Sorcières et Abracadabra.
De quelques mythes qui ont la vie dure.
De quelques mythes qui ont la vie dure.
1. Les Papes à la défense des sorcières
2. Un marteau malfaisant
3. L'Inquisition fut un grand progrès
Au lendemain de l'Halloween et en ce mois de novembre qui est, dit-on, le «mois des morts», voici un article de circonstance sur les sorcières. Le sujet est fascinant en lui-même mais aussi par l'ampleur des préjugés qu'il suscite. Voyez.
Il
y a quelques mois, j’avais publié un article sur ma Missa feminina, article
dans lequel j’évoquais le rôle incontournable des femmes dans l’Église :
https://antoine-ouellette.blogspot.com/2021/04/une-messe-feminine-missa-feminina-pour.html
https://antoine-ouellette.blogspot.com/2021/04/une-messe-feminine-missa-feminina-pour.html
Pohjola contre Vaïnamoïnen. Toile d'Akseli Gallen-Kallela, 1896 |
La bible syriaque des premiers temps de l'Église utilisait d'ailleurs le féminin pour parler de l'Esprit Saint.
Cela dit et entre nous, parler de Dieu comme étant le Père est une
image que Jésus employait en des termes de tendresse, Abba, c’est-à-dire
Papa. Le Pape Jean-Paul II disait que Dieu est tout autant une mère. Dieu n’a
évidemment ni sexe ni genre : c’est le Grand Esprit… ou devrions-nous
dire, la Grande Esprit?! C’était probablement une faute de frappe, mais sur la
page couverture l’édition du Prions en Église du 12 juin dernier, il était écrit :
«Fête de la Sainte Trinitée» - trinitée avec un e à la fin!
Les Papes à la défense des sorcières
«Mais
l’Église déteste les femmes, Antoine!». Mais non! Qui est «l’Église»?
L’ensemble des personnes qui y sont; or, il y a au moins autant de femmes que
d’hommes dans l’Église; l’Église est autant féminine que masculine.
«Antoine, tu as la tête dure! Vois ce que l’Église a fait subir aux sorcières!».
«Antoine, tu as la tête dure! Vois ce que l’Église a fait subir aux sorcières!».
Eh
bien justement, voyons donc.
Le jeune Himmler. L'idée voulant que l'Église catholique ait fait tuer des «millions» de sorcières provient de la propagande nazie. Cela devrait nous amener à douter. |
https://fr.wikipedia.org/wiki/Heinrich_Himmler
Himmler
détestait l’Église de toutes ses tripes, cette «larbine des Juifs», et voulait
l’anéantir. En 1935, après avoir accusé publiquement l’Église de crimes contre
des «millions» de «femmes païennes de race aryenne», il mobilise une cellule H
au sein de ses services secrets - H comme dans Hexe, sorcière en allemand. La mission de H : recenser tous les
procès en sorcellerie et le nombre de victimes en Allemagne et en Europe afin
d’accabler l’Église. Les archives furent fouillées pendant des années. Les
résultats se sont avérés frustrants pour Himmler : la très grande majorité
des 25 000 procès recensés s’étaient tenus dans des contrées protestantes,
dont bon nombre en Allemagne même. Comme il aurait été contre-productif de
publier de tels résultats, le comité H fut dissout. Son rapport est cependant
conservé aux archives fédérales de Francfort (Michael Hesemann : Les points noirs de l’histoire de l’Église.
Pour en finir avec vingt siècles de polémiques. Paris : Artège, 2017;
page 283).
Himmler avait tout pour être dégoûté. L’étude des procès en sorcellerie qui se sont déroulés aux XVIe et XVIIe siècles démontre que l’Inquisition est régulièrement intervenue… pour sauver des «sorcières» de la peine de mort – vous avez bien lu! Plus souvent qu’autrement, ce furent les pouvoirs civils qui menaient de tels procès. Par exemple, en 1652, le nonce apostolique à Lucerne en Suisse a fait appel à l’Inquisition et au Pape Innocent X pour sauver d’urgence quinze adolescents et adolescentes condamnés à mort pour sorcellerie présumée. Ce sauvetage réussit, mais l’Église ne parvint pas toujours à empêcher les tribunaux civils de sévir.
Le Pape Grégoire XV, par Guercino. C'est ce Pape qui a mis le poing sur la table pour faire cesser les persécutions contre lesdites sorcières. |
En 1623, le Pape Grégoire XV publie la bulle Omnipotentis Dei dans laquelle il exige que ces procès pour sorcellerie soient correctement menés et ne soient instruits que si et seulement si l’accusée avait «causé du dommage à une ou plusieurs personnes par ses sorts, de telle manière que, par eux, leur mort est survenue». Cette exigence fit en sorte qu’aucune sorcière ne fut plus jamais condamnée dans les régions où l’Inquisition romaine œuvrait : «La douceur bientôt proverbiale de l’Inquisition finit par se traduire par des demandes de transfert à Rome de plus en plus fréquentes de la part des accusées, car elles savaient que là-bas, la procédure était plus équitable et une sentence plus clémente les attendaient»! (Hesemann, op. cit. : page 288. Les faits que je rapporte ici proviennent du chapitre La chasse aux sorcières de ce livre, pages 267 à 292).
Goya: Le sabbat des sorcières (1798). |
En
fait, les sorcières et sorciers n’avaient pas vraiment à craindre les
Catholiques. Le danger provenait plutôt des adeptes de croyances païennes. La
raison est simple : un Catholique ne croit pas à la magie et à
l’efficacité des sorts. À ses yeux, tout cela n’est que folklore inoffensif ou outil de connaissance de soi à un second degré. Au
Moyen âge, on connaissait bien des plantes médicinales : elles étaient
cultivées jusque dans les jardins des monastères. On connaissait aussi des
plantes et des substances toxiques : une personne malintentionnée pouvait
donc s’en procurer pour empoisonner quelqu’un. Mais cela n’a rien à voir avec
l’«efficacité» d’incantations ou de philtres à base de bave de crapaud et de
sang de dragon!
Dès l’an 561, lors du premier concile de Braga, l’Église rejette catégoriquement l’idée voulant que les démons puissent causer des catastrophes naturelles.
Au
début du IXe siècle, Charlemagne signait une loi pour éviter que des esprits
échauffés ne s’en prennent à sorciers et sorcières.
Le Pape Grégoire VII avait défini la position de l’Église sur ce sujet dès 1080 en exhortant de ne pas
pécher contre les femmes soupçonnées de sorcellerie. Il a fermement condamné la
«coutume barbare» consistant à s’en prendre à elles.
Ce sont donc des animistes
qui attribuent telle maladie ou telle épidémie à une sorcière et qui traînent
celle-ci devant la justice, ou qui la tuent sans plus de cérémonie.
Encore au début du XXIe siècle, les albinos étaient victimes de pratiques animistes en Afrique... |
Si les sorcières avaient tant indisposé l'Église, comment se fait-il qu'Hildegarde de Bingen ait été reconnue sainte en son pays, l'Allemagne, dès après son décès? À trois ans, elle avait déjà des visions mystiques. Elle sera aussi versée dans la médecine naturelle, notamment en matière de plantes médicinales, et elle écrira un traité sur le sujet. Poétesse et musicienne de surcroit, elle aurait tout eu pour être condamnée à titre de sorcière. Ce ne fut pas le cas.
D'ailleurs, aux yeux de certaines dénominations protestantes, l'Église catholique est plutôt suspecte de sympathie envers le paganisme. Parmi ses éléments suspects se comptent, par exemple, l'utilisation de l'encens lors de la messe, les cierges que les fidèles peuvent allumer dans une église, les formes de piété dite populaire, le culte des saints et des saintes (de même que les miracles qui leur sont attribués après leur décès), la vénération de la Vierge Marie, etc.
Henri Fuseli: Les trois sorcières (1783) |
Un marteau malfaisant
Ce livre célèbre à la source de la chasse aux sorcières de la Renaissance n'est pas du tout un traité de sorcellerie: c'est un livre malveillant destiné à diaboliser les sorcières... et les femmes. |
Contrairement à ce que des gens
prétendent, il ne s’agit pas d’un traité de sorcellerie; il ne s’agit pas non
plus d’une étude ethnographique sérieuse sur le sujet : il s’agit d’un
livre totalement malveillant dont le but premier est de diaboliser les
sorcières (et les femmes), d’inciter à la haine et au meurtre contre elles.
Mais ce Kramer savait user de ruse, d’intimidation et de harcèlement. Exaspéré et inexpérimenté car tout juste nommé, le Pape Innocent VIII lui céda en rédigeant une courte bulle contre la sorcellerie, en rupture avec la position traditionnelle de l’Église. Kramer reproduisit cette bulle au début de son livre. Le Pape s’en est rapidement mordu les doigts et s’est rétracté : à peine sorti des presses, le livre est mis à l’index et interdit parce que contraire à l’enseignement catholique et au principe de tolérance.
Mais ce Kramer savait user de ruse, d’intimidation et de harcèlement. Exaspéré et inexpérimenté car tout juste nommé, le Pape Innocent VIII lui céda en rédigeant une courte bulle contre la sorcellerie, en rupture avec la position traditionnelle de l’Église. Kramer reproduisit cette bulle au début de son livre. Le Pape s’en est rapidement mordu les doigts et s’est rétracté : à peine sorti des presses, le livre est mis à l’index et interdit parce que contraire à l’enseignement catholique et au principe de tolérance.
Kramer
ne dupa cependant pas tout le monde. Georg Golser, évêque de Brixen au Tyrol,
intervint personnellement pour faire relâcher des femmes accusées par Kramer,
et il exigea de ce dernier qu’il quitte le pays sur-le-champ.
L'efficacité des sorts dépend des propriétés des plantes utilisées. Des incantations ne tuent pas, mais une décoction de Digitale, oui! Dessin de la Digitale par Walther Otto Müller (1887) |
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sorci%C3%A8res_de_Salem
Je
rappelle qu’écœuré par ces horreurs, c’est le Pape Grégoire XV qui frappa du
poing sur la table pour les faire cesser.
«Douceur
proverbiale de l’Inquisition». Ooooh! «N’importe quoi, Antoine!».
Eh bien non.
Il faut voir autrement, c’est-à-dire voir les faits.
Le plus célèbre des tribunaux ecclésiastiques est certainement celui de l’Inquisition. Le nom fait déjà trembler à lui seul! Mais est-ce justifié? Ce tribunal a été créé en France au début du XIIIe siècle. En 1908, le Pape Pie X l’a remplacé par la Congrégation du Saint-Office qui est devenue, en 1965, l’actuelle Congrégation pour la doctrine de la foi.
Le plus célèbre des tribunaux ecclésiastiques est certainement celui de l’Inquisition. Le nom fait déjà trembler à lui seul! Mais est-ce justifié? Ce tribunal a été créé en France au début du XIIIe siècle. En 1908, le Pape Pie X l’a remplacé par la Congrégation du Saint-Office qui est devenue, en 1965, l’actuelle Congrégation pour la doctrine de la foi.
L'Inquisition
est très souvent associée à la torture et au bûcher et pourtant, sur ce point,
les inquisiteurs se sont montrés bien plus cléments que les juges laïcs rendant
la justice civile. Ce n'est pas par rapport au système actuel de justice (qui est, comme tout le monde le sait, parfaitement transparent, accessible et infaillible) qu'il faut évaluer l'apport de l'Inquisition: c'est par rapport à la justice civile de l'époque. Et là, l'Inquisition fut très douce.
Gravure de Ainsworth, 1848 |
Au XIIIe siècle, faire de la fausse-monnaie était passible de mort! La loi du talion, reprise dans la charia musulmane, prévoit de couper la main à qui a volé. Dans sa guerre politique contre les Cathares, l’empereur Frédéric II (1194-1250) trouvait que le Tribunal de l’Inquisition faisait preuve de mollesse et de lenteur. Il passa donc outre au tribunal et décida de lui-même d’arrêter tous les hérétiques et de les condamner au bûcher sans procès. Voilà comment fonctionnait la justice civile à l’époque! Un prince est en colère contre un rival amoureux? Il le faut empaler sur la place publique! Préférez-vous vraiment cette justice à l’Inquisition? Mieux : l’Église finit par condamner et excommunier cet empereur zélé!
Les manuels de l’Inquisition sont formels :
la peine de mort était l’option de dernier recours et, dans les faits, elle
était rarement prononcée. Même la torture, courante dans la justice civile,
était moins utilisée par l’Inquisition : un manuel de 1635 précise d'ailleurs que
«l’emploi de la torture sur des témoins aux fins d’établir la vérité s’oppose
au style du Saint-Office» (Cité par Michael Hesemann, op. cit. Page 262). Il y
a eu des inquisiteurs sadiques, mais ils représentaient une minorité dans un
contexte où la justice civile pratiquait la torture à grande échelle. De plus, loin
d’être spécifique à telle culture, la torture est une pratique universelle. En
2014, un rapport d’Amnesty International soutenait ainsi que la torture restait
pratiquée dans pas moins de 141 pays.
Je
signale que saint Augustin (354-430) avait fermement condamné cette pratique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Peine_de_mort_aux_%C3%89tats-Unis
En
2021, 54 pays appliquaient encore la peine de mort, dont très peu de pays de
culture chrétienne.
Jean Mabillon, moine bénédictin et inventeur du concept de réhabilitation des prisonniers. (Par Alexis Loir; PD-US) |
Au bout du compte, les historiens de la justice qui, comme John Tedeschi, ont consultés les sources et épluché les procès sont à peu près unanimes pour conclure que la justice de l’Inquisition était supérieure à la justice civile de la même époque. Elle a même posé les jalons de la diminution des peines par le repentir et ouvert à voie à une justice visant la réhabilitation (Voir Michael Hesemann, op. cit. Page 264). Autrement dit, elle annonçait la justice moderne. C’est d’ailleurs au XVIIe siècle qu'en s'inspirant de la Règle de saint Benoît (rédigée au VIe siècle), le moine bénédictin Jean Mabillon développa le concept de réhabilitation des prisonniers de manière si avant-gardiste qu’encore aujourd’hui il fait grincer des dents à plusieurs personnes qui préféreraient une justice de vengeance.
Lorsque j’ai présenté ma cause pour obtenir une déclaration de nullité de mon mariage religieux, je suis passé devant un tribunal ecclésiastique – c’est bien le nom porté par cette instance. Comme pour tous les tribunaux, ce fut assez long, mais on ne m’a ni soumis à la torture ni jeté dans un cachot insalubre en compagnie de rats! Au bout du processus, le prêtre-juge m’a accordé cette déclaration. Cela m’a libéré d’un énorme poids sur la conscience. Pourtant, je suis une sorte de mage qui vit avec un Chat noir, un Chat de sorcier.
Sources des illustrations:
Collection personnelle, Wikipédia (Domaine public et PD-US)
Collection personnelle, Wikipédia (Domaine public et PD-US)