Joie des Grives (opus 32; 2003 / révision : 2013)
«Contemplation symphonique» pour grand orchestre.
La partition et le matériel d'exécution (édités via Finale) sont disponibles au Centre de musique canadienne:
Contact: atelier@cmccanada.org ou / or quebec@cmccanada.org
La Grive solitaire faisant délice! |
Terminée en 2003 et d’une durée d’environ 32 minutes, Joie
des Grives est sous-titré : «Contemplation symphonique». Au moment
d’écrire ces lignes, je n’ai toujours pas rendu cela explicite, mais Joie des
Grives est ma Symphonie #2.
L’œuvre est écrite pour un orchestre symphonique composé
d’un piccolo, 3 flûtes, 3 hautbois, 3 clarinettes, 3 bassons, saxophone
soprano, 6 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, piano, harpe, des percussions
pour 4 musiciens, et les cordes (violons 1, violons 2, altos, violoncelles,
contrebasses).
La partition porte en exergue cette citation d’Henry David
Thoreau : «Le chant de la Grive rend plus profond le sens de toutes les
choses que ses accents évoquent. Elle chante
pour donner aux hommes des idées plus claires et plus hautes. Elle chante pour qu’ils réforment leurs
institutions, pour qu’on mette en liberté l’esclave des plantations et le
prisonnier du cachot, l’esclave de la maison des plaisirs et celui qui est le
captif de ses pensées basses».
Chants en «spirales descendantes» de la Grive fauve dans Joie des Grives / (c) 2003 Antoine Ouellette Socan |
La création a eu lieu le 12 Juillet 2008, avec l’Orchestre du Festival sous la direction de Jean-Marie Zeitouni, lors du Festival International de Lanaudière. Ce fut en plein air, à l’Amphithéâtre de Joliette (Québec). En après-midi, j’avais donné sur les lieux une petite conférence pour présenter l’œuvre et faire entendre les chants d’oiseaux réels dont je me suis inspiré (voir plus loin). Je pense que, dans l’ensemble, musiciens et public ont apprécié mais, malheureusement, le seul critique présent, mon «ami» Claude Gingras (de peu regrettée mémoire) n’a pas aimé du tout. C’est ainsi.
Joie des Grives était le volet création de ma thèse
doctorale en Études et pratiques de l’art (UQÀM), thèse qui m’a valu une
mention d’excellence à l’unanimité du jury. Consolation.
La Gélinotte huppée. Par Luis Agassiz Fuertes (c. 1911) |
Joie des Grives pourrait
être vu comme l’hommage émerveillé d’un musicien aux oiseaux et au pays qu’il
habite, cette terre d’Amérique du Nord qui est sienne. Hommage aux
oiseaux : Joie des Grives
s’inspire des chants de 11 espèces présentes au Québec, à commencer par des
représentants de la famille des Turdidés : le Merle d’Amérique et des
Grives (à dos olive, fauve, des bois et solitaire). S’y trouvent aussi des
percussionnistes ailés : la Gélinotte huppée et des Pics (chevelu, maculé
et le Grand Pic), de même que deux oiseaux dont chant et cri sont célèbres» au
Québec et ailleurs : la Mésange à tête noire (Tchi-ka-di-di-di!) et le Bruant à gorge blanche («Où es-tu Frédéric, Frédéric?»).
Les «vedettes» se succèdent dans la section 2, Sur un
sentier avec les oiseaux : la Grive à dos olive (arabesques ascendantes,
ici ralenties et démultipliées aux bois qui font alors leur entrée), le Merle
d’Amérique (motifs brefs aux hautbois), la Grive fauve (spirales descendantes
aux flûtes), la Grive des bois (arpège et trille aux clarinettes). Après le
dialogue de ces chants intervient
Chants en «spirales ascendantes» et démultipliés de la Grive à dos olive dans Joie des Grives (c) 2003 Antoine Ouellette Socan |
Hommage à un pays : Joie des Grives est une sorte de paysage en musique. En fait, Joie des Grives est à l’orchestre ce que Paysage (opus 10, pour quatre pianos) est à la «musique de chambre». Outre les oiseaux, deux de ses douze sections évoquent l’eau, celle des ruisseaux et celle des cascades : Musique des ruisseaux et Musique des cascades. Les bruissements de la forêt sont évoqués par les percussions et servent de toile de fond à deux autres sections de l’œuvre, dans lesquelles un instrument soliste se promène en nature : Un piano en randonnée et Une harpe en excursion.
Joie des Grives
s’inspire du temps cyclique de la nature. La première et la dernière section, Prélude et Envol, forment une grande boucle; la musique des sections 2 à 5 est
réinterprétée dans les sections 7 à 10, de manière plus touffue, complexe et
sonore. Ces deux dernières boucles sont séparées par un Intermède, sommet de «désordre naturel» de la partition autant que
d’ordre, avec une ample mélodie.
Le Grand Pic. Par Luis Agassiz Fuertes (c.1911) |
Mais les Pics et des volées d’oiseaux effarouchés (par une
civilisation trop intrusive?) ramènent le temps de la nature pour l’Envol conclusif. En fait, cette œuvre
contient ce que j’ai écrit de plus complexe au niveau rythmique – mais elle est
écrite d’une manière par laquelle ces rythmes complexes sont assez faciles à
rendre pour les musiciens.
Joie des Grives est aussi l’une de mes plus radicales œuvres
diatonique. Elle utilise exclusivement les notes de la gamme dite
«naturelle» : do, ré, mi, fa dièse, sol, la et si bémol. C’est
Série des harmoniques sur la note Do. Cette série donne la «gamme naturelle» dans laquelle Joie des Grives est composée: Do, Ré, Mi, Fa dièse, Sol, La, Si bémol, Do |
Ce diatonisme radical de même que les «mélodies» très ornementées de Joie des Grives doivent peut-être quelque chose à mon amour pour le chant grégorien, musique elle aussi diatonique avec des pièces très ornées (comme les Alléluias, par exemple). Joie des Grives ne sonne pas du tout comme du chant grégorien ou de la musique médiévale, mais il m’arrive de penser que je suis un héritier spirituel d’un musicien anonyme du XIIe siècle…
Ce n’est pas voulu, mais Joie des Grives est proche aussi
des Ragas de l’Inde. Un Raga débute par un instrument, le tampura, qui égrène
les notes du mode de la pièce : cela correspond à la première section Prélude : À la lisière d’un champ et
d’un boisé (milieu écologique où l’on peut entendre chanter plusieurs Grives.
Le Raga se poursuit avec une longue section improvisée en rythme libre (dite
Alap) : ce sont les sections 2 à 8 de Joie des Grives. Puis vient une
section où la musique tend vers le rythme mesuré et où le débit se fait plus
rapide : c’est le cas des sections 9 et 10. Puis, c’est le Gat, une
section vive en rythme métrique : c’est la section 11, Danse aérienne (qui
contient néanmoins un peu de rythme libre!). Finalement, le Raga s’éteint
doucement sur le tampura qui égrène toujours les notes du mode de la
pièce : c’est l’Envol conclusif. Mais Joie des Grives ne sonne pas plus
«indienne» que «grégorienne»!
Chants du Merle d'Amérique dans Joie des Grives / (c) 2003 Antoine Ouellette Socan |
Le Merle d'Amérique |
Chants du Bruant à gorge blanche dans Joie des Grives / (c) 2003 Antoine ouellette Socan |
L’être humain est-il absent de cette fresque?! Évidemment non : Joie des Grives est bien l’œuvre d’un homme; un homme sensible au monde qui l’entoure, à une époque où sont grandes les préoccupations environnementales. Par ailleurs, deux références culturelles particulières se retrouvent ici, avec le tambour à cadre et la chanson Mon Merle.
Partition éditée de Joie des Grives. Extrait de Musique des cascades. Cliquez sur l'image pour l'agrandir / (c) 2003 Antoine Ouellette Socan |