Identité et diversité (première partie)
Cet article est le onzième d’une série dans laquelle je vous initie à l’art de Joseph Haydn. Cet article est la conclusion de cette série: à la mi-juin, j'en publierai la deuxième partie qui clôturera mon cycle Haydn.
Pourquoi Haydn? Tout
simplement et subjectivement parce qu’il est mon compositeur préféré tous
styles et époques confondus! Mais attention : il y a mon goût, il y a
aussi la matière et celle que nous offre Haydn est d’une richesse rare.
Le premier article situait le génie du compositeur :
Le second article situait les «massifs» des genres musicaux qu’il a
pratiqué sa carrière durant :
Le troisième article portait sur sa première période créatrice, que
j'ai nommée Période bleue (des débuts jusqu’en 1766):
Le quatrième article portait sur sa seconde période créatrice, que
j’ai nommée Période mauve (1766-1773) :
Les cinquième et sixième portaient sur sa troisième période
créatrice, que j’ai nommée Période rose (1773-1784) :
Les septième et huitième articles présentaient
la Période rouge
(1784-1795)
Les neuvième et dixième articles discutaient de sa Période verte (1796 à son décès)
Identité et diversité
Première partie: Non, le style classique n'est pas conventionnel!
En
partant, si l’on n’aime pas le style classique de la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, on risque de ne pas aimer la musique de Haydn, car Haydn en a été non
seulement un des grands représentants, il en a été un des principaux
concepteurs et inventeurs. Pour qui n’aime pas ce style, les œuvres de Haydn
pourront toutes se ressembler, voire «sonner pareil», «revenir à la même
chose». Mais ce serait là une distorsion sans autre fondement que le goût
personnel.
Les
bases du style classique
En
partant aussi, le style classique présente quelques traits communs à tous les
compositeurs de l’époque. En voici quelques-uns.
Une jolie intro à Haydn pour les enfants! |
2) Le style classique utilise le
langage harmonique tonal dans ses relations fondamentales. Les fonctions de
tonique et de dominante y ont un rôle moteur essentiel. Ce qui ne signifie pas
que ce style se limite à ces deux seules fonctions harmoniques! Dans ce style,
chaque note d’une pièce joue un rôle essentiel : chaque note est à sa
place, et il n’y a pas de notes de trop. C’est une musique transparente, une
musique de cristal. Cette qualité est souvent soulignée pour Mozart mais, dans
les faits, elle est partagée par toute la musique de l’époque et, du coup, elle
caractérise tout autant la musique de Haydn.
3) Le style classique est une
musique légère : il ignore toute surcharge sonore et toute surcharge
émotionnelle. Les orchestres de l’époque comptaient environ 30 à 40 musiciens,
quelques fois moins et rarement davantage. Ce style ne vise pas du tout à
«écraser» l’auditeur, à le saisir de forcer, à le «violer» en quelque sorte.
Cette musique peut émouvoir profondément, mais toujours avec une légèreté de
touche et avec pudeur. Ce style doit d’ailleurs beaucoup à la danse, et bon
nombre de ses œuvres incluent un mouvement de danse, le Menuet.
4) Dans le
style baroque qui l’a précédé, un air ou un mouvement dans une œuvre
instrumentale explore un seul climat émotionnel. Tel air cherche à exprimer la
joie, tel autre air la tristesse, etc. Mais le style classique rompt avec cette
unité. La forme sonate, qu’il a inventée et qui représente mieux que toute
autre forme son esprit, il y a plus souvent qu’autrement deux «climats
émotionnels» contrastés. Ces climats sont incarnés par deux thèmes de
caractères différents – la théorie nommera après coup ces thèmes contrastants
d’une manière «sexiste» : un thème «masculin» et un thème «féminin». Je
signale que Haydn n’a jamais utilisé de telles expressions!
Bref,
si l’on recherche de la musique sombre, avec des basses puissantes, qui nous
prend à la gorge, qui en met plein les oreilles et qui joue à fond la carte de
la «profondeur», le style classique n’est pas pour nous! Par contre, si l’on
accepte ses traits, si l’on comprend son esthétique, ce style révèle alors sa
richesse inouïe.
Fantaisie
formelle :
symphonies et quatuors
Un
des reproches les plus souvent formulés à l’égard du style classique (je parle
toujours du style classique historique, celui de la deuxième moitié du XVIIIe
siècle) est qu’il serait terriblement conventionnel, qu’il consisterait en un
ensemble rigide de règles à observer; que Beethoven serait enfin venu libérer
la musique de tout cela au début du XIXe siècle. D’une part, tout style, peu
importe l’époque et la culture, possède ses «règles» : notre musique Pop
est régie par plein de règles très rigides! Il s’agit là du pôle de l’identité.
Mais d’autre part, le style classique est extraordinairement souple et même
fantaisiste! Cela vaut tout particulièrement pour la musique de Haydn. C’est le
pôle de la diversité.
On
prétend souvent que le style classique a figé les formes musicales. Or, les
faits démontrent exactement le contraire. Cela vaut tout particulièrement pour
Haydn à nouveau. Il est difficile de donner ici un tableau détaillé de cette
diversité. Mais je tente le coup en commençant par les deux genres les plus
associés à Haydn : la symphonie et le quatuor à cordes.
J’ai
fait un tableau des formes des symphonies de Haydn (voir ci-bas: vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir). La symphonie
classique dérive vraisemblablement de l’Ouverture à l’Italienne, soit trois
mouvements – deux mouvements rapides encadrant un mouvement lent. Cette forme
se retrouve dans 15 symphonies de Haydn (en incluant sa Symphonie concertante);
donc seulement 15 sur 107 symphonies. Une symphonie étant exceptionnellement en
six mouvements (Symphonie #60, «Le distrait»), c’est dire que 91 symphonies
sont en quatre mouvements – le mouvement ajouté étant un mouvement de danse, le
Menuet.
Dans
ses symphonies, une ligne de force émerge : celle d’une coupe en quatre
mouvements, avec deux mouvements rapides aux extrémités, un mouvement lent et
le Menuet au centre. Cette coupe concerne 41 symphonies. Pour 22 autres
symphonies, cette coupe est maintenue avec le premier mouvement qui y commence
par une introduction lente. Il reste tout de même 44 symphonies qui n’obéissent
pas à cette coupe! Dans 5 symphonies, le Menuet se situe en deuxième
place : il est donc faux de répéter que c’est Beethoven qui a eu cette
«audace» en premier, en mettant en deuxième position le scherzo de sa Symphonie
#9 (le Scherzo remplaça le Menuet… encore que Haydn avait déjà remplacé le
Menuet par un Scherzo dans bon nombre de pièces et que Beethoven composa des
Menuets!). Plus audacieux encore : Haydn a ouvert 6 symphonies par un
mouvement lent! Une symphonie s’ouvre avec un mouvement lent ayant une section
rapide en son milieu! Haydn a terminé une symphonie par un mouvement lent! Inversement,
5 symphonies ne contiennent pas de véritable mouvement lent. Deux symphonies se
terminent par un «Thème et Variations» : encore une fois, ce n’est pas
Beethoven qui a inventé cela dans sa Symphonie #3!
Bref,
si un modèle se fait plus fréquent que d’autres, Haydn est loin de s’être contenté
de toujours le reproduire. Nous trouvons en fait pas moins de 17 différentes
coupes formelles dans ses symphonies.
(C) 2020 Antoine Ouellette. Vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir. |
Mais
la diversité se fait encore plus grande dans l’univers des Quatuors à cordes
(voir le tableau ci-bas: vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir). Là, pour moins d’œuvres, nous trouvons 25 différentes
coupes formelles! Les 57 Quatuors de maturité comptent 4 mouvements, à
l’exception notable de la version pour quatuor des Sept dernières Paroles. Les
10 Quatuors de «jeunesse», eux, en comptent 5 – deux de ces Quatuors débutent
par un mouvement lent. Dans les Quatuors de maturité, c’est à peine si une
coupe formelle s’impose par rapport aux autres tant règne la diversité.
Contrairement aux Symphonies, nous trouvons des Scherzos au lieu de Menuets
dans 7 quatuors. Dans 24 quatuors, le Menuet (ou le Scherzo) vient en deuxième
place et non en troisième – encore une fois, ce n’est vraiment pas Beethoven
qui a osé en premier cette inversion! Dans le tableau qui suit, j’ai pris soin
de distinguer les mouvements intitulés Moderato des mouvements rapides. Chez
Haydn, le caractère des Moderato est effectivement distinct : ce sont
souvent des pièces «nonchalantes», comme une sorte de promenade, et sans
l’énergie propre aux véritables mouvements rapides.
(c) 2020 Antoine Ouellette. Vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir. |
Mais
dans d’autres genres, Haydn est allé encore plus loin dans la liberté formelle.
C’est ce que nous verrons dans le prochain article de ma série sur Haydn qui
sera publié dans quelques jours.
Sources des illustrations: Collection personnelle, Wikipédia (Domaine public, PD-US) et sites commerciaux.