Autisme. Des personnes «PI».
Perspective inversée
Perspective curviligne. Jean Fouquet, XVe siècle. |
Éliminons les causes accidentelles qui concernent environ 15-20% des
diagnostics (autismes syndromiques): pathologies, mutations génétiques
nouvelles et intoxications. Il nous reste environ 80-85% des personnes
ayant un diagnostic d'autisme. Quels sont les points communs que ces
personnes se partagent?
Mon
idée en valant finalement bien d'autres, je propose à nouveau l'hypothèse voulant que, pour une part, leur premier point commun est en
fait une forme d'intelligence, une forme d'esprit procédant à l'inverse
de l'intelligence «normale», c'est-à-dire un esprit qui se déploie à
partir des détails en allant vers les ensembles, en partant d'un point
pour aller vers le volume, en partant du particulier pour aller vers le
général - l'intelligence «normale» va du général vers le particulier:
elle saisit d'abord l'ensemble (d'un paysage, d'un tableau, d'une
situation...) pour aller ensuite vers les détails. Il s'agit d'une
pensée par points, une pensée pointilliste ou encore, pour être techno,
une pensée en pixels. Cette inversion est exactement de même nature que
le fait d'être gaucher plutôt que droitier; elle est plus rare, tout
comme les gauchers sont plus rares que les droitiers.
Voyons quelques implications de cette hypothèse.
Les
enfants en perspective inversée cherchent à mettre de l'ordre dans
cette information massive qu'ils reçoivent, cette masse de détails de
toutes sortes. C'est pourquoi ils adorent classer des objets, faire des
collections, jouer avec les codes (couleurs, formes, lettres, chiffres,
notes de musique, etc.) - activités qui peuvent paraître plus ou moins
étranges aux yeux de leur entourage.
Une pensée pointilliste: les détails, les points, en premier. |
Oeil composé de mouche. Par Robert Hooke, 1664 |
Autrement dit, pour être relativement rare, la perspective inversée n'est pas pathologique en elle-même. Chez les enfants, le diagnostic d'autisme ne sera donné que lorsque l'apprivoisement de la masse d'informations et la maîtrise de cette perspective inversée seront longs et difficiles. Pour les enfants qui y parviennent plus facilement et rapidement, le diagnostic viendra plus tard, peut-être même à l'âge adulte, ou ne viendra tout simplement jamais. Car pourquoi un diagnostic si la personne n'éprouve pas plus de difficultés dans la vie que la moyenne des gens?
En soi, l'autisme, tel que défini par un ensemble de traits comportementaux, n'est pas une «autre intelligence». Mais pour environ 80-85% des personnes dites autistes, l'autisme est un signe, un signal qui, parmi d'autres, indiquerait une forme minoritaire et relativement rare d'intelligence - une intelligence en perspective inversée. Les particularités de cette forme d'esprit expliquent pour ainsi dire tous les comportements «autistiques» de ces personnes.
Les jeux de classement «autistiques» peuvent mener à de grandes découvertes, comme le tableau périodique des éléments. |
1. Des comportements autistiques.
2. Une perspective inversée: depuis les détails vers l'ensemble.
3. Des zones surdéveloppées précises dans le cerveau.
4. Un ensemble de gènes anciens, qui ne sont donc pas des mutations nouvelles. Le diagnostic doit exclure ces mutations nouvelles qui sont autre chose.
Ces quatre éléments sont mutuellement cohérents: ils forment un ensemble homogène. Pour identifier ces personnes, de nouveaux tests devraient être crées qui ciblent spécifiquement les quatre éléments de leur condition.
Les personnes Pi
Le nombre Pi en forme de gâteau. |
Mais du coup, les mots «autisme» et «autistes» ne pourrait plus désigner ces personnes! Parce que l'autisme n'est que le premier des quatre éléments de leur condition: l'autisme ne résume pas du tout leur condition. Et pour dire franchement, il serait inadéquat.
Il faut donc trouver un autre mot pour désigner ces personnes.
Je suggère donc «personnes Pi». Pi pour Perspective Inversée.
Mais Pi aussi en référence au nombre Pi. Pi est un nombre connu depuis Archimède, un savant grec de l'Antiquité qui l'a explicité sur une base mathématique. Pi est en fait la 16e lettre de l'alphabet grec, qui s'écrit π ; c'est la première lettre du mot périmètre. Ce nombre est une constante: c'est le rapport constant de l'aire d'un cercle à son diamètre. Ce nombre est l'une des constantes les plus utilisées en sciences: physique, ingénierie, mathématiques... Mais il s'agit d'un nombre très particulier: «Le nombre π est irrationnel, c’est-à-dire qu’on ne peut pas l’exprimer comme un rapport de deux nombres entiers ; ceci entraîne que son écriture décimale n’est ni finie, ni périodique» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pi). Sa valeur est de 3 suivi d'un nombre infini de décimales qui ne répètent jamais une séquence prévisible. Donc, Pi est à peu près 3.141 592 653 589 793 etc. à l'infini! Souvent, on l'appelle 3.1416 pour faire simple - mais en lui ôtant sa poésie irrationnelle.
Ce nombre fascine depuis toujours, et on le retrouve jusque dans la culture populaire. Il parait qu'un lac du Québec a été baptisé Lac 3.1416 en son honneur! Le 14 mars est le Jour de Pi, et la fête des passionnés des maths!
Daniel Tammet est un expert de Pi... et il est autiste. Il décrit bien la poésie de ce nombre dont il a récité par coeur les 22 514 premières décimales en 5 heures 9 minutes et 24 secondes, le 14 mars 2004, en établissant alors un nouveau record européen pour ce genre d'exploit.
https://www.facebook.com/cavousf5/videos/pi-expliqu%C3%A9-par-daniel-tammet/1588890371156861/
Ce n'est pas que les personnes Pi soient toutes férues de mathématiques - ce n'est pas du tout le cas. C'est plutôt que leur forme d'esprit est particulier comme ce nombre est particulier, et qu'elles suscitent une fascination (ou une répulsion) semblable à celle exercée par le nombre Pi. Ce ne sont pas du tout des personnes irrationnelles, mais ce sont des personnes qui, de par leur tournure d'esprit, envisagent les choses selon une logique qui n'est pas celle de la majorité des gens.
L'autisme comme cas particulier de l'esprit Pi
Chose certaine, il y aurait tout intérêt à élargir la vision que nous avons des personnes «autistes». Car les appeler simplement «autistes» ne fait que les réduire à un symptôme, qu'à un des symptômes qu'elles montrent. Réduire les gens de cette manière n'aide personne.
«Personne Pi» est plus large et pourrait être plus exact.
Cela dit, même cela ne résumerait pas une personne! Cela ne dit rien de ses goûts, de ses valeurs, de son cœur, de ses expériences de vie, de ses talents, de ses difficultés en certaines circonstances, etc. Je ne suis pas qu'«autiste», je ne suis pas que «π»: je suis musicien, compositeur, fan du chant grégorien, auteur, biologiste, intervenant psychosocial, québécois, catholique, etc.; j'aime les chats et les oiseaux, les plantes aussi, etc. Je suis Antoine! Chaque personne ayant un diagnostic d'autisme devrait pouvoir dire qu'avant d'être autiste, je suis moi.
Bref, le mieux est un regard humain et personnel.
Sources des illustrations:
Wikipédia (Domaine public, PD-US)