Véganisme
et foi
1. La
pandémie comme réquisitoire
2. Prêtrise,
Métal et véganisme
3. «Au
commencement…»
4. Pas
de règles, mais la conscience
5. «Heureux
les doux»
6. L'objection B12
6. L'objection B12
Ce texte a été publié en mars 2020 dans la page Église verte du Feuillet de la Paroisse Saint-Joseph à Sorel. À ma paroisse, je fais partie du «comité vert»: les trois églises de la paroisse sont membres du réseau des Églises vertes:
Ce
petit article portait sur l’alimentation et la foi, plus précisément sur le
véganisme et la foi chrétienne. Le texte fut publié, mais probablement pas lu par beaucoup, puisque les églises étaient
fermées à cause de la pandémie. Je reprends donc ici ce texte, après l’avoir élargi pour les besoins de la cause.
La
pandémie comme réquisitoire
Ravenne avec ses mosaïques cosmologiques. Basilique Saint-Apollinaire-in-Classe |
Mes propos prennent un sens que je n’avais pas mesuré au moment de les écrire. Nous vivons une pandémie. Où a-t-elle commencé? Dans un marché de Wuhan en Chine. Un marché où l’on vendait des animaux pour manger : des animaux morts mais aussi des animaux vivants que l’on dépeçait sur place afin d’assurer, hum, un maximum de fraicheur au consommateur. Des animaux d’élevage, mais aussi des animaux sauvages dont certains étaient porteurs de divers coronavirus, dont celui qui s’est propagé à grande vitesse par la suite causant des milliers de morts à travers le monde.
Nous
devons tirer des leçons de cette pandémie. La première est que cette pandémie
constitue en elle-même un puissant argument en faveur d’une alimentation à
forte composante végétale, voire une alimentation entièrement végétale. Cette
pandémie est aussi un puissant réquisitoire contre la vente d’animaux sauvages
pour consommation humaine. Et en fait, pas que contre la vente d’animaux
sauvages : contre plusieurs pratiques alimentaires que l’humanité a
adoptées.
Je
précise ne pas être végane. Pas encore du moins. Mais mon alimentation est très
largement végétale. D’une alimentation omnivore avec de la viande régulièrement
que je pratiquais dans mon enfance, dans mon adolescence et pour une partie de
ma vie adulte, j’ai évolué vers un végétarisme quasi complet, en diminuant très
substantiellement ma consommation de produits animaux. Pour des raisons de
sécurité, mais d’abord et avant tout pour des raisons éthiques, de compassion
envers les animaux et de respect de la Création. Il se peut que je passe un
jour au véganisme : ce serait la prochaine étape en toute logique. Alors,
voici.
Prêtrise,
Métal et véganisme
Le
véganisme, ou végétalisme, est une philosophie qui refuse les produits
d’origine animale, qu’ils soient alimentaires, vestimentaires ou autres.
Régulièrement,
nos médias parlent de «commandos véganes», de «radicalisme», de «fanatisme»;
des politiciens réclament amendes et prison, des groupes d’intérêts cherchent à
monter la population contre les véganes.
Militant
végane, Robert Culat est aussi spécialiste du rock Métal, sujet auquel il a consacré quelques livres. Un sataniste?! Pas du
tout : né en 1968, il est prêtre catholique romain, prêtre de mon Église!
Sans
surprise, l’abbé Robert est la cible d’attaques virulentes, comme
celle-ci : «Robert Culat, est l’exemple typique du prêtre apostat qui,
reniant les fondements de sa foi, en est venu à avaliser les pires attitudes au
nom de sa passion pour un courant musical, minimisant de manière incroyable les
ravages que peuvent causer les propos ouvertement satanistes dispensés par les
nombreux groupes programmés lors du Hellfest».
Je ne suis pas un fan de Métal, mais l’abbé Robert n’est pas un apostat :
il est plutôt un apôtre qui va porter l’Évangile dans les périphéries comme
nous y invite le Pape François. Si je ne suis pas fan de Métal, je connais
quelques adeptes de ce style. Au-delà de l’image qu’ils aiment projeter d'eux, bon nombre
d’entre eux se révèlent en fait être des gens bons et doux. On me dira :
«Ça ne parait pas à les voir!»; oui, mais c’est toujours bien de connaître un
peu les personnes avant de juger.
Certains
fans et musiciens de Métal sont d’ailleurs croyants – non pas satanistes mais
chrétiens!
«Au
commencement…»
Quoiqu’il
en soit, l’abbé Robert rappelle dans ses livres que, lors de la Création, «Dieu
dit (à l’homme et à la femme): " Voici que je vous donne toute herbe
portant semence à la surface de toute la terre, et tout arbre qui porte un
fruit d'arbre ayant semence; ce sera pour votre nourriture.» (Genèse 1, 29). À
l’origine, Dieu nous a donc voulu véganes. «C’est prendre ça au pied de la
lettre!». Mais ne prenons-nous pas au pied de la lettre le verset
précédent : «Dieu leur dit: " Remplissez la terre, soumettez-la, et
dominez sur les poissons, les oiseaux et sur tout animal»?! Nous avons tendance
à adhérer au sens littéral de la Parole de Dieu quand cela nous convient, et de
considérer comme «symbolique» ce qui ne nous convient pas – tellement symbolique
qu’il nous arrive de faire dire à cette Parole le contraire de ce qu’elle dit…
Je
m’amuse toujours des gens qui critiquent la foi en disant qu’il ne s’agit que
d’un «paquet de règles» : voyons voir. Au début de l’Église, les premiers
Chrétiens se demandaient s’il fallait maintenir la circoncision juive et les
interdits alimentaires de la religion hébraïque. Suite à une vision venue du
Seigneur lui-même, saint Pierre a tranché le débat avec un acte de rupture. Il
a décidé de ne pas imposer la circoncision aux Chrétiens; il a aussi décidé de n’imposer à peu près aucune règle
alimentaire. Dans la continuité, la seule règle consistera finalement en une
restriction volontaire durant la période du Carême, dont le jeûne du Mercredi
des cendres et du Vendredi saint.
Autrement
dit, tout régime alimentaire est compatible avec la foi chrétienne. Cela inclut
donc le véganisme. La question de l’alimentation a ainsi été laissée à la
conscience de chacun et chacune. Des trois grandes religions monothéistes,
c’est la plus libre. Mais par rapport à cette conscience, je souligne deux
points de foi.
Tout
d’abord, le véganisme renoue avec la volonté initiale de Dieu. Dans l’Ancien
Testament, Yahvé a fini par accepter que les humains puissent manger des animaux,
mais ce fut un compromis inspiré par l’endurcissement de cœur des humains. Le
véganisme permet de rétablir le plan initial.
Ensuite,
et là j’insiste : le Christianisme a mis fin aux sacrifices animaux et
humains. Le seul sacrifice est celui du Christ. En conséquence, les retours à
des pratiques sacrificielles d’animaux en contexte chrétien furent des
déviations de la foi. En aucun cas, de telles pratiques ne s’accordent ni avec
la foi ni avec l’Évangile. C’est donc un total contresens que de se croire obligé
de manger de la dinde à Noël, de manger de l’agneau ou du jambon à Pâques! Il
ne s’agit là que de traditions culinaires locales, et aucunement d’une exigence
de la foi.
Pas
de règles, mais la conscience
Sermon sur la montagne: Carl Heinrich Bloch (1834-1890) |
«Jésus
n’était pas végane!». Non et peut-être même pas végétarien. Mais aujourd’hui, que ferait Jésus
dans un contexte de crise écologique globale? Aujourd’hui, que dit la
conscience chrétienne? Le poids écologique de la viande est énorme : 15
000 litres d’eau, 7 kilos de céréales et 11 tonnes de gaz à effet de serre
(GES) émises pour la production d’un seul kilo de bœuf. Un hectare de terre peut produire annuellement 18
tonnes de légumes, mais seulement 33 kg de viande rouge. Largement orientée
vers les produits animaux, l’agriculture est responsable de 24% des GES, avec
déforestation massive, effondrement de la biodiversité, empoisonnement, y
compris de nous-mêmes, aux pesticides, etc. Chaque année, nous tuons près de
150 milliards d’animaux pour les manger; plusieurs de ces animaux sont élevés,
capturés et / ou abattus dans des conditions de maltraitance extrême. Nous
pouvons maintenant ajouter sans nous tromper que la consommation de viande
favorise, directement et indirectement, les épidémies : c’est elle qui a
été la source de la pandémie du covid-19.
Est-ce
conciliable avec le respect de la Création? Dominer la Terre, mais à la seule manière
du Christ : «Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier, et
le serviteur de tous» (Marc 9,35). Alors, réduire ou cesser la consommation de
viande devient un geste chrétien.
«Heureux
les doux»
Saint Séraphim de Sarov et son ami / Lithographie russe, 1903 |
Il
se trouve des chrétiens pour dire que l’Église catholique (et les Églises
d’Orient) est «païenne» parce qu’elle maintient des pratiques comme la
bénédiction du feu et de l’eau lors de la Vigile pascale, parce qu’il y a des
bénitiers dans les églises, parce qu’on encense l’autel et le Lectionnaire
durant des messes. Or, il s’agit là de gestes à résonance cosmologique qui ont
pleinement leur place, y compris dans la liturgie – pour ma part, je
souhaiterais que soit mieux exprimé la dimension cosmologique de la foi
chrétienne dans nos églises et nos liturgies. L’Église est ouverte sur le monde
et sur le cosmos : ce serait une erreur qu’elle cesse de le montrer par
des gestes. Cette optique est ancienne, antique même, et traditionnelle: voir à cet effet les sublimes fresques en mosaïque ornant les églises et chapelle de Ravenne en Italie:
Des
groupes de chrétiens dits «évangélistes» soutiennent que le respect de la
Création est en fait une idolâtrie de la Nature, et que les écologistes sont
diaboliques. C’est tout faux. Il ne s’agit pas d’adorer la Nature : il
s’agit de rendre grâce à Dieu en respectant sa Création et en nous émerveillant
face à elle, car elle est son Œuvre. Ce discours «évangéliste» est une
déviation par laquelle la «domination» est un exercice arrogant et
irresponsable de violence envers les créatures de Dieu et envers la Création
dans son ensemble. C’est la prétention orgueilleuse voulant que tout ait été
créé pour les seuls humains qui peuvent en disposer à leur guise, y compris par
la destruction, la malveillance, la cruauté, la méchanceté. La grandeur de
l’Évangile est ratatiné à ne plus être qu’une affirmation spéciste, qu’à
l’affirmation par la violence de notre espèce. Sans surprise, ces groupes sont
souvent acoquinés avec de puissants intérêts industriels. En prêchant ainsi,
ils pervertissent l’Évangile et dégoûtent de nombreuses personnes de
l’Évangile.
Le
Christ, lui, a dit : «Heureux les doux, car ils recevront la Terre en
héritage».
Dans
les leçons à tirer de la pandémie actuelle, il y aurait celle de la douceur, de
la bonté, qui passe par la révision complète de notre relation à la Terre.
Cette relation est à rendre plus saine, plus juste, plus harmonieuse. Non
seulement entre humains, mais envers la Nature. Espérons que cette pandémie n’aura
pas été inutile.
L'objection B12
Structure moléculaire de la vitamine B12 |
C’est
à la fois vrai et faux. Le passage de la Genèse où Dieu donne à l’être humain
la végétation en seule nourriture se situe à l’état antéhistorique du Jardin d’Éden.
Il se situe en dehors du temps et de l’espace tels que nous les connaissons.
Je reviendrai sur ce point dans un autre article que je publierai dans quelques mois. Pour le moment, je note cette observation:
La
découverte de la vitamine B12 au milieu du XXe siècle a permis d’envisager la
fin de l’être humain prédateur. Désormais, l’être humain n’a plus besoin d’exploiter
et tuer des animaux pour bien se nourrir.
Je
crois que nous devons saisir cette opportunité de rédemption : pour
partielle qu’elle soit, elle va néanmoins dans le sens profond de l’Évangile,
celui de la douceur, de la miséricorde, de la compassion, de l’amour.
Peut-être
qu’en saisissant cette opportunité et quelques autres qui nous sont offertes, peut-être
qu’en renonçant au malhumanisme qui caractérise notre civilisation, l’accès à l’Éden
nous sera ouvert de nouveau un jour.
Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US), sites commerciaux pour les couvertures des livres recommandés, site du réseau des Églises vertes.