Musica autistica.
Pour orchestre (opus 46)
Les deux pièces que j’ai composé en 2012 ont un point commun : toutes deux sont basées sur
une mélodie soutenue entendue dès le départ – il n’y a pas
d’introduction ici. Autrement, elles sont bien différentes.
La première fut Mer et monde que j'ai terminée
le 6 juillet
Un mois plus tard, j’avais terminé le brouillon complet d’une
nouvelle œuvre, cette fois pour orchestre symphonique et d’une durée de
35 minutes. Officieusement, il s'agit de ma Symphonie #5. À en juger par l’aspect propre et très
peu raturé du brouillon, le travail me fut vraiment facile, comme si la
pièce était déjà toute prête quelque part en moi et ne demandait qu’à
être mise au monde. Ce brouillon n’est pas une réduction pour piano que
j’aurais ensuite orchestrée (ce n’est d’ailleurs pas souvent sur deux
portées). La pièce est directement née pour orchestre, et le brouillon
en est vraiment le résumé orchestral : les mentions d’instruments sont
là, bien claires et précises. L’écriture de la partition d’orchestre au
propre a été terminée en octobre mais, à cause d’un automne très riche,
je n’ai pu terminer de mettre toutes les indications qu’en janvier 2013
(coups d’archet, phrasés, dynamiques, etc.).
Musica autistica : musique autiste, bien sûr : le titre de mon livre «latinisé». J’ai beaucoup hésité sur ce titre concurrencé par Symphonie tranquillité, que j’ai finalement mis en sous-titre. Je trouve que Musica autistica
porte mieux l’aspect énigmatique de l’œuvre. En fait, j’ai
inconsciemment transposé des choses que je connaissais alors de l’autisme en notes
de musique, en forme musicale. La partition s’ouvre d’ailleurs sur ces
mots en exergue qui reflètent certains aspects de l’esprit autistique :
Solitude et intériorité.
Échos et répétition.
Du point vers l’ensemble,
Comme les pièces d’un casse-tête…
Esquisse pour la fanfare entrecoupée par un passage «atomisé» (c) Antoine Ouellette 2012 |
La
psychologue Chantal Belhumeur me disait que les Aspergers ont comme des
compartiments dans leur tête. Je ne sais pas trop! Mais Musica autistica
se présente comme une suite de moments dont chacun semble clos sur
lui-même. Si elle est jouée un jour, je ne doute pas qu’il se trouvera
des gens pour dire que c’est une pièce vraiment très étrange et
discontinue. Pourtant attention! Les pièces du casse-tête s’assemblent,
elles forment ici et là des îlots laissant entrevoir l’image complète du
casse-tête. Par exemple, il y a un passage où la longue mélodie
soutenue du début est jouée deux fois de suite : la première fois, des
silences remplacent environ la moitié des notes et, la deuxième fois,
c’est vice-versa : les silences sont remplacés par leurs notes et les
notes jouées la première fois deviennent des silences. Dans ce passage,
pour renforcer l’aspect «pièces de casse-tête», chaque note est confiée à
un instrument différent : on entendra des notes éparses et des timbres
atomisés dans une dynamique très douce, et probablement que bien peu de
gens se rendront compte qu’il s’était agi de la mélodie initiale. Ce
passage pointilliste (mais aucunement atonal) est encadré par son
contraire : une fanfare très sonore où vents et percussions ont la belle
part; à plein son, avec une mélodie brève répétée et répétée encore
(mais chacune de ces «répétitions» est en fait légèrement différente).
Peinture d'Édouard Manet. Le piccolo a un long solo dans Musica autistica. |
Tout
cela est entrecoupé de «plages blanches» dominées par la percussion et
en particulier par deux jeux de gongs et un gong grave : une petit
gamelan qui marque le passage du temps comme une
horloge féerique – c’était la première fois que j’employais ces
instruments.
Sur ces plages essentiellement rythmiques, mais de tempo
modéré, répétitives et hypnotiques, se greffent des accords tenus de
bois et cuivres basés sur l’harmonie fondamentale l’œuvre, à savoir cet
«accord autiste» qui n’est ni majeur ni mineur et qui n’appartient en
fait à aucune tonalité :
Harmonie fondamentale de Musica autistica. (c) 2012 Antoine Ouellette Socan |
Aucune tonalité… Et pourtant oui, il y en a une, mais exactement la même tonalité mystérieuse qui était celle de L’Esprit envoûteur et aussi celle de Toute paisible (pour piano) : une tonalité qui jamais ne se dit ou s’impose, mais qui dirige le jeu en coulisse.
Gamelan du Musée de la musique de Céret. https://music-ceret.com/ Photo par Antoine Ouellette |
L’orchestre de Musica autistica est relativement «standard» avec les bois par 3 (plus un piccolo et un contrebasson), 3 trompettes (la première en ré), 4 cors, 3 trombones (le premier est un alto), tuba, piano d’orchestre, 4 percussionnistes et les cordes. «Mais les gongs?!». Il est aujourd’hui relativement aisé pour un orchestre de louer ces instruments – certains orchestres en possèdent même en propre. De plus, sur le plan technique, c'est une pièce assez simple à monter pour un orchestre professionnel.
Musica autistica. Esquisse du passage en soierie pour piano et cordes, avec une trompette qui se joint à eux (c) Antoine Ouellette 2012 |
Sources des illustrations: Collection personnelle et Wikipédia pour Manet (Domaine public, PD-US)