MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



lundi 3 décembre 2018

CE QUE LES OISEAUX DISENT DE NOUS...

Ce que les oiseaux disent de nous...
(bouchons nos oreilles!)
1. La difficile équité
2. Super Oiseau
3. L'intelligence des oiseaux
4. Les émotions des oiseaux
5. Frankenscience!
6. Cris et chants: quels oiseaux chantent?


Giotto: St François d'Assise prêchant aux oiseaux
Le 7 juin dernier, j’étais en entrevue à la radio de Radio-Canada, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit, animée par Marie-Louise Arsenault, pour commenter le livre de Noah Strycker Ce que les oiseaux disent de nous. J’avais préparé beaucoup plus de matériel que nécessaire pour ce segment de douze minutes, histoire d’être prêt à tout selon la tournure de la discussion. Je n’ai donc pas pu tout aborder, ce qui me fournit du beau matériel pour le présent article! 

Pour moi, les Oiseaux ne font pas que symboliser la Transcendance: ils participent de la Transcendance. Ce n'est donc pas que par hasard que les Oiseaux sont présents dans la Bible, ainsi que dans les textes sacrés d'autres traditions spirituelles. Comme dans le livre du prophète Ézékiel (chapitre 17):
Ainsi parle le Seigneur Dieu :
« À la cime du grand cèdre,
je prendrai une tige ;
au sommet de sa ramure,
j’en cueillerai une toute jeune,
et je la planterai moi-même
sur une montagne très élevée.
Sur la haute montagne d’Israël
je la planterai.
Elle portera des rameaux, et produira du fruit,
elle deviendra un cèdre magnifique.
En dessous d’elle habiteront tous les passereaux
et toutes sortes d’oiseaux,
à l’ombre de ses branches ils
habiteront».

Reconnaissance de la transcendance: j'écris Oiseaux et non oiseaux. Et en accord avec une tradition en ornithologie, je mets une majuscule au début du nom de chaque espèce: Tourterelle, Albatros, Pie, Grive, etc. 

La difficile équité

En studio, nous étions plusieurs : deux personnes venus commenter des «textes de la semaine», Aurélie Lanctot et Guillaume Lavallée, deux auteurs, Simon Boulerice et Michel Tremblay, le duo Luc-Alain Giraldeau et moi-même pour commenter le livre de Monsieur Strycker, et l’animatrice. C’était du direct, alors on ne sait pas trop ce qui va et peut se passer! Comme je suis un drôle d’oiseau (à ce qu’on m’a déjà dit, parce que moi je ne sais pas trop), j’ai observé ce qui se passait pendant que les autres présentaient leur chronique. Messieurs Boulerice et Tremblay, eux-mêmes membres de la communauté gay, commentaient un roman scandinave mettant en vedette deux gays, roman évidemment «grand», «profondément humain» et «universel». À un moment, mon intérêt a été saisi. L’un des personnages du roman est aussi Témoin de Jéhovah, et les deux invités ont émis quelques commentaires divertissants à l’endroit des Témoins de Jéhovah – je précise ne pas l’être. L’un d’eux, je ne me souviens pas qui, a souligné la «folie psychologique» des Témoins. Cela peut se discuter. Mais j’étais étonné : voilà deux hommes membres d’une communauté minoritaire qui utilisent un vocabulaire peu amène face à une autre communauté minoritaire. Je me suis dit (sans oser le dire au micro, zut) qu’ils n’auraient peut-être pas apprécié qu’un Témoin de Jéhovah dise sur les ondes de la radio publique nationale la même chose face à leur communauté, genre : «Les gays sont atteints de folie psychologique». Je me suis aussi dit que voilà des gens qui s’accordent à eux-mêmes des droits de varloper autrui publiquement qu’ils n’accorderaient pas à autrui vis-à-vis eux. Un peu d’équité, Messieurs! L’un des deux a aussi dit, à quelques mots près, que «Dieu, on n’en veut plus!». On étant nous, j’étais fort déçu qu’ils se permettent de parler en mon nom, en prenant pour acquis que je devais assurément partager leur noble et progressiste point de vue – mais non! Petit détail qui m’a amusé, j’ai remarqué qu’une personne présente en ce studio portait un signe religieux, discret mais tout de même visible… Hum, que diraient donc les oiseaux de nous?

Un autre livre sur le sujet, paru en 2017
Après cela, ce fut à mon tour, ou plutôt à notre tour. Je n'avais pas compris, mais il y avait un autre invité pour discuter du même livre - un monsieur qui a enseigné l'éthologie à l'université et qui est aujourd'hui cadre dans une institution. Quand je suis arrivé, la recherchiste m'a dit que nos commentaires respectifs sur nos fiches de lecture se rejoignaient. Mon compère lui-même m'a dit avant l'entretien tout le mal qu'il pensait du livre - il l'a en fait beaucoup moins aimé que moi. Là, je me suis dit que cela risquait d'être trop critique, alors que c'est un livre quand même bien écrit et très intéressant. Donc en quelques petites minutes, j'ai repensé mon affaire et j'ai décidé de mettre l'accent sur les aspects positifs du livre... Esprit de contradiction? Mais non, c'était plutôt histoire de rendre justice au livre, un souci d'équilibre... En ondes, mon compère a eu la parole en premier et, après une courte phrase où il a admis que le livre était intéressant, il a mis cartes sur table: «un livre dangereux», des «comparaisons simplistes», «l'humain est beaucoup plus complexe que les oiseaux», etc. Ce genre de critiques peut déborder en une sorte d'attaque contre les oiseaux, comme si admirer les oiseaux pouvait porter ombrage à la «dignité humaine».

Quand ce fut mon tour, j'ai dit que le livre apporte un «retour du balancier»: après avoir longtemps nié que les oiseaux pouvaient être intelligents, nous découvrons peu à peu qu'ils le sont, à leur manière, et que le livre montre qu'ils possèdent même certaines capacités qui surpassent les nôtres. Réalise-t-on que déjà le seul fait de voler, donc de se déplacer rapidement, oblige les oiseaux à prendre des décisions rapidement, sur base quotidienne, chose qu’ils font avec une facilité déconcertante? Au-delà de cela, le livre contribue à modifier notre regard sur les oiseaux, à nous inciter à un plus grand respect vis-à-vis eux.

J'ai cité un extrait de l'intro où l'auteur résume sa position; j'ai mentionné que la science reconnait maintenant une forte intelligence à deux groupes d'oiseaux (Perroquets et Corvidés: Corbeaux, Corneilles, Geais, Pies...), et que trois autres groupes sont «candidats» au même titre. Hors d'ondes, mon ami a dit que l'auteur n'était pas un scientifique mais juste un «observateur d'oiseaux», hum. Quand je ramassais mes affaires ensuite, avant de quitter, les gens de l'équipe technique m'ont dit que j'avais vraiment bien parlé du livre, que j'avais dit ce qu'on y trouvait, et qu'ils allaient le lire! Je suis parti tout joyeux en chantonnant!


Super Oiseau

Un bel invité dans votre cour...
Dans l’entrevue, j’ai pu présenter Noah Strycker, un ornithologue états-unien né en 1986. Je pense qu’il est né un peu fou des oiseaux – son père est d’ailleurs
un colombophile amateur. À l’adolescence, Noah a ramassé le cadavre d’un chevreuil frappé par une automobile et, avec la permission de ses parents, l’a installé dans la cour de la résidence familiale afin d’attirer, d’observer et de photographier des Urubus (Vautours). Vous voyez le genre? Il est diplômé universitaire, donc il possède une formation scientifique. Il a d’ailleurs collaboré à des revues spécialisées : de 2005 à 2010, il rédige une chronique intitulée Birdboy dans la revue WildBird; depuis 2006, il est éditeur adjoint (associé) de Birdsing, la revue de l’American Birding Association. Il parcourt tous les continents pour observer les oiseaux. En 2015, il a inscrit le record mondial pour le nombre d’espèces différentes d’oiseaux observées par une personne en un an, soit 6042 espèces sur les quelques 10 400 espèces existantes dans le monde. Il a écrit quatre livres sur les oiseaux, dont celui-ci qui fut le deuxième – l’original en anglais est paru en 2014.

Le livre contient une introduction, treize chapitres, deux pages de remerciements, l’index des espèces d’oiseaux mentionnées, une liste d’ouvrages «pour aller plus loin»… mais pas de chapitre de conclusion. Les chapitres sont regroupés en trois sections intitulées : Physiologie, Personnalité, Intelligence. Chaque chapitre est consacré à un oiseau, espèce ou groupe, et vise à mettre en lumière les capacités rares de ces oiseaux. Le style est vivant, et l’auteur démontre un vrai don de conteur. C’est écrit à la manière états-unienne avec plein d’anecdotes qui font avancer le propos avec légèreté. On apprend beaucoup de choses, sur les oiseaux, mais encore sur l’histoire des sciences naturelles, peut-être aussi un peu sur l’être humain.

Colibris, par John Gould, c. 1860

Trois questions sont lancées dès le début : Que se passerait-il si les oiseaux nous étudiaient? Quels caractères humains capteraient leur intérêt? Comment s’y prendraient-ils pour tirer des conclusions? J’aurais donc aimé que l’auteur joue le jeu de se mette dans la peau d’un oiseau. Mais il ne le fait pas vraiment et, au fond, le livre est plutôt : Ce que les humains pourraient dire d’eux-mêmes à partir de leurs observations sur les oiseaux.

L’auteur parle souvent au conditionnel («... il se pourrait que...»), et il ne va pas jusqu’à dire que ce que font les oiseaux est identique à ce que font les humains – donc il ménage notre «dignité»! Mais il est honnête et expose sa vision en introduction: «Plus nous étudions les oiseaux et leurs comportements, plus nous leur trouvons des similitudes avec l’espèce humaine. Dans pratiquement tous les domaines de l’éthologie des oiseaux – la reproduction, les populations, les déplacements, les rythmes quotidiens, la communication, la navigation, l’intelligence, etc. – des parallèles, aussi nombreux que significatifs, apparaissent. Depuis peu, l’approche scientifique du comportement animal nous engage à moins nous focaliser sur le caractère exceptionnel des humains pour davantage privilégier ce que l’animal humain partage avec d’autres animaux (…). Depuis quelque temps, l’écart perçu entre l’homme et les autres espèces animales ne cesse de se réduire de part et d’autre». Bon, j’aurais aimé que le livre se termine avec un chapitre de conclusion qui ramasse les informations et ose pousser la réflexion plus loin, quitte à aller trop loin! Par contre, je dois reconnaître que le dernier chapitre, sur l’Albatros, peut être comme un beau et troublant finale de symphonie.

Le livre fait ressortir des traits communs entre des oiseaux et nous. Je ne veux pas trop en dire ici, afin que vous gardiez la surprise à la lecture. J’en mentionne juste deux.

Le Colibri vit à 100 milles à l’heure, et son cœur bat à 1200 battements par minutes! La principale cause naturelle de mortalité serait la crise cardiaque… Or, les humains vivent «rapidement» dans les villes modernes. Selon une étude, les piétons des grandes villes marchaient en moyenne à 1,32 mètre par seconde il y a 10 ans, et maintenant à 1,41 mètre par seconde. Horaire chargés et serrés, fast-food, etc., les maladies cardiaques sont une des principales causes, sinon la principale cause de mortalité dans ces environnements. Tiens donc.

Chez les Mérions, des oiseaux adultes sont des «nounous» : ils gardent les jeunes qui ne sont pas les leurs! C’est un exemple de comportements collaboratifs chez les oiseaux.

La comparaison entre les humains et les oiseaux est attrayante…, mais elle est aussi inégalitaire! En fait, on compare une seule espèce, l’être humain, avec quelques 10 400 différentes espèces d’oiseaux! Telle espèce d’oiseau possède une capacité exceptionnelle dans tel domaine, qui peut être effectivement largement supérieure à celle des humains dans le même domaine; mais aucune espèce d’oiseau ne cumule toutes les capacités mentionnées dans le livre. Si un Super Oiseau parvenait à les cumuler, là, nous serions déclassés. J’avoue rêver qu’un oiseau réussisse un jour cet exploit – je pense que les humains se sentiraient «menacés» et pourraient trouver des raisons de faire la chasse à un tel oiseau. Il vaudrait mieux pour lui de vivre dans la discrétion pour un temps…  

Poète persan et mystique soufi, Farîd al-Dîn ‘Attar avait imaginé quelque chose du genre au XIIe siècle dans son roman allégorique Le langage des oiseaux (ou La conférence des oiseaux). du 12e siècle. Dans ce roman, les oiseaux mènent une quête pour rencontrer l’Oiseau-Roi Simorg. Après plein d’aventures, ils découvrent que ce Roi était eux-mêmes réunis : un Super Oiseau. J'avais un peu parlé de ce livre dans mon article précédent.


L'intelligence des oiseaux

Autre livre paru en 2017. Serait-on jaloux des Corbeaux?
Par contre, il est clair que l’intelligence des oiseaux a été grandement sous-évaluée, y compris par la science : «cervelle d’oiseau», «tête de linotte»… C’est que le cerveau des oiseaux est structuré d’une manière bien différente de celui des mammifères. Mais cette différence n’implique aucune infériorité. Le chapitre sur la Pie bavarde montre que des espèces d’oiseaux sont franchement plus intelligentes que bien des espèces de mammifères, et que certains oiseaux comptent parmi les animaux les plus intelligents. En certains pays, on fait la chasse aux Corvidés pour toutes sortes de mauvaises raisons qui cachent, à mon avis, la crainte face à des oiseaux intelligents, comme une jalousie aussi. C’est inacceptable. Au début de 2018, les autorités d’un village français ont abattu une quinzaine de Corbeaux. Quel crime avaient-ils commis? On dit qu’ils faisaient du bruit! Ma foi, nous donnera-t-on le droit de tirer sur ces motocyclistes qui pétaradent dans les rues, sur les gens incapables de parler sans crier, sur ceux qui mettent leur musique à plein volume, ou encore le droit de détruire les usines qui font un bruit incessant?! Les oiseaux pensent que les humains sont bien hypocrites!

La Pie bavarde, par Wilhelm von Wright (1810-87)
Une majorité de Pies réussissent le test du miroir qui démontre qu’elles ont conscience de leur image corporelle individuelle. https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_du_miroir Très peu d’animaux le réussissent. Des Corbeaux réussissent des tests d’intelligence avec des objets aussi bien que les enfants de sept ans… et même qu’ils battent des ados de 15 ans à un certain test! Le tour de force est d’autant plus éclatant que les enfants et ados bénéficient de la scolarisation, alors que les Corbeaux n’avaient pas subi de dressage particulier avant de passer ces tests. Tour de force encore : pour le Corbeau, il n’y a aucune utilité à pouvoir réussir de tels tests, car ils sont basés sur des situations ne se retrouvant pas dans leur vie naturelle.

Le sujet de l’intelligence des oiseaux est d’ailleurs dans l’air! Avant le livre de Noah Strycker, deux autres livres sont parus en 2017 abordant ce sujet :

Jennifer Ackerman : Le génie des oiseaux. Marabout Sciences et Nature

Nathan Emery : L’étonnante intelligence des oiseaux. Éditions Quae. Avec de superbes illustrations et une vulgarisation scientifique plus approfondie. Il est aussi un peu plus cher.

Pourtant, on n’en sait pas beaucoup à ce jour sur l’intelligence des oiseaux, car peu d’espèces ont été testées. Outre les Perroquets et les Corvidés, des espèces de trois autres groupes d’oiseaux seraient néanmoins candidates au titre d’animaux particulièrement intelligents : les Pics, les Calaos, les Faucons. À suivre. Mais voici que la science s'intéresse aussi à l'intelligence... des plantes!


Les émotions des Oiseaux
«Les plantes??? Et quoi encore?!»
Le livre de Noah Strycker ouvre aussi sur la question des émotions chez les oiseaux et les animaux en général. Il n’y a pas si longtemps encore, la majorité des scientifiques rejetait catégoriquement l’idée que les animaux pouvaient éprouver des émotions. Quand j’ai soumis le manuscrit de mon propre livre Le chant des oyseaulx à des éditions en 2007, l’un d’eux, spécialisé en sciences, l’a rejeté en m’écrivant une lettre pleine de mépris car j’avais osé y parler des émotions chez les oiseaux et, plus grave péché encore, d’art animal! Les choses semblent avoir brusquement changées au cours des toutes dernières années.

On parle ainsi de plus en plus de culture animale. À cet effet, chez les oiseaux, une partie du chant est innée, mais une autre doit effectivement être apprise par le jeune qui lui est donc transmise par le parent. Les darwinistes purs et durs soutiennent que les émotions humaines sont essentiellement les mêmes que celles des animaux. Cette idée reste choquante parce que nous aimerions que nos émotions à nous soient supérieures, comme le reste! Il parait d’ailleurs que le rôle de l’art est d’exprimer nos émotions. Mais à mes yeux, personne n’a besoin de l’art pour exprimer ses émotions et, d’ailleurs, les émotions des artistes ne sont pas non plus «supérieures» à celles des autres personnes. Il me semble que l’accent est trop souvent mis sur l’émotion dans l’art…

Le fidèle Albatros
Le dernier chapitre du livre est le plus audacieux, car il aborde l’amour chez l’Albatros, et les comportements de cet oiseau a de quoi troubler. Les Albatros forment des couples à vie. La monogamie est beaucoup plus fréquente chez les oiseaux que chez les mammifères; il y a aussi de l’infidélité mais les oiseaux se pardonnent plus facilement les écarts… Mais chez l’Albatros, c’est la vraie fidélité, et un taux de divorce proche de zéro. Lorsqu’ils se choisissent, les deux Albatros font une danse complexe : c’est une cérémonie de mariage, puisqu’ils ne referont plus jamais cette danse par la suite. Les Albatros voyagent en solo chacun de son côté des mois durant, des milliers de kilomètres, sans obligation : la seule nécessité de se nourrir ne suffit pas à expliquer ces longs voyages sans destination précise. Puis, les deux arrivent sans peine à se retrouver, comme s’ils s’étaient donnés rendez-vous. Là, ils font une nouvelle danse, moins élaborée. Et les deux dorment blottis l’un contre l’autre, et se font souvent des câlins. Merveilleux! On ne connait pas exactement l’espérance de vie de l’Albatros, mais elle est d’au moins 50 ans, et les Albatros centenaires ne seraient pas rares. M. Strycker ose faire un parallèle avec l’humain qui a une espérance de vie similaire…


Frankenscience!

Nuée d'Étourneaux
Dans son livre, Noah Strycker traite abondement de l’histoire des sciences naturelles. On sait que l’observation du vol des oiseaux nous a donné des idées pour construire des machines volantes. Les nuées d’Étourneaux ont, elles, inspiré des effets spéciaux pour le cinéma : ce vol coordonné de milliers d’Étourneaux dans des nuages formant comme de la dentelle dans le ciel. En modélisant ces nuées, on a pu créer des effets de foules ou de chaos contrôlé dans des films, comme Tron (1982) de Steven Lisberger, qui fut le premier long-métrage à utiliser des images de synthèse par ordinateur; de même dans la trilogie Batman de Tim Burton.

Mais l’histoire des sciences n’est pas toujours à notre honneur! Le livre relate plusieurs expériences où les oiseaux sont maltraités et carrément mutilés de manière permanente. Par exemple, un chercheur a crevé les yeux d’Urubus pour déterminer si l’oiseau trouve les cadavres d’animaux à l’odeur ou à la vue – ses Urubus en sont morts rapidement. Cela se passait au XIXe siècle, et on pourrait croire que ces horreurs ne se font plus. Mais le livre relate des expériences de même genre beaucoup plus récentes. Par exemple, des chercheurs ont pris deux groupes de Pigeons pour enquêter sur les aptitudes exceptionnelles de cet oiseau à s’orienter dans l’espace. Ils ont sectionné le nerf trijumeau à un groupe – nerf associé à la perception du magnétisme; et ils ont coupé le nerf olfactif (odorat) à l’autre groupe; les pigeons du premier groupe ont retrouvé leur chemin alors que ceux du deuxième groupe se sont perdus… et nul ne s’est soucié de ce qui leur était arrivé.

Boris Karloff incarne le monstre du docteur Frankenstein
Voilà de la «Frankenscience»! Oui, digne du docteur Frankenstein. https://fr.wikipedia.org/wiki/Frankenstein_ou_le_Prom%C3%A9th%C3%A9e_moderne 
De la science qui abuse de son pouvoir sans aucune véritable justification et sans éthique non plus. De la science à l’image de notre désir de domination, à l’image de nos prétentions : «Un oiseau n’est pas une personne. Moi j’en suis une. Cela me donne le droit de les chasser, de les tuer, de les mutiler. Je suis le plus fort, niarniarniar!». Notre domination s’est bâtie sur la frankenscience, et elle demeure fondée sur elle. Une science et une idéologie qui cause la plus grande extinction depuis celle des dinosaures il y a 65 millions d’années, et qui est en train de semer la désolation partout. Aurions-nous pu faire autrement? Si oui, le voudrions-nous vraiment? Je ne sais pas si nous changerons les choses avant de pâtir nous-mêmes de la chute massive de la biodiversité sur Terre (et dans les océans). Mais des livres comme celui-ci peuvent apporter une petite contribution en ce sens.

https://www.ledevoir.com/societe/environnement/516917/les-zones-mortes-prennent-de-l-ampleur-dans-les-oceans

Cris et chants: quels oiseaux chantent?

Pioui de l'Est, par John Conrad (libre de droits)
Je termine mon article avec un point secondaire où la science se comporte à nouveau drôlement face aux oiseaux. Depuis longtemps, les ornithologues distinguent entre les chants et les cris. Grosso modo, les chants sont complexes, et les cris sont brefs et simples. Par convention, seuls les oiseaux de l'ordre des Passériformes sont considérés comme pouvant chanter. Dans mon livre Le chant des oyseaulx, je rapporte cette distinction traditionnelle entre «chants» et «cris» (page 37). Personnellement, je ne tiens pas à cette distinction, et je préfère parler plutôt du langage d'une espèce, avec son répertoire de musimots et musiphrases. Car la réalité est plus nuancée. Reste qu'il est quand même curieux d'introduire un critère esthétique et subjectif, relatif au goût, pour distinguer des vocalisations d'oiseaux.
Historiquement, cette distinction entre «chants» et «cris» vient du fait que l'on a surnommé les Passériformes, l'ordre d'oiseaux qui contient plus de la moitié des espèces, «oiseaux chanteurs» ou, en anglais, «songbirds». Pourquoi ce surnom? Tout simplement parce qu'on trouvait leurs chants plus «mélodieux» et «musicaux» que ceux des autres oiseaux - on ne connaissait pas le Rap à cette époque! Mais on a tout autant surnommé les Passériformes «oiseaux percheurs», ou «Perching Birds» en anglais, et le mot «passériforme» ne se réfère d'ailleurs pas à l'aptitude pour le chant.

Guêpier, par John Gould (1837)
Ce surnom d'«oiseaux chanteurs» est resté accolé aux Passériformes au point que l'on a glissé jusqu'à considérer qu'eux seuls chantent, et considérer dans le même mouvement que les autres oiseaux ne chantent pas mais crient. On a transformé un simple surnom en convention, voire même en «fait» scientifique. Pourtant, tous les Passériformes ne sont pas de grands chanteurs! Par exemple, les Moucherolles possèdent un chant si limité, du moins aux oreilles humaines, que leur onomatopée a suffit pour nommer l'espèce: Moucherolle phébi, Moucherolle tchébec... Cela n'annonce pas de grandes symphonies!  On dit du Moineau, pourtant un Passériforme, qu'il pépie et non ne chante. Les Corneilles sont aussi des Passériformes: leur chant (si «chant» il y a) est-il si «mélodieux»?
Le «chant» se distinguerait par son aspect plus élaboré. Le Plongeon huard signale sa présence et son territoire par un «cri» (parce qu'il n'est pas un Passériforme!): ce dit cri est fondé sur trois notes dans un ambitus large. En comparaison, la Mésange à tête noire se signale par un «chant» (parce qu'elle est un Passériforme!), mais ce chant n'est que sur deux notes et dans un ambitus très restreint. Autrement dit, le «cri» du Huart est plus élaboré que le «chant» de la Mésange. Chez cette dernière, son «cri» est lui-même plus complexe que son «chant». Si Barklow, spécialiste de cet oiseau, parle effectivement de «cris» pour le Plongeon huard, il nomme l'un d'eux «yodel». Or, «yodel» est bel et bien un terme musical désignant une technique de chant! 
Le Guêpier d'Europe n'est pas un Passériformes: il ne «chanterait» donc pas. Pourtant, ses vocalisations sont plus complexes que celles de plusieurs Passériformes, plus «mélodieuses» aussi. Aucune raison logique ne devrait donc empêcher de dire qu'il chante. https://fr.wikipedia.org/wiki/Gu%C3%AApier_d%27Europe

Je pourrais multiplier les exemples.
Il est peu probable que les oiseaux eux-mêmes distinguent entre chants et cris: pour eux, ce sont des éléments de leur langue, des éléments d'un seul et même langage, principalement produits grâce à un organe spécifique. Que l'on parle, selon les écoles de pensée, de «cris et chants» ou de «vocalisations» ou encore de «musilangage», la quasi totalité des espèces d'oiseaux communiquent par le son. Un musicien pourra ainsi utiliser le mot «chant» pour désigner l'ensemble de ces communications, sans pour autant avoir tort de son point de vue. C'est d'ailleurs fort probablement ce qui s'est passé pour que l'on associe le chant aux seuls Passériformes! 
 
Sources des illustrations: Sites commerciaux (pour les couvertures de livres) et Wikipédia (Domaine public, PD-US)