Triduum. Cycle sacré (opus 50, 51, 55 et 57)
2. La dernière Cène (opus 55)
Pour voix de femme soliste, choeur mixte, violon, percussions (vibraphone, bol tibétain)
Pour un texte d'introduction à Triduum:
Voici la liste des œuvres formant Triduum :
Un
prélude inspiré du Dimanche des Rameaux qui ouvre la Semaine Sainte avec l'Entrée du Christ à Jérusalem :
Acclamations.
Pour cor et percussions (opus 51; 2016 / 2021). Durée : c. 6 minutes.
Trois
«journées» :
Pour
le Jeudi Saint :
La
dernière Cène. Cantate pour mezzo-soprano, chœur mixte, violon et percussions –
le vibraphone prédomine (Opus 55; 2018). Durée : c. 30 minutes.
Pour
le Vendredi Saint :
Paroles
en Croix. Cantate pour mezzo-soprano, clarinette, violoncelle, orgue et
percussions (Opus 50; 2016). Durée : c. 26 minutes.
Pour
la Veillée pascale :
Vigiles.
Cantate en forme de trois danses sacrées. Pour chœur mixte, flûte, clarinette,
cor, piano et percussions (Opus 57; 2019). Durée : c. 32 minutes.
En
Simon Ouchakov, École de Moscou, XVIIe siècle |
L’œuvre
compte sept sections enchaînées :
1. Avant la
Pâque
2. Le lavement
des pieds
3. La trahison
4. L’Eucharistie
5. Le chemin
6. Paix Amour
Esprit
7. Vie
éternelle
À
l’exception de la première partie (Avant la Pâque) qui est narrative, le chœur
chante les paroles des disciples : c’est la communauté, celle aux côtés de
Jésus à l’époque et aussi celle qui, depuis et de par le monde, a choisi de poursuivre
la route avec lui. Pour Jésus, j’ai choisi une voix de mezzo-soprano, une voix
de femme donc, et non d’homme. Pourquoi?! Ce choix s’est imposé dès le départ
comme une évidence, une évidence artistique irrésistible. Il ne faut voir en ce
choix aucune intention revendicatrice. La voix de femme crée ici une distanciation qui empêche
la musique de donner dans le naturalisme. Elle souligne le caractère tout à
fait exceptionnel et mystique de ce dernier repas partagé.
La voix
soliste, donc les paroles de Jésus, sont souvent accompagnées par le violon
solo. Par le fait que l’on doit frotter ses cordes et lutter contre leur
résistance, le violon symbolise la condition terrestre de l’âme qui lutte pour
parvenir à la Lumière – c’est ce que disait déjà sainte Hildegarde des
instruments à archet dès le XIIe siècle. Instrument de percussion le plus
utilisé dans cette œuvre, et de loin, le vibraphone accompagne souvent lui
aussi les paroles de Jésus. Sa sonorité étrange évoque en sons le rayonnement
spirituel du Christ : le vibraphone auréole littéralement les paroles
portées par la voix.
La dernière
Cène n’est pas opératique. J’espère que cette musique est
expressive, mais cette expressivité n’est pas d’essence théâtrale ou
dramatique. Même si ce n’est formellement pas une œuvre liturgique, son ton est
proche de celui d’une liturgie.
La première
section (Avant la Pâque) est exclusivement chorale et elle est très sonore. Elle
fait entendre d’emblée la mélodie principale de toute l’œuvre.
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
Je disais que la «tonalité» de La dernière Cène est fa mineur. Mais c'est un fa mineur passablement indéterminé qui ne s'affirme vraiment jamais. Les premières mesures pourraient presque être dites en do mineur (avec d'ailleurs trois bémols à l'armure et non quatre). En d'autres moments, ce fa mineur se fait presque sol mineur. Aussi en des instants «stratégiques» de l'oeuvre, un ré majeur tend à devenir le pôle principal - ce sera le cas notamment lors de la consécration du pain et du vin (voir ci-bas), et encore à la toute fin. Le mot «pâque» signifie «passage»; cette fête est celle d'un passage, d'une transformation. La tonalité manifeste ce passage et, dans la trajectoire de l'oeuvre, elle passe, elle se transmute de fa mineur en ré majeur.
Les deux sections suivantes sont plus intimes. Après un conduit du violon, Le lavement des pieds fait entendre le dialogue entre Jésus et ses disciples, donc entre la voix soliste et le chœur:
Les deux sections suivantes sont plus intimes. Après un conduit du violon, Le lavement des pieds fait entendre le dialogue entre Jésus et ses disciples, donc entre la voix soliste et le chœur:
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
… dans La
trahison, le violon introduit des notes anxieuses – je n’ai pas titré La
trahison de Judas, mais La trahison tout court : c’est notre trahison tout
autant.
L’Eucharistie
s’ouvre au contraire sur des harmonies sereines et «pleines».
La partie de piano, en bas, n'est que pour les répétitions et le travail choral. (C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
Mais la musique
se dépouille lorsque Jésus consacre le pain puis le vin, jusqu’à se restreindre
à un coup sur un bol tibétain.
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
Quel timbre possède cet instrument! Je remercie
Chantal Côté et Nathalie Péloquin qui m’ont permis de jouer de leurs bols et de
m’extasier de ces résonances sublimes.
Les trois
sections suivantes représentent une montée progressive, dans un spectre sonore
qui va s’élargissant. Ce sont aussi les sections les plus développées. La
section 5, Le Chemin, amplifie le dialogue entre Jésus et ses disciples amorcé
dans Le lavement des pieds. Le dialogue est ici plus serré et l'émotion des disciples plus intense: «Même si tous viennent à tomber, je ne tomberai pas! Même si je dois mourir avec Toi, je ne te renierai pas!».
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
Il mène
à un sommet sonore sur ces paroles hautement scandaleuses de Jésus : «Moi,
je suis le chemin, la vérité et la vie».
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
Mais l’heure de la Passion approche,
et le violon anxieux clôt cette section en dialogue avec des tremblements des
basses du chœur.
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
La section
6, Paix Amour Esprit, reprend les harmonies de L’Eucharistie, mais d’une
manière plus grave, solennelle même, avec des notes graves en bourdon (comme
les notes tenues d’un organum ou l’ison du chant byzantin).
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
Cette
section contient d’autres paroles fortes du Christ : «C’est la paix que je
vous laisse, c’est ma paix que je vous donne. Ce n’est pas à la manière du
monde que je vous la donne, car mon Royaume n’est pas de ce monde» - combien
ont la tentation de réduire le Royaume de Dieu à une sorte d’ordre mondial
politique, ou à voir chacun de leur geste comme construisant en ce monde le
Royaume : «Mon Royaume n’est pas de ce monde»… «Mon commandement, le
voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» :
quelle phrase et quelle invitation!
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
... Jésus anticipait des réactions, ce qui
mène au sommet sonore suivant : «À présent ils ont vu, et cependant ils
sont pleins de haine contre moi et contre mon Père. Ils m’ont haï sans raison»,
ce à quoi j’ai ajouté ces mots de saint François d’Assise, peut-être le saint
le plus proche du Christ : «Ils ont haï l’Amour!».
La section se termine
sur de douces vagues de résonances étranges au vibraphone, alors que Jésus
promet à ses disciples la venue de l’Esprit-Saint.
La dernière
section, Vie éternelle, est la plus rayonnante. Le violon y joue un rôle
essentiel, presque soliste, même soliste en fait! Pour cette section, j’ai
emprunté la mélodie grégorienne Tantum ergo (traditionnellement chantée lors de
l’office du Jeudi saint), dont des fragments sont confiés au chœur; mais elle
est surtout tenue par le violon, dans un tempo différent et plus libre de celui
des voix, et qui la joue sous la forme d’une danse de tempo modéré, alors que
le vibraphone égrène ses notes irrégulièrement comme un carillon céleste. Il
n’y a pas du fugue ici, mais je suis tenté de croire que cette section compte parmi ce que j’ai fait de mieux en matière de contrepoint et de polyphonie.
(C) 2018 Antoine Ouellette SOCAN |
«Qui
vient à moi n’aura jamais faim; qui croit en moi n’aura jamais soif». Jésus
assure ses disciples : «Vous serez dans la peine, mais votre peine se
changera en joie». Il les appelle aussi à l’unité dans l’Esprit, devant le
Père : «Qu’ils [mes disciples] soient un comme nous sommes un, moi en eux
et Toi en moi». Sur un solo orné du violon et une harmonie étrange tenue par le
chœur, Jésus termine : «Après que je serai ressuscité, je vous précéderai
en Galilée».
La dernière Cène, par Rubens. Judas vous regarde! |
Source des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US) et collection personnelle.