Antoine chez
les Bretons
1. Une note parfaite
2. Des druides et des arbres
3. La fierté du transporteur
Cette petite chronique de voyage a été publiée en novembre 2019
Avec Jacques Cartier à Saint-Malo |
Au début
d’octobre, j’ai passé dix jours en Bretagne. J’ai eu le privilège d’être invité
d’honneur de la première édition des Journées Culture partagée en pays de
Rance, à Dinan. Vendredi le 4 octobre, j’ai donné une conférence à la
Bibliothèque de Dinan sous le thème Le bonheur d’être soi, conférence
agrémentée par trois de mes pièces; samedi le 5 octobre, j’ai donné une
conférence sur la musique des oiseaux, puis quatre de mes pièces ont été
données en concert le soir même, dont la première de mon Quatuor à cordes, cela
en l’abbaye de Léhon; dimanche le 6 octobre, j’ai participé à une table ronde
sur la créativité autiste avec deux femmes artistes autistes, Chloée Bichet et
Gaëlle Bécherau. L’événement offrait aussi des expositions de photos, de
bijoux, d’œuvres d’art, de plantes carnivores, des ateliers d’expression
artistique et un concert final par l’Harmonie de Dinan. Hors de ce cadre, j’ai
aussi donné une conférence au Conservatoire de Dinan lundi 7 octobre, à
l’invitation du directeur Stéphane Mahiou et de Cécile Keuer, responsables des
actions culturelles de l’institution. Cela m’a permis de prolonger agréablement
l’atmosphère des Journées Culture partagée.
Une note
parfaite
Ce furent
des journées denses car, pour moi, il y eut aussi des répétitions avec les
musiciens qui allaient jouer mes pièces. Si j’avais un autre mot pour qualifier
ce séjour, ce serait «Parfait». Car tout fut parfait : la générosité des
gens qui m’ont accueilli, l’implication des musiciens, la réponse du public, la
réussite globale de cet événement, la belle température, la beauté du site.
Bref, impossible de demander mieux et, pour une première édition de Culture
partagée, ce fut vraiment une réussite.
Alan et ses plantes carnivores |
Une petite
chose m’a rendu particulièrement heureux : le projecteur n’était pas
braqué sur l’autisme, mais plutôt sur les personnes elles-mêmes. Par exemple,
Alan Ripaud était là pour montrer les magnifiques plantes carnivores qu’il
cultive et vend; le fait qu’il soit aussi Asperger était secondaire. Il en
allait de même pour moi : l’événement m’a donné l’occasion de partager six
de mes compositions et de discuter de divers sujets, comme l’art et les
oiseaux, sans que l’autisme n’occupe toute la place. Car l’autisme comme tel
est bien moins intéressant que les personnes : on devrait aborder
l’autisme par la personne d’abord et non comme une «maladie». Comme pour Alan,
Chloée, Gaëlle et d’autres, l’autisme et les conditions atypiques ont été vues
sous l’angle de la richesse et de la diversité de la personne. Cette optique
est la philosophie même de Culture partagée, et c’est exemplaire.
Avec l'animatrice de la table ronde, Chloée et Gaëlle |
Tout de
même, un monsieur m’a avoué avoir été surpris par mes conférences et par ma
musique : «Je m’attendais tout de même à ce que ce soit un peu hésitant et
triste. Mais non! Vous communiquez très bien, vous avez beaucoup d’humour et de
simplicité, et votre musique est celle d’un maître!». Hihi, excusez-moi de vous
avoir partagé ce commentaire! Mais au fond, c’est aussi la petite mission
humaine que je me suis fixée : utiliser mes talents pour dire et montrer
que les autistes sont d’abord et avant tout des personnes, que l’autisme ne les
limite pas, que l’autisme ne résume pas leur vie. Bref, que nous sommes des
personnes à part entière, même si nous vivons une condition minoritaire. Dire
aussi qu’un certain discours sur l’autisme est loin de permettre
l’épanouissement des personnes autistes et qu’autre chose est possible. Les
plantes d’Alan sont superbes, vraiment, les œuvres d’art de Chloée et Gaëlle
aussi : tout cela vaut en soi et ne serait pas mieux si ces personnes
n’étaient pas autistes.
Avec les musiciens Jean-Louis Touche, François Schwarzentruber, Annick Renézé et Alain Binet. |
Certains me
diront : «Oui, mais l’autisme vous rend la vie si difficile!». Pas
toujours, même que des fois l’autisme nous aide. Et puis, désolé, mais les
humains ont besoin de défis pour cheminer et croître. Quand ils n’en ont pas,
ils s’en inventent; s’ils ne parviennent pas à s’en inventer, leur esprit se
ratatine et s’éteint. Une vie sans défi n’est pas une vie riche. Cela dit,
n’exagérez pas s’il-vous-plait : être autiste est un défi à échelle
humaine, et il y a bien pire que d’être autiste, je vous l’assure.
Avec Florian Beau et Jean-Louis Touche. |
J’ai été traité aux petits oignons durant tout ce séjour! J’ai
été hébergé chez Françoise et Jean-Daniel Beau, deux des principaux
organisateurs des Journées. J’ai habité la «petite maisonnette» au fond de leur
jardin. Hum. «Petite maisonnette» est peu dire : il s’agit d’un ancien
bâtiment d’écurie reconverti cette année même en maisonnette, en fait une
maison de deux étages qui pourrait être une résidence. Le grand confort, tout
du neuf, et j’ai eu le privilège d’être le premier hôte de ce lieu!
Avec Françoise Beau à Cap Fréhel. Il ventait beaucoup! |
J’ai revu
Florian, leur fils, que j’avais connu à Montréal en une vie antérieure, Florian
qui a interprété Bourrasque, pour flûte seule, lors du concert du samedi. Les
Beau m’ont fait visiter la très jolie ville de Dinan, l’incroyable Mont
Saint-Michel (hors saison touristique, ce qui n’empêchait pas un restaurant de
vendre ses omelettes 40 Euros!), le Cap Fréhel avec son grand phare et ses
landes, de même que la ville de Saint-Malo, très bien reconstruite après les
bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Dans la lumineuse Cathédrale de
Saint-Malo, j’ai pu voir l’endroit exact où Jacques Cartier a reçu la
bénédiction de l’évêque avant d’entreprendre son périple à la découverte du
Canada le 16 mai 1535. Sa tombe est là aussi et, sur les remparts, j’ai vu la
grande sculpture en son honneur. J’ai aussi eu le bonheur de participer à une
messe pleine de monde et de joie le dimanche, en l’église Saint-Malo de Dinan, présidée par
le Père Jean Mabundi – un homme expressif et énergique qui semblait se retenir
un peu de danser avec la musique! Bref, mes amis m’ont royalement gâté.
Mon Quatuor à cordes en répétition avec le Quatuor Icare (Pascal, Anne, Bertrand et Amélie). |
J’ai aussi
été choyé par les belles interprétations qu’ont reçu mes pièces : Au
jardin de Gethsémani (avec une harpe au lieu du piano électrique) par des
musiciennes de l’Ensemble Ropartz (Maryse Fruleux, flûte; Anne-Marie Vanheule, violoncelle; Claire Le Hir, harpe), Rivages pour clarinette seule jouée deux
fois par Jean-Louis Touche, Bourrasque par Florian Beau, Bonheurs par François Schwarzentruber (pianiste qui est aussi
professeur d’informatique à l’université), Danse boréale par Annick
Renézé, violoncelle, et Alain Binet, piano, et mon Quatuor à cordes par le
Quatuor Icare (Pascal Jolivet, Anne Magaud, Bertrand Le Conniat, Amélie Comte-Mabire). Cette dernière œuvre était encore toute chaude puisque datant de
2018, et c’en était la première audition publique. J’avais donc tout
particulièrement hâte de la découvrir en «vrai» et j’ai été comblé par
l’interprétation enthousiaste des musiciens. Ce Quatuor est d'ailleurs assez décoiffant, surtout sa première moitié que est un feu roulant et sans repos! J’espère pouvoir vous la faire entendre un jour.
Avec des membres du Quintette Ropartz. |
Tout cela a aussi été rendu possible grâce au travail d’une belle équipe
dont Françoise et Jean-Daniel Beau, de même que Jean-Louis et Martine
Carré, Boumedienne Benattouche, Bénédicte Lajon, Marie-Madeleine Michel et
Yvane Simon; avec de plus une petite armée de bénévoles
extraordinaires. Je remercie du fond du cœur toutes ces personnes, et je
félicite du coup toutes les personnes qui ont exposé leurs œuvres, leurs fleurs
et plantes, et qui ont animé des ateliers durant ces jours. Vive la Bretagne!
Des druides et des arbres
La Bretagne est une région superbe, à la hauteur de sa réputation. Les
gens disent qu’en Bretagne, «il fait beau plusieurs fois par jour», manière de
décrire l’humeur changeante du climat qui y règne! Mais durant mon séjour, il
faisait surtout beau. La grisaille, le crachin et les brèves averses lors de ma
visite du Mont Saint-Michel ne faisaient qu’ajouter à la poésie du lieu.
Le Ginkgo du Jardin anglais de Dinan |
J’ai fait
une rencontre surprise dans le Jardin anglais de Dinan. Ce jardin a été conçu
en 1852 en haut des remparts et à l’arrière de la Basilique
Saint-Sauveur : de là, la vue sur la ville et la vallée de la Rance est
superbe. Mais ma surprise fut de voir là un Ginkgo; pas un petit Ginkgo planté
ces dernières années (comme on en plante dans plusieurs villes), mais un grand
Ginkgo mâle d’une hauteur de 24 mètres et d’une circonférence de 3 mètres 40,
classé dans les Arbres remarquables de France et âgé de 160 ans. Comment est-il
donc arrivé là? Il semble que ce soit l'explorateur et diplomate Auguste Pavie
(1847-1925), originaire de Dinan, qui l’ait ramené en cette ville. Ce Ginkgo a
pour voisin un autre arbre remarquable, un Cèdre de l’Himalaya. J’admire ces
arbres et je vous invite à lire mon article sur le Ginkgo pour connaître les
raisons de mon admiration :
À noter que
contrairement à ce que l’on dit souvent, le Ginkgo n’est pas un conifère. Il
n’est d’ailleurs ni un arbre à graine ni un arbre à fruit : il est seul de
son genre, toujours unique! En juillet dernier, Dinan s’est dotée d’une Charte
de l’arbre : le Jardin anglais, de même que les Peupliers de la Promenade
de la Fontaine-des-Eaux ont été classés au titre des Ensembles arborés de
France. Bravo!
Vous savez
certainement que le village d’Astérix se situait en Bretagne. Certains sont
même persuadés qu’il se situait très précisément à Erquy, et les coïncidences
sont troublantes. On a même découvert les restes d’une fortification romaine à
proximité! Panoramix, le druide du village des irréductibles Gaulois,
allait cueillir le gui dans la forêt toute proche. La culture celte et gauloise
de Bretagne vénérait les arbres, et plusieurs arbres sacrés peuplaient le pays.
Il semble que cela n’était pas au goût de certains évangélisateurs zélés qui
tenaient à éradiquer ce genre de culte. Ainsi au Moyen âge, «tous les arbres
sacrés, comme la forêt du Névet, près de Locronan, mais aussi les monuments
objets de cultes [druidistes] sont abattus. Les pierres sacrées sont brisées ou
enfouies (…). Aux Vie et VIIe siècles, quelques arbres remarquables, très
anciens, plus de 250 ou 300 ans, sont abattus simultanément» (En Bretagne avec
Astérix, pages 49 et 50).
Avec Jean-Daniel Beau au Mont Saint-Michel |
J’ai beau être Chrétien, une telle attitude me
consterne et je préfère largement l’approche d’inculturation mise de l’avant
par le Concile Vatican II. Les gens qui ont posé ces gestes ont, à mes yeux,
péché contre la Création. Je comprends que leur intention était de remplacer ce
qu’ils considéraient comme des superstitions par l’Évangile, qu'il s'agissait d'inviter à louer le Créateur plutôt que ses créations, mais il était
inutile de procéder ainsi. Sans qu’ils en aient nécessairement eu conscience,
c’était là ouvrir la porte à une déviation spirituelle selon laquelle rien
n’est sacré alors que tout n’a été fait que pour l’usage des humains, déviation
dont nous voyons aujourd’hui les dégâts écologiques. À leur défense, je
reconnais que bien des athées se sont faits apôtres de la même déviation
spéciste. Ironie du sort : quelques siècles plus tard, la foi chrétienne
sera à son tour considérée comme superstition par les zélés du rationalisme, et
des églises seront saccagées sous la Révolution.
Cela dit, il est des dénominations chrétiennes, surtout du côté d'Églises protestantes, qui condamnaient et condamnent toujours les Catholiques de même que les Églises orientales pour avoir des «pratiques païennes» comme, par exemple, l'encens, l'eau bénite et le culte des Saints et Saintes! Des sectes plus «intégristes» encore ne célèbrent pas Noël, fête que leur rigorisme juge trop «païenne». Ce ne sont donc pas tous les Chrétiens, loin de là, qui témoignent d'hostilité face à la nature.
Cela dit, il est des dénominations chrétiennes, surtout du côté d'Églises protestantes, qui condamnaient et condamnent toujours les Catholiques de même que les Églises orientales pour avoir des «pratiques païennes» comme, par exemple, l'encens, l'eau bénite et le culte des Saints et Saintes! Des sectes plus «intégristes» encore ne célèbrent pas Noël, fête que leur rigorisme juge trop «païenne». Ce ne sont donc pas tous les Chrétiens, loin de là, qui témoignent d'hostilité face à la nature.
Une belle
revanche viendra d'ailleurs de sainte Hildegarde de Bingen au XIIe siècle : cette femme
artiste est parvenue à concilier christianisme et spiritualité de la nature.
Tout comme les druides, elle sera une experte de la pharmacopée à base de
plantes, et elle proposera un christianisme cosmologique dans la lignée duquel
se situera saint François d’Assise. Pour moi, il s’agit là d’une démarche
exemplaire et toujours inspirante. Cela dit, il reste une forêt druidique
intacte en Bretagne, la forêt d’Huelgoat, dans le Finistère. Pour son bonheur,
le sol de cette forêt est protégé par son enchevêtrement chaotique d’énormes
pierres, ce qui la rend inexploitable. On y trouve notamment une mare aux fées,
des menhirs et une roche tremblante!
Pour ma
part, je suis un Chrétien qui protège les forêts, sacrées ou non, et le
Seigneur ne m’en veut pas!
Malheureusement,
je n’ai croisé ni lutin ni feu follet qui sont nombreux en Bretagne, c’est bien
connu. Par contre, j’ai dégusté une crêpe à la Crêperie des lutins de
Saint-Malo et, là, le menu précise que «Toutes nos préparations sont élaborées
par les lutins voyageurs avec l’amour des fées du monde entier». Un petit
garçon a eu encore plus de chance lors des Journées à l’Abbaye, parce qu’il a
juré avoir vu une vraie Elfe! Je suis certain qu’il disait vrai : les
Celtes ne blaguent pas sur ce sujet, parole de descendant d’Irlandais que je
suis.
La fierté du
transporteur
Bon, aller en Bretagne m’a obligé à affronter de nouveau ma
phobie de l’avion! Comme toujours, je ne prends rien, pas de «petite pilule»,
pas d’alcool non plus (je n’en bois pas de toute façon). J’ai réalisé que ce
sont les manœuvres de la descente qui me donnent le plus la trouille, alors que
je suis «confortable» durant le vol lui-même. Mais ah, ces virages inclinés que
prend l’avion en direction de la piste, ces bruits étranges de volets, de
trains d’atterrissage qui sortent, les craquements… Lors du vol aller, une
jeune dame à côté de moi était toute pâle lors de la phase de descente, et elle
pratiquait ses respirations dans l’espoir de se contrôler. Il y en a donc de
plus mal que moi! Après avoir posé et arrêté l’appareil lors du vol de retour,
le Commandant Sylvain Auclair (si je me souviens bien) est sorti de sa cabine
pour venir saluer les passagers qui descendaient. J’apprécie beaucoup ce petit
geste. Le Commandant était d’ailleurs rayonnant et tout sourire. Et pour cause: il y avait
beaucoup de jeunes Français sur ce vol et, lorsque l’avion a atterri, ils se
sont tous mis à applaudir! Lorsque j’étais entré dans l’avion, l’agent de bord
était tout fier de me dire qu’il s’agissait d’un avion tout neuf, un des Airbus
A321neo que la compagnie venait d’acquérir. C’est un appareil de 200 places qui
est considéré comme «le plus vert de sa catégorie» : il consomme 15% moins
de carburant, fait 50% moins de bruit et émet 50% moins de gaz à effet de
serre. Pour mon bonheur, il y a vraiment plus de place pour les jambes dans cet
appareil, et je me suis permis de le dire à l’agent de bord qui en a été
doublement fier. Dieu merci, ce n’était pas un Boeing 737 Max : j’affronte
ma phobie, mais il y a une limite…
Eh oui, je me suis acheté une casquette de marin breton à Saint-Malo! |
Sources des illustrations: collection personnelle, photos prises par Boumedienne Benattouche lors des Journées Culture partagée.