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jeudi 1 avril 2021

JOIE DES GRIVES. Pour orchestre symphonique (opus 32)

Joie des Grives (opus 32; 2003 / révision : 2013)

«Contemplation symphonique» pour grand orchestre.

La partition et le matériel d'exécution (édités via Finale) sont disponibles au Centre de musique canadienne: 

Contact:  atelier@cmccanada.org  ou / or  quebec@cmccanada.org


La Grive solitaire faisant délice!
Joie des Grives compte douze sections enchaînées : 1. Prélude : À la lisière d’un champ et d’un boisé ; 2. Sur un premier sentier avec les oiseaux; 3. Un piano en randonnée ; 4. Musique des ruisseaux ; 5. Petit choral ; 6. Intermède ; 7. Sur un nouveau sentier avec les oiseaux ; 8. Une harpe en excursion ; 9. Musique des cascades ; 10. Grand choral ; 11. Danse aérienne ; 12. Envol

Terminée en 2003 et d’une durée d’environ 32 minutes, Joie des Grives est sous-titré : «Contemplation symphonique». Au moment d’écrire ces lignes, je n’ai toujours pas rendu cela explicite, mais Joie des Grives est ma Symphonie #2.

L’œuvre est écrite pour un orchestre symphonique composé d’un piccolo, 3 flûtes, 3 hautbois, 3 clarinettes, 3 bassons, saxophone soprano, 6 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, piano, harpe, des percussions pour 4 musiciens, et les cordes (violons 1, violons 2, altos, violoncelles, contrebasses).

La partition porte en exergue cette citation d’Henry David Thoreau : «Le chant de la Grive rend plus profond le sens de toutes les choses que ses accents évoquent.  Elle chante pour donner aux hommes des idées plus claires et plus hautes.  Elle chante pour qu’ils réforment leurs institutions, pour qu’on mette en liberté l’esclave des plantations et le prisonnier du cachot, l’esclave de la maison des plaisirs et celui qui est le captif de ses pensées basses».

Chants en «spirales descendantes» de la Grive fauve dans Joie des Grives / (c) 2003 Antoine Ouellette Socan

La création a eu lieu le 12 Juillet 2008, avec l’Orchestre du Festival sous la direction de Jean-Marie Zeitouni, lors du Festival International de Lanaudière. Ce fut en plein air, à l’Amphithéâtre de Joliette (Québec). En après-midi, j’avais donné sur les lieux une petite conférence pour présenter l’œuvre et faire entendre les chants d’oiseaux réels dont je me suis inspiré (voir plus loin). Je pense que, dans l’ensemble, musiciens et public ont apprécié mais, malheureusement, le seul critique présent, mon «ami» Claude Gingras (de peu regrettée mémoire) n’a pas aimé du tout. C’est ainsi.

Joie des Grives était le volet création de ma thèse doctorale en Études et pratiques de l’art (UQÀM), thèse qui m’a valu une mention d’excellence à l’unanimité du jury. Consolation.

La Gélinotte huppée.
Par Luis Agassiz Fuertes (c. 1911)
Dix ans après la composition, soit en 2013, j’ai retouché la partition afin de clarifier certaines textures ici et là.

Joie des Grives pourrait être vu comme l’hommage émerveillé d’un musicien aux oiseaux et au pays qu’il habite, cette terre d’Amérique du Nord qui est sienne. Hommage aux oiseaux : Joie des Grives s’inspire des chants de 11 espèces présentes au Québec, à commencer par des représentants de la famille des Turdidés : le Merle d’Amérique et des Grives (à dos olive, fauve, des bois et solitaire). S’y trouvent aussi des percussionnistes ailés : la Gélinotte huppée et des Pics (chevelu, maculé et le Grand Pic), de même que deux oiseaux dont chant et cri sont célèbres» au Québec et ailleurs : la Mésange à tête noire (Tchi-ka-di-di-di!) et le Bruant à gorge blanche («Où es-tu Frédéric, Frédéric?»).

Les «vedettes» se succèdent dans la section 2, Sur un sentier avec les oiseaux : la Grive à dos olive (arabesques ascendantes, ici ralenties et démultipliées aux bois qui font alors leur entrée), le Merle d’Amérique (motifs brefs aux hautbois), la Grive fauve (spirales descendantes aux flûtes), la Grive des bois (arpège et trille aux clarinettes). Après le dialogue de ces chants intervient la Grive solitaire (motifs en échos avec sons harmoniques). Dans la section 7, Sur un nouveau sentier avec les oiseaux, ces chants se superposent aux tambourinages de la Gélinotte huppée et des Pics (tambourinages réguliers du Pic chevelu et du Grand Pic, et irrégulier du Pic maculé), ainsi qu’aux chants incisifs du Bruant à gorge blanche et de la Mésange à tête noire.

Chants en «spirales ascendantes» et démultipliés de la Grive à dos olive dans Joie des Grives 
(c) 2003 Antoine Ouellette Socan

Hommage à un pays : Joie des Grives est une sorte de paysage en musique. En fait, Joie des Grives est à l’orchestre ce que Paysage (opus 10, pour quatre pianos) est à la «musique de chambre». Outre les oiseaux, deux de ses douze sections évoquent l’eau, celle des ruisseaux et celle des cascades : Musique des ruisseaux et Musique des cascades. Les bruissements de la forêt sont évoqués par les percussions et servent de toile de fond à deux autres sections de l’œuvre, dans lesquelles un instrument soliste se promène en nature : Un piano en randonnée et Une harpe en excursion.

Joie des Grives s’inspire du temps cyclique de la nature. La première et la dernière section, Prélude et Envol, forment une grande boucle; la musique des sections 2 à 5 est réinterprétée dans les sections 7 à 10, de manière plus touffue, complexe et sonore. Ces deux dernières boucles sont séparées par un Intermède, sommet de «désordre naturel» de la partition autant que d’ordre, avec une ample mélodie.

Le Grand Pic. Par Luis Agassiz Fuertes (c.1911)
Comme dans la nature, le temps non mesuré et hors pulsation est très présent dans Joie des Grives. La pulsation s’y fait très peu sentir, sauf dans la Danse aérienne, section la plus proche de la musique humaine «habituelle», et qui cite une mélodie de folklore incontournable : Mon merle, dont Norman McLaren avait tiré un court film d’animation (1958): https://www.dailymotion.com/video/xhs3bh

Mais les Pics et des volées d’oiseaux effarouchés (par une civilisation trop intrusive?) ramènent le temps de la nature pour l’Envol conclusif. En fait, cette œuvre contient ce que j’ai écrit de plus complexe au niveau rythmique – mais elle est écrite d’une manière par laquelle ces rythmes complexes sont assez faciles à rendre pour les musiciens.

Joie des Grives est aussi l’une de mes plus radicales œuvres diatonique. Elle utilise exclusivement les notes de la gamme dite «naturelle» : do, ré, mi, fa dièse, sol, la et si bémol. C’est la Terre (dont les battements de cœur seront joués par un tambour amérindien). Le Prélude, pour cuivres et cordes, déploie progressivement ces sons, mélodiquement et harmoniquement. Aucun chromatisme, aucune modulation dans cette demi-heure de musique, mais les mille miroitements d’une seule harmonie, à l’image des mille formes de la vie. Joie des Grives me semble se situer à l’extrême limite entre le chaos et l’harmonie, et je ne pense pas que j’aurais pu aller bien plus loin en cette voie. Elle représente donc un point d’achèvement au-delà duquel je devais emprunter de nouveaux sentiers.

Série des harmoniques sur la note Do. Cette série donne la «gamme naturelle» dans laquelle Joie des Grives est composée: Do, Ré, Mi, Fa dièse, Sol, La, Si bémol, Do

Ce diatonisme radical de même que les «mélodies» très ornementées de Joie des Grives doivent peut-être quelque chose à mon amour pour le chant grégorien, musique elle aussi diatonique avec des pièces très ornées (comme les Alléluias, par exemple). Joie des Grives ne sonne pas du tout comme du chant grégorien ou de la musique médiévale, mais il m’arrive de penser que je suis un héritier spirituel d’un musicien anonyme du XIIe siècle…

Ce n’est pas voulu, mais Joie des Grives est proche aussi des Ragas de l’Inde. Un Raga débute par un instrument, le tampura, qui égrène les notes du mode de la pièce : cela correspond à la première section  Prélude : À la lisière d’un champ et d’un boisé (milieu écologique où l’on peut entendre chanter plusieurs Grives. Le Raga se poursuit avec une longue section improvisée en rythme libre (dite Alap) : ce sont les sections 2 à 8 de Joie des Grives. Puis vient une section où la musique tend vers le rythme mesuré et où le débit se fait plus rapide : c’est le cas des sections 9 et 10. Puis, c’est le Gat, une section vive en rythme métrique : c’est la section 11, Danse aérienne (qui contient néanmoins un peu de rythme libre!). Finalement, le Raga s’éteint doucement sur le tampura qui égrène toujours les notes du mode de la pièce : c’est l’Envol conclusif. Mais Joie des Grives ne sonne pas plus «indienne» que «grégorienne»!

Chants du Merle d'Amérique dans Joie des Grives / (c) 2003 Antoine Ouellette Socan

Le Merle d'Amérique
On pourrait dire : «Si je veux entendre des oiseaux, j’irai en nature, pas au concert!» Bon commentaire! Par un concours de circonstances, Joie des Grives fut justement créée en plein air, dans un lieu où chantent les oiseaux. Par ailleurs, s’inspirer des oiseaux permet de créer de nouvelles formes, mélodies et sonorités orchestrales; de nouveaux rythmes aussi : le rythme est très particulier dans Joie des Grives. De plus, on adapte des chants d’oiseaux en musique, on ne les copie pas, même lorsqu’on cherche à leur être le plus fidèle possible. Pour moi, la tâche préparatoire à l’écriture de l’œuvre fut donc de transcrire les chants des oiseaux représentés en notes de musique. Je pense qu’un auditeur ornithologue peut reconnaître assez aisément les espèces choisies dans ma pièce. Mais je tiens à préciser que mes transcriptions et adaptations instrumentales ne sonnent pas du tout comme celles d’Olivier Messiaen. Déjà, le mode que j’utilise, la «gamme naturelle», n’est pas un des modes qu’utilisait Messiaen. La manière rythmique de traiter les chants d’oiseaux n’est pas davantage proche de la sienne. Messiaen a utilisé le chant de la Grive des bois dans Des canyons aux étoiles (1971), mais il en a omis le trille conclusif que j’ai inclus pour ma part. Bref, Joie des Grives ne sonne pas du tout comme du Messiaen, mais comme ma musique! D’ailleurs, plusieurs compositeurs ont écrit des œuvres inspirées par les oiseaux au cours des siècles, et la pratique de la transcription de chants d’oiseaux en notes de musique était déjà bien établie dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en plusieurs pays, soit quelques décennies avant même la naissance de Messiaen. J’ai discuté de ces questions dans mon essai Le chant des oyseaulxhttps://antoine-ouellette.blogspot.com/p/le-chant-des-oyseaulx.html

Chants du Bruant à gorge blanche dans Joie des Grives / (c) 2003 Antoine ouellette Socan

L’être humain est-il absent de cette fresque?! Évidemment non : Joie des Grives est bien l’œuvre d’un homme; un homme sensible au monde qui l’entoure, à une époque où sont grandes les préoccupations environnementales. Par ailleurs, deux références culturelles particulières se retrouvent ici, avec le tambour à cadre et la chanson Mon Merle.  

Partition éditée de Joie des Grives. Extrait de Musique des cascades. Cliquez sur l'image pour l'agrandir /
(c) 2003 Antoine Ouellette Socan

Sources des illustrations: Wikipédia (Domaine public, PD-US)