Autisme.
Art, nature... amour?
1. L’art
préhistorique… et autiste?
2. Une
thèse en cadeau
3. Deux
particularités autistiques
4. Stigmatisés
comme la nature
5. Être
autre
6. Une
relation sans jugement
7. Ville
ou nature
8. Devenir plante
9. Chamanisme? Ou...
10. ... difficulté à aimer?
Pour
faire contrepoint à mon propos, j’ai mis des dessins, extraordinaires, tirés du
livre Kunstformen der Natur (1904: Les formes de
l’art de la nature) du naturaliste Ernst Haeckel (1834-1919), qui créa le mot
écologie en 1866.
Ces images proviennent de Wikipédia et sont du domaine public et PD-US. Les deux illustrations d'art préhistorique viennent auusi de Wikipédia et sont du domaine public (PD-US)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Formes_artistiques_de_la_nature
Je
vous l’avoue franchement : il y a longtemps que je n’ai pas lu quelque
chose de nouveau et d’excitant à propos de l’autisme! Tout semble être embourbé
dans la vase de la confusion du diagnostic et dans celle de la définition même
de l’autisme. Je l’ai souvent écrit et je le répète une autre fois
encore : dans l’état actuel, le mot «autisme» désigne non une réalité,
mais un amalgame de conditions qui n’ont aucun rapport de causes entre elles et
qui ne font que de ressembler, plus ou moins, dans certains comportements.
Comme un ami dit : «Ça ne pisse pas loin!». En attendant que ces messieurs
dames spécialistes clarifient une situation dont ils et elles sont responsables
au premier chef, j’admets prendre une petite distance face au sujet. Toutefois,
les personnes autistes m’intéressent toujours autant.
Mais
il m’arrive néanmoins de découvrir des choses intéressantes. Tout récemment,
j’en ai vu une qui date pourtant de 2018 : j’étais passé tout droit. C'était dans la revue Ça m'intéresse qui y consacrait son éditorial. Mais
encore, cette chose s’est ajoutée et même alliée avec un texte inédit de 2020
qu’une chercheuse m’a fait parvenir. Là, c’est du wow!
L’art
préhistorique… et autiste?
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Chevaux de Chauvet. La précision du trait.
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En
2018 donc, une équipe britannique regroupant des chercheurs en médecine et en
archéologie avançait une hypothèse audacieuse : les fresques peintes à la
préhistoire, comme celles des grottes de Chauvet, pourraient avoir été
réalisées par des personnes autistes! https://fr.wikipedia.org/wiki/Grotte_Chauvet
Les fresques de Chauvet datent d'environ 35 000 ans. Selon
cette équipe, la chose serait même «probable». Les chercheurs ont notamment
posé un lien entre ces fresques et les «capacités en dessin exceptionnelles de
certains enfants autistes». Selon eux, seule une «anomalie» dans la perception
globale expliquerait la précision des détails et le réalisme du rendu graphique
des animaux représentés. Ils pensent que l’esprit autistique ainsi que ses
particularités perceptives étaient déjà «largement répandus» chez nos ancêtres
de la préhistoire.
L’article scientifique est celui-ci :
Penny
Spikins, Callum Scott et Barry Wright, « How do we explain autistic traits’
in European upper Palaeolithic art ? », Open Archaeology, vol. IV,
n° 1, 2018.
Et
il se trouve intégralement ici :
https://www.degruyter.com/view/journals/opar/4/1/article-p262.xml?language=en
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Lions de Chauvet
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Ces
chercheurs développent une hypothèse. Est-elle valide? Comment vérifier? Mais
il s'agit d'une hypothèse digne d'intérêt. Ils ne disent pas que l'attention
aux détails est exclusive aux autistes; ils ne disent pas non plus que tous les
autistes sont champions de la représentation graphique. Mais il est clair que
les autistes forment un groupe où l'attention aux détails est significativement
plus prononcée que dans la population générale et que, dans ce groupe, il y a
des champions du détail. D'un autre côté, il est démontré que les gènes en
cause dans l'«autisme vrai» sont des gènes très anciens et stables - alors que
dans les autismes secondaires d'origine génétique, il s'agit de mutations
spontanées «de novo». Donc en additionnant tout cela, il est plausible que des
peintres préhistoriques, hommes comme femmes, aient été autistes.
Mais
de là à pouvoir le prouver! Pourtant, il y a d’autres indices qui vont dans le
même sens.
Une
thèse en cadeau
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Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904)
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Les
spécialistes sont presque unanimes à considérer ces œuvres d’art comme
religieuses, sacrées, chamaniques. Les autistes possèderaient-ils une sorte de
prédisposition à être des chamanes?! Eh bien, l’idée est loin d’être folle! Récemment,
Anna-Livia Marchionni m’a fait parvenir sa thèse doctorale intitulée : Une
socio-anthropologie du syndrome d'Asperger dans ses relations à la nature et
aux animaux : de la marginalisation au renouvellement identificatoire et
culturel. Madame Marchionni a écrit cette thèse sous la direction de la
professeure Véronique Servais du Laboratoire d'Anthropologie Sociale et
Culturelle (Faculté des Sciences sociales), à l’Université de Liège. Elle a
passé sa soutenance en novembre 2020. La chercheure avait rencontré des
personnes autistes pour recueillir leurs témoignages. Outre ces récits, elle a
aussi utilisé des livres écrits par des autistes de même, évidemment, que de la
littérature scientifique.
À
la lecture, j’ai aussitôt vu le lien direct avec les fresques préhistoriques!
Je remercie Anna-Livia Marchionni de me permettre de citer des extraits de sa
recherche. Je vais tenter d’en résumer les grandes lignes, en espérant ne pas lui
être infidèle. Les citations sont principalement extraites des pages 273 à 292.
Attachez-vous
bien!
Deux
particularités autistiques
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Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904) | | | |
Comme
les non-autistes, les autistes du monde contemporain s’inscrivent dans une
culture qui met les humains à part de la nature, des plantes et des animaux. En
fait, tous les humains se mettent d’eux-mêmes au moins un peu à part de la
nature, y compris ceux qui vivent en contact étroit avec elle. C’est une
constance humaine.
Cela
dit, des expériences de vie (souvent marquées par la stigmatisation) ainsi que
des particularités perceptives et sensorielles «amènent [les autistes] à se
distancier [d’une culture se situant hors de la nature] par des voies
originales offertes par la nature et la relation aux animaux non-humains». De
cette manière,«[les personnes autistes] ne se distinguent pas culturellement
(…) de la société dans laquelle elles s'inscrivent. Elles n'élaboreraient donc
pas une culture différente (…), mais leur cognition et leur sensorialité
différentes les amèneraient à avoir un vécu différent de celui des non-autistes
avec lesquels elles partagent une même culture». Autrement dit, «malgré tout,
le point de vue des personnes autistes s'avère doublement spécifique : d'abord,
une spécificité partagée en tant qu'elles se vivent comme appartenant à un
groupe minoritaire avec un vécu de stigmatisation, et ensuite du fait des
particularités vraiment spécifiques à l'autisme dues à leur fonctionnement
cognitif, perceptif et sensoriel différent». Il faut donc tenir compte de deux
spécificités autistiques.
Stigmatisés
comme la nature
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| Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904) | |
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La
première : Les personnes autistes se sentent appartenir «à un groupe
minoritaire avec un vécu de stigmatisation». J’apporte deux précisions qui
renforcent cette spécificité. Tout d’abord, les autistes ne font pas que se
sentir appartenir à un groupe minoritaire : elles font effectivement
partie d’un groupe minoritaire. Que l’on se base sur les estimations
conservatrices selon lesquelles les autistes représentent environ 2% de la
population ou sur les estimations plus larges qui font monter ce pourcentage à
5% voire un peu plus (en considérant que plusieurs personnes autistes passent
«sous le radar» et ne sont jamais diagnostiquées, il n’en demeure pas moins
qu’elles forment de fait un groupe minoritaire. Ensuite, les autistes ne font
pas que se sentir faire partie d’un groupe stigmatisé, elles sont d’un groupe
qui subit de fait des formes de marginalisation, peu importe que cette marginalisation
soit exercée de manière «douce» ou violente. Je
précise que toutes les personnes autistes ne subissent pas de la
stigmatisation, mais qu'être autiste augmente les possibilités d'en
vivre. Par exemple, la littérature ne
laisse place à aucun doute sur le fait que les enfants autistes comptent parmi
les groupes d’enfants subissant le plus d’intimidation à l’école. Il est aussi
clairement établi que bon nombre d’autistes, notamment chez les femmes (mais
pas exclusivement chez elles), adoptent divers comportements de «camouflage»
afin d’échapper aux méchancetés d’autrui et / ou afin de tenter de trouver plus
aisément une place dans la société. «Notre société, qui valorise le respect des
différences et de la diversité, cherche à réadapter toute différence trop
visible ou dérangeante, [ce qui] apparaît comme un pendant paradoxal de l'idéal
de tolérance et d'acceptation des différences».
Du
coup, la nature devient un refuge : «Il s'est avéré que l'attrait des
personnes autistes pour la nature relève en partie de ce vécu d'exclusion mis
en évidence et qui les amène à la considérer comme un refuge où
l'être-soi-autiste peut se déployer en sécurité, hors du jugement humain. Ce
qu'elles appellent la « nature sauvage » est une nature non-domestiquée et
non-marquée par l'humain, et présentée comme un espace de liberté et d'être-soi
avec leurs particularités liées à leur fonctionnement autistique, un lieu où le
hors-norme n'est pas stigmatisé, un espace de non-rejet où elles peuvent se
défaire de leurs défenses et du sur-contrôle de soi».
Être
autre
La
chercheuse rapporte que le vécu de stigmatisation des personnes autistes
rencontrées dans le cadre de son étude les «amène à ne pas se sentir tout à
fait humaines parmi les autres humains et les repousse vers un «seuil
d'humanité» (de Stexhe, 2015). Ce sentiment d’extériorité à l’espèce humaine
m’a presque systématiquement été rapporté par les personnes autistes que j'ai
rencontrées (…)». Ce vécu peut aller jusqu’à les pousser «à refuser de
s'identifier à l'espèce humaine telle que représentée par les neurotypiques
(souvent dénigrés) et à trouver chez les animaux des figures d'identification
possibles (et valorisées), ainsi qu'un mode d'être au monde plus proche du leur».
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| Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904)
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La
chercheuse rapporte d’autres travaux qui indiquent que «le mécanisme social
conduisant à la stigmatisation des personnes handicapées et différentes de
manière générale (selon les normes des sociétés occidentales) est le même que
celui conduisant à l'exploitation des animaux». «En conséquence, des personnes
autistes vont choisir de «se désidentifier volontairement [de l’espèce humaine]
après avoir été désidentifié par l'exclusion et la stigmatisation [par cette
dernière]. Se reconnaître dans un vécu animal, s'opposer à l'anthropocentrisme,
refuser son appartenance à une espèce humaine destructrice dans laquelle on ne
parvient pas à se reconnaître, d'autant plus qu'elle est décrite par les
personnes autistes comme difficilement lisible et intelligible sur le plan des
émotions et des sentiments, concourent à une réidentification, à une
revalorisation de sa différence en actant sa sortie hors de la catégorie des humains
neurotypiques (…). Les personnes autistes que j'ai rencontrées disent souffrir
des effets secondaires du développement technoscientifique et s'identifient de
ce fait à l'animal exploité et à la nature détruite avec lesquels elles
partagent une même vulnérabilité ; elles refusent leur statut d'humains
modernes, de «maîtres et possesseurs de la nature» (Descartes), qui considèrent
la nature selon une perspective utilitariste, comme une ressource à exploiter
selon une idéologie capitaliste et consumériste».
C’est
probablement ce qui explique, psychologiquement parlant, le fait que bon nombre
de personnes autistes s’identifient à d’autres minorités humaines et
s’investissent dans des associations contestataires comme, par exemple, des
groupes véganes ou anarchistes.
La
nature saccagée et les animaux maltraités deviennent ainsi une métaphore de la
vie des autistes, trop souvent exposés à diverses formes de rejet.
Une
relation sans jugement
Mais
les personnes autistes ne sont pas seules à être conscientes des périls
écologiques, et il n’est pas du tout certain que toutes les personnes autistes
en soient conscientes! C’est alors qu’intervient la deuxième spécificité des
personnes autistes : leurs «particularités dues à leur fonctionnement
cognitif, perceptif et sensoriel différent».
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| Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904) |
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Donc,
la deuxième spécificité autistique. Pour les personnes autistes, la relation
avec autrui ne passe pas d’abord par les mots. Beaucoup d’adultes autistes ont
été, pendant un temps, des enfants mutiques ou peu verbaux. Les animaux
communiquent et s’expriment, mais sans les mots. Pour une personne autiste, la
communication avec un animal peut ainsi ouvrir «un espace de rencontre plus
large dans le sens où il serait moins culturellement et humainement normé».
Cette communication est «majoritairement sensorielle, perceptive et infra-verbale», domaines où les
autistes se sentent particulièrement à l’aise. La personne et l’animal entrent
ainsi «en connexion par des voies qui
diffèrent de celles qui prévaut dans les relations entre humains». Même les autistes
les plus verbaux peinent à décoder les nombreux sous-entendus, implicites et
non-dits qui émaillent la communication entre humains. Les malentendus sont
nombreux et piègent presque constamment la vie relationnelle des
autistes : les personnes autistes reprochent souvent aux personnes non-autistes
de manquer de franchise et d’être manipulatrices, alors que ces dernières se
sentent heurtées par ce qui leur semble être un manque de diplomatie et
d’empathie de la part des autistes. Entre autistes et non-autistes, il y a
souvent de la friture sur la ligne et les «incidents de frontières» sont
fréquents! Les normes, nombreuses, de la société humaine sont presque
impénétrables et incompréhensibles pour la personne autiste qui finit par se
sentir étrangère. Au contraire, les animaux ne cachent pas. Dans les
témoignages des personnes rencontrées par l’auteure, il est clair que, pour une
personne autiste, les animaux portent «un jugement plus juste, plus objectif
sur les individus». Les animaux sont nettement «plus lisibles», et cette
lisibilité ouvre sur des possibilités de relations immédiatement partageables
et dénuées de jugement. Ville
ou nature
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| Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904)
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La
ville offre un mode de vie fondé sur la régularité et la routine. À première
vue, cela pourrait convenir aux autistes. Mais le milieu urbain présente aussi
un grand inconvénient : c’est un «vivier de stimuli violents et chaotiques».
Un océan de sensations, de perceptions, de bruits, de lumières, d’odeurs, etc. Or
déjà, «les personnes autistes, hypersensibles aux détails, perçoivent une
multiplicité de détails sensoriels et perceptifs». Du coup, elles décrivent les
environnements humains comme «dysharmoniques et nécessitant des efforts de
filtrage et de triage épuisants et intenables sur le long terme. L’effort est
constant, élevé et épuisant afin «se frayer un chemin dans ce qui est décrit
comme un véritable chaos sensoriel».
De
son côté, la nature est un univers plus complexe encore. Mais son effet sur la
personne autiste est totalement différent. «Le désordre naturel n'est pas
considéré, dans les témoignages, comme du désordre ; la profusion naturelle et
son désordre apparent ne font pas intrusion, ne provoquent pas de sentiment de
chaos, de surcharge et d'incohérence. Il n'y a alors aucun effort de
re-cohérence ou de re-congruence à faire dans la nature, contrairement à la
ville, alors même que la perception en détails des personnes autistes accentue
leur conscience de la profusion des espaces qu'ils traversent. La perception
détaillée des éléments naturels, l'acuité perceptive rendue vive par la
profusion naturelle, l'aspect obligé de la sensorialité, sont dans la nature à
l'origine d'une stimulation sensorielle vécue comme un accroissement du
sentiment de vie qui s'accompagne d'une forme de félicité sensorielle».
Devenir
plante
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| Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904) |
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La
personne autiste retrouve dans la nature la possibilité d’établir une
communication semblable avec celle qu’elle peut établir avec un animal, mais à
une échelle presque infinie. «Le mode hypersensoriel d'être au monde des
personnes autistes que j'ai rencontrées leur permet de connaître spontanément
et de rechercher des moments lors desquels elles disent «se perdre» ou
«disparaître» dans la sensation sensorielle et entrer dans un corps à corps
avec les éléments perçus. La sensorialité permet souvent l’abolition d’une
séparation d’avec l’environnement. Ce corps à corps sensoriel avec la nature
entraîne un sentiment de disparition des limites du corps, voire d'extension du
corps à la nature environnante». Il s’agit «d'une expérience de perte des
frontières de son corps pour élargir sa conscience à l'environnement, de faire
une expérience d'altérité au point de relever d’un «devenir plante» tel que
décrit par Vania, permis par l’abolition de ses limites corporelles». Temple
Grandin parle d’«une expérience sensorielle extrême»; Donna Williams décrit des
«expériences profondes lors desquelles elle fusionne avec le monde et entre en
résonance avec des éléments sensoriels (…). Cette expérience de connexion
directe, sans lien visible ni verbalisable, est possible hors des espaces de
socialisation où un lien verbal et porteur de significations à interpréter doit
être établi, donc hors des milieux humains». «Leur sentiment de connexion
hors-les-mots avec les éléments naturels les amène à relativiser la place de
l'être humain, sa séparation d'avec les autres êtres vivants, et à remettre en
question les droits qu'il s'arroge sur la nature et les animaux. Tout être
vivant est conçu comme doté d'une présence sensible avec laquelle il est
possible de se connecter hors-les-mots». Chamanisme? Ou...
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| Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904)
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Nous
voici aux portes du monde des Chamanes! «Les particularités de perception
sensorielle de l'autisme pourraient ainsi prédisposer ces personnes à entrer
dans des états d'enchantement ou d'état modifié de conscience au contact de
certains éléments sensoriels (…). Dans une perspective autistique, il n’y a pas
de séparation abrupte et nette entre l’être humain et la nature : au
contraire, l’être humain fait partie intégrante d’un continuum dont il est
interdépendant (…)». Ainsi, «la trame sensorielle des espaces naturels,
ressentie comme continue et fluide malgré sa complexité, permettrait d'entrer
dans une autre manière de penser, qui ne serait plus marquée par une logique
catégorielle et sérielle propre au dualisme de la pensée occidentale, mais
tiendrait d'une logique continuiste».
L’auteure
prend soin de préciser que «les expériences rapportées par les personnes que
j'ai rencontrées ne sont certainement pas le seul fait des personnes autistes,
mais il semblerait que le fonctionnement autistique y prédispose».
Les
personnes autistes pourraient être les capteurs hypersensibles de l’état de la
relation de la civilisation avec la nature. Ils pourraient aussi être les
guérisseurs de la Terre.
Bref,
les personnes autistes posséderaient une prédisposition à être
chamanes et à percevoir clairement la continuité entre l’humain et toute la
nature. Toutes ne développeront pas ce don, et certaines iront dans un sens
contraire. Mais il suffit qu’un certain nombre de personnes autistes
développent ce don pour que cela produise un effet réel. Alors, puisque l’art
chamaniste pourrait avoir des racines autistiques, il serait plausible que les fresques préhistoriques aient été réalisées par des
personnes autistes.
Mais
la vie d’un chamane n’est pas que d’avoir des «visions»! La personne observe
aussi et découvre des propriétés des roches, des plantes, des éléments… Il n’y
a probablement pas que l’art qui ait, dès la préhistoire, bénéficié de l’esprit
autistique : la médecine aussi et, plus globalement, la connaissance du
monde.
... difficulté à aimer?
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Haeckel: Les formes d'art de la nature (1904) |
Je reste tout de même songeur... J'entrevois quelque chose qui est douloureux à admettre... Pour cette thèse, je me demande à quel point les conclusions sont généralisables à l'ensemble des personnes autistes, à quel point ces conclusions sont représentatives. Il se peut qu'il y ait eu un biais causé par le petit nombre de personnes interrogées ou par les critères selon lesquels elles ont été choisies. Comme pour beaucoup de recherches ouvrant des pistes intéressantes, il faudrait éventuellement que d'autres études viennent valider ses résultats. Mais mon incertitude réside surtout dans le fait que les personnes interrogées pourraient avoir elles-mêmes biaisé leur propos. La fusion avec la nature qu'ont souligné plusieurs personnes interrogées dans l'étude est-elle véritable, ou s'agirait-il d'une illusion perceptive, d'une illusion perceptive orientée par un historique de rejet? Une illusion sur soi-même que l'on entretient pour se protéger, en se persuadant d'être atypique au point d'être différent de la banale humanité perçue comme négative? Au point de se considérer comme d'une «autre» humanité, voire carrément d'une nouvelle espèce?
Honnêtement, je ne le sais pas. Je n'ai pas assez d'informations solides pour me prononcer. Mais je dois avouer que derrière la vision de soi exprimée dans la thèse, je discerne tout de même une grande difficulté à aimer autrui. Cette difficulté, souvent un stigmate de douloureuses expériences de rejet ou d'isolement, n'est pas insurmontable mais elle exige beaucoup. Vaincre cette difficulté passe par la victoire sur de nombreuses peurs face à la vie.
Les images d'Haeckel et d'art préhistorique proviennent de Wikipédia et sont du domaine public et PD-US.