Autisme. Réinventer
le syndrome d’Asperger?
Première
partie : Le spectre du nazisme
Deuxième partie: Un nouveau nom?
1. Le spectre du nazisme
1. Les Asperger dérangent... encore et toujours... et c'est tant mieux!
2. Écholalies nazies
3. Un contexte totalitaire
4. Jugements sélectifs
Les Asperger
dérangent… encore et toujours…
et c’est tant mieux!
Voici un extrait du
dossier récent sur l’autisme paru dans la revue Science et avenir : «Parce
qu’ils sont souvent dotés de capacités cognitives hors du commun -
intelligence, synesthésie, mémoire -, les autistes Asperger constituent l’arbre
qui cache la forêt des autistes. Pourtant il y a un monde entre les deux. « Ils
ont été mis dans le même groupe parce qu’ils souffrent tous de difficultés
d’interaction sociales. Mais, de mon point de vue, s’insurge le Dr Philippe
Raymond, membre du groupe de travail Chronimed, ce n’est pas du tout la même
chose et c’est une “arnaque“ de les classer comme autistes. » Ils se
distinguent également, bien qu’on les confonde souvent, des autistes dits de
haut niveau, à l’intellect normal. D’ailleurs, les Asperger arrivent à
s’intégrer socialement et la plupart disent « je suis très bien comme je suis
», appuie Florent Chapel, auteur d’Autisme : la grande enquête. Certains
spécialistes plaident ainsi pour une requalification de ce trouble et une
sortie du champ autistique.» https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/journee-mondiale-de-sensibilisation-a-l-autisme-quatre-pistes-pour-guerir-ce-trouble_122635
Que dire, mes
amiEs, que dire?! D’une part, c’est flatteur de reconnaître aux Asperger des
«capacités hors du commun»! D’autre part, je suis heureux d’apprendre que les
Asperger, tous et toutes semblent-ils, se sentent bien d’être qui ils et elles
sont. Cela ne correspond peut-être pas totalement à la réalité, ironie, mais
peut-être aussi que l’acceptation de soi progresse peu à peu chez les personnes
autistes, ce qui est positif. Cela dit, il est exagéré d’affirmer que les
Asperger sont «l’arbre qui cache la forêt» (voir : http://antoine-ouellette.blogspot.ca/2018/02/autisme-une-certaine-etude-coreenne.html).
Mais les
Asperger sont les «autistes du verbe»; ils hésitent peu à prendre la parole et
leur parole dérange souvent. Doit-on pour autant les faire se taire?!
Non : ce sont des citoyens à part entière, et ils ont autant droit de
parole que quiconque. Doit-on les exclure de l’autisme? Faire de la condition
Asperger un diagnostic distinct, ou un profil humain particulier? Les experts
divergent. Le profil Asperger est trop nettement typé pour être effacé.
Comme le Docteur Normand Giroux, je suis donc en faveur de son maintien, non en
tant que maladie mais en tant que profil humain, en tant que condition humaine
atypique ou excentrée. Je ne suis cependant pas contre le fait de discuter
s’il doit demeurer ou non inclus dans l’autisme, bien qu’il partage des traits
avec l’autisme classique (type Kanner) – mais trop peu avec l’autisme secondaire (c'est plutôt cet autisme secondaire qui devrait sortir du champ de l'autisme).
Dans tous les cas,
les Asperger dérangent vraiment!
Quelqu’un
m’a dit : «C’est comme si on voulait nous exclure et nous faire taire!».
Tiens tiens… Et si c’était le cas?
Faire taire
les AspiEs est mission impossible, surtout lorsque ces gens ont des
convictions! Leur faire avoir honte d’être qui ils et elles sont est aussi
problématique! Alors quelle pourrait être la première étape de leur exclusion?
Une idée : leur faire avoir honte de se nommer Asperger; leur faire avoir
honte de s’identifier à un nazi.
Écholalies
nazies
Il parait que nous,
autistes, aimons répéter. Nous ferions de l’écholalie (répéter les paroles
d’autrui) et / ou de la palilalie (parler en répétant ses propres mots ou
phrases). C’est évidemment là un des terribles maux de la non moins terrible
maladie qui nous afflige. Parce que la même répétition, même si sous d’autres
modalités, chez les non autistes est, elle, tout à fait correcte. Y compris
quand on répète des âneries. Quelle chance ces gens ont de ne pas être
autistes! Tout comme reviennent les maringouins à chaque printemps, la thèse du
Hans Asperger nazi revient périodiquement.
Une nouvelle
charge est venue en avril 2018. Sur la base de documents inédits, une étude
concluait donc que le Docteur Hans Asperger «avait activement coopéré avec le
programme d’euthanasie des nazis». On y lit aussi : «Le Dr Asperger
(1906-1980) a légitimé publiquement les politiques d'hygiène raciale y compris
les stérilisations forcées», cela «en plusieurs occasions». https://www.lorientlejour.com/article/1111370/le-dr-asperger-a-activement-coopere-avec-les-nazis-selon-une-etude.html
La charge
est forte. Mais je suis perplexe. Car Hans Asperger a peu à voir avec le nazi
typique. Ainsi :
1) Il n’a pas été membre du Parti, alors que plusieurs de
ses collègues l’étaient ouvertement et, si j’ose dire, fièrement. L’étude
reconnait d’ailleurs le fait qu’Asperger n’a pas adhéré.
2) Sa pratique ne lui
a valu aucun blâme lors des procès de dénazification d’après-guerre, et ces
procès étaient tout de même serrés.
Van Heemskerck: Justice (1556) |
4) Sa vision de ces enfants et de l’autisme était surtout positive, au point
qu’on lui reprochera souvent a posteriori d’avoir eu une «vision rose», ce qui
n’est pas compatible avec la philosophie eugéniste – il est absurde de faire d’un
coup un nazi de quelqu’un à qui l’on reproche d’avoir eu une «vision rose» :
c’est l’un ou c’est l’autre, mais pas les deux à la fois.
5) C’est indirect
mais tout de même : son assistante, la sœur Victorine, est morte en
tentant de mettre à l’abri des enfants lors d’un bombardement allié. De bons
eugénistes leur auraient plutôt donné le coup de grâce…
Mais Asperger se serait-il
néanmoins compromis? À nouveau, les procès d’après-guerre ne sont pas parvenus
à cette conclusion. Mais l’étude insiste en pointant quelques faits. Par
exemple :
A) Asperger écrivait «Heil Hitler» à la fin de ses rapports de
diagnostics.
B) Il a recommandé le transfert de deux fillettes âgées
respectivement de deux et cinq ans, au centre Am Spiegelgrund où sont morts
près de 800 enfants dépourvus de "pureté raciale" et d'"intérêt
héréditaire", tués notamment par empoisonnement. L’étude mentionne tout de
même que ces deux fillettes y sont officiellement mortes de pneumonie, ce qui
pourrait être exact du reste.
C) Asperger aurait fait quelques déclarations en
faveur de l’eugénisme.
Je demeure perplexe. Alors que les
nazis tuaient à la chaine, Hans Asperger ne s’est pas distingué par un zèle,
contrairement à certains de ses collègues, et il est difficile de trouver chez
lui un enthousiasme envers la pratique de l’eugénisme. Le portrait qui émerge
me semble être moins celui d’un «collaborateur actif» que celui d’une personne
cherchant à temporiser dans un contexte ne laissant que très peu de marge de
manœuvre.
Un contexte totalitaire
Oskar Schindler |
Avant de juger dans notre confort,
je crois qu’il faut tout d’abord se rappeler que le Troisième Reich était un
régime totalitaire, l’un des plus accomplis du genre. Le mot le dit :
total. Contrôle total. Du gouvernement. Des lois. Des institutions. Des médias.
Des esprits même. Total. Qu’Hans Asperger ait œuvré au sein d’institutions
nazifiées ne devrait pas surprendre : toutes les institutions étaient
nazifiées. Mais il n’a pas adhéré, et certainement pas dans l’enthousiasme. Il
a probablement donné quelques gages de «bonne volonté», sans avoir d’autres
options à sa disposition. Dans cet univers sinistre qui semblait invincible et
là pour durer très longtemps, peut-être qu’Asperger a perdu courage par
moment : il y aurait eu de quoi. Il aurait pu s’exiler; oui, mais alors il
aurait laissé toute la place à ses collègues résolument eugénistes.
En fait,
Hans Asperger a sauvé plusieurs enfants. Le cas qui me vient à l’esprit est
celui d’Oskar Schindler (1908-1974), qui a inspiré un film magnifique à Steven
Spielberg (Schindler’s List, 1993).
Cet industriel allemand a été membre du Parti nazi et a collaboré au service de
renseignement du régime, donc il était officiellement nazi – ce que n’était pas
Asperger. Il a la responsabilité d’un certain nombre de morts mais en même
temps, par divers subterfuges, il a réussi à sauver quelques 1200 Juifs. https://fr.wikipedia.org/wiki/Oskar_Schindler
Encore une fois, pour nous qui
vivons dans des sociétés libres et démocratiques, il est bien facile de juger.
Mais qu’aurions-nous fait en situation réelle? Avons-nous vraiment conscience des dilemmes effrayants face auxquels nous aurions été placés? Le contexte avait de quoi rendre fou.
L’auteur Philip Kerr (1956-2018) nous en donne une
idée réaliste avec son personnage du policier allemand Bernie Gunther qui a
travaillé sous les nazis. Comme Asperger, Gunther n’a eu d'autre choix que de travailler en contexte nazi et totalitaire; comme Asperger, il devait donc composer avec la situation réelle, en donnant
quelques gages de «bonne volonté» sans trop se compromettre. Pas évident. Je
recommande la lecture de ces romans, passionnants et magnifiquement écrits.
Je pense donc que la réalité
d’Hans Asperger était beaucoup plus nuancée. Dois-je m'excuser de préférer la nuance de la vie aux slogans simplificateurs?
Jugements sélectifs
Oserez-vous boycotter aussi Ford? |
Si l’on raye le nom d’Asperger, on
devrait alors rayer celui d’Henry Ford et boycotter les produits de cette
firme. Il est bien documenté que Ford était antisémite et eugéniste - il a même
écrit un livre sur le sujet, considérant les Juifs comme un «germe» qui devrait faire
l’objet d’un «nettoyage»; il admirait ouvertement Hitler et son type de
gouvernance au point qu’il a reçu en 1938 la « Grand-Croix de l'Ordre de l'Aigle allemand », la plus haute décoration nazie pour les étrangers
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Ford). Asperger n'avait pas trop de choix, mais Ford, lui, avait tout le choix qu'il voulait, et il a choisi pour Hitler.
Il faudrait de même boycotter les produits Volkswagen. Cette firme est née sous les nazis pour répondre au vœu formulé par Hitler lui-même que chaque Allemand puisse s’offrir une voiture. Il faudra de même boycotter Porsche, puisque c’est l’ingénieur Ferdinand Porsche qui a exaucé le rêve du dictateur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Volkswagen). Porsche était ouvertement nazi, non seulement membre du Parti, mais même haut officier de ce parti. Pourtant, ce passé n'a pas trop nuit à sa postérité: «En 1996, Ferdinand Porsche est intronisé au Temple international de la renommée du sport automobile» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Porsche). Si cela est acceptable, je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait rayer le nom d'Asperger en autisme.
Je suis certain que l’on pourrait multiplier les exemples. En passant, si vous êtes contre Monsanto, boycottez les produits Bayer, dont l’aspirine, puisque Bayer est maintenant propriétaire de Monsanto : du coup, acheter Bayer est soutenir Monsanto! Bon, là j'avoue qu'il y a de quoi boycotter...
Il faudrait de même boycotter les produits Volkswagen. Cette firme est née sous les nazis pour répondre au vœu formulé par Hitler lui-même que chaque Allemand puisse s’offrir une voiture. Il faudra de même boycotter Porsche, puisque c’est l’ingénieur Ferdinand Porsche qui a exaucé le rêve du dictateur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Volkswagen). Porsche était ouvertement nazi, non seulement membre du Parti, mais même haut officier de ce parti. Pourtant, ce passé n'a pas trop nuit à sa postérité: «En 1996, Ferdinand Porsche est intronisé au Temple international de la renommée du sport automobile» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Porsche). Si cela est acceptable, je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait rayer le nom d'Asperger en autisme.
Je suis certain que l’on pourrait multiplier les exemples. En passant, si vous êtes contre Monsanto, boycottez les produits Bayer, dont l’aspirine, puisque Bayer est maintenant propriétaire de Monsanto : du coup, acheter Bayer est soutenir Monsanto! Bon, là j'avoue qu'il y a de quoi boycotter...
Le syndrome de Rett existe toujours, même s’il a
été exclu de l’autisme. Or Andreas Rett a fait partie des Jeunesses
hitlériennes et a ensuite été formellement membre du Parti. L’ingénieur Wernher
von Braun qui fut engagé par la NASA pour créer la fameuse fusée Saturn V des
missions Apollo, avait auparavant été, lui aussi, membre du Parti nazi, major
dans les SS, et félicité personnellement par Hitler. La fabrication de son
missile V2 a été réalisée avec le travail d’une main d’œuvre concentrationnaire
au camp de Dora où 20 000 «ouvriers» ont trouvé la mort dans des conditions
de vie atroces. En voulez-vous des nazis, des vrais, dans l’histoire des
sciences? Il y en a eu plein! Il y en a eu aussi en musique, soit dit en passant...
Pour photo ci-haut |
Maintenir «syndrome d’Asperger» et continuer à se dire AspiEs n’implique aucunement d’être sympathique aux idées nazies. Pas plus qu’acheter une voiture Ford ou Volkswagen ne fait de nous un adepte de nazisme. Quels qu’aient été les liens réels d’Hans Asperger avec le nazisme, le «syndrome d’Asperger» n’a pas été nommé en son «honneur», ni parce qu’il fut un saint, mais tout simplement parce que comme c’est toujours le cas en sciences, il a été le premier à décrire ce profil humain.
Mais justement, a-t-il vraiment été le premier? J'y reviendrai.
Sur cette base et considérant tout ce qui précède, je n'ai personnellement pas de réticence à continuer à me dire autiste de type Asperger
Monsieur Porsche est à droite |
On leur dira assurément : «Vous n’avez pas honte?! Ce type était
un nazi!». On exercera de la pression pour que le nom d’Asperger soit rayé.
Or,
ce nom a donné une chose formidable : il a permis à des gens réputés comme
peu sociables de se réunir en réseau, de créer des organismes d’entraide et de
revendication de leurs droits (souvent bafoués). Bref, le risque est de
détruire ces réseaux. Mais peut-être est-ce justement le vrai but qui est recherché...
* * *
Autisme. Réinventer
le syndrome d’Asperger?
2. Un nouveau nom?
1. Retour sur une situation totalitaire
2. Le rêve d'Hitler toujours bien vivant
3. Délire technocratique
2. Le rêve d'Hitler toujours bien vivant
3. Délire technocratique
4. Annihiler l'humanité de la personne
5. D'Aspi à Soukha?
6. Plus radical encore: sortir de la psychiatrie
6. Plus radical encore: sortir de la psychiatrie
7. En complément: ABA déçoit en France. Suivi d'un Avertissement!
Retour sur une situation totalitaire
Cet article poursuit la réflexion amorcée dans le précédent:
http://antoine-ouellette.blogspot.com/2019/02/
Mais avant d'aller plus loin, je reviens sur un point lié au totalitarisme nazi. Les Nazis utilisaient une puissante machine pour coder leurs messages destinés à des opérations militaires: la machine Enigma https://fr.wikipedia.org/wiki/Cryptanalyse_d%27Enigma
Des savants alliés sont parvenus à construire une machine capable de décrypter les messages d'Enigma, dont le mathématicien britannique Alan Turing (1912-1954): https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Turing
Mais cette réussite devait être utilisée avec prudence: si les Alliés étaient intervenus chaque fois pour empêcher toutes les attaques allemandes dont les codes avaient été décryptés, ils auraient du coup révélé avoir «cassé» Enigma, et les Allemands auraient aussitôt procédé autrement. Il ne le fallait pas. Alors, les Alliés sont intervenus en certains cas, mais ils ont laissé les Allemands attaquer dans d'autres cas, y compris, par exemple, des attaques sur des navires civils. Pour protéger leur réussite et pour pouvoir continuer à casser les ordres nazis, ils ont pris la décision de sacrifier des vies. Quel autre choix avaient-ils? Aucun. C'est tragique et je n'aurais pas aimé avoir à prendre de telles décisions, même si celles-ci devaient être prises. Au bout du compte, on estime que, grâce à ce décryptage, la guerre a été écourtée d'environ deux ans. Cette guerre a été l'une des plus grandes tragédies de l'histoire humaine. Les événements ont mis des gens devant des dilemmes moraux quasi impossibles. Pour sauver des vies et pour vaincre le nazisme, des sacrifices de vies humaines étaient inévitables.
Cet article poursuit la réflexion amorcée dans le précédent:
http://antoine-ouellette.blogspot.com/2019/02/
Mais avant d'aller plus loin, je reviens sur un point lié au totalitarisme nazi. Les Nazis utilisaient une puissante machine pour coder leurs messages destinés à des opérations militaires: la machine Enigma https://fr.wikipedia.org/wiki/Cryptanalyse_d%27Enigma
Des savants alliés sont parvenus à construire une machine capable de décrypter les messages d'Enigma, dont le mathématicien britannique Alan Turing (1912-1954): https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Turing
Machine à crypter Enigma |
Mais cette réussite devait être utilisée avec prudence: si les Alliés étaient intervenus chaque fois pour empêcher toutes les attaques allemandes dont les codes avaient été décryptés, ils auraient du coup révélé avoir «cassé» Enigma, et les Allemands auraient aussitôt procédé autrement. Il ne le fallait pas. Alors, les Alliés sont intervenus en certains cas, mais ils ont laissé les Allemands attaquer dans d'autres cas, y compris, par exemple, des attaques sur des navires civils. Pour protéger leur réussite et pour pouvoir continuer à casser les ordres nazis, ils ont pris la décision de sacrifier des vies. Quel autre choix avaient-ils? Aucun. C'est tragique et je n'aurais pas aimé avoir à prendre de telles décisions, même si celles-ci devaient être prises. Au bout du compte, on estime que, grâce à ce décryptage, la guerre a été écourtée d'environ deux ans. Cette guerre a été l'une des plus grandes tragédies de l'histoire humaine. Les événements ont mis des gens devant des dilemmes moraux quasi impossibles. Pour sauver des vies et pour vaincre le nazisme, des sacrifices de vies humaines étaient inévitables.
Première édition de 1984, roman du totalitarisme |
Comment aurais-je moi-même agi dans un contexte totalitaire? Comment aurais-je agi si j'avais été forcé de m'incorporer dans les forces nazies et que j'avais reçu l'ordre de tuer ou de torturer? Comment aurais-je agi pour tenter de sauver la vie de patients alors que mes collègues n'hésitaient pas à signer des arrêts de mort, alors que l'institution pour laquelle je travaillais était dédiée à la cause nazie? Me serais-je exilé en sachant que, sans ma présence, ce sont des gens dévoués à tuer qui auraient pris ma place? Il faut tenter de se mettre en situation imaginaire avant de juger. Il faut aussi être honnête dans les réponses que l'on donne à ces questions.
Le rêve de Hitler toujours bien vivant
Le rêve d'Hitler en Avril 2016... |
Déjà, animaux et plantes subissent des manipulations génétiques de toutes sortes - je ne parle pas ici de simples hybridations, mais de manipulations génétiques réelles. L'avenir prévisible pointe donc vers la manipulation génétique des embryons humains et vers le «design de bébés». Cela pour «améliorer scientifiquement» l'espèce humaine et pour avoir des bébés plus conformes à nos désirs. Viendra un jour où des enfants poursuivront leur parent pour les avoir mis au monde avec une maladie ou un handicap. Presque toutes les barrières éthiques vers cela sont d'ores et déjà tombées, et les rares qui subsistent ne tiennent plus qu'à un fil. Le seul rempart solide qui demeure est la marge nécessairement inconnue d'imprévisibilité de l'avenir.
C'est pourquoi il m'est impossible de condamner Hans Asperger. Mais il y a encore un autre point qui m'empêche de le faire.
Délire technocratique
Les sympathies nazies, réelles ou
(plus vraisemblablement) imaginaires, ne sont qu’un prétexte. Elles sont
instrumentalisées vers une toute autre fin, et une fin inavouable :
détruire l’identité des personnes. Pour réduire leur humanité à un statut de
personnes malades.
En effet, que propose-t-on en
échange? Le concept pseudoscientifique de «spectre de l’autisme» qui,
amalgamant des réalités de natures différentes, ne peut être le continuum qu’il
prétend être. Des choses pitoyables comme : «Dites plutôt que vous êtes
atteints d’autisme; reconnaissez que vous n’êtes que des malades; taisez-vous
et laissez-nous parler en votre nom; devenez ce que nous voulons que vous
soyez : non pas des citoyens à part entière, mais des gens sans estime de
soi, des consommateurs passifs de services que nous vous dispenserons (en
faisant beaucoup d’argent sur votre dos), etc.».
C’est curieux, je vois là une nouvelle forme de purification de la race… Un manque d’empathie aussi – nos manques d’empathie à nous sont pathologiques mais, heureux que vous êtes, les vôtres sont corrects!
C’est curieux, je vois là une nouvelle forme de purification de la race… Un manque d’empathie aussi – nos manques d’empathie à nous sont pathologiques mais, heureux que vous êtes, les vôtres sont corrects!
Mal de tête, par George Cruikshank (1819) |
- Antoine, es-tu Aspi?
- Non. J’ai juste un petit trouble-du-spectre-de-l'autisme-sans-trouble-du-développement-intellectuel-et
avec-peu-ou-pas-de-déficience-dans-le-langage-fonctionnel.
Vingt-et-un mots! 21! Pour en remplacer deux! Cela n'a pas de sens. Pense-t-on sérieusement que je vais trimbaler cet
encombrant machin?! De plus, ces fonctionnaires de la maladie croient toujours
que l’autisme est «avoir quelque chose». Ma position est autre : je suis
autiste, je n’ai pas de TSA et je ne suis pas atteint d’autisme, je ne suis pas
plus troublé que bien des gens non autistes; l’autisme est de l’ordre de l’être,
non de l’avoir; c’est une dimension de la personne, une des dimensions de la
personne. Pourquoi alors me définirai-je comme une «personne TSA»? Il n’y a
aucune raison.
Pour
le moment, le Syndrome d’Asperger est maintenu
dans la Classification française des troubles mentaux de l’enfance et de
l’adolescence
(CFTMEA). Mais ce guide d’inspiration largement psychanalytique définit
l’autisme,
dont l’Asperger, comme un «trouble psychotique», ce qui est inexact et
inapproprié. Je ne suis pas troublé d'être ainsi, et encore moins
psychotique!!! J'applaudis ces experts qui osent maintenir le Syndrome
d'Asperger, comme Normand Giroux de la Clinique Autisme et Asperger, de
Montréal.
La généralisation malheureuse du concept de «TSA»
vise une autre cible : l’idée de neurodiversité qui, à nouveau, offre un
apport positif à de nombreuses personnes et pas que parmi les autistes. En
acceptant TSA, il n’y a plus de diversité positive, il n’y a que des troubles,
donc des maladies.
Le
Docteur Laurent Mottron écrivait ceci dans un article : «Soulignons que
pour une personne Asperger, le dialogue avec le monde des gens neurotypiques
n’a lieu que si nous leur manifestons qu’on les croit sains (non aliénés)». Le
dialogue avec un enfant Asperger se fait d’égal à égal, jamais d’individu sain
à individu malade, et toujours en faisant appel à l’intelligence. Aborder les
Asperger autrement, en tentant de les convaincre qu’ils et elles sont
«troublés», ne favorise pas l’échange; cela crée au contraire d’inutiles
distorsions et une relation pervertie dès le départ.
Annihiler l'humanité de la personne
Pour
les personnes autistes, l’idéologie du TSA constitue un grand recul. En vérité,
seuls les spécialistes et les intervenants y gagnent, du moins certains d’entre
eux. L’autisme est devenu une business florissante : des sommes
considérables sont en jeu. Outre l’argent, je vois aussi dans tout cela la
réplique, violente, des forces de la normalisation et de la conformité face à
une prise de parole qui dérange. Sans nier les difficultés rencontrées par les
personnes autistes (mais sans oublier non plus que l’immense majorité des
personnes non autistes vivent aussi des difficultés), il reste que plus on n’insistera
lourdement que sur le négatif, moins on favorisera l’épanouissement des
personnes autistes.
Personnellement,
je rejette TSA,
tout comme je rejetais le TED qui existait au moment de mon diagnostic
(l’autisme
comme Trouble envahissant du développement). À cette époque, jamais je
ne me suis
défini comme «ayant un TED»; aujourd’hui, je ne me défini pas davantage
comme
«ayant un TSA». Je ne vois aucun humanisme dans ces définitions, qui ne
sont d’ailleurs
que pseudoscientifiques. Fin de non-recevoir, et il sera effectivement
difficile d'être amis si on amorce la conversation sur ces bases...
Remarquez bien que pour moi, cela n'a aucune importance. Mais je déplore ces discours «tout noir» au sujet de l'autisme pour les jeunes autistes, à qui on impose un énorme fardeau supplémentaire, et des embûches supplémentaires aussi, de manière complètement contreproductive et même handicapante; je les déplore aussi pour les familles. J'ai le même sentiment aujourd'hui qu'après mon diagnostic en 2007, alors que je me documentais sur l'autisme et qu'à peu près partout je ne lisais que des discours surdramatiques et terrifiants, agrémentés honteusement de mots comme «plaie», «douloureuse psychose», «pas d'empathie, pas d'émotions», «problème de santé publique», etc. L'inertie face au changement est particulièrement puissante en autisme.
Remarquez bien que pour moi, cela n'a aucune importance. Mais je déplore ces discours «tout noir» au sujet de l'autisme pour les jeunes autistes, à qui on impose un énorme fardeau supplémentaire, et des embûches supplémentaires aussi, de manière complètement contreproductive et même handicapante; je les déplore aussi pour les familles. J'ai le même sentiment aujourd'hui qu'après mon diagnostic en 2007, alors que je me documentais sur l'autisme et qu'à peu près partout je ne lisais que des discours surdramatiques et terrifiants, agrémentés honteusement de mots comme «plaie», «douloureuse psychose», «pas d'empathie, pas d'émotions», «problème de santé publique», etc. L'inertie face au changement est particulièrement puissante en autisme.
Les AspiEs pourraient donc plutôt
choisir délibérément de continuer à se nommer ainsi, en résistant à
l’intimidation. Ils en auraient le droit du reste, et ce sont souvent des gens
qui tiennent à leurs idées, avec raison comme il en va pour tout le monde.
D'Aspi à Soukha?
Moscou au XVIIe s, par Vasnetsov (1922) |
Je suis ravi mais non surpris que cette première description vienne de Russie. Le type Aspi se retrouve souvent dans la littérature russe et le Prince Mychkine, du roman L’idiot de Dostoïevski, en est le plus beau représentant.
Alors, nous pourrions remplacer «syndrome d’Asperger» remplacer et «Trouble du spectre de l'autisme sans trouble
du développement intellectuel et avec peu ou blablabla». par «syndrome de Soukhareva». Ou mieux encore, par «profil Soukhareva».
Mais je ne peux garantir que Madame Soukhareva n’avait pas de squelettes
dans son placard. Avis aux fouilleux de marde! Qui sait, peut-être fut-elle
communiste? Bien vue de Staline qui, au panthéon des dictateurs, vaut bien
Hitler? Hum, n’a-t-elle pas été décorée de l’Ordre de Lénine, la plus haute
décoration de l’Union soviétique? De toute façon, n’est-elle pas Russe, quelle
horreur!, compatriote de Vladimir Poutine!!!
Ça sonne bien : profil Soukhareva. Je suis Soukha. Qu’en pensez-vous?
Vous trouverez un article plus exhaustif ici sur les travaux de Mme Soukhareva:
https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/101118/comment-lhistoire-oublie-la-femme-qui-defini-lautisme-grounia-soukhareva?fbclid=IwAR3jOj5NZk3eOA-u6rrQYCtO2JJUmz16xTNaeIdH5vF5lIpfw3givF7aCOM
Vous trouverez un article plus exhaustif ici sur les travaux de Mme Soukhareva:
https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/101118/comment-lhistoire-oublie-la-femme-qui-defini-lautisme-grounia-soukhareva?fbclid=IwAR3jOj5NZk3eOA-u6rrQYCtO2JJUmz16xTNaeIdH5vF5lIpfw3givF7aCOM
Plus radical encore:
Sortir de la psychiatrie
Des gens particulièrement audacieux proposent une voie plus radicale: profiter de l'opportunité qui s'offre pour sortir carrément la condition Asperger de la psychiatrie. L'argument principal est le suivant: si être Aspi n’est qu’un variant humain, un profil de personnalité, pourquoi continuer à mettre cela dans les troubles mentaux ou les maladies? Si des experts désirent exclure les Aspies de l’autisme, pourquoi ne pas mener notre barque? Une amie s’interrogeait : «Si ce n’est pas une maladie, pourquoi alors un diagnostic? Un simple test psychologique suffit. Pas besoin d’en faire tout un plat». Des collectifs de personnes Aspies pourraient créer et administrer ce test qui ne serait pas un diagnostic ni rien de médical. Ce test se fonderait aussi sur les critères positifs, les forces, des AspiEs, telles que les énumère notamment Tony Attwood dans ses ouvrages.
Disparu du DSM comme de la CIM, le syndrome d'Asperger est maintenant «libre». Les AspiEs pourraient donc le récupérer, le transformer en Profil Asperger, ou Profil Soukha: un profil humain particulier et atypique, non une maladie, et un profil «pas fréquent, mais pas rare non plus» (Hans Asperger).
En tout cas, je me sens privilégié d’avoir été enfant à une
époque où l’on ne s’acharnait pas à accoler des diagnostics de style TSA sur
les enfants, et où, tout en assumant la guidance parentale, on les laissait
être qui ils sont. Même si atypiques, comme je l’étais.
Comme je l'écrivais dans l'article d'octobre dernier, le concept de neurodiversité peut, lui de même, offrir une occasion de placer l'autisme en-dehors des «maladies mentales». D'où le succès grandissant de ce concept qui rassemble de plus en plus de personnes autistes, et même des experts en autisme.
Comme je l'écrivais dans l'article d'octobre dernier, le concept de neurodiversité peut, lui de même, offrir une occasion de placer l'autisme en-dehors des «maladies mentales». D'où le succès grandissant de ce concept qui rassemble de plus en plus de personnes autistes, et même des experts en autisme.
Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US, y compris la photo de la Nasa) et sites commerciaux (pour livre et revues)