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vendredi 1 février 2019

AUTISME. RÉINVENTER LE SYNDROME D'ASPERGER?

Autisme. Réinventer le syndrome d’Asperger?

Première partie : Le spectre du nazisme
Deuxième partie: Un nouveau nom?
 
1. Le spectre du nazisme
1. Les Asperger dérangent... encore et toujours... et c'est tant mieux!
2. Écholalies nazies
3. Un contexte totalitaire
4. Jugements sélectifs


Les Asperger dérangent… encore et toujours… 
et c’est tant mieux!

Voici un extrait du dossier récent sur l’autisme paru dans la revue Science et avenir : «Parce qu’ils sont souvent dotés de capacités cognitives hors du commun - intelligence, synesthésie, mémoire -, les autistes Asperger constituent l’arbre qui cache la forêt des autistes. Pourtant il y a un monde entre les deux. « Ils ont été mis dans le même groupe parce qu’ils souffrent tous de difficultés d’interaction sociales. Mais, de mon point de vue, s’insurge le Dr Philippe Raymond, membre du groupe de travail Chronimed, ce n’est pas du tout la même chose et c’est une “arnaque“ de les classer comme autistes. » Ils se distinguent également, bien qu’on les confonde souvent, des autistes dits de haut niveau, à l’intellect normal. D’ailleurs, les Asperger arrivent à s’intégrer socialement et la plupart disent « je suis très bien comme je suis », appuie Florent Chapel, auteur d’Autisme : la grande enquête. Certains spécialistes plaident ainsi pour une requalification de ce trouble et une sortie du champ autistique.» https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/journee-mondiale-de-sensibilisation-a-l-autisme-quatre-pistes-pour-guerir-ce-trouble_122635

Que dire, mes amiEs, que dire?! D’une part, c’est flatteur de reconnaître aux Asperger des «capacités hors du commun»! D’autre part, je suis heureux d’apprendre que les Asperger, tous et toutes semblent-ils, se sentent bien d’être qui ils et elles sont. Cela ne correspond peut-être pas totalement à la réalité, ironie, mais peut-être aussi que l’acceptation de soi progresse peu à peu chez les personnes autistes, ce qui est positif. Cela dit, il est exagéré d’affirmer que les Asperger sont «l’arbre qui cache la forêt» (voir : http://antoine-ouellette.blogspot.ca/2018/02/autisme-une-certaine-etude-coreenne.html). 

Mais les Asperger sont les «autistes du verbe»; ils hésitent peu à prendre la parole et leur parole dérange souvent. Doit-on pour autant les faire se taire?! Non : ce sont des citoyens à part entière, et ils ont autant droit de parole que quiconque. Doit-on les exclure de l’autisme? Faire de la condition Asperger un diagnostic distinct, ou un profil humain particulier? Les experts divergent. Le profil Asperger est trop nettement typé pour être effacé. Comme le Docteur Normand Giroux, je suis donc en faveur de son maintien, non en tant que maladie mais en tant que profil humain, en tant que condition humaine atypique ou excentrée. Je ne suis cependant pas contre le fait de discuter s’il doit demeurer ou non inclus dans l’autisme, bien qu’il partage des traits avec l’autisme classique (type Kanner) – mais trop peu avec l’autisme secondaire (c'est plutôt cet autisme secondaire qui devrait sortir du champ de l'autisme).

Dans tous les cas, les Asperger dérangent vraiment!

Quelqu’un m’a dit : «C’est comme si on voulait nous exclure et nous faire taire!». Tiens tiens… Et si c’était le cas?

Faire taire les AspiEs est mission impossible, surtout lorsque ces gens ont des convictions! Leur faire avoir honte d’être qui ils et elles sont est aussi problématique! Alors quelle pourrait être la première étape de leur exclusion? Une idée : leur faire avoir honte de se nommer Asperger; leur faire avoir honte de s’identifier à un nazi.


Écholalies nazies

Il parait que nous, autistes, aimons répéter. Nous ferions de l’écholalie (répéter les paroles d’autrui) et / ou de la palilalie (parler en répétant ses propres mots ou phrases). C’est évidemment là un des terribles maux de la non moins terrible maladie qui nous afflige. Parce que la même répétition, même si sous d’autres modalités, chez les non autistes est, elle, tout à fait correcte. Y compris quand on répète des âneries. Quelle chance ces gens ont de ne pas être autistes! Tout comme reviennent les maringouins à chaque printemps, la thèse du Hans Asperger nazi revient périodiquement.

Une nouvelle charge est venue en avril 2018. Sur la base de documents inédits, une étude concluait donc que le Docteur Hans Asperger «avait activement coopéré avec le programme d’euthanasie des nazis». On y lit aussi : «Le Dr Asperger (1906-1980) a légitimé publiquement les politiques d'hygiène raciale y compris les stérilisations forcées», cela «en plusieurs occasions». https://www.lorientlejour.com/article/1111370/le-dr-asperger-a-activement-coopere-avec-les-nazis-selon-une-etude.html

La charge est forte. Mais je suis perplexe. Car Hans Asperger a peu à voir avec le nazi typique. Ainsi : 
1) Il n’a pas été membre du Parti, alors que plusieurs de ses collègues l’étaient ouvertement et, si j’ose dire, fièrement. L’étude reconnait d’ailleurs le fait qu’Asperger n’a pas adhéré. 
2) Sa pratique ne lui a valu aucun blâme lors des procès de dénazification d’après-guerre, et ces procès étaient tout de même serrés. 
Van Heemskerck: Justice (1556)
3) Pour désigner les enfants qu’il suivait, il n’a jamais utilisé les termes chers aux nazis comme «tarés», «déficients», «dégénérés», etc. Au contraire, il a employé des termes respectueux et neutres. 
4) Sa vision de ces enfants et de l’autisme était surtout positive, au point qu’on lui reprochera souvent a posteriori d’avoir eu une «vision rose», ce qui n’est pas compatible avec la philosophie eugéniste – il est absurde de faire d’un coup un nazi de quelqu’un à qui l’on reproche d’avoir eu une «vision rose» : c’est l’un ou c’est l’autre, mais pas les deux à la fois. 
5) C’est indirect mais tout de même : son assistante, la sœur Victorine, est morte en tentant de mettre à l’abri des enfants lors d’un bombardement allié. De bons eugénistes leur auraient plutôt donné le coup de grâce…

Mais Asperger se serait-il néanmoins compromis? À nouveau, les procès d’après-guerre ne sont pas parvenus à cette conclusion. Mais l’étude insiste en pointant quelques faits. Par exemple : 
A) Asperger écrivait «Heil Hitler» à la fin de ses rapports de diagnostics. 

B) Il a recommandé le transfert de deux fillettes âgées respectivement de deux et cinq ans, au centre Am Spiegelgrund où sont morts près de 800 enfants dépourvus de "pureté raciale" et d'"intérêt héréditaire", tués notamment par empoisonnement. L’étude mentionne tout de même que ces deux fillettes y sont officiellement mortes de pneumonie, ce qui pourrait être exact du reste. 
C) Asperger aurait fait quelques déclarations en faveur de l’eugénisme.

Je demeure perplexe. Alors que les nazis tuaient à la chaine, Hans Asperger ne s’est pas distingué par un zèle, contrairement à certains de ses collègues, et il est difficile de trouver chez lui un enthousiasme envers la pratique de l’eugénisme. Le portrait qui émerge me semble être moins celui d’un «collaborateur actif» que celui d’une personne cherchant à temporiser dans un contexte ne laissant que très peu de marge de manœuvre.


Un contexte totalitaire

Oskar Schindler
Avant de juger dans notre confort, je crois qu’il faut tout d’abord se rappeler que le Troisième Reich était un régime totalitaire, l’un des plus accomplis du genre. Le mot le dit : total. Contrôle total. Du gouvernement. Des lois. Des institutions. Des médias. Des esprits même. Total. Qu’Hans Asperger ait œuvré au sein d’institutions nazifiées ne devrait pas surprendre : toutes les institutions étaient nazifiées. Mais il n’a pas adhéré, et certainement pas dans l’enthousiasme. Il a probablement donné quelques gages de «bonne volonté», sans avoir d’autres options à sa disposition. Dans cet univers sinistre qui semblait invincible et là pour durer très longtemps, peut-être qu’Asperger a perdu courage par moment : il y aurait eu de quoi. Il aurait pu s’exiler; oui, mais alors il aurait laissé toute la place à ses collègues résolument eugénistes. 
En fait, Hans Asperger a sauvé plusieurs enfants. Le cas qui me vient à l’esprit est celui d’Oskar Schindler (1908-1974), qui a inspiré un film magnifique à Steven Spielberg (Schindler’s List, 1993). Cet industriel allemand a été membre du Parti nazi et a collaboré au service de renseignement du régime, donc il était officiellement nazi – ce que n’était pas Asperger. Il a la responsabilité d’un certain nombre de morts mais en même temps, par divers subterfuges, il a réussi à sauver quelques 1200 Juifs. https://fr.wikipedia.org/wiki/Oskar_Schindler

Encore une fois, pour nous qui vivons dans des sociétés libres et démocratiques, il est bien facile de juger. Mais qu’aurions-nous fait en situation réelle? Avons-nous vraiment conscience des dilemmes effrayants face auxquels nous aurions été placés? Le contexte avait de quoi rendre fou.
L’auteur Philip Kerr (1956-2018) nous en donne une idée réaliste avec son personnage du policier allemand Bernie Gunther qui a travaillé sous les nazis. Comme Asperger, Gunther n’a eu d'autre choix que de travailler en contexte nazi et totalitaire; comme Asperger, il devait donc composer avec la situation réelle, en donnant quelques gages de «bonne volonté» sans trop se compromettre. Pas évident. Je recommande la lecture de ces romans, passionnants et magnifiquement écrits.

Je pense donc que la réalité d’Hans Asperger était beaucoup plus nuancée. Dois-je m'excuser de préférer la nuance de la vie aux slogans simplificateurs?

Jugements sélectifs
Oserez-vous boycotter aussi Ford?
Si l’on raye le nom d’Asperger, on devrait alors rayer celui d’Henry Ford et boycotter les produits de cette firme. Il est bien documenté que Ford était antisémite et eugéniste - il a même écrit un livre sur le sujet, considérant les Juifs comme un «germe» qui devrait faire l’objet d’un «nettoyage»; il admirait ouvertement Hitler et son type de gouvernance au point qu’il a reçu en 1938 la « Grand-Croix de l'Ordre de l'Aigle allemand », la plus haute décoration nazie pour les étrangers (https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Ford). Asperger n'avait pas trop de choix, mais Ford, lui, avait tout le choix qu'il voulait, et il a choisi pour Hitler. 
Il faudrait de même boycotter les produits Volkswagen. Cette firme est née sous les nazis pour répondre au vœu formulé par Hitler lui-même que chaque Allemand puisse s’offrir une voiture. Il faudra de même boycotter Porsche, puisque c’est l’ingénieur Ferdinand Porsche qui a exaucé le rêve du dictateur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Volkswagen). Porsche était ouvertement nazi, non seulement membre du Parti, mais même haut officier de ce parti. Pourtant, ce passé n'a pas trop nuit à sa postérité: «En 1996, Ferdinand Porsche est intronisé au Temple international de la renommée du sport automobile» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Porsche). Si cela est acceptable, je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait rayer le nom d'Asperger en autisme.

Je suis certain que l’on pourrait multiplier les exemples. En passant, si vous êtes contre Monsanto, boycottez les produits Bayer, dont l’aspirine, puisque Bayer est maintenant propriétaire de Monsanto : du coup, acheter Bayer est soutenir Monsanto! Bon, là j'avoue qu'il y a de quoi boycotter...

Saturn V fut l'oeuvre d'un ex-major des SS
Le syndrome de Rett existe toujours, même s’il a été exclu de l’autisme. Or Andreas Rett a fait partie des Jeunesses hitlériennes et a ensuite été formellement membre du Parti. L’ingénieur Wernher von Braun qui fut engagé par la NASA pour créer la fameuse fusée Saturn V des missions Apollo, avait auparavant été, lui aussi, membre du Parti nazi, major dans les SS, et félicité personnellement par Hitler. La fabrication de son missile V2 a été réalisée avec le travail d’une main d’œuvre concentrationnaire au camp de Dora où 20 000 «ouvriers» ont trouvé la mort dans des conditions de vie atroces. En voulez-vous des nazis, des vrais, dans l’histoire des sciences? Il y en a eu plein! Il y en a eu aussi en musique, soit dit en passant...

Pour photo ci-haut

Maintenir «syndrome d’Asperger» et continuer à se dire AspiEs n’implique aucunement d’être sympathique aux idées nazies. Pas plus qu’acheter une voiture Ford ou Volkswagen ne fait de nous un adepte de nazisme. Quels qu’aient été les liens réels d’Hans Asperger avec le nazisme, le «syndrome d’Asperger» n’a pas été nommé en son «honneur», ni parce qu’il fut un saint, mais tout simplement parce que comme c’est toujours le cas en sciences, il a été le premier à décrire ce profil humain.

Mais justement, a-t-il vraiment été le premier? J'y reviendrai.  
Sur cette base et considérant tout ce qui précède, je n'ai personnellement pas de réticence à continuer à me dire autiste de type Asperger
Monsieur Porsche est à droite
 Je dois cependant reconnaître qu’auprès du public, une affirmation comme «Asperger était nazi» possède la force dévastatrice d’un slogan, art dont, hum, les nazis ont été les premiers grands maîtres, avec les bolcheviks. Alors, Hans Asperger risque d’être «brûlé» aux yeux de la postérité. Comment les AspiEs pourront-ils continuer à se nommer de son nom? 
On leur dira assurément : «Vous n’avez pas honte?! Ce type était un nazi!». On exercera de la pression pour que le nom d’Asperger soit rayé. 
Or, ce nom a donné une chose formidable : il a permis à des gens réputés comme peu sociables de se réunir en réseau, de créer des organismes d’entraide et de revendication de leurs droits (souvent bafoués). Bref, le risque est de détruire ces réseaux. Mais peut-être est-ce justement le vrai but qui est recherché...

 
 *          *          *

Autisme. Réinventer le syndrome d’Asperger?
 

2. Un nouveau nom?

1. Retour sur une situation totalitaire
2. Le rêve d'Hitler toujours bien vivant
3. Délire technocratique
4. Annihiler l'humanité de la personne
5. D'Aspi à Soukha? 
6. Plus radical encore: sortir de la psychiatrie
7. En complément: ABA déçoit en France. Suivi d'un Avertissement!

Retour sur une situation totalitaire
Cet article poursuit la réflexion amorcée dans le précédent:
 http://antoine-ouellette.blogspot.com/2019/02/
Mais avant d'aller plus loin, je reviens sur un point lié au totalitarisme nazi. Les Nazis utilisaient une puissante machine pour coder leurs messages destinés à des opérations militaires: la machine Enigma https://fr.wikipedia.org/wiki/Cryptanalyse_d%27Enigma
Des savants alliés sont parvenus à construire une machine capable de décrypter les messages d'Enigma, dont le mathématicien britannique Alan Turing (1912-1954): https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Turing
Machine à crypter Enigma

Mais cette réussite devait être utilisée avec prudence: si les Alliés étaient intervenus chaque fois pour empêcher toutes les attaques allemandes dont les codes avaient été décryptés, ils auraient du coup révélé avoir «cassé» Enigma, et les Allemands auraient aussitôt procédé autrement. Il ne le fallait pas. Alors, les Alliés sont intervenus en certains cas, mais ils ont laissé les Allemands attaquer dans d'autres cas, y compris, par exemple, des attaques sur des navires civils. Pour protéger leur réussite et pour pouvoir continuer à casser les ordres nazis, ils ont pris la décision de sacrifier des vies. Quel autre choix avaient-ils? Aucun. C'est tragique et je n'aurais pas aimé avoir à prendre de telles décisions, même si celles-ci devaient être prises. Au bout du compte, on estime que, grâce à ce décryptage, la guerre a été écourtée d'environ deux ans. Cette guerre a été l'une des plus grandes tragédies de l'histoire humaine. Les événements ont mis des gens devant des dilemmes moraux quasi impossibles. Pour sauver des vies et pour vaincre le nazisme, des sacrifices de vies humaines étaient inévitables. 
Première édition de 1984, roman du totalitarisme
Pour nous qui n'avons pas été confrontés à cela, il est très et trop facile de juger a posteriori dans le confort de notre foyer. Si Hans Asperger a sacrifié quelques patients, il en a sauvé davantage, tout comme l'a fait Oskar Schindler et d'autres encore. Si Hans Asperger a accepté que certains patients soient stérilisés, il a, ce faisant, donné un sursis à ces mêmes patients, car l'autre choix était leur assassinat pur et simple dans les conditions que l'on sait. 
Comment aurais-je moi-même agi dans un contexte totalitaire? Comment aurais-je agi si j'avais été forcé de m'incorporer dans les forces nazies et que j'avais reçu l'ordre de tuer ou de torturer? Comment aurais-je agi pour tenter de sauver la vie de patients alors que mes collègues n'hésitaient pas à signer des arrêts de mort, alors que l'institution pour laquelle je travaillais était dédiée à la cause nazie?  Me serais-je exilé en sachant que, sans ma présence, ce sont des gens dévoués à tuer qui auraient pris ma place? Il faut tenter de se mettre en situation imaginaire avant de juger. Il faut aussi être honnête dans les réponses que l'on donne à ces questions. 

Le rêve de Hitler toujours bien vivant
Le rêve d'Hitler en Avril 2016...
Concernant l'eugénisme, si la barbarie nazie nous répugne, nos sociétés d'aujourd'hui sont-elles si innocentes? N'est-ce pas plutôt que l'eugénisme a «mûri» et s'est «raffiné»? Que ce faisant, il s'est intégré dans nos vies au point qu'il semble «normal»? Ai-je besoin de rappeler le «rêve» de certains de mettre au point un test de dépistage pré-natal de l'autisme afin d'éliminer les «fœtus tarés»? Un tel test existe pour la trisomie 21: là où il est disponible, un résultat positif est suivi par l'avortement dans quelques 95% des cas. Le résultat serait assurément semblable pour les fœtus positifs à l'autisme, n'en doutez pas, et les beaux discours sur l'«acceptation de la différence» s'écrouleraient aussitôt. En écrivant cela, je ne fais qu'observer; je ne juge personne. Que ce soit avant la naissance au lieu d'après comme chez les nazis (qui ne possédaient pas encore de tests pré-nataux), n'est-ce pas exactement le même rêve de «perfection» et de «pureté» de l'espèce humaine? Moins extrêmes mais néanmoins dans le même esprit, toutes ces chirurgies qui prétendent «améliorer» le corps, même lorsqu'il est naturellement sain? Tous ces «standards» auxquels on nous incite, fortement, à nous conformer dans notre corps sinon aussi dans notre esprit, toujours au nom du «progrès de la race»? Ce médecin chinois qui aurait manipulé des embryons humains pour créer des enfants résistants au VIH, enfants qui seraient bel et bien nés? Qu'aurait dit Hitler face à de tels développements comblant ses propres rêves? «Vous m'avez enfin compris»? Et sur ce point, Hitler n'aurait-il pas eu le seul tort que d'être arrivé trop tôt et de ne pas avoir pu bénéficier de la technologie médicale que nous sommes sur le point, nous, d'avoir... ou que nous avons déjà? Ne serions-nous pas, au fond, des héritiers d'Hitler?
Déjà, animaux et plantes subissent des manipulations génétiques de toutes sortes - je ne parle pas ici de simples hybridations, mais de manipulations génétiques réelles. L'avenir prévisible pointe donc vers la manipulation génétique des embryons humains et vers le «design de bébés». Cela pour «améliorer scientifiquement» l'espèce humaine et pour avoir des bébés plus conformes à nos désirs. Viendra un jour où des enfants poursuivront leur parent pour les avoir mis au monde avec une maladie ou un handicap. Presque toutes les barrières éthiques vers cela sont d'ores et déjà tombées, et les rares qui subsistent ne tiennent plus qu'à un fil. Le seul rempart solide qui demeure est la marge nécessairement inconnue d'imprévisibilité de l'avenir. 
C'est pourquoi il m'est impossible de condamner Hans Asperger. Mais il y a encore un autre point qui m'empêche de le faire. 

Délire technocratique

Les sympathies nazies, réelles ou (plus vraisemblablement) imaginaires, ne sont qu’un prétexte. Elles sont instrumentalisées vers une toute autre fin, et une fin inavouable : détruire l’identité des personnes. Pour réduire leur humanité à un statut de personnes malades.

En effet, que propose-t-on en échange? Le concept pseudoscientifique de «spectre de l’autisme» qui, amalgamant des réalités de natures différentes, ne peut être le continuum qu’il prétend être. Des choses pitoyables comme : «Dites plutôt que vous êtes atteints d’autisme; reconnaissez que vous n’êtes que des malades; taisez-vous et laissez-nous parler en votre nom; devenez ce que nous voulons que vous soyez : non pas des citoyens à part entière, mais des gens sans estime de soi, des consommateurs passifs de services que nous vous dispenserons (en faisant beaucoup d’argent sur votre dos), etc.». 
C’est curieux, je vois là une nouvelle forme de purification de la race… Un manque d’empathie aussi – nos manques d’empathie à nous sont pathologiques mais, heureux que vous êtes, les vôtres sont corrects!

Mal de tête, par George Cruikshank (1819)
La version « Beta Draft » de la Classification internationale des maladies (sic) CIM-11, rendue publique par l'OMS et approuvée en mai dernier, remplace le syndrome d’asperger par ceci, tenez-vous bien : Trouble du spectre de l'autisme sans trouble du développement intellectuel et avec peu ou pas de déficience dans le langage fonctionnel. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?! C’est délirant, grotesque. Aspi-Québec se renommera-t-il : Association québécoise des gens vivant avec un trouble du spectre de l'autisme sans trouble du développement intellectuel et avec peu ou pas de déficience dans le langage fonctionnel?!

- Antoine, es-tu Aspi?

- Non. J’ai juste un petit trouble-du-spectre-de-l'autisme-sans-trouble-du-développement-intellectuel-et avec-peu-ou-pas-de-déficience-dans-le-langage-fonctionnel.

Vingt-et-un mots! 21! Pour en remplacer deux! Cela n'a pas de sens. Pense-t-on sérieusement que je vais trimbaler cet encombrant machin?! De plus, ces fonctionnaires de la maladie croient toujours que l’autisme est «avoir quelque chose». Ma position est autre : je suis autiste, je n’ai pas de TSA et je ne suis pas atteint d’autisme, je ne suis pas plus troublé que bien des gens non autistes; l’autisme est de l’ordre de l’être, non de l’avoir; c’est une dimension de la personne, une des dimensions de la personne. Pourquoi alors me définirai-je comme une «personne TSA»? Il n’y a aucune raison.

Pour le moment, le Syndrome d’Asperger est maintenu dans la Classification française des troubles mentaux de l’enfance et de l’adolescence (CFTMEA). Mais ce guide d’inspiration largement psychanalytique définit l’autisme, dont l’Asperger, comme un «trouble psychotique», ce qui est inexact et inapproprié. Je ne suis pas troublé d'être ainsi, et encore moins psychotique!!!  J'applaudis ces experts qui osent maintenir le Syndrome d'Asperger, comme Normand Giroux de la Clinique Autisme et Asperger, de Montréal.

La généralisation malheureuse du concept de «TSA» vise une autre cible : l’idée de neurodiversité qui, à nouveau, offre un apport positif à de nombreuses personnes et pas que parmi les autistes. En acceptant TSA, il n’y a plus de diversité positive, il n’y a que des troubles, donc des maladies.

Le Docteur Laurent Mottron écrivait ceci dans un article : «Soulignons que pour une personne Asperger, le dialogue avec le monde des gens neurotypiques n’a lieu que si nous leur manifestons qu’on les croit sains (non aliénés)». Le dialogue avec un enfant Asperger se fait d’égal à égal, jamais d’individu sain à individu malade, et toujours en faisant appel à l’intelligence. Aborder les Asperger autrement, en tentant de les convaincre qu’ils et elles sont «troublés», ne favorise pas l’échange; cela crée au contraire d’inutiles distorsions et une relation pervertie dès le départ.

Annihiler l'humanité de la personne

Pour les personnes autistes, l’idéologie du TSA constitue un grand recul. En vérité, seuls les spécialistes et les intervenants y gagnent, du moins certains d’entre eux. L’autisme est devenu une business florissante : des sommes considérables sont en jeu. Outre l’argent, je vois aussi dans tout cela la réplique, violente, des forces de la normalisation et de la conformité face à une prise de parole qui dérange. Sans nier les difficultés rencontrées par les personnes autistes (mais sans oublier non plus que l’immense majorité des personnes non autistes vivent aussi des difficultés), il reste que plus on n’insistera lourdement que sur le négatif, moins on favorisera l’épanouissement des personnes autistes.

Avec une identité positive, la voie d’avenir pour les autistes passe par l’aide par les pairs, par le «pour et par». Très peu d’organismes en autisme ont mis en place des programmes de mentorat par les pairs – je remercie et félicite ceux qui le font. C’est que cette vision viendrait déranger le ronron d’une industrie immensément lucrative. Sans vision positive, ou juste équilibrée, tout redevient purement curatif, voire pharmacologique : faire prendre aux autistes psychotropes, diurétiques et médicaments anticancer, pour ne nommer que cela. Mais est-ce ce que les autistes désirent? Est-ce ainsi qu’ils prendront leur place dans la société? Est-ce ainsi qu’ils pourront apporter leur contribution dans l’originalité qu’elle devrait avoir? Assurément non. La voie du TSA en est une de marginalisation négative, d’exclusion, d’apitoiement sur soi (attribuer à l’autisme toutes nos difficultés!); une voie favorisant la faible estime de soi, la dépression, la passivité, la démission. Il y a mieux, bien mieux : reconnaître et assumer son atypicité, sans complexe, sereinement et affirmativement.

Personnellement, je rejette TSA, tout comme je rejetais le TED qui existait au moment de mon diagnostic (l’autisme comme Trouble envahissant du développement). À cette époque, jamais je ne me suis défini comme «ayant un TED»; aujourd’hui, je ne me défini pas davantage comme «ayant un TSA». Je ne vois aucun humanisme dans ces définitions, qui ne sont d’ailleurs que pseudoscientifiques.  Fin de non-recevoir, et il sera effectivement difficile d'être amis si on amorce la conversation sur ces bases...
Remarquez bien que pour moi, cela n'a aucune importance. Mais je déplore ces discours «tout noir» au sujet de l'autisme pour les jeunes autistes, à qui on impose un énorme fardeau supplémentaire, et des embûches supplémentaires aussi, de manière complètement contreproductive et même handicapante; je les déplore aussi pour les familles. J'ai le même sentiment aujourd'hui qu'après mon diagnostic en 2007, alors que je me documentais sur l'autisme et qu'à peu près partout je ne lisais que des discours surdramatiques et terrifiants, agrémentés honteusement de mots comme «plaie», «douloureuse psychose», «pas d'empathie, pas d'émotions», «problème de santé publique», etc. L'inertie face au changement est particulièrement puissante en autisme.

Les AspiEs pourraient donc plutôt choisir délibérément de continuer à se nommer ainsi, en résistant à l’intimidation. Ils en auraient le droit du reste, et ce sont souvent des gens qui tiennent à leurs idées, avec raison comme il en va pour tout le monde.

D'Aspi à Soukha?

Moscou au XVIIe s, par Vasnetsov (1922)
Si l’on finit par prendre en aversion le nom d’Hans Asperger, il pourrait y avoir une possibilité de remplacement. Il est de plus en plus reconnu que les premières descriptions de l’autisme ne sont ni d’Asperger ni de Leo Kanner, mais de Grounia Soukhareva (1891-1981). Une femme, donc, psychiatre, juive-russe d’origine ukrainienne. En 1926, soit près de vingt ans avant Asperger, elle a décrit le profil d’enfants en tous points semblables. En utilisant le jargon de son époque, elle a dit d’eux qu’ils présentent un «trouble de la personnalité schizoïde» - je rappelle qu’historiquement, le mot «autisme» a été inventé pour nommer un symptôme de la schizophrénie. Mais Madame Grounia a pris soin de préciser qu’elle utilise cette expression à défaut de mieux, et en soulignant que ces enfants se démarquent du profil schizophrénique. Plus intéressant encore. Elle a suivi de ces enfants pendant des années, et sa conclusion est étonnante (pour vous, pas pour moi) : «Tous ces enfants sans exception ont fait d’énormes progrès»; certains ont même réalisés de véritables accomplissements, en musique notamment, donc en art et pas en mathématiques! Elle lançait ce qui devrait être le grand mot d’ordre pour accompagner ces enfants : «S’ils trouvent des professeurs qui les protègent contre l’intimidation et les encouragent à développer leurs talents naturels, ils se développeront bien». Dieu vous bénisse, chère Madame, pour cette sagesse si rare en autisme!!! Pour accompagner les enfants de type Asperger, elle ne faisait que deux seules recommandations. Deux seulement! Je les réitère: 1) Les protéger contre l'intimidation et autres formes d'abus, 2) Les encourager dans leurs intérêts et passions. C'est tout. Et c'est suffisant.

Je suis ravi mais non surpris que cette première description vienne de Russie. Le type Aspi se retrouve souvent dans la littérature russe et le Prince Mychkine, du roman L’idiot de Dostoïevski, en est le plus beau représentant.

Alors, nous pourrions remplacer «syndrome d’Asperger» remplacer et «Trouble du spectre de l'autisme sans trouble du développement intellectuel et avec peu ou blablabla». par «syndrome de Soukhareva». Ou mieux encore, par «profil Soukhareva».

Mais je ne peux garantir que Madame Soukhareva n’avait pas de squelettes dans son placard. Avis aux fouilleux de marde! Qui sait, peut-être fut-elle communiste? Bien vue de Staline qui, au panthéon des dictateurs, vaut bien Hitler? Hum, n’a-t-elle pas été décorée de l’Ordre de Lénine, la plus haute décoration de l’Union soviétique? De toute façon, n’est-elle pas Russe, quelle horreur!, compatriote de Vladimir Poutine!!!

Ça sonne bien : profil Soukhareva. Je suis Soukha. Qu’en pensez-vous? 
Vous trouverez un article plus exhaustif ici sur les travaux de Mme Soukhareva: 
 https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/101118/comment-lhistoire-oublie-la-femme-qui-defini-lautisme-grounia-soukhareva?fbclid=IwAR3jOj5NZk3eOA-u6rrQYCtO2JJUmz16xTNaeIdH5vF5lIpfw3givF7aCOM


Plus radical encore:
Sortir de la psychiatrie
Des gens particulièrement audacieux proposent une voie plus radicale: profiter de l'opportunité qui s'offre pour sortir carrément la condition Asperger de la psychiatrie. L'argument principal est le suivant: si être Aspi n’est qu’un variant humain, un profil de personnalité, pourquoi continuer à mettre cela dans les troubles mentaux ou les maladies? Si des experts désirent exclure les Aspies de l’autisme, pourquoi ne pas mener notre barque? Une amie s’interrogeait : «Si ce n’est pas une maladie, pourquoi alors un diagnostic? Un simple test psychologique suffit. Pas besoin d’en faire tout un plat». Des collectifs de personnes Aspies pourraient créer et administrer ce test qui ne serait pas un diagnostic ni rien de médical. Ce test se fonderait aussi sur les critères positifs, les forces, des AspiEs, telles que les énumère notamment Tony Attwood dans ses ouvrages. 
Disparu du DSM comme de la CIM, le syndrome d'Asperger est maintenant «libre». Les AspiEs pourraient donc le récupérer, le transformer en Profil Asperger, ou Profil Soukha: un profil humain particulier et atypique, non une maladie, et un profil «pas fréquent, mais pas rare non plus» (Hans Asperger).

En tout cas, je me sens privilégié d’avoir été enfant à une époque où l’on ne s’acharnait pas à accoler des diagnostics de style TSA sur les enfants, et où, tout en assumant la guidance parentale, on les laissait être qui ils sont. Même si atypiques, comme je l’étais. 
Comme je l'écrivais dans l'article d'octobre dernier, le concept de neurodiversité peut, lui de même, offrir une occasion de placer l'autisme en-dehors des «maladies mentales». D'où le succès grandissant de ce concept qui rassemble de plus en plus de personnes autistes, et même des experts en autisme. 

Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US, y compris la photo de la Nasa) et sites commerciaux (pour livre et revues)