Art à Québec:
Des artistes immenses... mais pas ceux que l'on croyait!
Des artistes immenses... mais pas ceux que l'on croyait!
À l’automne 2017, je suis allé au Musée national des
Beaux-Arts du Québec, à Québec, avec mon amie française Coralie Adato qui séjournait dans
mon pays. Je n’avais pas encore vu le nouveau pavillon Pierre-Lassonde dont on
disait beaucoup de bien au niveau architectural. Il est bien, en effet, mais j’avoue
ne pas beaucoup apprécier ces pavillons muséaux immenses avec de grands espaces
libres et vides, et d’interminables corridors froids menant d’un pavillon à l’autre.
Je préfère des lieux donnant une impression d’intimité et de proximité. Affaire de goût…
Il se tenait alors l’exposition Un couple dans la démesure
consacrée à des œuvres que les peintres Joan Mitchell (1925-1992) et Jean-Paul
Riopelle (1923-2002) ont créées durant leurs années de vie commune. Les
responsables du Musée avaient fait une promotion intense de cette exposition et
ils en étaient visiblement très fiers. D’ailleurs à la fin de notre visite,
alors que nous étions dans le gigantesque hall d’accueil, une dame est venue
nous voir, Coralie et moi, pour nous inviter à poursuivre la visite dans une
salle d’un autre pavillon toute consacrée à d’autres œuvres de Riopelle.
Oserais-je avouer que nous n’y sommes pas allés? L’expo Mitchell / Riopelle
nous avait en fait laissés perplexes, et peu d’œuvres nous avaient touchés. Les
salles étaient très bien aménagées et les œuvres bien mises en valeur, mais ces
immenses tableaux semblaient très volumineux par rapport à leur propos – sur ce
plan, il y avait en effet «démesure», disproportion. J’aime les premières
toiles de Riopelle, mais je trouve qu'ensuite, précisément à la période avec Mitchell, elles ont perdu de leur harmonie et de leur force. L'impression qu'elles me font est qu'elles ont souvent été peintes entre deux beuveries, ce qui n'est peut-être pas qu'une impression... Bon, comme toujours, les
panneaux informatifs de l’expo ne ménageaient pas les superlatifs, chaque œuvre
semblant aussi «essentielle» que l’autre – ce genre de commentaires pontifiants devient un
peu lassant et, surtout, il ne laisse aucune place pour l’appréciation
personnelle du visiteur. «Chef d’œuvre», «œuvre incontournable», etc.; bref,
qui aime peu ou pas est dans l’erreur! Nos musées se font trop souvent l'écho servile des discours académiques sur l'art...
Donc, au lieu de poursuivre avec encore plus de
Riopelle, nous sommes plutôt allés au cinquième étage du Musée, admirer la
Collection Brousseau, une collection de sculptures Inuites. Là, ce fut l’éblouissement.
Je sais que les Européens recherchent souvent à voir de l’art autochtone lorsqu’ils
viennent au Canada, alors je tenais à visiter cette collection avec Coralie. C’est d’ailleurs cet art qui est unique ici, alors que
notre «art contemporain» ressemble à celui qui se fait en Europe, en fait copie
carbone: donc, rien de différent, rien de dépaysant… et souvent, hum, beaucoup
de gros machins occupant de grands espaces pour bien peu de propos et de beauté
réelle.
Les sculptures de la Collection Brousseau offrent au contraire une
émotion esthétique typée et rare. Elles tiennent souvent du Chamanisme, donc
des liens entre les humains et la Nature (thématique traditionnelle redevenue
extrêmement actuelle), mais aussi les matériaux sont magnifiques, que ce soit
les pierres ou les os d’animaux; elles sont plus souvent qu’autrement ouvragées
avec une finesse et une virtuosité inouïes. Certaines sculptures miniatures
sont à couper le souffle : tant de détails dans de si petits objets –
contraste cruel avec les toiles démesurées des Mitchell-Riopelle!
Manasie Akpaliapîk: Composition. |
Les artistes
dont nous avons admiré les œuvres sont tout simplement extraordinaires. L’un d’eux
nous a captivés : Manasie Akpaliapik (né en 1955). Ouf! Du génie, du très
grand art, de la beauté extrême! En regardant ses œuvres, nous avons immédiatement
eu l’intuition que cet homme était particulier et qu’il avait assurément vécu
des moments bouleversants. Nous apprendrons en effet qu’il s’était remis intensivement à la sculpture à la
suite du décès de sa femme et de ses deux fils dans un incendie, et que
sculpter possède pour lui un rôle thérapeutique.
Mais son art se situe bien
au-delà. On dit de lui qu’il est
«l'un des rares artistes osant évoquer dans son œuvre les problèmes liés à
l'abus de la drogue et de l'alcool qui sévissent dans la société inuit
contemporaine». C’est vrai mais, à nouveau, son art se situe bien au-delà. Ce
qui nous a aussi frappés est le fait qu’il traite de thématiques que l’on
pourrait associer plutôt à l’univers féminin, comme sa sublime sculpture La
maternité. D’ailleurs, nous avons tout d’abord pensé qu’il était une femme… Un
artiste immense. https://www.youtube.com/watch?v=rJSxUKRjm3o
Je reste
surpris, et déçu, que l’art autochtone n’occupe qu’une portion minime dans ce
musée – une seule salle et perchée au dernier étage…, comme dans plusieurs
autres de nos musées d’ailleurs, alors qu’il devrait occuper une place de
premier plan. Ce n'est pas l'intention, du moins j'imagine, mais cela donne l'impression qu'il ne s'agit que d'«art primitif» ou d'une «curiosité ethnographique». Mais non! C'est un art vivant, subtil. Je n’en fais pas une affaire de «rectitude politique» ni de
culpabilité par rapport aux mauvais traitements que l’État a réservé à ces
peuples : je ne parle ici que d’art. Cet art mérite nettement mieux. Je
trouve qu’au final, cet art est plus actuel et plus pertinent que notre «art
contemporain» grassement subventionné dont la lubie ne semble être que de justifier notre «modernité»
tout en posant en «rebelle» et «critique» (le beurre et l’argent du beurre),
une modernité qui est en voie de détruire la biodiversité sur Terre.
https://www.youtube.com/watch?v=rJSxUKRjm3o |
L'exposition Mitchell-Riopelle est terminée, mais la Collection Brousseau est toujours là.
Photo de la sculpture: Collection personnelle.