans une
boîte sans musique.
Tout est rouillé.
Je ne m'en
sortirai jamais, je serai toujours dans ces couloirs désespoirs couleur de
prune trop mûre...
(c) Coralie Adato SOCAN
Vers la fin, le piano percute des notes graves, comme des «slap» de basse électrique:
Avec des notes graves percutées, comme des «slap» de basse électrique. Jonquilles. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
La conclusion est abrupte, dans les mots et dans la musique qui vient se fracasser sur la double barre terminale:
Conclusion abrupte de Jonquilles. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
3. Voiles. Trois pages manuscrites.
Terminée le 9 août. Durée : c. 3’45. Autant Jonquilles est un monde clos, autant
Voiles est libre. La voix chante sa mélodie sans se préoccuper du piano. Le
piano est comme une flûte : sa partie se déroule uniquement dans l’aigu,
et à la main droite seule – elle est notée sur une seule portée. J’ai multiplié
les indications à l’intention des interprètes pour que ceux-ci jouent
librement. Non seulement il n’y a pas de mesures, mais voix et piano ne doivent
pas être synchrones l’un par rapport à l’autre.
Début de Voiles, «très librement»! (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Tout au plus se trouvent
quelques points de rendez-vous marqués par des lignes verticales pointillées. À
ce rythme aérien répond une harmonie toute aussi aérienne. Il y a un Fa dièse à
l’armure, mais la chanson n’est pas en Sol majeur. L’unique accord de la pièce
intervient à la toute fin, et c’en est un de Ré majeur. À nouveau, ce
traitement musical m’a été inspiré, presque dicté, par les paroles (superbes)
dont voici un extrait :
(C) Coralie Adato |
Demain peut-être, j’oserai partir,
ouvrir la cage et m’envoler.
Les anges m’ont prêté leurs ailes,
les oiseaux leur esprit.
Demain sûrement, je partirai.
Il n’y aura plus personne pour me
retenir,
pour m’empêcher de fuir.
Mes ailes danseront au chant du
ciel,
et j’irai me poser, me reposer sur
les branches des étoiles.
Là, je me dénuderai de mes
derniers voiles (...)
(C) Coralie Adato SOCAN
4. L’unique chanson. Trois pages
manuscrites. Terminée le 30 juin. Durée : c. 2’50. Cette quatrième chanson se termine
sur un accord de La mineur, mais je ne sens pas vraiment cette chanson en La
mineur. C’est la plus simple des cinq chansons, sur tous les plans. La mélodie
semble tourner sur elle-même («… l’unique chanson qu’elle connaissait…») mais,
en fait, elle ne se répète jamais textuellement.
La simplicité de L'unique chanson. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
C’était
l’unique chanson qu’elle reconnaissait…
Un
oiseau, un papillon, quelques œufs de couleurs…
Elle
la répétait, comme un refrain,
glissant
parfois au ton voisin…
Mais
c’était l’unique chanson qu’elle connaissait par cœur,
qu’elle
fredonnait comme un bourdon (...)
(C) Coralie Adato SOCAN
5. Deux continents.
(C) 2010 Antoine Ouellette SOCAN |
Une autre partie importante
de l’harmonie de la pièce repose sur un «accord de paix», dont je vous parlerai
un jour. En fait, mes harmonies sont ainsi, plutôt des états que des fonctions
tonales. Deux continents dure 12 minutes : elle ne jouera pas de sitôt à
la radio! C’est comme un grand finale pour ce cycle de chansons. Elle est
presque «symphonique» de conception.
La liberté rythmique du piano, non synchrone avec la voix: Deux continents. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Des cinq chansons, c’est celle où le piano
est le plus volubile, à l’opposé du piano discret et presque ascétique de
Regard. Tout l’ambitus de l’instrument est exploité, et des traits le
parcourent rapidement d’un bout à l’autre. J’ai mis ces mots au début à l’intention
du pianiste : «Comme des vagues, de l’écume, des embruns… Beaucoup de
relief et de couleurs dans le phrasé, l’articulation, le toucher, la
dynamique».
Extrait de Deux continents. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Les trois œuvres que j’ai composées en 2017 doivent quelque chose à
l’océan. La ligne vocale tourne sur quelques notes au départ mais par la suite,
elle aussi, se délie considérablement.
«Refrain» de Deux continents. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
Deux continents semble faire la somme,
le bilan, des chansons du cycle. Car c’est aussi celle où le rythme est le plus
varié. Si je n’y ai pas mis de barres de mesure, certaines phrases sont bien
métriques; mais d’autres sont très libres où voix et piano vont de façon non
synchrone (comme dans Voiles). Mais ce bilan en est un d’ouverture : une
ouverture sur un pays neuf et vaste.
Conclusion de Deux continents. (C) 2017 Antoine Ouellette SOCAN |
(C) Coralie Adato |
Extraits du
poème :
quand j’y pense
Se resserre dans l’Air,
l’espoir en trajectoire
l’espoir en trajectoire
De moi à toi, il noue à genoux un
Nous
(…)
Irons un jour
Aurons Amour
en ailes
comme hirondelles
Aurons Amour
en ailes
comme hirondelles
Nous envolerons
Nous enlèverons
Et lèverons.
Nous enlèverons
Et lèverons.
(…)
Ces voiles grises, qui les y a
mises ?
La banquise se brise
et fond au fond
en guise de larmes
et fond au fond
en guise de larmes
Ce charme
Il reste un geste
à entendre, à étendre
Il reste un geste
à entendre, à étendre
(C) Coralie Adato SOCAN