L’Église est
féminine.
1. Plein de saintes!
2. Moniales depuis des siècles
3. Surtout pas des potiches!
4. Mépris envers soi-même
Plein de Saintes!
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Des femmes furent les premiers témoins de la Résurrection du Christ. Par Giuliano Amidei (c. 1470)
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Récemment, quelqu’un me disait avec grande
assurance qu’il n’y a pas de saintes dans l’Église. Holà! Il y en a déjà plein
du côté des saintes officiellement reconnues et canonisées. Il est facile d’en
trouver plusieurs en chaque siècle qui se sont écoulés depuis Jésus. Que
serait l’Église sans Marie mère de Dieu, sans les femmes premières témoins du
Ressuscité, sans Priscille, Félicité ou Théodora, sans Pétronille de Chemillé, Jeanne d'Arc, Hildegarde von Bingen, Jeanne Mance ou Édith Stein, sans Alphonsa Anna
Muttathupadam, Kateri Tekakwitha, Catherine Labouré, Rose de Lima, Teresa de Calcutta ou Joséphine
Bakhita et d’innombrables autres? Et non, ces femmes n’étaient pas toutes des
religieuses consacrées : certaines étaient mariées.
Voir: Antoine Ouellette: HILDEGARDE VON BINGEN. SAINTE ET MUSICIENNE. (antoine-ouellette.blogspot.com)
«Pas de
saintes» : quelle ignorance! Ou quel aveuglement, quelle mauvaise foi…
Comment souvent, l’Église est critiquée à tort et à travers sur la base de
préjugés. Il faudrait prendre conscience du fait que
l’Église compte aujourd’hui environ 640 000 femmes consacrées, pour
460 000 hommes consacrés : il y a donc 50% de plus de femmes
consacrées!
Que
seraient nos paroisses sans ces femmes qui s’y impliquent et, souvent,
célèbrent l’Eucharistie plus nombreuses que les hommes? Des femmes sont agentes de pastorale, théologiennes, marguillères, administratrices, chantres et organistes liturgiques, lectrices liturgiques, servantes de messe, bénévoles dans divers organismes d'Église, priantes et méditantes, etc., etc., etc.
C'est pourquoi j'ai composé une messe féminine, Missa feminina (opus 60, pour choeur féminin et piano) afin de leur rendre hommage.
«Mais Antoine, Père, Fils et Esprit Saint, c'est machiste!»: je rappelle que dans la langue de Jésus, l'Esprit est féminin. «Église» est féminin.
Moniales depuis des siècles
En Occident, le Bouddhisme semble être devenu une
«religion teflon» sur laquelle rien ne colle! Mais prenons un exemple à titre
de comparaison. L’Église se fait fustiger pour la place qu’elle donne aux
femmes. Personne ne formule une telle accusation à l’égard du
Bouddhisme, et pourtant les femmes y occupent une
place nettement inférieure aux hommes. Il aura ainsi fallu attendre 2013 pour
qu’une première femme puisse se faire moniale bouddhiste en Thaïlande. https://www.scienceshumaines.com/le-bouddhisme-une-religion-tolerante_fr_12908.html
Qu’en
est-il du côté du «misogyne» et «patriarcal» Christianisme? Il y a des femmes
moines, des moniales, depuis le IIIe siècle, peut-être même plus tôt encore. Si
saint Benoît de Nursie (c.480 – 545) passe pour être le père des moines
d’Occident, il faut savoir que sa sœur jumelle, Scholastique (480-547), a fondé
le premier monastère féminin ayant adopté la Règle de saint Benoît (il est loin
d’être impossible qu’elle ait collaboré à sa conception et à sa rédaction). Elle
est une sainte dûment reconnue!
https://fr.wikipedia.org/wiki/Scholastique_de_Nursie
Saint
François d’Assise a fondé l’Ordre des frères mineurs en 1210 (les Franciscains).
Il faut savoir que Claire, son amie et disciple, en a fondé le pendant féminin, l’Ordre
des Pauvres Dames (les Clarisses) dès 1212. Elle fut déclarée sainte le 26
septembre 1255.
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L'Abbaye de Fontevraud et ses environs vers 1699. Cette abbaye prestigieuse a toujours été dirigée par des femmes.
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Les
monastères chrétiens féminins ont toujours été dirigés par des femmes. Dans les monastères féminins où l'on chante le Grégorien, ce sont bien évidemment les femmes moniales qui le chantent: elles n'invitent pas un groupe de gars pour venir le chanter à leur place! Les
monastères féminins dépendent, en partie, de l’évêque de la région où ils sont
implantés et certaines Abbesses ont eu maille à partir avec de ces évêques;
mais la chose est tout aussi vraie pour les monastères masculins.
Il y a
même eu des femmes qui ont dirigé des monastères doubles, avec une aile pour
les moniales et une autre pour les moines : ce fut le cas d’Hildegarde von
Bingen, sainte Hildegarde, au XIIe siècle. Comme aussi Pétronille de Chemillé.
Tenez-vous bien! Belle et intelligente, elle s’est mariée deux fois. Après le
décès de son deuxième mari en 1111, elle décide de se faire religieuse. En
1101, Robert d’Arbrissel avait fondé l’abbaye de Fontevraud, un monastère
double qui accueillait femmes et hommes «priant ensemble et sous la direction
d'une seule personne, mais vivant et travaillant dans deux cloîtres séparés».
Robert
dirigea ce monastère pendant quelques années, puis il décida de repartir en
mission itinérante pour propager l’Évangile. Aussi surprenant que cela puisse
nous sembler, Robert a tenu à ce qu’une femme lui succède. Ce fut tout d’abord
Hersende de Champagne, puis Pétronille de Chemillé. Pétronille dirigea donc ce
monastère double appelé à devenir prestigieux. En 1142, elle quitte ses
fonctions pour fonder l'Abbaye de Boulaur où vit
toujours une communauté d’une vingtaine de moniales. Elle décédera en 1149.
Jusqu’à la Révolution, l’abbaye de Fontevraud sera toujours dirigée par une
femme : pas moins de trente-six femmes se sont succédé à ce poste. Mais en
1792, les lieux furent vandalisés, par des hommes laïcs des Lumières (!), la
centaine de religieuses dispersée par la force et, en 1804, Napoléon transforma
l’abbaye en prison - belle évolution spirituelle d’un empereur qui rétablira
l’esclavagisme… Les gars, grrr, vous m’agacez!
Surtout
pas des potiches!
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Femme mariée, Priscille fut une proche collaboratrice de saint Paul. Dessin par Harold Copping.
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«Oui
mais Antoine, ces femmes se sont inclinées devant les hommes d’Église et se
sont mises à leur service!». Parmi la multitude de saintes se trouvent bon
nombre de femmes de pouvoir et de femmes au fort tempérament. Ces femmes ne
sont pas des potiches!
Voici
Adélaïde de Bourgogne. Née vers 931, elle fut reine de Germanie puis impératrice du Saint-Empire.
On oublie souvent qu’en l’antiquité chrétienne et au Moyen âge, impératrices et
reines étaient, tout comme leurs pendants masculins, de véritables
politiciennes qui dirigeaient l’État dont elles avaient la charge : rien à
voir avec leur rôle protocolaire dans l’actuelle monarchie britannique. Adélaïde a donc réellement dirigé son empire, en devant se colletailler à
l’occasion avec des hommes qui voulaient prendre sa place. L’un d’eux, Béranger
II, l’a fait rouer de coups et jeter en prison! Mais même au fond de son
cachot, elle lui tint tête et reprendra ses fonctions. Naviguant entre des
rivalités de famille, Adélaïde dirigea de main de fer mais avec un constant
souci de justice et de charité, à la grande satisfaction de ses sujets. Sa
devise de femme d’État provenait du Psaume 66 : «Tu gouvernes les peuples
avec droiture». À la fin de sa vie, elle s’est retirée au monastère double de
Seltz qu’elle avait fondé. Décédée en 999, elle sera canonisée en 1097. La fête
liturgique de sainte Adélaïde est le 16 décembre, et elle est invoquée pour
résoudre les problèmes familiaux.
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Sainte Catherine de Sienne, par Andrea Vanni, c.1400
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Des
nunuches, ces femmes?! Au XIVe siècle, alors que prélats, cardinaux et papes
faisaient bombance au Palais d’Avignon, une voix forte dénonça – lisez bien cela :
«L’égoïsme a empoisonné tout le monde et le corps mystique de l’Église.
L’ivraie fétide a poussé dans le jardin de l’épouse du Christ. Vous êtes
pingres, cupides, avares! Dans votre vanité débridée, vous bavardez et vous ne
visez qu’au bien-être. Ce que le Christ a acquis au bois de la croix, vous le
gaspillez avec des putains! [Vous, les clercs], vous n’êtes pas des fleurs
odorantes, mais une puanteur qui empeste tout l’univers! Vous devriez être des
anges sur Terre, mais vous êtes devenus des démons!» Jouissif,
n’est-ce pas?! Cette voix était celle de Catherine de Sienne, décédée trop tôt
d’anorexie à l’âge de 33 ans en 1380. Avait-elle été emprisonnée pour de tels
propos? Pas du tout. Torturée par l’Inquisition? Pantoute! Les clercs savaient
fort bien en leur cœur qu’elle disait vrai. Catherine sera canonisée en 1461,
déclarée docteure de l’Église en 1970 et faite l’une des saintes patronnes de
l’Europe en 1999. Des honneurs. Qu’elle aurait vomis! Car si on l’a écouté, on
n’a pas changé, pas plus que l’on n’avait changé suite aux exhortations de
saint François d’Assise deux siècles plus tôt. Les mêmes hauts clercs de
l’Église allaient s’entourer d’un luxe encore plus grand à la Renaissance.Voir : Sainte
Catherine de Sienne, citée dans : Christian Feldmann : Les rebelles de Dieu. Montréal :
Éditions Paulines, 1987. Ses propos cités sont aux pages 45 et 68.
Mépris
envers soi-même
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Sainte Édith Stein, 1920
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Répéter
à satiété que les femmes n’ont pas de place dans l’Église revient à ignorer,
peut-être même à mépriser toutes ces femmes et leurs œuvres. C’est aussi
mépriser l’Église. C’est généraliser à partir de déviances plus ou moins
locales envers les femmes.
Le fait que les femmes ne
peuvent être ordonnées prêtres est l’arbre qui, malheureusement, cache la
forêt. Pourtant, aucune, aucune des femmes mentionnées précédemment n’a exigé
de devenir prêtre, pas même la plus puissantes des saintes reines, pas même
Édith Stein qui, Juive de naissance, intellectuelle de haut vol et assistante du philosophe
Husserl, fut une féministe radicale avant sa conversion.
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Châsse de sainte Claire d'Assise dans la basilique qui lui est dédiée à Assise.
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Plutôt que de cabotiner à écrire «Dieue», il serait bien de se rappeler la
contribution des femmes depuis le Christ; il serait bon de nous ouvrir les yeux
sur le dévouement de femmes dans l’Église aujourd’hui. Et de prendre acte d’un
fait étonnant et inattendu : aucune grande religion n’a donné autant de
place aux femmes, depuis si longtemps. C’est tout sauf un hasard que les droits
des femmes se soient développés en premier lieu dans des pays chrétiens. «Mais
Antoine, l’Église est contre l’avortement!» : n’oubliez pas qu’il y a des
femmes pro-vie, dont l’une est juge à la Cour suprême des États-Unis… En
février 2023, quatre femmes de renom ont démissionné du Chemin synodal allemand
pour protester contre sa dérive pseudo-progressiste. https://omnesmag.com/fr/nouvelles/quatre-femmes-quittent-le-synodal-path/ Je signale qu’un des
évêques «progressistes» responsable de cette dérive allemande a depuis dû
démissionner en raison, eh oui, d’un scandale sexuel. Ce «progressisme» est de
l’hypocrisie pure et simple, et de la volonté de pouvoir – à fuir! http://www.belgicatho.be/archive/2023/03/26/demission-d-un-eveque-allemand-figure-de-proue-du-chemin-syn-6435121.html |
Sainte Thérèse de Lisieux à 15 ans
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Dans un autre registre,
l’accusation de misogynie colle à l’Église, alors même que de nouvelles
idéologies christianophobes participent à l’invisibilisation des femmes. Voir
par exemple en France : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/quand-nous-toutes-exclut-les-femmes Dans cette lettre ouverte, plus de 400 femmes ont dénoncé cette
situation : «Il nous est devenu impossible de parler des problèmes
sexo-spécifiques sans être cataloguées de «transphobes». Il nous est devenu
impossible de parler de précarité menstruelle, de violences gynécologiques
et obstétricales, d’excision, de mariage forcé, de droit à l’avortement,
de néonaticide fondé sur le sexe, de déportation et de la traite des êtres
humains à des fins d’exploitation sexuelle, de clitoris ou encore de cancer du
sein, et ce, au sein même des mouvements censés lutter pour rendre visible ces
violences machistes et les condamner. Cette situation absurde doit cesser». En effet...
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C'est une sainte et non un saint qui est patron(ne) des musiciens: sainte Cécile de Rome. Toile de Guido Reni, 1606
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L'Église catholique n'est pas féministe (du moins, pas au sens que le XXe siècle a donné à ce mot), mais elle est beaucoup plus féminine qu'on le pense et le dit souvent. Une partie du Moyen âge occidental s'était déroulée sous les lois celtes qui tendaient vers l'égalité entre hommes et femmes. Les lois d'inspiration romaine se sont ensuite peu à peu imposées jusqu'à devenir la norme à la Renaissance, et ces lois ont effectivement marqué un recul pour les femmes. Mais cette situation ne pouvait pas durer éternellement...
Cela dit, il est bon de se rappeler ce qu'est l'Église. Elle est d'abord et avant tout une communauté de foi et de prière, non une organisation politique temporelle. Elle n'est pas non plus une organisation caritative: ses œuvres caritatives découlent de la foi dont elles sont une expression. Mais sans cette foi première, les œuvres caritatives de l'Église ne seraient qu'utiles... jusqu'à ce que les sociétés n'aient plus besoin d'elles.
Je ne crois vraiment pas qu'il serait bien que l'Église se conjugue en «...-iste»: féministe, écologiste, altermondialiste, socialiste, etc. Elle est trop diversifiée pour gagner à se réduire ainsi - car oui, l'Église est une institution très diversifiée, la plus diversifiée qui soit, au point que son unité à travers les siècles tient du miracle, et d'un miracle qui ne suffit pas toujours entièrement. Mais si la foi s'estompe, les divers «...-ismes» nous séduiront, trompeusement. Les «...-ismes» progressent lorsque la foi régresse. Je veille à ne pas prendre des vessies pour des lanternes.