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lundi 22 août 2022

AUTISME. DES PERSONNES «PI»

Autisme. Des personnes «PI».

1. Perspective inversée
2.Tester les quatre éléments
3. Les personnes «Pi»
4. L'autisme comme cas particulier chez les personnes Pi
 
Le présent article complète un article déjà paru:
Il reprend une portion d'un autre article que j'ai retiré : c'est que je mets peu à peu de l'ordre dans ce que j'ai écrit sur l'autisme!

Perspective inversée

Perspective curviligne. Jean Fouquet, XVe siècle.

Éliminons les causes accidentelles qui concernent environ 15-20% des diagnostics (autismes syndromiques): pathologies, mutations génétiques nouvelles et intoxications. Il nous reste environ 80-85% des personnes ayant un diagnostic d'autisme. Quels sont les points communs que ces personnes se partagent?
Mon idée en valant finalement bien d'autres, je propose à nouveau l'hypothèse voulant que, pour une part, leur premier point commun est en fait une forme d'intelligence, une forme d'esprit procédant à l'inverse de l'intelligence «normale», c'est-à-dire un esprit qui se déploie à partir des détails en allant vers les ensembles, en partant d'un point pour aller vers le volume, en partant du particulier pour aller vers le général - l'intelligence «normale» va du général vers le particulier: elle saisit d'abord l'ensemble (d'un paysage, d'un tableau, d'une situation...) pour aller ensuite vers les détails. Il s'agit d'une pensée par points, une pensée pointilliste ou encore, pour être techno, une pensée en pixels. Cette inversion est exactement de même nature que le fait d'être gaucher plutôt que droitier; elle est plus rare, tout comme les gauchers sont plus rares que les droitiers. 

Voyons quelques implications de cette hypothèse.
Les enfants en perspective inversée cherchent à mettre de l'ordre dans cette information massive qu'ils reçoivent, cette masse de détails de toutes sortes. C'est pourquoi ils adorent classer des objets, faire des collections, jouer avec les codes (couleurs, formes, lettres, chiffres, notes de musique, etc.) - activités qui peuvent paraître plus ou moins étranges aux yeux de leur entourage. 

Une pensée pointilliste: les détails, les points, en premier.
Lorsqu'elle est fortement prononcée, cette «perspective inversée» peut entraîner diverses difficultés. Comme elle est très minoritaire, cette «perspective inversée» va à l'encontre des normes - à l'encontre des normes éducatives et sociales, et il est difficile de trouver un «mode d'emploi». Cette situation hors normes est toujours inconfortable. Le niveau d'inconfort dépend de plusieurs facteurs. Il dépend de la sensibilité de la personne elle-même. Mais il dépend aussi des conditions de vie dans lesquelles cette personne doit évoluer. Un milieu familial dysfonctionnel augmentera le niveau d'inconfort. L'acceptation qu'autrui fait de cette personne aura un grand impact aussi: si l'acceptation est bonne, la personne parviendra à bien évoluer mais, si on lui fait subir du rejet, de la violence, de la discrimination, le niveau d'inconfort de la personne augmentera d'autant. Lorsqu'il est trop élevé, la personne peut carrément décompenser et ses comportements devenir inappropriés et problématiques, pathologiques même.
Mais en soi, cette «perspective inversée» est plus difficile à gérer: avant d'être bien intégrée et utilisée, il faut du temps et de l'expérience - plus de temps et d'expérience que pour la perspective «normale» majoritaire. Percevoir d'abord les détails, c'est s'exposer immédiatement à une masse d'information telle qu'elle est extrêmement ardue à être traitée rapidement avec sérénité. À commencer par une masse d'informations sensorielle. C'est devoir assembler des milliers, des millions d'images pour les fondre en une seule.
 
Les enfants peinent à bien traiter cette masse d'information. Pour se protéger et procéder par étapes, tous ces enfants vont rechercher une certaine solitude et des atmosphères tamisées, avec moins de bruits, moins de lumière, moins de stimuli. 
Oeil composé de mouche. Par Robert Hooke, 1664
Toutefois, certains enfants n'y arriveront pas: alors, ils donneront l'impression de se refermer sur eux-mêmes et de ne plus communiquer. Cela durera un temps: quelques années ou plusieurs années. Pendant ce temps, ces enfants demeurent néanmoins parfaitement conscients de leur environnement et, malgré le fait qu'ils semblent complètement refermés sur eux-mêmes, ils observent et apprennent, y compris en faisant des activités solitaires jugées bizarres par leur entourage. Ces enfants recevront rapidement un diagnostic d'autisme - ce diagnostic qui ne considère pas du tout leur «perspective inversée» qui cause leurs comportements!

 
D'autres enfants en «perspective inversée» parviendront plus facilement à assimiler la masse d'informations. Ces derniers recevront un peu plus tardivement un diagnostic d'autisme, presque toujours de type Asperger. Finalement, d'autres enfants en «perspective inversée» réussiront à intégrer assez rapidement la masse d'information qu'ils reçoivent, tout en montrant des traits que leur entourage pourra juger «originaux» ou «atypiques». Bon nombre de ces enfants passeront sous le radar et n'obtiendront un diagnostic d'autisme qu'à l'âge adulte... ou bien ils feront toute leur vie sans jamais être diagnostiqués. Cela signifie qu'il y a plus de personnes «en perspective inversée» qu'il y a de personnes diagnostiquées autistes.
Autrement dit, pour être relativement rare, la perspective inversée n'est pas pathologique en elle-même. Chez les enfants, le diagnostic d'autisme ne sera donné que lorsque l'apprivoisement de la masse d'informations et la maîtrise de cette perspective inversée seront longs et difficiles. Pour les enfants qui y parviennent plus facilement et rapidement, le diagnostic viendra plus tard, peut-être même à l'âge adulte, ou ne viendra tout simplement jamais. Car pourquoi un diagnostic si la personne n'éprouve pas plus de difficultés dans la vie que la moyenne des gens? 
En soi, l'autisme, tel que défini par un ensemble de traits comportementaux, n'est pas une «autre intelligence». Mais pour environ 80-85% des personnes dites autistes, l'autisme est un signe, un signal qui, parmi d'autres, indiquerait une forme minoritaire et relativement rare d'intelligence - une intelligence en perspective inversée. Les particularités de cette forme d'esprit expliquent pour ainsi dire tous les comportements «autistiques» de ces personnes. 
 
 Les jeux de classement «autistiques» peuvent mener à de grandes découvertes, comme le tableau périodique des éléments.

 
Tester les quatre éléments
Donc, selon l'hypothèse, environ 80-85% des personnes ayant un diagnostic d'autisme montreraient un noyau commun dans lequel l'autisme, tel que défini par le DSM, n'est qu'un élément. Ces personnes partageraient...:
1. Des comportements autistiques.
2. Une perspective inversée: depuis les détails vers l'ensemble.  
3. Des zones surdéveloppées précises dans le cerveau.
4. Un ensemble de gènes anciens, qui ne sont donc pas des mutations nouvelles. Le diagnostic doit exclure ces mutations nouvelles qui sont autre chose.
Ces quatre éléments sont mutuellement cohérents: ils forment un ensemble homogène. Pour identifier ces personnes, de nouveaux tests devraient être crées qui ciblent spécifiquement les quatre éléments de leur condition. 


Les personnes Pi
Le nombre Pi en forme de gâteau.

Mais du coup, les mots «autisme» et «autistes» ne pourrait plus désigner ces personnes! Parce que l'autisme n'est que le premier des quatre éléments de leur condition: l'autisme ne résume pas du tout leur condition. Et pour dire franchement, il serait inadéquat. 
Il faut donc trouver un autre mot pour désigner ces personnes. 
Je suggère donc «personnes Pi». Pi pour Perspective Inversée. 
Mais Pi aussi en référence au nombre Pi. Pi est un nombre connu depuis Archimède, un savant grec de l'Antiquité qui l'a explicité sur une base mathématique. Pi est en fait la 16e lettre de l'alphabet grec, qui s'écrit π ; c'est la première lettre du mot périmètre. Ce nombre est une constante: c'est le rapport constant de l'aire d'un cercle à son diamètre. Ce nombre est l'une des constantes les plus utilisées en sciences: physique, ingénierie, mathématiques... Mais il s'agit d'un nombre très particulier: «Le nombre π est irrationnel, c’est-à-dire qu’on ne peut pas l’exprimer comme un rapport de deux nombres entiers ; ceci entraîne que son écriture décimale n’est ni finie, ni périodique» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pi). Sa valeur est de 3 suivi d'un nombre infini de décimales qui ne répètent jamais une séquence prévisible. Donc, Pi est à peu près 3.141 592 653 589 793 etc. à l'infini! Souvent, on l'appelle 3.1416 pour faire simple - mais en lui ôtant sa poésie irrationnelle.
Ce nombre fascine depuis toujours, et on le retrouve jusque dans la culture populaire. Il parait qu'un lac du Québec a été baptisé Lac 3.1416 en son honneur! Le 14 mars est le Jour de Pi, et la fête des passionnés des maths! 
Daniel Tammet est un expert de Pi... et il est autiste. Il décrit bien la poésie de ce nombre dont il a récité par coeur les 22 514 premières décimales en 5 heures 9 minutes et 24 secondes, le 14 mars 2004, en établissant alors un nouveau record européen pour ce genre d'exploit.
https://www.facebook.com/cavousf5/videos/pi-expliqu%C3%A9-par-daniel-tammet/1588890371156861/
Ce n'est pas que les personnes Pi soient toutes férues de mathématiques - ce n'est pas du tout le cas. C'est plutôt que leur forme d'esprit est particulier comme ce nombre est particulier, et qu'elles suscitent une fascination (ou une répulsion) semblable à celle exercée par le nombre Pi. Ce ne sont pas du tout des personnes irrationnelles, mais ce sont des personnes qui, de par leur tournure d'esprit, envisagent les choses selon une logique qui n'est pas celle de la majorité des gens. 

L'autisme comme cas particulier de l'esprit Pi

Je reviens sur le lien entre l'autisme et la personne Pi. Au fond, les personnes ayant un diagnostic d'autisme ne représentent qu'un cas particulier de l'«esprit Pi». Parce que le diagnostic d'autisme survient lorsque les caractéristiques de l'esprit Pi sont envahissantes, encore mal maîtrisées et perturbent le quotidien de la personne. J'oserais dire que le diagnostic d'autisme est aux personnes Pi ce que des diagnostics comme Personnalité limite ou Bipolarité sont aux personnes neurotypiques: une exacerbation, une exagération des traits de base.
Chose certaine, il y aurait tout intérêt à élargir la vision que nous avons des personnes «autistes». Car les appeler simplement «autistes» ne fait que les réduire à un symptôme, qu'à un des symptômes qu'elles montrent. Réduire les gens de cette manière n'aide personne. 
«Personne Pi» est plus large et pourrait être plus exact.
Cela dit, même cela ne résumerait pas une personne! Cela ne dit rien de ses goûts, de ses valeurs, de son cœur, de ses expériences de vie, de ses talents, de ses difficultés en certaines circonstances, etc. Je ne suis pas qu'«autiste», je ne suis pas que «π»: je suis musicien, compositeur, fan du chant grégorien, auteur, biologiste, intervenant psychosocial, québécois, catholique, etc.; j'aime les chats et les oiseaux, les plantes aussi, etc. Je suis Antoine! Chaque personne ayant un diagnostic d'autisme devrait pouvoir dire qu'avant d'être autiste, je suis moi.
Bref, le mieux est un regard humain et personnel.  

Sources des illustrations: 
Wikipédia (Domaine public, PD-US)