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mardi 1 septembre 2020

AUTISME. LE PÉCHÉ ORIGINEL.

Autisme. Le péché originel.


Il y a maintenant 13 ans que j’ai obtenu le diagnostic d’autisme, type Asperger. Ce diagnostic a été réévalué et confirmé en 2010. Il doit donc être solide! Depuis, j’ai écrit le livre Musique autiste, qui a été l’objet d’une seconde édition au début de 2018; j’ai cofondé Aut’Créatifs avec mon amie Lucila Guerrero; j’ai donné plusieurs conférences et entrevues; j’ai écrit quelques articles sur mon site; j’ai rencontré plusieurs personnes autistes au Canada et en Europe. Pourtant... Je me pose toujours la question: suis-je «autiste»? Les personnes diagnostiquées «autistes» sont-elles autistes? Derrière cela, il y a la question du fond: qu'est-ce que l'autisme? Et à lire ce qui s'écrit, même les experts ne s'entendent pas! Plusieurs hésitent même à se mouiller sur une définition. 
Je vous soumets ici un du problème.

Le péché originel de l'autisme
Il se pourrait que le «vice initial» de la connaissance de l'autisme soit le trop petit nombre de cas qui ont été documentés au départ. Il se peut que ce petit nombre ait engendré une sorte «d'illusion d'optique». Il est encore plus probable que ce point de départ de la réflexion ait biaisé tout ce qui a suivi.
En Russie (URSS alors), Grounia Soukhareva semble avoir été la toute première personne à avoir décrit des personnes autistes d'une manière clinique. C'était en 1925. L'article qu'elle a alors publié s'intitulait La psychopathologie schizoïde dans l'enfance, et discutait des tendances autistiques de six garçons - ces tendances correspondent à ce qui, dans les années 1980, sera nommé le syndrome d'Asperger. Madame Soukhareva disait avoir utilisé le mot «schizoïde» à défaut de mieux, mais elle précisait que ses enfants n'étaient pas schizophrènes.
Aux États-Unis, Leo Kanner publia un article de même type en 1943, où il décrit onze enfants, soit huit garçons et trois filles. L'article est intitulé Autistic Disturbance of Affective Contact: le trouble autistique du contact affectif. Sur cette base, le terme «autisme infantile précoce» sera inventé l'année suivante.
Dans les conditions terrifiantes du nazisme, l'autrichien Hans Asperger fait publier en 1944 un article écrit l'année précédente: La psychopathologie autistique de l'enfance. Cet article décrivait les cas de quatre garçons. 
Par la suite, seul Leo Kanner semble avoir approfondi le sujet et, en 1956, il a coécrit un texte avec Leon Eisenberg  Early Infantile Autism, 1943-55. Bien diffusé, ce texte deviendra une référence à partir des années 1960. 
 
Première page de l'article de Kanner et Eisenberg
Bref, notre trio Soukhareva - Asperger - Kanner a jeté les bases de la science de l'autisme en s'appuyant sur un total de 21 enfants, dont seulement trois filles. Était-ce suffisant? Hans Asperger affirmait que le profil qu'il avait décrit n'était pas fréquent mais pas rare non plus. Néanmoins, avait-on mis le doigt sur quelque chose de significatif, outre le fait que certains enfants ne se développent pas tout-à-fait selon le modèle habituel? 
Contrairement aux groupes d'enfants étudiés par Soukhareva et Asperger, la petite cohorte de Kanner incluait certains enfants semblant montrer de la déficience intellectuelle assez marquée. Son échantillon contenait-il alors uniquement des enfants appartenant au même profil? Il semble bien que non. Avec Kanner, on commença ainsi à utiliser le même terme d'autisme pour désigner des réalités différentes et très probablement issues de causes différentes. Les fils commençaient à se mêler... Pourtant, Kanner et son collègue Eisenberg avait tenté de faire attention à ce problème. «L'observation de rituels élaborés devait permettre de distinguer les enfants autistes des enfants souffrant de retard mental» et, dès 1956, ils envisageaient que plusieurs causes pouvaient être en jeu (https://fr.wikipedia.org/wiki/Leo_Kanner). Malheureusement, cette piste ne sera pas développée et le mot autisme est devenu perméable à des conditions de causes diverses pour ne pas dire multiples. 
Un autre élément est venu perturber l'homogénéité du groupe des 21 enfants-pionniers. Cet élément se retrouve à nouveau chez Kanner plutôt que chez Soukhareva et Asperger. Dans leur ouvrage de 1956, Kanner et Eisenberg  firent mention à plusieurs reprises du rôle défavorable de l'environnement familial dans lequel la majorité des enfants observés avaient grandi.
Les enfants subissant des mauvais traitements au quotidien, comme des violences physiques et sexuelles par exemple, au sein d'un milieu socio-économique miséreux, peuvent développer divers comportements de protection. Que ces comportements soient adéquats ou inadéquats, ce sont des stratégies de protection, voire de survie. Maintenus sur des années, ces comportements peuvent laisser des séquelles qui s'ajoutent alors aux séquelles des abus eux-mêmes. Certains enfants deviendront délinquants et passeront vers la criminalité. Mais certains choisiront de s'emmurer en eux-mêmes. Il n'est pas impossible que certains cas dits d'autisme soient en fait une sorte d'enkystement de comportements de protection. 

Critères
Lorsqu'on lit les critères de l'autisme, on se dit que, oui, ces critères forment un ensemble bien typé:
http://www.psychomedia.qc.ca/autisme/2015-04-03/criteres-diagnostiques-dsm-5
Pourtant, il est su que l'interprétation de ces critères est devenue de plus en plus «libérale» au fil du temps. Par exemple, pour les critères A, le mot fort de «déficit» est souvent devenu une maladresse, un certain manque, sans nécessairement plus. De même, ce qui est spécifié comme étant l'«absence d'intérêt pour les pairs», formule forte s'il en est, est souvent devenu une simple tendance introspective, un goût pour la solitude plus marqué que la moyenne, sans plus. Quant aux critères du groupe B, la porte vers des diagnostics libéraux était déjà grande ouverte, puisqu'il suffit de répondre à seulement deux de ces quatre critères. Pourtant, là encore les formulations sont fortes. Par exemple: «Intérêts très restreints et circonscrits qui sont anormaux dans leur intensité ou leur orientation». Dans l'atmosphère libérale qui s'est imposée en autisme, montrer un grand intérêt pour un sujet est souvent devenu suffisant pour répondre positivement à ce critère. Tant et si bien qu'une personne peut arriver à un psy et lui dire: «Je suis autiste: j'ai un intérêt spécifique et une hyper-réacticvité sensorielle», et cela suffira..., même si cette personne se passionne simplement pour la littérature russe (on a le droit et ce n'est pas anormal!) et qu'elle est facilement éblouie par la lumière (ce qui est tout autant le fait pour les gens ayant une forte myopie... comme moi).
Bref, les critères de l'autisme devraient être interprétés comme ils sont formulés. Une passion pour Elvis Presley n'est pas en soi un «intérêt très restreint et circonscrit qui est anormal dans son intensité ou son orientation». Pour que ce soit un véritable critère de l'autisme, cet intérêt doit s'exprimer d'une manière qui soit nettement inhabituelle, rare, ressentie par autrui comme étrange et hors normes.
Domaine commun: réalité ou illusion?
Mais à la base, ces critères de l'autisme ne sont pas spécifiques à l'autisme. Aucun de ces critères n'est propre à l'autisme, peu importe qu'on l'interprète d'une manière stricte ou libérale. Plein de gens montrent deux, trois ou quatre des traits décrits par ces critères.

Imaginons cinq traits. Peu importe lesquels. Par exemple: 1) cheveux roux, 2) genre masculin, 3) taille supérieure à la moyenne, 4) fan de foot, 5) parlant anglais. Il existe des gens qui répondent à ces critères dont au moins un est rare: il n'y a que 1 à 2% des humains ayant les cheveux roux. Au final, je réussirais facilement à trouver des centaines, des milliers de personnes qui répondront positivement à mes cinq critères. L'ensemble de mes cinq critères, je le nomme Syndrome de Gugusse.
À votre tour: créez-vous un syndrome à partir de cinq traits!
Pour n'importe quel ensemble de critères, on trouvera toujours des gens qui les possèdent tous. La question est de savoir si l'ensemble de critères en question forme un tout cohérent et significatif, ou un amalgame plus ou moins arbitraire de traits sans lien fort entre eux. 
Je semble caricaturer, mais pas tant que cela. Car, la question demeure entière:  sur quoi au juste les pionniers de l'autisme ont-ils mis le doigt? Sur une réalité ferme, ou sur une réalité molle, une sorte de nuage?

Alors, on fait quoi?!

L'autisme en tant que diagnostic final
pourrait n'être qu'une illusion d'optique.
En premier lieu, «Autisme» est un mot. Un mot inventé à l’origine, au début du XXe siècle, pour désigner un symptôme de la schizophrénie. Par après, on a fait d’«autisme» une réalité distincte de la schizophrénie : il a été décidé qu’«autisme» désignerait une réalité autonome. Mais avec la définition du DSM, l'autisme n'est plus une réalité dure: ce n'est qu'un ensemble de traits comportementaux que se partagent plus ou moins un ensemble hétérogène de personnes. 

Il se pourrait que l'on ait trop généralisé à partir de descriptions de quelques enfants. Il semble que ces quelques enfants aient fait chercher d'autres enfants leur ressemblant - et on trouvera toujours des gens ressemblant à d'autres. Il semble que certains critères aient été mis en ensemble d'une manière erronée ou trop rapide. Il semble que ces critères n'appartiennent pas tous à un même noyau, à un même ensemble. Alors, il faudra bien finir par faire des choix.

À SUIVRE...

Sources des illustrations: 
Wikipédia (Domaine public, PD-US).