Les descriptions ne suffisent pas.
2. Autisme n'est qu'une description, rien de plus
3. Cause toujours
4. Une vieille tentation
5. Le racisme et son double
6. Formes du crâne
7. Les tempéraments
8. Groupes sanguins
9. Astrologie
10. DSM
11. Se connaître par ce qui va mal...
Prélude sur la lettre O
Cela m’est arrivé en août dernier, juré. Ce jours-là, je portais mon chandail imprimé «Je suis symphonique» et je suis allé faire quelques courses. Voilà qu’une dame m’arrête et me dit :
- Moi aussi je suis symphonique! Groupe sanguin O! Les O aiment la musique!
- Ah bon. Je ne suis pas O, mais j’aime quand même la musique!
Elle semblait un peu déçue. Peut-être même qu’elle a douté de mon amour pour la musique car, n’est-ce pas, ce sont les O qui aiment la musique.
C’est fou à quel point les gens semblent prêts à croire n’importe quoi – sauf la foi chrétienne dont il fallait se libérer pour s’enchaîner à de bien étranges croyances de remplacement… Et puis, cette tendance à «caser» les gens et à penser que ces cases sont toujours justes…
Or justement, «autisme» est n'est qu'une case. Et je ne suis même pas certain qu'elle soit réelle...
Autisme n’est qu’une description, rien de plus
Je sais
que le diagnostic d’autisme a aidé des gens à mieux se comprendre, souvent suite à de grandes souffrances. Je sais
aussi que ce diagnostic a aidé des parents à obtenir une forme d’aide pour leur
enfant qui en avait besoin.
En science, un concept ne doit pas être trop élastique. S'il l'est, c'est qu'il n'est pas adéquat. L'immense hétérogénéité des personnes autistes est insoutenable. |
Fondé sur une description, le mot autisme n’explique rien et ne peut rien expliquer. Seule l’identification d’une cause peut expliquer. Or, il est extrêmement rare que la cause soit donnée avec le diagnostic. Lorsque j’ai obtenu mon diagnostic en 2007, personne ne m’a dit que l’autisme de type Asperger provient d’un ensemble de gènes anciens.
Cela
fausse toute la perspective. Alors qu’aucune cause n’est identifiée, des gens
en viennent à croire que l’autisme est une cause, la cause qui les fait agir de
telle ou telle manière : «Si je fais ainsi, c'est à cause de mon autisme».
Mais non! C’est tout le contraire! C’est parce que tu montres tels
comportements qu’un spécialiste va te décrire en résumant le tout avec le mot
autisme. «Autisme» n’explique rien, l’«autisme» ne cause rien : «autisme»
n’est un mot qui ne fait que résumer une description, sans plus.
Cause toujours
Comparons avec une «vraie maladie». Le coronavirus SARS-CoV-2 cause la covid, sous diverses formes selon les personnes (selon leur «terrain»). Il y a un agent causal clairement identifié pour la covid, à savoir ce coronavirus. Sans lui, pas cette maladie. Le diagnostic de covid est relié à une cause.Rien de cette précision avec l’autisme, ni avec bon nombre d’autres conditions reliées à la santé mentale. Ce n’est pas moi qui ai «découvert» cela! Dans son livre Tous fous? (Écosociété, 2013), J.-Claude St-Onge écrit avec justesse : «La science médicale consiste à rechercher les causes des maladies afin de découvrir et de mettre en œuvre des traitements ciblés. Or, le diagnostic des troubles mentaux se fait à partir de l’opinion d’experts qui colligent des listes de symptômes qui sont consignés dans la «bible» des psychiatres [le DSM et autres ouvrages de même type]. C’est ce qu’on appelle la psychiatrie diagnostique. Or, une même série de symptômes peut renvoyer à des causes très différentes et le DSM ne se prononce pas sur les causes de la maladie mentale. Cette difficulté inhérente à la psychiatrie diagnostique a pour effet potentiel d’engendrer des traitements inappropriés aux conséquences délétères» (page 26).
En science, on doit séparer ce qui provient de causes différentes. On le fait en santé du corps. L’éternuement n’est pas une maladie : c’est un symptôme qui peut avoir plusieurs causes, comme l’allergie, le rhume, la sinusite, la grippe, etc.
L'éternuement peut être provoqué par plusieurs causes. L'autisme aussi: l'autisme ne cause rien! Il importe de connaître la bonne cause. |
Voir mon article : https://antoine-ouellette.blogspot.com/2020/09/autisme-sommes-nous-autistes.html
Une vieille tentation
Ce qui me ramène à la dame du début de cet article, celle qui me croyait de groupe sanguin O parce que j’aime la musique.
Ces diagnostics basés sur des descriptions de traits de comportements sont un avatar d’une vieille tendance, un avatar «technocratique» d’une civilisation qui clame croire en la science tout en croyant à plein de bizarreries – le succès des mouvements complotistes le montre bien. Une vieille tendance : faire des liens de cause à effet et tirer des conclusions générales à partir de simples descriptions en l’absence de preuves probantes. Avec son corollaire : classer les personnes selon certains aspects superficiels. Dans les époques antérieures, cette même tendance s’était incarnée en plusieurs «systèmes» prétendument explicatifs, y compris en médecine et en sciences humaines. J’ai mentionné le prestige qu’a (trop) longtemps eu la psychanalyse, notamment en autisme. Mais il y en a plusieurs autres, dont voici quelques exemples. Je reviendrai ensuite sur le DSM qui propose, à sa manière, un autre système pour caser et «expliquer» les personnes.
Le racisme et son double
La diversité raciale en Asie. Nordisk familgebok, 1904 |
Je ne discuterai pas de racisme : tant de gens y prennent un plaisir suspect… Je laisse plutôt place à Thomas. Noir des États-Unis, Thomas Chatterton Williams a été un militant fervent, un woke, à fond. Mais la vie étant ce qu’elle est… Il a fait une entorse à ses sacrosaints principes en épousant une Française blanche. La vie étant ce qu’elle est…, il a eu une petite fille blanche à la peau toute rose et aux bouclettes toutes blondes! Il écrit : «Quand j’ai compris que ma fille serait blanche, j’ai dû me rendre à l’évidence que ma façon de voir ces choses n’avait pas de sens. J’ai compris que les catégories raciales dans lesquelles j’avais grandi et que je considérais comme évidentes ne parvenaient pas à décrire la complexité du monde. Or, peut-être que si elles ne marchaient pas pour moi, elles ne marchaient pour personne» (cité dans Le Devoir, un article fascinant que je vous recommande : https://www.ledevoir.com/monde/596834/racisme-un-choc-existentiel-ecrit-noir-sur-blanc).
Son regard a changé, évidemment, et l’idéologie woke qu’il a longtemps défendu lui est apparue comme pétrie d’intolérance. Sur le fameux mot n**** (qu’il ose, lui, écrire en toutes lettres) : «Cela revient à rétablir le blasphème. Comme si certains mots avaient un effet mystérieux sur ceux qui les entendaient. J’y vois une forme de panique morale et puritaine. Cette volonté de “nettoyer” l’histoire en supprimant des mots n’a rien à voir avec une société libérale. Certains vont jusqu’à prétendre que les examens scolaires sont racistes et que la ponctualité à l’école serait un “privilège blanc”. Selon cette logique, les Noirs auraient des manières différentes de penser et d’apprendre. Or, c’est exactement ce qu’ont toujours dit les racistes». Quelle joie de lire des propos aussi justes! La maison Grasset qui a publié son Autoportrait en noir et blanc (2020) commente : «Réduire un nouveau-né à sa couleur de peau a-t-il un sens alors même que ses gènes et ses héritages culturels sont multiples? (…) Thomas Chatterton Williams renvoie dos-à-dos racisme ordinaire et antiracisme communautariste, il s’emploie à déconstruire les préjugés avec, pour perspective, l’avènement d’une société post-raciale». https://www.grasset.fr/livres/autoportrait-en-noir-et-blanc-9782246825586
Pour le moment et très malheureusement, les idéologies racistes avec leurs variantes «antiracistes racisées» connaissent un nouveau succès.
Formes du crâne
Diagramme de phrénologie, 1885 |
Ces études ont convaincu certains : au début des années 1820, des sociétés de phrénologie sont fondées en Écosse, aux États-Unis et dans d’autres pays encore. Mais il y a des sceptiques aussi, dont le médecin français François Magendie qui qualifia tout cela de pseudo-science dès 1825. Le coup de mort fut asséné par Pierre Flourens dans un ouvrage critique paru en 1842. Par la suite, les adeptes de la phrénologie frayeront avec l’occultisme, mais quelques ouvrages à succès paraitront à l’occasion sur le sujet, notamment pour tenter de relier l’étude du crâne avec des tendances criminelles.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Phr%C3%A9nologie
Les tempéraments
Dessin des quatre tempéraments, tiré de: Essai sur la physionomie afin de promouvoir la connaissance et l'amour de l'humanité, de Johann Kasper Lavater, Londres, c.1790 |
Le tempérament nerveux (sec et froid), dominé par l'élément de la terre et par la «bile noire».
Chacun de ces tempéraments est associé à un fluide corporel (dit «humeur») : sang, bile, lymphe... Chaque tempérament est davantage vulnérable à telle maladie mentale et physique. Bon, c’était il y a longtemps. Mais encore au début des années 2000, des chercheurs ont proposé des variantes de ce modèle antique. L’un d’eux classe ainsi les enfants en trois tempéraments : facile, lent à démarrer (slow to warm up) ou difficile. Il parait que cela «explique» bien des choses, ce dont je doute fortement… https://fr.wikipedia.org/wiki/Temp%C3%A9rament_(psychologie)
La richesse humaine est réduite à quatre tempéraments, celle des enfants à seulement trois. Veut-on rire?
Groupes sanguins
Autre réduction douteuse à «quatre» : la personnalité «expliquée» par les groupes sanguins. Les groupes sanguins existent, mais rien n’indique qu’ils ont la moindre influence sur notre personnalité! Le groupe sanguin ne peut pas avoir d’influence sur la personnalité tout simplement, pas plus que la couleur des yeux ou que la longueur du gros orteil.
Au Québec, le Groupe sanguin fut un duo d'humoristes... |
Cela aurait dû en rester là mais, dans les années 1970, un journaliste japonais a recyclé ce vieux fonds de commerce en publiant un livre, toujours dépourvu de fondement, Comprendre les affinités par groupe sanguin. Bien qu’il n’y ait rien de vrai à comprendre là, l’idée est devenue très populaire dans quelques pays asiatiques à commencer par le Japon, mais aussi la Corée du Sud.
https://www.doctissimo.fr/html/nutrition/dossiers/regimes/articles/12247-regime-groupes-sanguins.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupes_sanguins_dans_la_culture_japonaise
Inutile de préciser que la «personnalité» de mon groupe sanguin est complètement à côté de la plaque…
Astrologie
Signes du zodiaque. Allemagne, XVIe siècle |
Je vous l'avoue: je me retrouve au moins autant dans le portrait de mon
signe astrologique que dans le portrait de l'Asperger! Selon la
description qu'en fait l'astrologue Anne-Marie Chalifoux, je dirais que ce portrait concorde à 75%, peut-être même un peu plus, ce qui est très bon. Un indice pour les curieux: mon signe est celui qui passe pour être le plus mystérieux et difficile du zodiaque...
Je dois reconnaître que l’astrologie est un système sophistiqué que ses adeptes ont cherché à parfaire au fil des siècles. Dans l’astrologie classique, il y a 12 types, représentés par les signes du zodiaque. Chacun de ces 12 types se décline lui-même en trois décans et en douze ascendants: chaque signe se décline donc en 3 X 12 = 36 nuances. De plus, l’influence de planètes doit être considérée. Nous sommes loin d’une réduction à 4 catégories. Cela ne signifie pas pour autant que ce «système explicatif» soit fondé! Les horoscopes quotidiens publiés ici et là flirtent avec le ridicule. Comme système prédictif, l’astrologie obtient des résultats aléatoires.
https://en.wikipedia.org/wiki/Astrology
DSM et compagnies
La peur de goûter un nouvel aliment a reçu l'honneur d'entrer au DSM à titre de trouble mental... Toile de Floris van Dyck, 1613. |
Ce qui me ramène au DSM (et aux autres ouvrages du genre) dont l’optique est d’expliquer la personnalité par la description. L’idée de définir et de classer des maladies mentales comme on le fait pour les maladies organiques était une nécessité. Il existe des conditions qui sont très invalidantes et qui doivent être soulagées. Mais l’approche du DSM s’est renforcée au fil du temps jusqu’à devenir normative. Ce n’était probablement pas l’intention de départ, mais le DSM a fini par devenir à son tour un système explicatif de la personne. Comme les autres systèmes mentionnés précédemment, ce nouveau système prend des allures scientifiques et savantes. De fait, il contient des éléments véritablement scientifiques. Mais il y a, ici aussi, des lumières rouges, à commencer par le fait déjà mentionné qu'il se limite trop souvent à de simples descriptions sans identification de causes - c'est justement le cas pour l'autisme.
Déjà, l’explosion du nombre de dits «troubles mentaux» devrait laisser perplexe. Dans le DSM-I publié en 1952, il n’y avait que quelques dizaines de troubles mentaux. Ces troubles menaient souvent à des hospitalisations. Dans le DSM-IV de 1994, il y en avait désormais autour de 400, chiffre largement dépassé dans le DSM-5 de 2013. Le nombre de pages du DSM a suivi la même courbe exponentielle.
Autre élargissement qui rend perplexe : l’inclusion de nouveaux diagnostics insolites et douteux. Ainsi, la peur de nouveaux aliments est devenue un trouble mental en bonne et due forme dans le DSM-5. Il se décline en variantes aux noms très savants comme néophobie alimentaire ou trouble d’alimentation sélective. Des articles cherchent à nous convaincre que c’est très grave. Nous sommes quand même loin d’une condition exigeant une hospitalisation…
Un an de peine suit au décès d'un être cher est naturel. Mais pas pour le DSM... |
https://antoine-ouellette.blogspot.com/2020/01/autisme-troubles-sur-le-spectre.html
Cet élargissement libéral de la «maladie mentale» est général au point qu’«à partir des listes de symptômes, on appose des étiquettes sur des réalités qui font partie intégrante de la condition humaine. La peine et la tristesse sont le résultat inévitable des aléas de l’existence, mais elles ne se vivent plus et sont de plus en plus considérées comme étant anormales et susceptibles d’être traitées avec des médicaments puissants qui ont le potentiel de perturber le cerveau et de transformer votre vie en cauchemar» (Tous fous?, page 26).
Au bout du compte, tout cela mène à la question de St-Onge : serions-nous tous fous? Du moins aux yeux des experts? En tout cas, à peu près tout le monde peut se trouver un ou quelques diagnostics en santé mentale. Il y en a à nouveau pour tous les goûts…
Le DSM a indirectement contribué à l’explosion de la consommation de médicaments psychotropes et à leur banalisation. Déjà avant la pandémie de covid, la consommation d’antidépresseurs progressait de manière folle - par exemple, + 400% aux États-Unis en vingt ans (Tous fous? page 33). La pandémie a encore amplifié cette envolée : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1772170/hausse-consommation-antidepresseurs-etude-pharmaciens-proprietaires
Fumerie d'opium à Londres, 1874. |
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_opio%C3%AFdes
Y a-t-il
un lien avec le fait que l’American Psychatric Association, l’éditeur du DSM,
reçoit une part importante de son financement (30% en 2006) de l’industrie
pharmaceutique (Tous fous?, page 207)? Celle-ci «en outre, contribue au
financement de plusieurs de ses événements. En plus de financer les ordres
professionnels, les grandes pharmaceutiques versent des millions de dollars aux
organisations de patients et détournent les causes défendues par ces groupes à
des fins commerciales» (Tous fous?, page 207). Hum...
Se connaître par ce qui va mal...
Hieronymus Bosch: La nef des fous (c.1500) |
Cela semble être une exclusivité du domaine de la santé mental, car j’avoue ne connaître personne qui s’identifie fièrement comme diabétique, myope, fibromyalgique ou atteint de sclérose en plaques. Je ne connais pas plus de gens qui tiennent tellement à recevoir un diagnostic de cancer des os. Ce glissement idéologique pousse certains à soutenir que, comme le genre, la maladie mentale n’est qu’une «construction sociale». Qu’ils aillent dire cela à qui fait des dépressions sévères à répétition!
Pour sortir de ces impasses et de ces déraisons, il est capital d’établir les causes d’une condition en santé mentale. Souvent les conditions les plus handicapantes ont une base génétique ou organique (notamment neurologique) qui peut être déterminée. Alors qu’on le fasse. Se limiter à la description, même pleine de mots savants, cause plus de mal que de bien.
En ce qui me concerne, je réitère ma position. Je suis Asperger. C’est un aspect de ma personne, mais ce n’est qu’un des aspects de ma personne. Ma personne ne s’y limite pas et cet aspect ne me limite pas. De cet aspect, il y a des forces et des défis. C’est ainsi, et bien ainsi. L'objectif premier de mon implication en autisme était de témoigner pour établir de l'équilibre dans un discours tout en noir. Je désirais aussi inviter les personnes autistes à oser prendre la parole, en tant que personnes à part entière et en tant que citoyens. Du coup, j'invitais les organismes et les équipes de recherche à écouter et à inclure les personnes autistes, au lieu de parler en leur nom sans leur laisser la parole.
MAIS, j'ajoute aussitôt que je suis bien plus que mon «autisme»: je suis, oui oui, une personne humaine à part entière.
Michael Ancher: La fille malade (1882) L'époque nous incite à nous définir et à nous identifier avec ce qui va mal... |
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