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lundi 1 octobre 2018

AUTISME EN MOUVEMENT

Autisme en mouvement.
Pour les 5 ans d’Aut’Créatifs

1. Les cinq ans d'Aut'Créatifs
2. Tentations communautaristes
3. L'autisme peut-il fonder une communauté?
4. Personnalisme
5. Le mystère sacré de la personne

Publié en octobre 2018, cet article est lié à celui-ci: https://antoine-ouellette.blogspot.com/2018/10/autisme-troubles-anxieux-et.html


Les cinq ans d'Aut'Créatifs

Logo d'Aut'Créatifs: www.autcreatifs.com
Pour souligner ces cinq ans, j’écris le présent article. Je n’y tracerai pas le bilan d’Aut’Créatifs. Cinq ans, c’est trop tôt, et puis ce serait tellement conventionnel! Vous pourrez voir par vous-mêmes en visitant notre site : www.autcreatifs.com En cofondant Aut’Créatifs avec Lucila Guerrero, je désirais valoriser la pensée autistique, contribuer à l’intégration des personnes autistes et au respect envers elles. Aut’Créatifs est un collectif, mais je n’avais pas de visées communautaristes pour autant. En mai 2013, la publication de notre Manifeste a marqué la naissance d’Aut’Créatifs. Mais dans les quatre pages de ce Manifeste, le mot communauté n’apparait pas une seule fois. Ce ne fut pas un oubli et j'y reviendrai plus loin.


En décembre 2015, Aut'Créatifs a franchi une nouvelle étape en devenant un organisme sans bût lucratif (OSBL) reconnu par l'État québécois en vertu de la loi sur les compagnies. Aut'Créatifs est un petit paradoxe. Être structuré en OSBL nécessite d'élire un conseil d'administration (qui administre autant l'argent que la charte de l'organisme, sa vision et les actions qui en découlent). Cela implique de travailler ensemble, de trouver des compromis, que chacun mette un peu d'eau dans son vin. Nous y parvenons assez bien. Par exemple, nos communiqués pourraient être adoptés et publiés à la simple majorité, ce qui serait parfaitement légal; mais nous, nous retravaillons les textes jusqu'à obtenir le consensus des cinq membres du conseil. Des fois, une section, une phrase ou même un mot peut être l'objet de discussions et de négociations. Mais à date, nous sommes toujours parvenu au consensus.
Or c'est un petit exploit parce qu'à tort ou à raison, les personnes autistes ne sont pas réputées pour leurs capacités de travailler en équipe. Nombre de personnes autistes ne peuvent fonctionner qu'en solo. Ce n'est pas mal en soi, et on peut accomplir de belles choses ainsi. Mais faire équipe ouvre d'autres perspectives, comme le dit ce joli proverbe africain: «Seul, on va plus vite; ensemble, on va plus loin». Donc, Aut'Créatifs est aussi une école d'apprentissage et de perfectionnement pour le travail en commun. Mais il y a des personnalités qui resteront très résistantes à faire équipe, surtout sur de longues périodes. Il y en a qui n'y seront jamais aptes. 

J’en profite pour rectifier une certaine «rumeur» : Aut’Créatifs est un organisme «modéré» et non sectaire qui ne voit pas tout en rose la condition autistique. Aut’Créatifs reconnait que toute personne peut, à une étape ou à une autre de sa vie, avoir besoin d’aide, qu’elle soit autiste ou non. Aut’Créatifs reconnait que certaines personnes ayant un diagnostic d’autisme (de l’autisme secondaire en fait, mais c’est une autre histoire) présentent une condition invalidante nécessitant, pour elles de même que pour leur entourage, un soutien constant, voire à vie, et que ce soutien doit leur être apporté. Mais Aut’Créatifs désire remettre les pendules à l’heure face à un discours, encore dominant, qui se complait à décrire notre condition dans les termes si noirs qu’il est difficile d’imaginer pire sort dans la vie que celui d’être autiste – et Dieu sait qu’il y a bien pire dans la vie! Ce discours ne correspond pas à ce que vivent la grande majorité des personnes autistes; ce discours est sans nuance, hautement anxiogène, dépresseur, inapte à favoriser l’estime de soi, la confiance en soi et le goût d’entreprendre; ce discours peut même provoquer le désir de mort chez certains. Aut’Créatifs s’élèvera donc contre ce discours mensonger. En passant, le conseil d'Aut'Créatifs inclut une personne neurotypique, qui se trouve donc minoritaire... et très appréciée! 
Pour devenir membre d’Aut’Créatifs, il ne suffit pas d’être autiste. Il faut endosser la vision et les valeurs exprimées dans notre Manifeste et les textes fondamentaux du mouvement. Autrement, nous avons choisi d’opter dès le départ pour la liberté de chaque membre. Par exemple, sur le plan politique, nos membres sont totalement libres : ils peuvent être de gauche, de droite, du centre, d’extrême-gauche, d’extrême-droite ou de nulle part. Cela n’a pas de pertinence. De même pour les idées, convictions et opinions sociales, spirituelles, culturelles, les choix de vie, etc. Cela évidemment dans le respect d’autrui et des lois, et le respect de la mission de l'organisme.

Le conseil d'Aut'Créatifs (2018). En avant, Mathieu Giroux et Lucie Latour. En arrière, Stéphane Blackburn, moi-même et Lucila Guerrero
 
J'aborde maintenant un aspect particulier : Aut’Créatifs n’est pas vraiment une communauté, mais un mouvement. Dès la première ligne du Manifeste, Aut’Créatifs est défini comme un Mouvement de personnes autistes pour la valorisation de l’autisme. Sur l’entête de notre site, il est écrit : Mouvement de personnes autistes en faveur de la reconnaissance positive de l’autisme. Donc, un mouvement, quasiment au sens musical du terme! Mais pourquoi pas une communauté? 
Voici ma vision : elle n’engage que moi.

Il n’y a évidemment rien de mal à chercher à faire communauté, ni à se réunir sur la base de certaines affinités. Mais il y a communauté et communautarisme. Je reprends la définition de Wikipédia : Le communautarisme est une philosophie sociopolitique qui soutient que l'individu n'existe pas indépendamment de ses appartenances, qu'elles soient culturelles, ethniques, sexuelles, religieuses ou sociales. Dans ce sens, je ne suis pas communautariste, car j’ai la conviction profonde que la personne (et non l’individu) existe en elle-même. Je suis personnaliste et non individualiste : il y a nuance et j’y reviendrai plus loin.


Tentations communautaristes

Le communautarisme a de bons côtés, mais de moins bons aussi. Du bon côté, il a soutenu des groupes minoritaires et des groupes discriminés dans leur lutte pour leur reconnaissance. Du moins bon côté se trouvent un ensemble de tentations: l’idéalisation de la communauté dont on se réclame, le désir d’imposer ma communauté comme modèle pour l’ensemble de la société, l’idéalisation des individus qui la composent, la prétention que si le monde était calqué sur ma communauté il irait mieux, la critique facile et virulente de quiconque émet la moindre réserve sur ma communauté, la «dénonciation» des gens qui osent critiquer même légèrement ma communauté et les idées (évidemment parfaites et meilleures) qu’elle porte, un culte de l'égo.  À mes yeux, le communautarisme est trop souvent tenté par l’indignation facile, une pseudo-morale confuse, des intolérances non avouées et un discours de victimisation. Notez bien que je parle de tentations : tous les mouvements communautaristes ne succombent pas à toutes ces tentations, mais les dérives ne sont toujours évitées non plus.

Tout de même, le communautarisme est très attractif. Nous nous accrochons fermement au communautarisme auquel nous nous identifions. Je pense qu’il s’agit là d’une recherche désespérée d’identité. Les modes traditionnels d’identité se sont presque tous estompés, voire effondrés. L’identité nationale est devenue floue. Je voudrais bien m’identifier comme Québécois, mais je peine à distinguer les contours de cette identité! Même nos ténors de la souveraineté peinent à définir ce que serait aujourd’hui l’identité québécoise, sinon par des lieux communs («une société inclusive et ouverte») qui ne sont en rien des spécificités québécoises, ou canadiennes, ou françaises, ou allemandes, ou etc. Les particularités nationales semblent n’être devenues que des éléments de folklore que plusieurs considèrent désormais comme synonymes de passéisme, de fermeture sur soi, de barrières à un idéal transnational. Pour plusieurs, les identités religieuses ont complètement disparu du paysage – et plusieurs encore cherchent à les faire disparaître chez tous, là encore en recourant à l’intimidation afin d’imposer leur conception à tous. L’identité familiale a de même sérieusement déclinée avec l’explosion des familles.

Alors comment se «construire» une identité lorsque tant de facteurs identitaires se sont évaporés? Il y a l’option du communautarisme. Avec la tentation de s’accrocher corps et âme à son communautarisme, parce que tant de choses s’écroulent. Le communautarisme s’est infiltré dans presque toutes les causes. Il y a jusque des «communautés d’anorexiques» soutenant que l’anorexie est une diversité positive, et qui vendent des chandails prônant la «fierté anorexique» - alors qu’en fait, l’anorexie est un trouble potentiellement mortel. On m’a dit qu’il y aurait même des communautés de gens désirant devenir anorexiques mais qui n’y parviennent pas, et qui s’échangent entre eux des trucs pour le devenir enfin… Appartenir à tout prix à une communauté!

Recherche d’identité, d'être «entre nous», mais aussi recherche d’originalité. Paradoxalement, être membre d’une communauté me permet de revendiquer mon originalité, le fait que ma vie, elle, est spéciale, contrairement à celle des autres qui est banale, conformiste, conventionnelle, tellement neurotypique, ou «hétéropatriarcale» comme j’ai lu récemment… Se réclamer d’une communauté minoritaire, c’est mettre en avant la particularité de ma personne, souvent en m’identifiant à elle, voire en m’y réduisant. Il est plus facile de briller dans une communauté restreinte que dans un ensemble national. Pas simple non plus de se distinguer alors que la Terre compte près de huit milliards d’êtres humains! S’il fut une époque où l’on demandait à autrui : «De quel pays es-tu?», aujourd’hui il faut plutôt demander : «À quelle minorité appartiens-tu?». 


L’autisme peut-il fonder une communauté?

Logo officieux de la neurodiversité
Le communautarisme a fait des adeptes parmi les personnes autistes. C’était prévisible dans la mesure où elles forment une minorité, et une minorité qui a trop souvent été perçue comme «sous-humaine». J’observe donc que des personnes autistes calquent ainsi un modèle qui a permis à certains groupes de faire des gains sociaux, cela afin d’en faire à notre tour. Je vois ici et là l’expression «communauté autiste», calquée directement sur «communauté Noire» ou «communauté LGBT», avec des moyens d’actions similaires. J’ai même entendu que la «communauté autiste doit faire preuve d’unité» - «unité» autour de je ne sais pas trop qui ou quoi. J’ai alors la fâcheuse impression de relire les propos de chefs de partis politiques exhortant ses troupes à faire preuve d’unité (évidemment derrière ces mêmes chefs)! Ne serait-il d'ailleurs pas utopique de chercher faire «unité» à 100%? Est-ce seulement souhaitable? Ne doit-il pas plutôt y avoir pluralité des points de vue? Aut'Créatifs est un point de vue.

L’idée de neurodiversité est promue par plusieurs groupes de personnes autistes – le mot et le concept de neurodiversité ont été créés par Judy Singer, elle-même autiste. À l'heure actuelle, ce sont d'ailleurs très majoritairement des personnes autistes qui parlent de neurodiversité. Ce communautarisme neurodiversitaire reprend quasiment en copier-coller l’argumentaire du communautarisme LGBT, et même jusqu’au symbole de l’arc-en-ciel. Un peu d’originalité, que diable! Il est vrai que ce logo n'est pas encore «officiel»: il y a la possibilité de trouver mieux. Il est même des personnes autistes pour proposer que la «communauté autiste» se lie, voire se fonde, dans la «communauté LGBT». Là, cela me semble tenir de la confusion entre des réalités de natures différentes. 

Par rapport à l’idée de neurodiversité, je suis en attente, ni vraiment pour ni vraiment contre. Côté positif, je reconnais que ce concept est nettement plus valorisant que celui d'«autisme maladie»! Je reconnais aussi que le mot neurodiversité donne une cause, un objectif: ultimement la neurodiversité pourrait se suppléer au concept médical d'autisme. Le mot coupe déjà tout pont avec la psychanalyse. Autre bon point: la neurodiversité utilise le mot «différence» d'une manière conséquente alors qu'ailleurs, ce mot n'est souvent qu'un doux euphémisme condescendant quand on n'ose pas dire infériorité ou handicap que l'on pense! Finalement, parler de diversité humaine me semble une évidence.
Mais pour l'instant, mon enthousiasme demeure mitigé. Je trouve le mot diversité surutilisé et à toutes les sauces. À mes yeux, cette surutilisation affaiblit l'idée, et exalter la différence finit par tout niveler. Si tout est divers, si nous sommes tous diversifiés, alors pourquoi insister? Seule la biodiversité me semble être une cause essentielle car, pendant que nous clamons valoriser la diversité humaine, la biodiversité, elle, est en chute libre. J'observe que le mot «diversité» est souvent comme un argument en soi en faveur de quelque chose qui est nécessairement positif. Or la diversité est neutre plutôt que positive: il existe même des diversités négatives. Pour moi, l'argument de la diversité est un argument faible, un argument secondaire, un argument d'appoint, pas un argument premier. D'un autre côté, je ne consens pas à m’identifier à ma seule neurologie ni à me réduire à mon seul cerveau. Mon système nerveux est certes important et je ne pourrais pas vivre sans lui, mais je ne pourrais pas davantage vivre sans mon système circulatoire. Mes pensées ne sont pas qu'un produit de mes nerfs ou de mon cerveau: mes pensées peuvent aussi bien venir du coeur ou du ventre, et même du bas du dos comme ces jours-ci... Mon esprit n'est pas le résultat de mon taux de sérotonine - mon humeur, oui en partie, mais pas mon esprit. D’ailleurs, l’autisme n’est-il réellement qu’une affaire de neurologie? Je ne consens pas davantage à m’identifier, ni à me réduire, à mon orientation sexuelle. Ni à mon origine ethnique. Je ne me réduis même pas au fait d’être autiste! Bref, l'idée de neurodiversité représente un progrès réel, mais sous réserves. Pour résumer, je la trouve passablement matérialiste.
Tout de même, je salue ici le travail magnifique de Mélanie Ouimet en faveur de la neurodiversité: en plus d'avoir écrit un livre sur le sujet, Mélanie organise des événements comme des Salons de la neurodiversité ou, le 30 septembre dernier, un colloque pour la Journée mondiale de la neurodiversité. Elle-même autiste et mère d'enfants autistes, Mélanie possède une énergie et une bonne humeur communicatives. Ses écrits et ses prises de position ont le verbe vifs! Bref, Mélanie compte parmi ces personnes qui sont en mesure de faire mûrir le concept de neurodiversité. Je préfère d'ailleurs le logo de la neurodiversité qu'elle propose sous la forme d'un papillon. J'ai d'ailleurs assisté à cette journée très intéressante... mais qui me laisse néanmoins avec les mêmes réserves. http://neurodiversite.com/salon-2019/melanie-ouimet/
Logo de la neurodiversité proposé par Mélanie Ouimet
Reste que pour moi, l'autisme est une singularité plus qu'une pluralité. Une personne autiste est singulière. Être autiste me donne d'affronter «le dur privilège de la singularité face à la pluralité» (Jean Starobinski, cité par Fernand Ouellette dans Le danger du divin, Fides, 2002). Je vis dans un monde qui valorise l'individualisme tout en cherchant à ramener le singulier vers le pluriel, un monde qui, à la limite, cherche à priver la personne d'être elle
Au Québec, un bel exemple de ce paradoxe est l'application de la méthode comportementaliste ABA à tous les enfants autistes. Le singulier est ramené à un pluriel, «les autistes», et une (fausse) solution s'applique universellement: parce qu'un enfant est autiste, il doit recevoir ABA qui est la «meilleure méthode» pour «les autistes». Même chose lorsqu'on préjuge que parce qu'une personne est autiste, elle doit penser ainsi, agir de telle manière, aimer telle chose et ne pas aimer telle autre, etc., sous le prétexte que «les autistes» font tous ainsi du seul fait d'être autistes. C'est là une sérieuse distorsion du réel et, à nouveau, la négation du droit de la personne à être elle. Tous les autistes ne sont pas champions en maths!


Personnalisme

Hans Langseth en 1912, titulaire d'un record du monde...
À la limite, l’expression «communauté autiste» est contradictoire, quasiment un contresens. Dans son expression la plus pure et la plus mature, l’esprit autistique n’est pas communautariste. L’esprit autistique est peu identitaire (je conserve une marge de nuance en écrivant peu plutôt que pas), il est peu concerné par l’identité ou l’identique. L’esprit autistique n’est pas non plus individualiste, surtout pas au sens péjoratif souvent donné à ce mot. Remarquez bien que je ne parle jamais d'«individus», mais de «personnes»: il y a un monde entre les deux.

L’esprit autistique est essentiellement personnaliste. Le communautarisme parle de la peau, le personnalisme parle du cœur. Il s’attache d’abord à ce qui est unique en chaque personne (sans nier ses dimensions collectives); il se porte vers ce qui fait que telle personne est elle, en son cœur, et en son âme oserais-je aller jusqu’à dire. Selon Wikipédia, le personnalisme a pour principe moral qu'«une action est bonne dans la mesure où elle respecte la personne humaine et contribue à son épanouissement. Dans le cas contraire, elle est mauvaise». https://fr.wikipedia.org/wiki/Personnalisme

Je ne suis pas très communautariste, et j’ai une sympathie assez limitée envers cette idéologie. Je ne crains pas le dire : il y a des personnes autistes avec lesquelles je ne me sens que très peu d'affinité. Dans ces cas, le seul fait de partager la condition autistique est loin de suffire à établir des ponts, et notre dite «identité commune» n’a guère de poids. Me revient à nouveau cette phrase que m’a dite quelqu’un et qui possède une force inouïe : «Tu es autiste? Cela n’a aucune importance!». Mais cette cause me tient tout de même à coeur.

Je suis convaincu qu’il est possible de valoriser l’esprit autistique et d’œuvrer pour l’inclusion et le respect des personnes autistes sans adopter l’idéologie communautariste autrement que pour un temps limité, une transition vers un autre modèle. Il y aura inévitablement des essais-et-erreurs car les modèles préexistants manquent. Il faudra donc être patient et inventer. Aut’Créatifs est un petit moment de ce processus d’invention.


Le mystère sacré de la personne

La funambule Maria Spelterini, 1876
En tant que personne autiste, je sais du coup être atypique. En même temps, je sais que mon atypicité appartient au spectre de l’humanitude! Je peux donc revendiquer le fait que les personnes autistes sont humaines, pleinement humaines, humaines à part entière. Mon atypicité est une dimension de ma personne, mais elle n’est qu’une des dimensions de ma personne. Je ne me limite pas au seul fait d’être autiste, et d’ailleurs l’autisme ne m’est pas une limite. Il est ainsi légitime que les personnes autistes puissent participer pleinement à la destinée humaine et que, s’il y a lieu, soient consentis quelques accommodements favorisant cette participation. Cependant, d’un autre côté, j’assume cette dimension atypique qui participe de même à qui je suis. Ce que j’apporte au monde est teinté par cette atypicité; je dis bien teinté, juste teinté, non déterminé, car si j’assume cette dimension de mon être, je demeure conscient que mon être ne s’y limite pas, et cela aussi il m’importe de le dire et de le revendiquer. Le fait de posséder une dimension atypique n’implique pas que tout ce que je dis, pense et fais est atypique. 
La beauté d’une condition atypique réside non pas tant dans cette atypicité comme telle, que dans la possibilité qu’elle ouvre d’apporter d’autres points de vue. Si je normalise mon atypicité, par exemple en travaillant pour «avoir l’air moins autiste», j’aseptise ma personne et je risque de ne plus apporter mon regard. Je reconnais par ailleurs devoir accepter et suivre des règles de base pour bien vivre en société, auprès des autres – chose qui en fait ne m’a jamais trop posé problème. Ma position sociale se compose ainsi à la fois de mon atypicité et du fait que je suis pleinement humain. C’est en quelque sorte une vocation d’équilibriste qui n’est pas toujours des plus confortables. Mais c’est ainsi, c’est bien ainsi.

Lorsque je donne une conférence sur l’autisme, je me présente évidemment comme étant moi-même autiste, sans aucune honte ni complexe. Mais je rejette toute tentative où l’on me réduirait à être autiste. Qui suis-je alors? Je suis Antoine. Avec son mystère, même pour moi. Un mystère sacré. Et il en va ainsi de toute personne. 

Sources des images: Collection personnelle, sites commerciaux, Wikipédia (Domaine public, PD-US)