Triduum. Texte d'introduction.
Pour solistes, chœur, orgue et ensemble instrumental (cycle regroupant les opus 50, 51, 55 et 57)
Ou: Transformer
les fausses notes de la vie
L’année
2014 avait été pour moi une «année de marde», comme on dit poétiquement. Entre
autres choses, après 23 ans de mariage, mon épouse m’avait demandé le divorce en juin – c’est la femme
qui demande dans 70% des cas. Ce n’était pas mon choix, mais je n’ai pas eu d’autre
choix que d’accepter. Ceci étant et mis avec d’autres événements pénibles de cette même
année, j’avais décidé de quitter Montréal pour m’établir dans une jolie maison
du quartier patrimonial de Sorel-Tracy où j’ai emménagé en novembre, peu avant
le décès de ma mère.
J’arrivais là à un moment où étaient organisées une série
de rencontres de réflexion autour du documentaire L’heureux naufrage.
Sous-titré L’ère du vide d’une société post-chrétienne, ce documentaire traçait
le bilan de l’évolution de la société québécoise contemporaine. http://www.heureuxnaufrage.com/
J’ai assisté à ces rencontres, car j’avais moi-même fait naufrage et j’espérais
que ce soit un heureux naufrage! Mon navire avait été pris dans une violente
tempête, mais j’étais parvenu à l’ancrer dans une baie protégée des
intempéries. J’ai travaillé à réparer mon navire, mais une question se
posait : pour combien de temps après réparation allais-je rester dans
cette baie? M’établirai-je temporairement ou définitivement dans ce nouveau
pays? Question sans réponse immédiate que j’ai donc laissée ouverte, en faisant
confiance à la vie et à la Providence. Je me suis rapidement et bien intégré à
ce nouveau milieu de vie, au point d’avoir pu recréer un chœur de chant
grégorien et de musique sacrée médiévale. Je me suis fait de nouvelles connaissances et
de nouveaux amis.
Ainsi, les années suivantes ont été très heureuses. J’ai
appris à vivre seul, à être heureux seul, mais sans sentiment d’auto-suffisance
ni isolement social. Là aussi, le défi a été relevé. Il est vrai que je ne vis
pas tout-à-fait seul, puisque je vis avec Napoléon - c'est mon Chat noir!
Mais
ma conscience portait une épine. Mon ex-épouse s’était chargée des procédures
de divorce civil. Cela a pris un certain temps, et le divorce a été prononcé en
juin 2016. Mais je n’avais pas pour autant de sentiment de pleine liberté, car
nous nous étions mariés à l’église. Cela me plaçait dans une situation conflictuelle :
j’étais divorcé civilement mais, aux yeux de l’Église, et je précise que
c’était parfaitement correct, je restais marié. L’Église ne reconnait pas le
divorce civil pour un mariage religieux. Ainsi, j’étais divorcé d’un côté, mais
toujours marié de l’autre. Je ne voulais pas que perdure une telle situation. L'Église offre toutefois la possibilité de demander une
déclaration de nullité de mariage.
Il s’agit là aussi d’une démarche juridique,
cette fois auprès d’un tribunal ecclésiastique. Il y a enquête en bonne
et due forme, et cette enquête peut déboucher ou non. J'ai suivi cette démarche et, au bout du compte, le tribunal ecclésiastique a déclaré
nul le mariage que j’avais contracté à l’Église. Ainsi, en janvier 2019,
j’étais libre, tant civilement que religieusement.
En Orient chrétien, on impose un temps pénitentiel avant de contracter (ou non) une
nouvelle union. Bien que ce ne soit pas imposé dans le rite catholique, je me
suis moi-même imposé un tel temps. Ce fut le temps de faire la démarche de
demande de la nullité, accompagnée de prières. Mais étant musicien, je me suis
fixé une démarche pénitentielle musicale. Comme en ces mots : «Il n’en
tient qu’à toi de transformer tes fausses notes en chants sacrés!» (Yves
Girard, Le vide habité; Éditions Anne Sigier, page 230).
Durant
ces années, je me suis donc attelé à un grand œuvre longtemps caressé et
longtemps mis en attente, à savoir composer un cycle de pièces pour la Semaine
Sainte jusqu’à la Veillée pascale. J’ai donc composé les quatre œuvres de ce
cycle à Sorel de 2016 à 2019 :
Un
prélude inspiré du Dimanche des Rameaux qui ouvre la Semaine Sainte :
Acclamations.
Pour cor et percussions (opus 51; 2016 / 2021). Durée : c. 6 minutes.
Trois
«journées» :
Pour
le Jeudi Saint :
La
dernière Cène. Cantate pour mezzo-soprano, chœur mixte, violon et percussions –
le vibraphone prédomine (Opus 55; 2018). Durée : c. 30 minutes.
Pour
le Vendredi Saint :
Paroles
en Croix. Cantate pour mezzo-soprano, clarinette, violoncelle, orgue et
percussions (Opus 50; 2016). Durée : c. 26 minutes.
Pour
la Veillée pascale :
Vigiles.
Cantate en forme de trois danses sacrées. Pour chœur mixte, flûte, clarinette,
cor, piano et percussions (Opus 57; 2019). Durée : c. 32 minutes.
Ces
pièces peuvent être données séparément, ou dans un concert avec les quatre, ou
encore dans une église lors des journées de la Semaine Sainte.
Le
cycle complet s’intitule Triduum, Trois jours : c’est le nom que la
liturgie donne à l’ensemble formé par ces offices.
Les quatre pièces sont unies par un petit motif de
cinq notes, même si de manière plus ou moins explicite :
Motif générateur de Triduum / (C) 2019 Antoine Ouellette SOCAN |
Ce
motif est absent des autres pièces et, là encore, il y aurait eu un élément
disparate, alors que les pièces de Triduum forment vraiment un bel ensemble,
musicalement et esthétiquement.
J’ai
donc réalisé là un projet que je caressais depuis longtemps. Je crois que les
premières notes que j’avais prises à ce propos remontent à ma vingtaine. C’est
un grand cycle de vie aussi qui s’est bouclé.
Ce
motif de cinq notes n’est pas un thème à proprement parler, mais plutôt une
sorte de motif générateur. Il aspire vers les hauteurs, ses notes étant
ascendantes. Mais il contient aussi une tension avec le triton fa – si. Il
représente bien l’esprit dans lequel j’étais lors du travail de composition en
cette période pénitentielle. Ce même motif participe d’ailleurs à la trame
modale de deux autres pièces composées à Sorel-Tracy, deux pièces «laïques»
celles-là : Rivages (pour clarinette seule, opus 49) et le Quatuor à
cordes (opus 56). Rivages et le Quatuor s’enchaînent très bien l’une à
l’autre : malgré leur différence de caractère marquée, elles forment comme
un miroir en écho…
Version «allongée» du motif générateur / (C) 2019 Antoine Ouellette SOCAN |
Ce qui représente un total d'environ 94 minutes de musique.
Sources des photos: Wikipédia (Domaine public, PD-US), collection personnelle, site commercial pour la couverture du livre