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mardi 1 juin 2021

PROJET HAYDN. IDENTITÉ ET DIVERSITÉ (PREMIÈRE PARTIE)

Le Projet Haydn. Article 11:
Identité et diversité (première partie) 

Cet article est le onzième d’une série dans laquelle je vous initie à l’art de Joseph Haydn. Cet article est la conclusion de cette série: à la mi-juin, j'en publierai la deuxième partie qui clôturera mon cycle Haydn. 

Pourquoi Haydn? Tout simplement et subjectivement parce qu’il est mon compositeur préféré tous styles et époques confondus! Mais attention : il y a mon goût, il y a aussi la matière et celle que nous offre Haydn est d’une richesse rare.

Le premier article situait le génie du compositeur :
Le second article situait les «massifs» des genres musicaux qu’il a pratiqué sa carrière durant :
Le troisième article portait sur sa première période créatrice, que j'ai nommée Période bleue (des débuts jusqu’en 1766):
Le quatrième article portait sur sa seconde période créatrice, que j’ai nommée Période mauve (1766-1773) :
Les cinquième et sixième portaient sur sa troisième période créatrice, que j’ai nommée Période rose (1773-1784) :
Les septième et huitième articles présentaient la Période rouge (1784-1795) 
Les neuvième et dixième articles discutaient de sa Période verte (1796 à son décès) 

 

Identité et diversité
Première partie: Non, le style classique n'est pas conventionnel! 

L’identité et la diversité sont deux aspects indissociables de la réalité qui sont en relation dynamique l’un avec l’autre. C’est autant vrai en nature que dans la culture. C’est aussi vrai dans l’œuvre d’un artiste, d’un musicien. Cela se retrouve donc dans l’œuvre de Haydn.
En partant, si l’on n’aime pas le style classique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on risque de ne pas aimer la musique de Haydn, car Haydn en a été non seulement un des grands représentants, il en a été un des principaux concepteurs et inventeurs. Pour qui n’aime pas ce style, les œuvres de Haydn pourront toutes se ressembler, voire «sonner pareil», «revenir à la même chose». Mais ce serait là une distorsion sans autre fondement que le goût personnel.

Les bases du style classique
En partant aussi, le style classique présente quelques traits communs à tous les compositeurs de l’époque. En voici quelques-uns. 
Une jolie intro à Haydn pour les enfants!
1) Le style classique privilégie les hautes fréquences. Dans l’orchestre et même dans la musique de chambre, les parties qui priment sur les autres sont celles des violons. Cela ne signifie pas que les autres parties, notamment de basse, sont négligeables, mais l’accent est porté sur les fréquences plus hautes. D’où une clarté caractéristique du son de cette musique. 
2) Le style classique utilise le langage harmonique tonal dans ses relations fondamentales. Les fonctions de tonique et de dominante y ont un rôle moteur essentiel. Ce qui ne signifie pas que ce style se limite à ces deux seules fonctions harmoniques! Dans ce style, chaque note d’une pièce joue un rôle essentiel : chaque note est à sa place, et il n’y a pas de notes de trop. C’est une musique transparente, une musique de cristal. Cette qualité est souvent soulignée pour Mozart mais, dans les faits, elle est partagée par toute la musique de l’époque et, du coup, elle caractérise tout autant la musique de Haydn. 
3) Le style classique est une musique légère : il ignore toute surcharge sonore et toute surcharge émotionnelle. Les orchestres de l’époque comptaient environ 30 à 40 musiciens, quelques fois moins et rarement davantage. Ce style ne vise pas du tout à «écraser» l’auditeur, à le saisir de forcer, à le «violer» en quelque sorte. Cette musique peut émouvoir profondément, mais toujours avec une légèreté de touche et avec pudeur. Ce style doit d’ailleurs beaucoup à la danse, et bon nombre de ses œuvres incluent un mouvement de danse, le Menuet. 
4) Dans le style baroque qui l’a précédé, un air ou un mouvement dans une œuvre instrumentale explore un seul climat émotionnel. Tel air cherche à exprimer la joie, tel autre air la tristesse, etc. Mais le style classique rompt avec cette unité. La forme sonate, qu’il a inventée et qui représente mieux que toute autre forme son esprit, il y a plus souvent qu’autrement deux «climats émotionnels» contrastés. Ces climats sont incarnés par deux thèmes de caractères différents – la théorie nommera après coup ces thèmes contrastants d’une manière «sexiste» : un thème «masculin» et un thème «féminin». Je signale que Haydn n’a jamais utilisé de telles expressions!
Bref, si l’on recherche de la musique sombre, avec des basses puissantes, qui nous prend à la gorge, qui en met plein les oreilles et qui joue à fond la carte de la «profondeur», le style classique n’est pas pour nous! Par contre, si l’on accepte ses traits, si l’on comprend son esthétique, ce style révèle alors sa richesse inouïe. 

Fantaisie formelle : 
symphonies et quatuors
Un des reproches les plus souvent formulés à l’égard du style classique (je parle toujours du style classique historique, celui de la deuxième moitié du XVIIIe siècle) est qu’il serait terriblement conventionnel, qu’il consisterait en un ensemble rigide de règles à observer; que Beethoven serait enfin venu libérer la musique de tout cela au début du XIXe siècle. D’une part, tout style, peu importe l’époque et la culture, possède ses «règles» : notre musique Pop est régie par plein de règles très rigides! Il s’agit là du pôle de l’identité. Mais d’autre part, le style classique est extraordinairement souple et même fantaisiste! Cela vaut tout particulièrement pour la musique de Haydn. C’est le pôle de la diversité.
On prétend souvent que le style classique a figé les formes musicales. Or, les faits démontrent exactement le contraire. Cela vaut tout particulièrement pour Haydn à nouveau. Il est difficile de donner ici un tableau détaillé de cette diversité. Mais je tente le coup en commençant par les deux genres les plus associés à Haydn : la symphonie et le quatuor à cordes.
J’ai fait un tableau des formes des symphonies de Haydn (voir ci-bas: vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir). La symphonie classique dérive vraisemblablement de l’Ouverture à l’Italienne, soit trois mouvements – deux mouvements rapides encadrant un mouvement lent. Cette forme se retrouve dans 15 symphonies de Haydn (en incluant sa Symphonie concertante); donc seulement 15 sur 107 symphonies. Une symphonie étant exceptionnellement en six mouvements (Symphonie #60, «Le distrait»), c’est dire que 91 symphonies sont en quatre mouvements – le mouvement ajouté étant un mouvement de danse, le Menuet.
Dans ses symphonies, une ligne de force émerge : celle d’une coupe en quatre mouvements, avec deux mouvements rapides aux extrémités, un mouvement lent et le Menuet au centre. Cette coupe concerne 41 symphonies. Pour 22 autres symphonies, cette coupe est maintenue avec le premier mouvement qui y commence par une introduction lente. Il reste tout de même 44 symphonies qui n’obéissent pas à cette coupe! Dans 5 symphonies, le Menuet se situe en deuxième place : il est donc faux de répéter que c’est Beethoven qui a eu cette «audace» en premier, en mettant en deuxième position le scherzo de sa Symphonie #9 (le Scherzo remplaça le Menuet… encore que Haydn avait déjà remplacé le Menuet par un Scherzo dans bon nombre de pièces et que Beethoven composa des Menuets!). Plus audacieux encore : Haydn a ouvert 6 symphonies par un mouvement lent! Une symphonie s’ouvre avec un mouvement lent ayant une section rapide en son milieu! Haydn a terminé une symphonie par un mouvement lent! Inversement, 5 symphonies ne contiennent pas de véritable mouvement lent. Deux symphonies se terminent par un «Thème et Variations» : encore une fois, ce n’est pas Beethoven qui a inventé cela dans sa Symphonie #3!
Bref, si un modèle se fait plus fréquent que d’autres, Haydn est loin de s’être contenté de toujours le reproduire. Nous trouvons en fait pas moins de 17 différentes coupes formelles dans ses symphonies. 

(C) 2020 Antoine Ouellette. Vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir.

Mais la diversité se fait encore plus grande dans l’univers des Quatuors à cordes (voir le tableau ci-bas: vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir). Là, pour moins d’œuvres, nous trouvons 25 différentes coupes formelles! Les 57 Quatuors de maturité comptent 4 mouvements, à l’exception notable de la version pour quatuor des Sept dernières Paroles. Les 10 Quatuors de «jeunesse», eux, en comptent 5 – deux de ces Quatuors débutent par un mouvement lent. Dans les Quatuors de maturité, c’est à peine si une coupe formelle s’impose par rapport aux autres tant règne la diversité. Contrairement aux Symphonies, nous trouvons des Scherzos au lieu de Menuets dans 7 quatuors. Dans 24 quatuors, le Menuet (ou le Scherzo) vient en deuxième place et non en troisième – encore une fois, ce n’est vraiment pas Beethoven qui a osé en premier cette inversion! Dans le tableau qui suit, j’ai pris soin de distinguer les mouvements intitulés Moderato des mouvements rapides. Chez Haydn, le caractère des Moderato est effectivement distinct : ce sont souvent des pièces «nonchalantes», comme une sorte de promenade, et sans l’énergie propre aux véritables mouvements rapides. 
(c) 2020 Antoine Ouellette. Vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir.

Mais dans d’autres genres, Haydn est allé encore plus loin dans la liberté formelle. C’est ce que nous verrons dans le prochain article de ma série sur Haydn qui sera publié dans quelques  jours. 

Sources des illustrations: Collection personnelle, Wikipédia (Domaine public, PD-US) et sites commerciaux.