MUSIQUE (Composition et histoire), AUTISME, NATURE VS CULTURE: Bienvenue dans mon monde et mon porte-folio numérique!



lundi 2 septembre 2019

LES AUTISTES NE SONT PAS DES ANGES... EUX NON PLUS

Les autistes ne sont pas des Anges… eux non plus

1. Déception autistique

2. Utopie autistique

3. L’action sans (trop d’)idéalisme

4. Péché originel


En novembre 2017, un journal a fait grand cas d’Omar Bulphred. Cet homme alors âgé de 32 ans venait d’être arrêté pour avoir proféré des menaces de mort sur trois personnes dont son père. Ce n’était pas sa première arrestation. Il y a onze ans, il avait été condamné pour avoir incendié une école juive à Montréal, puis pour avoir fomenté un attentat contre un centre communautaire juif une année plus tard. En prison, il était considéré comme dangereux et avait tenté de poignarder un codétenu et de blesser un garde. Ses comportements ont souvent alerté entourage et policiers. L’article de novembre 2017 montrait sa photo et, en-dessous d’elle, un commentaire pas du tout anodin : «En 2013, Omar Bulphred avait été diagnostiqué avec le syndrome d’Asperger, un trouble de la famille de l’autisme». Le journaliste ne fait pas un lien direct, mais cette mention toujours reprise lorsqu’il est question de monsieur Bulphred est à haut risque de créer un lien dans l’esprit du public : autiste = criminalité.  Surtout lorsqu’on ajoute au tout un commentaire d’«expert» du genre : «Il vit dans son monde». Quand une personne autiste dérape de manière criminelle, cela est explicitement rapporté; pourtant lorsqu’une personne non autiste commet un crime, personne n’écrit : «Un homme neurotypique a assassiné deux personnes». Le résultat est qu’une association tacite est créée entre autisme et danger, menace criminelle ou crime. Inévitablement, des gens seront convaincus que l’autisme «explique» les crimes : «Ah, il est autiste, c’est donc pour ça…».
 
Comment trouvez-vous cette manchette?

Sans surprise, j’ai reçu des questions sur le sujet, comme «Comment prévenir les crimes commis par des personnes autistes?». Soupir. La vérité est que les personnes autistes ne sont pas plus à risque que les autres de commettre des crimes. Le spécialiste de l’autisme de type Asperger Tony Attwood le souligne bien, en ajoutant que les personnes autistes subissent beaucoup plus de violence qu’elles n’en commettent. Je rappelle que les enfants autistes forment l’un des groupes d’enfants qui subit le plus d’intimidation dans nos écoles. L’immense majorité des crimes est le fait de personnes neurotypiques. J’ai même lu qu’une femme court moins de risque de subir de la violence conjugale si son conjoint est schizophrène que s’il est neurotypique… Autre point : les personnes autistes ne sont pas asociales; elles sont sociales, autrement et moins intensément oui, mais pas asociales. Lorsqu’une personne, autiste ou non, se mure dans son monde en changeant de comportement, c’est signe que quelque chose ne va pas. C'est un signal d'alarme que l'entourage doit prendre en compte. Autre point encore : oui les personnes autistes ont des intérêts spécifiques, pouvant ou non passer pour excentriques, mais non de tels intérêts ne font pas nécessairement décrocher de la réalité et augmenter le risque qu’elles commettent un crime. Vous n’avez absolument rien à craindre d’une personne autiste dont la passion est la recherche sur les espèces de libellules ou de lichens… 
 
Préférez-vous celle-ci?

Déception autistique
Néanmoins, ce genre d’association faite à la légère entre autisme et criminalité heurte profondément les personnes autistes. À juste titre. Aucun groupe de la société n’aime se voir associé gratuitement à la criminalité! Mais il y a autre chose qui heurte les personnes autistes : le fait qu’un des leurs commette un crime. Nous avons vécu une telle situation au sein d’Aut’Créatifs, collectif de personnes autistes que j’ai cofondé avec Lucila Guerrero. L’affaire remonte à 2016. Un de nos membres s’était servi du nom et de son appartenance à Aut’Créatifs afin d’approcher des enfants et produire du matériel de pornographie infantile. Détourner ainsi notre organisme était inacceptable et nous avons aussitôt renvoyé ce membre. Sorti de prison, celui-ci a récidivé l’année suivante. De si gentilles personnes luttant «pour plus de services en autisme» ont profité de l’occasion pour marteler leur message : «Voilà ce qui arrive quand un enfant ne reçoit pas de services!». Je me suis senti personnellement insulté car moi-même n’ai pas reçu de «services» dans mon enfance, ce qui ne fait pas de moi pour autant un pédophile ou un criminel. Bon, je confesse avoir été reconnu coupable de deux infractions légales dans ma vie : deux contraventions pour mauvais stationnement – c’était dans les toutes premières années où je conduisais alors que, faute d’expérience, je peinais à déchiffrer les multiples panneaux de stationnement ornant les poteaux montréalais. Parvenir à les déchiffrer est presque une science… La bonne nouvelle est que ce jeune homme s’est depuis impliqué dans une démarche de réhabilitation. Cela dit, des autistes ont encaissé un choc. J’ai ainsi reçu un message d’un autiste qui en avait les bleus : «Je pensais que les autistes sont francs, droits, incapables de malveillance...». Déception, tristesse, réveil brutal : les autistes ne sont pas des anges eux non plus.

Des démons? Livre de la Vigne de Nostre Seigneur, XVIe s.
Sur des faits beaucoup moins graves, il est arrivé par la suite d’autres incidents posant question. Ce fut le cas pour un certain débat en 2018. Un observateur autiste a ressenti la même déception : «Certains font passer leur image avant les objectifs de la cause. Être dans un groupe d’autistes est comme si cela leur servait d'abord d'interface de pub pour vendre leur truc. Certains se font bien voir de tels spécialistes afin de vendre leurs services ou leurs conférences. Ce comportement est finalement assez neurotypique. Je suis un peu dégoûté, et je ne vois plus aucune différence avec le monde de la neurotypie». J’avais remarqué la même chose dans divers groupes d’autistes, sans avoir osé le dire. J’ai même vu des groupes d’autistes se déchirer entre eux, dans le même esprit de compétition que l’on voit chez les neurotypiques. Eh oui, en vérité, les autistes sont, eux aussi, capables de comportements stratégiques, manipulateurs et intéressés. Ils y sont peut-être moins habiles, mais ce n’est pas le manque d’habiletés qui les empêchent de s’essayer, eux aussi. La bonne nouvelle est que cela prouve hors de tout doute que les autistes sont bel et bien des humains, à part entière. On nous a souvent dénié notre humanité, mais nos petites hommeries en tous points semblables à celles des personnes neurotypiques est un autre argument de poids pour réaffirmer le fait que nous sommes humains, entièrement humains. La moins bonne nouvelle est que des illusions tombent, que des espoirs s’évanouissent. Car certains d’entre nous croyaient sincèrement que les autistes démontrent davantage d’honnêteté, voire même, rêvons un peu, que les autistes forment l’amorce d’une nouvelle humanité. Et là, il faut prendre acte que ce n’est guère le cas. Cela n’enlève rien de notre potentiel et de nos talents trop rarement reconnus, mais cela nous ramène à la réalité de la simple condition humaine, et au fait que nous partageons celle-ci avec nos frères et sœurs neurotypiques.


Utopie autistique

Ou des Anges? / Melozzo da Forli, XVe s.
Car il y a eu un espoir utopique dans la communauté autiste. Cet espoir a été nourri par le portrait que des spécialistes ont tracé de nos qualités. Dans mon livre Musique autiste, je citais la liste des forces que Tony Attwood attribuait aux autistes de type Asperger. J’en mentionne ici quelques-unes :

Leur relation avec les pairs est caractérisée par une loyauté absolue et le fait d’être totalement digne de confiance.

Ils ignorent le sexisme, l’âgisme ou les biais culturels parce qu’ils sont capables de prendre les autres tels qu’ils sont.

Ils disent ce qu’ils pensent avec franchise quel que soit le contexte social ou les modes du jour.

Ils écoutent les autres sans jugements ou suppositions continuels.

Ils évitent les conversations superficielles.

Ils possèdent une volonté déterminée de recherche de la vérité.

Leur conversation est exempte de sens caché ou de motivations inavouées.

Ces belles qualités apportaient un baume bienvenu aidant à surmonter les nombreuses mauvaisetés proférées à notre sujet. Mais on a cru que cette liste valait pour l’ensemble des personnes autistes; on a aussi cru qu’elle nous distinguait des personnes neurotypiques. Dans l’enthousiasme, on a pensé être différents des neurotypiques que l’on a caricaturé comme instables, manipulateurs, jugeant sans cesse autrui, soupesant constamment leurs petits intérêts personnels, peu francs, peu loyaux, et aimant la superficialité. On s’est dit : «Nous, nous ne sommes pas ainsi!». Il se peut qu’être autiste favorise la présence plus fréquente chez nous des qualités nommées par Attwood, et je crois exact de dire que les autistes sont souvent plus candides. Mais il se peut aussi que nous ayons généralisé, que nous ayons fermé les yeux sur nos propres faiblesses et sur le fait qu’elles ressemblent étrangement à celles des neurotypiques. En vérité, rares sont les personnes prêtes à sacrifier un peu de leurs avantages et de leur confort au profit d’une grande cause, surtout lorsqu’il n’est pas certain que cette cause vaincra. Rien n’indique qu’il y ait davantage de personnes autistes parmi elles que de personnes neurotypiques. La majorité des gens sont derrière les téméraires qui prennent des risques : si ces risques s’avèrent payants, on se dira : «Je comptais parmi ces avant-gardistes!» («et je récolterai les fruits de leur dévouement»); mais si ces risques tournent mal, on dira : «ces gens sont fous et je ne les connais pas!». Telle est la nature humaine, peu importe que l’on soit autiste ou non. C’est ce que démontrent les incidents dont j’ai donné quelques exemples dans la section précédente. 
Par contre, je me dois de souligner ici l'extraordinaire détermination de la jeune Suédoise Greta Thunberg relativement aux bouleversements climatiques. Elle n'aurait pas eu à monter au front si les adultes avaient agi. Greta Thunberg affirme être aidée par le fait d'être autiste de type Asperger. Je crois que c'est vrai: Cela lui donne le juste focus sur la cause, la cohérence entre paroles et actions, et le fait de ne pas se faire endormir par de belles promesses. 

«Je ne vois plus aucune différence avec le monde de la neurotypie!», me disait donc quelqu’un. Pourtant, nous sentons bien que nous sommes différents du fait d’être autiste. L’erreur a été de penser que cette différence était d’une nature morale et résidait dans des valeurs différentes. Or, ce n’est pas là d'abord que se situe la différence autistique. Être ou non autiste n'a probablement aucun impact sur les qualités de coeur. Je crois toujours que cette différence est essentiellement de nature perceptive. Les autistes perçoivent le monde à partir des détails dans un premier temps, et en allant vers l’ensemble ensuite : c’est une perspective inverse de la perspective neurotypique qui va de l’ensemble tout d’abord vers les détails ensuite. Cette perspective inverse est à rapprocher du fait d’être gaucher plutôt que droitier, ou d’être homosexuel plutôt qu’hétéro. C’est une différence, une différence forte, de naissance, qui appartient à la personne, mais cette différence n’a rien à voir avec les valeurs ou la psychologie humaine de base. Cette différence fait voir les choses et le monde autrement, mais elle n’apporte aucune supériorité – aucune infériorité non plus du reste.


Cette différence appartient au spectre de l’humanitude, ni plus ni moins. C’est comme me l’avait dit ce sage moine avec qui je discutais : «Tu es autiste? Cela n’a aucune importance». Cette phrase demeure l’une des plus justes que j’ai lue ou entendue au sujet de l’autisme.


L'action sans (trop d') idéalisme

Dans mon livre Musique autiste, je trace les lignes de ce que pourrait être le monde si les autistes étaient majoritaires. Ce monde ressemblerait au monde présent mais avec certaines différences. Voilà, il serait un peu différent, mais il n’est pas assuré qu’il serait meilleur, du moins pas meilleurs sur tous les points… Quoique je doive reconnaître que beaucoup de personnes autistes vivent déjà dans le mode de la simplicité volontaire, ce qui est d’avant-garde. Remarquez que cette simplicité n’est pas toujours si volontaire que ça : elle tient aussi à l’exclusion, à l’intimidation, au mobbing et autres choses du genre que nous impose la majorité trop souvent… Lorsque j’ai participé à la création de Aut’Créatifs, oui, il y avait en filigrane de favoriser les liens entre personnes autistes. Il s’agissait aussi de présenter ce que des personnes autistes font dans toutes les sphères d’activités humaines. Montrer que les autistes peuvent participer pleinement et positivement à la société, à la marche du monde. Montrer qu’elles possèdent des talents, des compétences, des habiletés, etc. Affirmer que nous sommes des personnes humaines à part entière. Aussi participer à une prise de parole dont les personnes autistes ont trop souvent et trop longtemps été privées – et elles le sont encore : tant de gens (non autistes) parlent en leur nom, à leur place – et non seulement parlent à leur place mais cherchent à penser à leur place, à leur imposer un discours qui n’est pas le leur. J’étais conscient que cette prise de parole sera un apprentissage, que cette parole pourra être maladroite, voire dure même. Mais il faut commencer quelque part et accepter qu’il y ait là un cheminement, et que ce cheminement est nécessaire.

Cela dit, je n’ai pas vraiment pensé que les autistes sont automatiquement des anges, je n’ai pas idéalisé la «communauté autiste» - je n'idéalise d'ailleurs aucune communauté. Mon idée était, et est toujours que les autistes sont des personnes humaines, qu’elles doivent être considérées comme telles (et non comme des «malades») et, que cela implique aussi le fait que, comme toutes personne humaine, la personne autiste est imparfaite, qu’elle a ses défauts, ses limites.


Péché originel

Le fruit interdit au Jardin d'Éden (Genèse, premier livre de la Bible) / Par Rubens et Jan Bruegel l'aîné (c. 1615)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
En ce monde aux multiples sujets d’inquiétude que n’arrivent pas à apaiser totalement le flot des divertissements qu’il offre d’abondance, des gens cherchent de nouvelles voies. Mais comme l’espoir semble avoir certaines difficultés à s’incarner, on tend à le placer dans des groupes humains minoritaires, avec l’idée que de ceux-ci pourraient surgir de tels nouvelles voies. C’est possible que des éléments de solution résident de ce côté. Mais de là à idéaliser ces groupes minoritaires… Un homme me formulait ce commentaire : «Les solutions à ces problèmes viendront des autistes». C’est possible, mais je dirais plutôt que des solutions viendront de certaines personnes autistes, nuance. Néanmoins c’est mettre un gros poids sur les épaules de ces gens souvent marginalisés et exclus. Les personnes autistes sont-elles exemptées du péché originel? Visiblement non.

Mon cousin Louis que j’aime beaucoup est athée, mais sans être militant du tout. Eh bien néanmoins, mon cousin croit au péché originel! Dans la Genèse, premier livre de la Bible, Adam et Ève ont désobéi à Dieu qui leur avait donné à manger du fruit de tous les arbres sauf d’un seul, celui de la Connaissance du Bien et du Mal. Après en avoir mangé, ils se sont rendus compte qu’ils étaient nus et se sont cachés, ce qui les a trahi auprès de Dieu. Celui-ci les a expulsé du Jardin d’Éden, le Paradis, et a placé aux portes de celui-ci des Anges armés empêchant dorénavant de pouvoir y revenir.

Dans la vision qu’a mon cousin Louis du péché originel, il s’agit d’une sorte de défaut génétique que les êtres humains se transmettent de générations en générations; un défaut qui cause cette propension à user de violence contre nos semblables ou, encore, à n’oser traiter les problèmes que lorsqu’il est quasi trop tard. Mon cousin y croit plus que bien des chrétiens en fait, comme Lytta Basset qui a publié un livre dénonçant cette doctrine qu’elle rend responsable de tous les maux de l’humanité ou presque. La mode est à se dire «bienveillant» et à se déculpabiliser. Mais nul besoin d’être chrétien pour avoir la lucidité de reconnaître l’existence de la souffrance en ce monde : c’est le fondement du bouddhisme tout autant. Depuis, le monde va comme le dit saint Paul : je commets du mal que je ne voulais pas commettre, et je n’arrive pas à faire tout le bien que j’aimerais faire. Qui donc n’a pas vécu cette souffrance, de faire du mal involontairement, et de ne pas avoir tendu la main à quelqu’un qui demandait notre aide? Qui donc? Youhou, où êtes-vous?

Mais la foi catholique en est-elle restée à ce constat désespérant? Non, parce que cette faute originelle nous a aussi valu un Sauveur, et cette foi célèbre ce Sauveur dans des mots qui n’ont rien de ténébreux. Tenez, ceux du chant de l’Exultet chanté lors de la nuit de Pâques : 
«Bienheureuse faute de l’homme, qui valut au monde en détresse le seul Sauveur! Voici la longue marche vers la terre de liberté! Ta lumière éclaire la route. Voici maintenant la Victoire, voici la liberté pour tous les peuples. Le Christ ressuscité triomphe de la mort. Ô nuit qui nous rend la lumière. Qu’éclate dans le ciel la joie des anges! Qu’éclate de partout la joie du monde! La lumière éclaire la terre, peuples, chantez! Demain se lèvera l’aube nouvelle d’un monde rajeuni dans la Pâque de ton Fils! Et que règnent la Paix, la Justice et l’Amour!». 
Le fait du péché originel devient heureux! Drôle de retournement des choses.


Cela dit, en ce monde, la condition humaine demeure. Notre exil aussi, qui ne se terminera qu’à la fin du temps. 
L'espoir reste là. L'homme autiste dont je parlais plus haut et qui s'était fait prendre dans une affaire de pédophilie, eh bien, cette personne  s'est impliquée dans une démarche de réhabilitation et, aux dernières nouvelles, il chemine positivement.


SOURCES DES PHOTOS: WIKIPÉDIA (Domaine public, PD-US)