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vendredi 1 juin 2018

AIGUE-MARINE (opus 53) ET ODYSSÉE (opus 22)

Aigue-marine. Pour ensemble symphonique de bois, cuivres et percussions (opus 53)
Et
Odyssée. Pour saxophone alto (opus 22)

Vous pouvez écouter Odyssée, pour saxophone solo sur Youtube:
https://youtu.be/TWSqFpdMdvo
Comme je le raconte plus bas, cette pièce sera la matrice d'Aigue-marine composée 20 ans plus tard.

Aigue-marine VS Odyssée:
Deux œuvres en échos

Grands voiliers en 2017 à Sorel-Tracy
En 2017
, je me suis attaqué à une «grosse» pièce : Aigue-marine. Cette «symphonie» est écrite pour un ensemble de 28 musiciens : un piccolo, 3 flûtes, 3 hautbois, 3 clarinette (dont une clarinette piccolo), 3 bassons, saxophone alto, 3 trompettes, 3 trombones (2 ténors et un basse), tuba et des percussions pour trois instrumentistes. Aigue-marine est en dix sections enchaînées : Une mélodie sur la vague; Vive brise; Goélands; Lointaine I; Méduses; Échos au large; Lointaine II; Sirène; Coquillage; Littoral. Sa durée est d’environ 33 minutes, et la partition compte 109 pages. Oui, un gros travail.

Si j’avais donné à de mes œuvres des titres comme Symphonie #1, Symphonie #2, etc., Aigue-marine serait ma Symphonie #6. 
Mes Symphonies sont cryptées: je me dis qu'un jour, je ferai leur ferai faire leur coming out.
Adolphe Sax, inventeur du saxophone
Certaines de mes pièces forment des couples dans lesquels deux pièces, indépendantes, semblent se répondre, comme des échos. Aigue-marine répond ainsi à Odyssée, pour saxophone alto solo (opus 22, 1997). Là, le lien est vraiment intime puisque Aigue-marine reprend carrément Odyssée : elle n’en est pas une simple orchestration, mais bien une relecture, une recomposition, une réélaboration en profondeur. L’ampleur des deux œuvres diffère d’ailleurs non seulement dans l’instrumentation mais aussi dans la durée : Aigue-marine dure une douzaine de minutes de plus qu'Odyssée. J’avais fait la même chose en recomposant mon petit ballet «indien» Sattvika l’oiseau danse pour orchestre symphonique de type classique, sous le nouveau titre de Carouge (opus 40). De même, j'ai composé une version orchestrale et élargie de Fougères pour ensemble de guitares. 
Lors de sa création, Odyssée portait le titre de Présence. En fait, je n'ai jamais aimé ce titre. Après avoir terminé Aigue-marine, ce titre initial me semblait encore moins pertinent parce qu'il ne se référait pas au monde maritime. Alors, au début de 2021, j'ai fait le pas et renommé la pièce Odyssée
 
Extrait de Méduses, tirée d'Odyssée, pour saxo alto solo (opus 22) / (c) 1997 Antoine Ouellette Socan

Dans le manuscrit, j'ai mis les mêmes titres de sections qui se trouvent dans Aigue-marine. De plus, j'ai apporté quelques petites retouches. Odyssée fait partie de ma série de pièces pour instrument à vent seul. Dans cette série, Odyssée est la pièce la plus longue et la plus exigeante, tant au point de vue technique qu'au point de vue de l'endurance physique qu'elle exige de l'interprète. Avec sa durée d'environ 19 minutes, Odyssée est un marathon! 

Extrait de Sirène, tiré d'Odyssée, pour saxo alto solo / (c) 1997 Antoine Ouellette Socan

Transformer une œuvre monodique, conçue pour un seul instrument à vent, en œuvre pour grand orchestre de vents et percussions posait évidemment des défis. Mais j'ai opté pour conserver la pureté et la dureté mélodiques de l'original, sans chercher à «remplir» l'harmonie. Les rares accords qui se trouvent dans Aigue-marine sont le plus souvent faits des notes de la mélodie agrégées ensemble. Une sorte d'harmonie par résonance.
Les contrepoints sont surtout des «contrepoints fractals», des échos et des répercussions de fragments venant de la mélodie initiale, le plus souvent en rythmes hors mesure et hors pulsation.
Dans l'orchestre d'Aigue-marine se trouve un saxophone alto. Cet instrument crée donc un pont avec Odyssée
Je précise que je conserve Odyssée dans mon catalogue. 
Pour la suite de mon propos, je me base sur Aigue-marine.
 
Pages d'esquisses d'Odyssée annotées pour être transformées dans Aigue-marine (C) 1997/2017 Antoine Ouellette
 
De la mer et de la pierre
Aigue-marine: la pierre
L’aigue-marine est une pierre fine. Son nom a été forgé par les Romains il y a plus de 2000 ans et signifie «eau de mer». Ce nom lui provient de sa couleur évoquant l’eau de la mer. Dans l’Antiquité, les marins croyaient que cette pierre pouvait les protéger des colères de Poséidon, le capricieux et susceptible dieu grec de la mer (appelé Neptune par les Romains), et leur assurer ainsi un voyage sans encombre.

Dans les titres de ses sections comme dans le traitement orchestral, ma composition peut évoquer la mer, le respect dû aux espaces grandioses des océans et les risques guettant qui s’y aventure. Mais l’aigue-marine est une pierre, et cette musique en possède aussi la dureté minérale. Je crois que cette dureté tient beaucoup à l’absence des cordes dans l’orchestre.
 
Après quelques mesures d’introduction où cymbales suspendues et grosse caisse font entendre comme les vagues de la mer, le tuba chante une longue mélodie qui est déjà formée et complète. 
 
Mélodie fondamentale d'Aigue-marine. (C) 2017 Antoine Ouellette
 
Le saxophone reprend quelques fragments de cette longue mélodie sous la forme d’appels que d’autres instruments répercutent aussitôt, en rythmes non mesurés et comme des échos (on m’a déjà dit que ces échos sont l’une des caractéristiques de mon style). 
 
Premiers échos dans Aigue-marine. (C) 2017 Antoine Ouellette
 
Ces appels provoquent un gonflement du flot mélodique et la musique atteint un premier sommet d’intensité, vraiment très sonore, où la mélodie du tuba est intégralement reprise, ornée d’un contrechant tranchant et de fracas percussifs. Toute cette première section d’Aigue-marine va ainsi, en alternant le continu-soutenu et le discontinu sous forme d’appels et d’échos. La section Échos au large sera l'apogée des échos: s'y succèdent une série de fragments mélodiques dont chacun sera répercuté en échos, hors mesures, par divers groupes de l'orchestre.
 
Extrait de la section Échos au large, Aigue-marine. (C) 2017 Antoine Ouellette
   
Thème et variations
Aigue-marine s'ouvre sur la section Une mélodie sur la vague. Chacune des neuf sections qui suivent se fixe sur un aspect ou un fragment de la mélodie initiale, un peu comme dans un «thème et variations». La deuxième section, Vive brise, et très vive en effet (même mordante), se base sur les seules trois premières notes de la mélodie : les deux premières deviennent des appogiatures très brèves menant à la troisième qui, elle, est répétée en des rythmes hachés. 
 
Motif du saxophone au début de Vive brise. Extrait d'Aigue-marine (C) 2017 Antoine Ouellette
 
Ce très court fragment suit le processus «végétal» décrit dans des articles précédents, donc comme dans le déploiement de ce que ce germe portait en lui.  
Vive brise. Dialogues vifs du saxophone et d'autres instruments. (C) 2017 Antoine Ouellette
Extrait de Vive brise, avec des traits volubiles aux tom-toms (Percussion 2). (C) 2017 Antoine Ouellette
 
Vive brise se termine par le martèlement nerveux de la seule troisième note; les instruments s’ajoutent jusqu’au plein son de l’orchestre, toujours sur une seule note. La fin fracassante laisse place à une note tenue doucement qui mène à la section suivante, Goélands, où le discours est très atomisé, sur fond de vibraphone, le tout hors mesures.

Chaque section procède ainsi, chacune à partir d’un fragment de la mélodie initiale du tuba. Toutes sauf deux : Lointaine I et Lointaine II, qui ramènent la mélodie complète, mais comme tamisée et mystérieuse. Dans l’avant-dernière section, Coquillage, le thème initial est réduit au seul souffle qui rappelle les vagues qui avaient ouvert l’œuvre. Il n’y a aucune note, que des souffles… 
 
Esquisses pour Coquillage. (C) 2017 Antoine Ouellette
 
À la fin, de ces souffles renaît la mélodie initiale (section finale intitulée Littoral – comme le retour à la terre). Le plus grand sommet d’intensité sonore de la pièce se situe dans cette section, très puissant, et mène aux dernières mesures, avec des glissandos des cors.

Mesures conclusives d'Aigue-marine. (C) 2017 Antoine Ouellette
 
Une sirène vue par Waterhouse
La section Sirène est essentiellement un long solo de saxophone sur les vagues discrètes de la caisse claire. Comme dans Vive brise, les trois premières notes de la mélodie initiale fondent ce solo : les deux premières en appogiatures et la troisième très allongée et irisée d’effets de timbre (on y trouve des micro-intervalles, autrement rares dans ma musique). Mais dans Sirènes, ces trois notes se prolongent dans des envolées mélodiques ornementées et légèrement chromatiques.
Les sirènes étant ce qu’elles sont, cette section se termine par trois immenses accords isolés, comme des récifs où un navire pourrait s’échouer… Méduses est une section vive qui emprunte à la deuxième mesure de la mélodie initiale, mais dont elle transforme les notes en sortes de tourbillons, interrompus par quelques décharges émotionnelles. 
 
 
Extrait de Méduses, Aigue-marine (C) 2017 Antoine Ouellette


Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US) et Collection personnelle